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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/18262/2020

CAPH/10/2023 du 30.01.2023 sur JTPH/229/2022 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18262/2020-5 CAPH/10/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 30 JANVIER 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 14 juillet 2022 (JTPH/229/2022), comparant par
Me Yves NIDEGGER, avocat, NIDEGGERLAW Sàrl, Rue Marignac 9,
Case postale 285, 1211 Genève 12, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [VS], intimé, comparant par
Me Kilian BAUMGARTNER, avocat, Troillet Meier Raetzo, Rue de Lyon 77,
Case postale, 1211 Genève 13, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/229/2022 rendu le 14 juillet 2022, notifié à A______ SA le lendemain, le Tribunal des prud'hommes (ci-après, le Tribunal) a, notamment, condamné A______ SA à verser à B______ la somme brute de 44'000 fr. avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 1er janvier 2019 (chiffre 2 du dispositif), ainsi que la somme nette de 300 fr. avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 1er octobre 2017 (ch. 3), invité la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles (ch. 4), condamné A______ SA à remettre à B______ une attestation de l'employeur rectifiée (ch. 5), débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 6), condamné A______ SA à verser 240 fr. aux Services financiers du pouvoir judiciaire de l'Etat de Genève (ch. 7) et dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 8).

B.            a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice (ci-après, la Cour) le 30 août 2022, A______ SA a formé appel de ce jugement et sollicité son annulation. Cela fait, elle a conclu à ce que la Cour déboute B______ de toutes ses conclusions.

b. B______ a conclu au rejet de l'appel.

Il a produit deux pièces nouvelles.

c. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, et persisté dans leurs conclusions.

A______ SA a produit des pièces nouvelles.

d. Par avis du 9 janvier 2023, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. A______ SA, dont la raison sociale était C______ SA jusqu'en août 2022, est une société de droit suisse dont le but est la formation ______, soit notamment ______, ______, ______, ______, ______ et ______, ______ ; son siège est à Genève.

D______ en est administrateur avec signature individuelle.

Il est également associé gérant de E______ SÀRL, anciennement F______ SÀRL, elle aussi sise à Genève, dont le but est similaire à celui de A______ SA. Son siège est à la même adresse que celle-ci.

Selon les déclarations de A______ SA au Tribunal, soit pour elle D______, il n'y a pas d'activité réelle au sein de E______ SÀRL.

b. B______ a été engagé par A______ SA à un taux d'activité de 100%, en qualité de chargé de cours, à partir du 1er août 2013, par contrat de travail du 11 juin 2013.

Le salaire mensuel convenu était de 6'500 fr. brut.

Ce contrat a pris fin en septembre 2014.

c. Un nouveau contrat de travail a été conclu en date du 9 juin 2016 entre A______ SA et B______. Ce dernier a été engagé en qualité de chargé de relations pour le recrutement et le département des "affaires étudiants" ainsi que de chargé de cours et du développement des divers projets ______ à partir du 1er juillet 2016. Le taux d'activité était de 100%, soit 40 heures par semaine, pour un salaire mensuel brut de 5'500 fr.

Les obligations de l'employé consistaient, entre autres, à organiser deux examens écrits.

En date du 12 décembre 2016, un avenant a été signé portant le taux d'activité de B______ à 50% pour un salaire mensuel de 2'750 fr. brut dès le 1er janvier 2017.

Le contrat ne contient pas de modification du cahier des charges.

Selon A______ SA, B______ jouissait d'une grande autonomie dans l'organisation de son travail et devait aussi se rendre occasionnellement à l'étranger pour dispenser des cours. Son planning était changeant en fonction des besoins. Selon elle, B______ menait des activités privées autorisées sur son lieu de travail.

B______ soutient que son activité excédait celle d'un enseignant, puisqu'il était le bras de droit de D______, ce que A______ SA conteste.

d. Le 12 décembre 2016, B______ a été engagé en qualité de chargé de cours au taux de 50% dès le 1er janvier 2017 pour une durée d'une année par E______ SÀRL pour un salaire mensuel brut de 2'750 fr.

Les obligations de l'employé consistaient, entre autres, à organiser deux examens écrits et sont en tout point identiques à celles prévues dans le contrat du 9 juin 2016 avec A______ SA.

Son lieu de travail est désigné comme se trouvant dans les locaux de A______ SA.

A______ SA n'a pas décrit en quoi consistait concrètement les activités de B______ au sein de E______ SÀRL.

e. B______ allègue que la signature de l'avenant et du contrat du 12 décembre 2016 avait pour seul but de mettre par écrit le fait que E______ SÀRL devait prendre en charge une partie de son salaire, en raison de difficultés de trésorerie rencontrées par A______ SA, mais que son activité continuerait au sein de celle-ci uniquement.

f. A compter du 1er janvier 2017, B______ a reçu des fiches de salaire de A______ SA ainsi que de E______ SÀRL, pour des salaires de 2'750 fr. par mois de chaque société. L'intégralité du salaire a été effectivement versée par A______ SA, à l'exception du mois de septembre 2017 où seuls 4'242 fr. 10 net ont été versés en lieu et place des 4'542 fr. 10 contractuellement dus.

g. Par courrier du 21 février 2018, E______ SÀRL a résilié le contrat de travail de B______ pour le 30 avril 2018.

Dans la foulée, sa sortie de la caisse de pension de E______ SÀRL a été annoncée par B______.

h. Dès mai 2018, A______ SA a versé 2'271 fr. net par mois à B______.

Selon B______, A______ SA lui avait promis que le solde du salaire, soit 2'271 fr. par mois correspondant à l'autre moitié de son activité effective à plein temps, lui serait versé ultérieurement. Il continuait à travailler à plein temps pendant cette même période, même si le contrat le liant à F______ SÀRL avait été résilié. Il n'avait donc pas réagi au prétendu licenciement, ni à la cessation du paiement de 50% de son salaire.

i. Par courrier du 27 juin 2019, A______ SA a mis fin au contrat de travail qui la liait à B______ pour le 31 août 2019 pour des raisons économiques.

j. Après son licenciement, B______ a annoncé à l'assurance-chômage les salaires effectivement perçus, sans mentionner que des soldes étaient dus en raison de la continuation d'une activité à plein temps pour A______ SA.

k. Par demande en paiement du 28 août 2020, non conciliée le 29 octobre 2020 et introduite le 11 février 2021, B______ a assigné A______ SA en paiement de la somme totale de 50'806 fr. 30. Ladite somme se décompose comme suit :

- 44'000 fr. brut (correspondant à 2'750 fr. brut par mois pendant 16 mois), avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er janvier 2019, à titre de salaire ;

- 300 fr. net, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er octobre 2017, à titre de salaire :

- 6'506 fr. 30 net, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er janvier 2019, à titre de frais de déplacement.

B______ a notamment produit des plannings de cours à l'en-tête de A______ SA selon lesquels il enseignait, en plus des examens, notamment, du 5 novembre au 8 novembre 2018, 9h00 en tout, du 26 novembre au 7 décembre 2018, du lundi au vendredi, 6h00 chaque jour, du 21 décembre 2018 au 19 janvier 2019, 6h00 par jour, et du 4 au 10 février 2019, 8h45 en tout. Il a en outre produit ses propres plannings.

l. Par mémoire de réponse du 25 mai 2021, A______ SA a conclu à l'irrecevabilité de la demande et, subsidiairement, à son rejet.

m. Par jugement du 7 octobre 2021, le Tribunal des prud'hommes a déclaré irrecevable la conclusion du demandeur en paiement de 6'506 fr. 30 à titre de frais de déplacement, celui-ci ayant déjà réclamé cette prétention dans une autre demande qu'il avait retirée ensuite.

n. Par ordonnance d'instruction et de preuves du 17 février 2022, le Tribunal a ordonné la production par la défenderesse du dossier personnel du demandeur, de ses billets d'avion pour la période de juillet 2016 à août 2019 et l'intégralité des plannings de cours pour la même période.

Par chargé de pièces déposé à l'office postal le 28 février 2022, A______ SA a transmis le dossier personnel de B______, ainsi que le planning des cours pour la période du 1er juillet 2016 au 31 août 2019 et a informé le Tribunal qu'aucun billet d'avion n'avait été réservé durant cette période.

Selon le planning des cours produit par A______ SA, B______ aurait donné 192 heures de cours lors de l'année scolaire 2016-2017, puis 62 heures en 2017-2018 et 155 heures en 2018-2019.

B______ critique ces plannings en ce qu'ils ne tiennent pas compte des heures de cours données à l'étranger. En les ajoutant selon ses propres calculs, il considère avoir donné, en Suisse et à l'étranger, 202 heures de cours en 2016-2017, 241.75 heures en 2017-2018 et 257.50 heures en 2018-2019.

o. Plusieurs témoins ont été entendus par le Tribunal :

- G______, ayant travaillé comme comptable au sein de A______ SA jusqu'en août 2018, a déclaré être l'ami de B______ et de D______. B______ s'occupait de la réception des étudiants, des contacts avec eux, de la facturation, ainsi que de la coordination. Il enseignait aussi. Il ignorait pourquoi les avenants au contrat de travail avaient été conclus avec B______ le 12 décembre 2016. Selon lui, ce dernier avait travaillé aussi pour E______ SÀRL qui avait une activité plus réduite, mais une activité tout de même. Il ignorait si B______ n'avait pas perçu l'intégralité de son salaire ou s'il avait conclu un accord avec D______.

- H______, professeur employé par A______ SA au premier semestre 2019, a déclaré qu'il travaillait du lundi au vendredi et que B______ travaillait pour l'administration et enseignait. Il n'avait jamais entendu parler de E______ SÀRL. B______ était toujours présent quand il travaillait de 8h45 à 17h30 : c'est même lui qui l'avait recruté. Il était la personne de contact pour tous les enseignants.

- I______, programmeur analyste qui avait enseigné à A______ SA entre 2018 et 2019 et travaillé dans l'administration de l'école durant la même période, a déclaré que B______ était présent tous les jours, toute la journée de 8h00 à 18h30 environ. Il donnait des cours et s'occupait de l'administration. Lorsqu'il était absent de l'école, il donnait un cours à l'étranger. Il avait donc constaté qu'il travaillait à 100%.

- J______, professeur ayant travaillé pour A______ SA entre 2017 et 2019, a déclaré que B______ donnait des cours et s'était occupé des démarches administratives lors de ses voyages à l'étranger, ainsi que de l'établissement de son contrat de travail. Pour lui, B______ était sa personne de contact au sein de l'école et la représentait. B______ était toujours présent, sauf lorsqu'il exécutait une mission à l'étranger. Lorsqu'il quittait le travail vers 16h00, B______ restait sur place pour faire des tâches administratives.

- K______, enseignant retraité ayant donné des cours à titre bénévole entre janvier et mars 2019 au sein A______ SA, a déclaré qu'il voyait B______ une fois tous les deux ou trois jours - il n'avait pas besoin de le rencontrer plus souvent eu égard à sa propre fonction - et que B______ était, selon lui, directeur des études, car il s'occupait de la planification des cours et de la gestion des étudiants.

p. A l'issue de la dernière audience du 5 avril 2022, les parties ont plaidé et le Tribunal a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1. 1.1 Selon l'art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC, l'appel est recevable contre les décisions finales et incidentes de première instance, lorsque, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins.

L'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC).

En l'espèce, l'appel, qui respecte les dispositions légales précitées, est recevable.

1.2 La valeur litigieuse en première instance étant supérieure à 30'000 fr. (art. 94 al. 1 CPC), la procédure ordinaire s'applique et le procès est régi par la maxime des débats, qui prévoit que les parties allèguent les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et produisent les preuves qui s'y rapportent (art. 55 al. 1 CPC, art. 243 et art. 247 al. 2 CPC a contrario).

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) dans la limite des griefs qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2014 consid. 5.3.2).

1.4 La raison sociale de l'appelante a changé après le prononcé de première instance pour devenir A______ SA. La rectification sera effectuée d'office.

2. Les parties ont produit des pièces nouvelles.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). La demande ne peut être modifiée que si les conditions fixées à l'art. 227 al. 1 CPC sont remplies et si la modification repose sur des faits ou moyens de preuve nouveaux (al. 2). S'agissant des vrais nova (echte Noven), la condition de nouveauté posée par la lettre b est sans autre réalisée et seule celle d'allégation immédiate doit être examinée. En ce qui concerne les pseudo nova (unechte Noven), il appartient au plaideur qui entend les invoquer devant l'instance d'appel de démontrer qu'il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d'exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n'a pas pu être produit en première instance (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1;
143 III 42 consid. 4.1).

2.2 Les pièces produites pour la première fois en appel par l'appelante, à l'appui de sa réplique, sont irrecevables, ainsi que les faits qui s'y rapportent, dans la mesure où il s'agit de décomptes et de relevés d'assurance et de prévoyance datant de 2018 et qui auraient pu et dû être produits antérieurement. Contrairement à ce que prétend l'appelante, les questions de l'affiliation de l'intimé aux assurances sociales et de son inscription au chômage avaient déjà été évoquées dans la procédure de première instance. Ces pièces auraient donc dû être produites à ce moment-là et leur production en appel pour la première est tardive. L'article de journal du 30 septembre 2022 est par contre recevable, car postérieur à la clôture de la procédure de première instance et au mémoire d'appel.

Quant aux pièces produites par l'intimé, il s'agit d'un extrait du Registre du commerce concernant l'appelante, qui contient des faits notoires n'ayant ni à être allégués, ni prouvés, ainsi que des articles de journaux postérieurs au prononcé de première instance et qui sont donc recevables.

3. L'appelante reproche au premier juge d'avoir alloué à l'intimé ses prétentions salariales pour la période de mai 2018 à août 2019.

3.1
3.1.1 A teneur de l'article 322 al. 1 CO. l'employeur paie au travailleur le salaire convenu, usuel ou fixé par un contrat-type de travail ou par une convention collective. Sauf disposition contraire de la loi, le contrat individuel de travail n'est soumis à aucune forme spéciale (art. 320 al. 1 CO).

Selon l'art. 320 al. 2 CO, un contrat de travail est réputé conclu lorsque l'employeur accepte pour un temps donné l'exécution d'un travail qui, d'après les circonstances, ne doit être fourni que contre un salaire.

Pour que la conclusion tacite d'un contrat de travail puisse être admise, il convient que soient réunis, au regard des circonstances de fait, les éléments caractéristiques essentiels du contrat de travail que sont le motif de la rémunération, le lien de subordination, l'élément de durée et la prestation de travail ou de service. Si ces éléments font défaut, faute de pouvoir qualifier la relation envisagée de contrat de travail, la présomption est inapplicable (arrêts du Tribunal fédéral 4A_504/2015 du 28 janvier 2016 consid. 2.1.2; 4A_641/2012 du 6 mars 2013 consid. 2).

L'existence de cette relation de travail de fait ne dépend pas de la volonté interne des parties. Il est sans pertinence de savoir ce que les parties voulaient ou se sont réprésentées au début de la relation de travail. De même, le silence du travailleur ne doit pas être interprété comme une renonciation à une prétention de salaire. Ainsi, le Tribunal fédéral a considéré que le travailleur ne renonce pas implicitement à son salaire lorsqu'il fournit son travail pendant une longue période, sans formuler de prétentions salariales. Sinon, le but de protection sociale de la norme en faveur du travailleur serait contourné (Probst, Arbeitsvertrag, 2021, n. 44 ad. art. 320 CO). L'art. 320 al. 2 CO a pour but de délimiter la prestation de travail rémunérée de la prestation de travail non rémunérée. Le silence ne doit pas constituer une renonciation au droit au salaire. En outre, la pratique applique également la disposition à celui qui, dans l'attente d'une rémunération particulière, fournit dans un premier temps gratuitement des prestations qui sont normalement fournies contre rémunération, mais qui se voit ensuite déçu dans ses attentes (ATF 90 II 443 ; Rehbinder / Stöckli, Berner Kommentar - Der Arbeitsvertrag, Art. 319-362 OR, 2010, n. 17 ad art. 320 CO). Ainsi, même si les parties ont expressément convenu qu'aucun salaire ne serait versé, cela ne permet pas encore de faire nécessairement obstacle à la présomption de l'art. 320 al. 2 CO, si la relation de travail implique le paiement d'un salaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_141/2019 du 26 septembre 2019 consid. 4.5).

La jurisprudence se montre restrictive lorsqu'il s'agit d'interpréter le silence du travailleur comme une acceptation tacite des modifications défavorables qui lui sont proposées par l'employeur, telles qu'une réduction de salaire. Une acceptation tacite ne peut être admise que dans des circonstances où, selon les règles de la bonne foi, on doit attendre une réaction du travailleur en cas de désaccord de sa part. Il en est notamment ainsi lorsqu'il est reconnaissable pour le travailleur que l'employeur en déduit son accord tacite et que, dans le cas contraire, il prendrait d'autres mesures ou résilierait le contrat. Le travailleur doit alors exprimer son désaccord dans un délai raisonnable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2018 du 27 février 2019 consid. 3.5.3 et les références citées). Le simple fait de laisser s'écouler du temps pendant le délai de prescription d'une prétention et de tarder à agir en justice ne constitue en principe ni une renonciation à la prétention du travailleur, ni un abus de droit, sauf circonstances particulières (ATF 131 III 439 consid. 5.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_367/2018 précité consid. 3.5.3; 4A_205/2016 du 23 juin 2016 consid. 2.4).

3.1.2 Les règles d'interprétation déduites de l'art. 18 CO s'appliquent également aux contrats conclus par actes concluants, en ce sens qu'il s'agit d'abord de rechercher la volonté réelle des parties puis, à défaut, d'interpréter leurs comportements selon le principe de la confiance (arrêts du Tribunal fédéral 5A_881/2018 du 19 juin 2019 consid. 3.1.2.1; 5A_540/2011 du 30 mars 2012 consid. 6.1.2 non publié aux ATF 138 III 348 et les références).

En procédure, le juge doit donc rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 et les références). Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (arrêt du Tribunal fédéral 5A_881/2018 précité consid. 3.1.2.2).

Si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat - ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure, mais doit résulter de l'administration des preuves -, il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre. Il s'agit d'une interprétation selon le principe de la confiance (ATF
144 III 93 consid. 5.2.3 et les références). D'après ce principe, la volonté interne de s'engager du déclarant n'est pas seule déterminante; une obligation à sa charge peut découler de son comportement, dont l'autre partie pouvait, de bonne foi, déduire une volonté de s'engager. Le principe de la confiance permet ainsi d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 5A_881/2018 précité consid. 3.1.2.3).

Le point de savoir si les parties avaient la volonté (réelle) de feindre une convention revient à constater leur volonté interne au moment de la conclusion du contrat, ce qui constitue une question de fait (arrêts du Tribunal fédéral 4A_429/2012 du 2 novembre 2012 consid. 4.2, in SJ 2013 I p. 286; 4A_362/2012 du 28 septembre 2012 consid. 4.2).

On est en présence d'un acte simulé au sens de l'art. 18 CO lorsque les deux parties sont d'accord que les effets juridiques correspondant au sens objectif de leur déclaration ne doivent pas se produire et qu'elles n'ont voulu créer que l'apparence d'un acte juridique à l'égard des tiers (ATF 123 IV 61 consid. 5c/cc; 112 II 337 consid. 4a; 97 II 201 consid. 5 et les arrêts cités). La volonté de simuler un acte juridique est nécessairement liée à une intention de tromper (Täuschungsabsicht; arrêt du Tribunal fédéral 4A_90/2016 du 25 août 2016 consid. 3.3.2).

La volonté véritable des parties tendra soit à ne produire aucun effet juridique, soit à produire un autre effet que celui de l'acte apparent; dans ce dernier cas, les parties entendent en réalité conclure un second acte dissimulé (ATF 123 IV 61 consid. 5c/cc; 112 II 337 consid. 4a). Juridiquement inefficace d'après la volonté réelle et commune des parties, le contrat simulé est nul (ATF 123 IV 61 consid. 5c/cc; 97 II 201 consid. 5 et les arrêts cités), tandis que le contrat dissimulé - que, le cas échéant, les parties ont réellement conclu - est valable si les dispositions légales auxquelles il est soumis quant à sa forme et à son contenu ont été observées (ATF 117 II 382 consid. 2a.; 96 II 383 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_362/2012 déjà cité, consid. 4.1 et les références).

Il incombe à celui qui se prévaut de la simulation d'en apporter la preuve (art. 8 CC), étant précisé qu'on ne saurait admettre trop facilement que les déclarations ou attitudes des parties ne correspondent pas à leur volonté réelle; le juge doit se montrer exigeant en matière de preuve d'une simulation (arrêt du Tribunal fédéral 4A_90/2016 du 25 août 2016 consid. 3.3.2).

3.2 En l'espèce, le Tribunal a retenu que les parties avaient conclu un contrat de travail le 9 juin 2016 à un taux de 100% et pour un salaire de 5'500 fr. brut par mois, ce qui n'est plus contesté. Bien qu'un avenant à ce contrat ait été signé, réduisant le taux de travail à 50%, et qu'un contrat à raison d'un taux d'activité de 50% ait été signé avec une société tierce, le Tribunal a considéré que la volonté des parties n'était pas de réduire le taux de travail de l'appelant, mais de faire supporter une partie du salaire à la société tierce. Or, le salaire avait toujours été versé par l'appelante et aucune preuve d'une activité pour la société tierce n'avait été apportée. Le cahier des charges, les pièces produites et les témoignages démontraient que l'intimé fournissait une activité à plein temps pour l'appelante. Le contrat avec la société tierce était fictif, sa résiliation étant donc sans effet. Il fallait donc considérer que l'intimé avait travaillé à 100% pour l'appelante et avait droit à son salaire de 5'500 fr. brut par mois.

L'appelante s'oppose à ce raisonnement en s'en tenant aux contrats formellement conclus et à leurs résiliations successives. Selon elle, elle avait respecté toutes ses obligations de paiement du salaire. L'employé n'avait jamais élevé aucune prétention salariale pendant son emploi et avait déclaré la situation résultant des deux contrats prévoyant un temps partiel lorsqu'il s'était inscrit au chômage, ayant d'ailleurs demandé les fiches de salaire correspondantes et tenant compte du changement de salaire. L'interprétation effectuée par le Tribunal était ainsi insoutenable. Enfin, le travail fourni par l'intimé pendant la période litigieuse ne dépassait pas celui correspondant à un mi-temps, aucune prestation supplémentaire ne lui ayant été demandée.

L'intimé reprend essentiellement l'argumentation résultant du jugement de première instance.

En l'occurrence, il n'est pas contesté que les parties ont conclu un contrat de travail pour une activité à temps complet le 9 juin 2016, puis un avenant réduisant le taux de travail à 50% le 12 décembre 2016. A cette date, un contrat pour une activité à un taux de 50% a été conclu formellement entre E______ SÀRL et l'intimé.

La question juridique pertinente consiste donc à déterminer si la conclusion de ce dernier contrat est intervenue uniquement en apparence, alors que la volonté des parties à la présente procédure était de continuer à poursuivre leurs relations sur la base d'une activité à plein temps et pour un salaire inchangé depuis 2015.

L'intimé a allégué, sans parvenir à apporter des preuves objectives à l'appui de son assertion, que l'appelante lui avait expliqué que la conclusion du contrat avec E______ SÀRL répondait uniquement à des difficultés de trésorerie provisoire de l'appelante, mais que son activité demeurerait inchangée. La résiliation du contrat avec E______ SÀRL était, selon l'intimé, uniquement une apparence elle aussi, puisqu'il était convenu que son activité continuerait comme auparavant et que son salaire serait payé par l'appelante, plus tard. Il n'avait donc pas réagi lors de son licenciement.

Ainsi que l'ont relevé à juste titre le Tribunal et l'intimé, l'appelante n'est pas parvenue à démontrer que E______ SÀRL avait une véritable activité, ou pour le moins que l'intimé avait fourni des services à cette société. En effet, l'administrateur de l'appelante a déclaré en audience que celle-ci était sans activité propre. L'appelante n'a en outre fourni aucune description du travail effectué par l'intimé pour E______ SÀRL.

D'ailleurs, le salaire de l'intimé n'a jamais été payé par E______ SÀRL, ce qui constitue un indice supplémentaire qu'aucune relation de travail ne s'est effectivement créée avec l'intimé.

Aucun des témoins entendus n'a pu confirmer que l'intimé travaillait pour E______ SÀRL, ni décrire les activités de celle-ci. Le comptable de l'appelante a certes déclaré que l'intimé avait travaillé pour E______ SÀRL, mais sans décrire ce qu'il y faisait concrètement et sans pouvoir affirmer l'avoir vu fournir un telle activité : son témoignage semble s'être référé aux pièces dont il avait eu connaissance.

Tous ces éléments étaient les allégués de l'intimé selon lequel la conclusion du contrat avec E______ SÀRL le 12 décembre 2016 était une simulation, les parties ayant en réalité voulu qu'il continue son activité pour l'appelante uniquement.

Cette conclusion est confortée par les éléments apportés quant à l'activité déployée concrètement par l'intimé pour l'appelante. Après la prétendue résiliation du contrat de travail avec E______ SÀRL, mis à part le fait que le salaire correspondant au montant figurant dans ce contrat n'a plus été versé, l'activité de l'intimé n'a connu aucun changement. Il est frappant de constater que le cahier des charges de tous les contrats conclus est identique quel que soit le taux d'activité ou l'employeur désigné. Dans le même registre, les heures de cours données par l'intimé, même selon les estimations propres de l'appelante, n'ont pas connu une évolution correspondant au prétendu taux de travail réduit de moitié en avril 2018, puisque pour l'année 2018-2019, donc postérieure, l'intimé a donné plus de cours que l'année précédente où il avait travaillé à plein temps durant deux trimestres.

Enfin, les témoins, collègues de l'intimé, ont confirmé le rôle de l'intimé, inchangé durant la période pertinente et comportant à la fois une part d'enseignement et de support administratif et organisationnel, à savoir qu'il était la personne de contact pour les professeurs, s'occupant de la facturation, de la réception des étudiants, des relations avec eux, apparaissant même comme "un directeur des études".

L'appelante se limite à affirmer de façon contradictoire que l'intimé aurait seulement effectué un mi-temps à son service durant la période déterminante et qu'il aurait travaillé davantage, mais sans qu'elle le lui demande, ni ne l'approuve. Elle n'apporte cependant pas de preuves concrètes permettant de contredire les constations étayées qui précède.

Le fait que l'intimé se soit annoncé aux autorités du chômage ou à la prévoyance professionnelle après son prétendu licenciement partiel d'avril 2018 est sans pertinence, puisque, les parties souhaitant donner à leurs manifestations de volonté une apparence différente, il était cohérent d'annoncer la résiliation du contrat et d'effectuer les démarches correspondantes : la légalité de telles démarches peut être laissée ici en suspens, car ne ressortant pas de la compétence de la Chambre de céans.

Le silence de l'intimé, qui espérait vraisemblablement percevoir les montants dus et non payés à un stade ultérieur, est sans incidence. Conformément à la loi, l'appelante a reçu une prestation de travail dont elle ne pouvait pas ignorer qu'elle devait être payée contre un salaire : il ne saurait donc être déduit du silence de l'intimé qu'il avait renoncé à sa créance. La simulation du contrat de travail avec E______ SÀRL rejoint ici l'obligation de l'appelante de rémunérer le travail effectivement fourni pour elle, ce quelle qu'ait été la volonté apparente des parties.

Ainsi, celles-ci avaient la volonté concordante, mais dissimulée, de continuer les relations de travail conformément au contrat de travail conclu le 9 juin 2016, soit pour une activité à plein temps, ce jusqu'au 31 août 2019, les prestations de travail correspondantes ayant été effectivement fournies. Les avenants conclus entretemps n'étaient que destinés à donner une apparence différente à leur volonté concordante.

Le jugement entrepris sera donc confirmé.

4. La procédure d'appel est gratuite (art. 114 let. c cum 116 al. 1 CPC; 19 al. 3 let. c LaCC; 71 RTFMC) et ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 5 :


A la forme
:

Déclare recevable l'appel formé par A______ SA contre le jugement JTPH/229/2022 rendu le 14 juillet 2022 dans la cause C/18262/2020.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel :

Dit que la procédure est gratuite et qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Madame
Anne-Christine GERMANIER, juge employeur; Madame Shirin HATAM, juge salarié; Javier BARBEITO, greffier.

 

La présidente :

Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ

 

Le greffier :

Javier BARBEITO

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.