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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/3169/2021

CAPH/153/2022 du 26.09.2022 sur OTPH/822/2022 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3169/2021-5 CAPH/153/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 26 septembre 2022

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, recourant contre une ordonnance rendue par le Tribunal des prud'hommes le 25 avril 2022 (OTPH/822/2022), comparant par Me Olivier ADLER, avocat, quai Gustave-Ador 26, case postale 6253, 1211 Genève 6, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

et

B______, sise ______, intimée, comparant par Me Oliver CIRIC, avocat,
rue Tabazan 9, 1204 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           a. Le 28 juin 2021, A______ a saisi le Tribunal des prud'hommes (ci-après: le Tribunal) d'une demande dirigée contre [l'organisation internationale] B______ tendant au paiement de divers montants totalisant 486'250 fr. 87 ainsi qu'à la délivrance de certificats de travail et de salaire.

b. Dans son mémoire du 18 octobre 2021, B______ a répondu à la demande de A______ et formé une demande reconventionnelle.

c. Par ordonnance du 6 décembre 2021, le Tribunal, estimant qu'il se justifiait d'ordonner un second échange d'écritures, a imparti un délai à A______ pour répliquer sur demande principale et répondre sur demande reconventionnelle, ainsi qu'un délai à B______ pour dupliquer sur demande principale.

d. Le 31 janvier 2022, A______ a répliqué sur demande principale et répondu sur demande reconventionnelle.

e. Le 21 mars 2022, B______ a dupliqué sur demande principale.

Au chapitre IV de son écriture, elle a formulé des allégués complémentaires n° 99 à 107, que A______ qualifie de diffamatoires.

f. Le 7 avril 2022, A______ s'est déterminé sur la duplique de B______ du 21 mars 2022, a fait valoir des faits nouveaux et a produit un nouveau chargé de pièces.

B.            Par ordonnance OTPH/822/2022 du 25 avril 2022, reçue le 26 avril 2022 par A______, le Tribunal, statuant préparatoirement, a déclaré irrecevables l'écriture et le bordereau de pièces du 7 avril 2022 du précité (ch. 1 du dispositif), lui a retourné en conséquence les deux exemplaires de cette écriture et des pièces du 7 avril 2022 (ch. 2), lui a imparti un délai de dix jours dès réception de l'ordonnance pour déposer ses déterminations sur les allégués complémentaires de B______ figurant sous paragraphe IV, chiffres 99 à 107 de sa duplique du 21 mars 2022, sous forme de libellés "admis" ou "contesté" accompagnés cas échéant d'une brève explication (ch. 3) et réservé la suite de la procédure (ch. 4).

Le Tribunal a notamment considéré que seul un second échange d'écritures sur demande principale avait été ordonné, de sorte que la phase d'allégation était terminée, sauf concernant d'éventuelles déterminations du demandeur sur la duplique du 21 mars 2022, soit les allégués complémentaires figurant sous paragraphe IV chiffres 99 à 107. Lesdites déterminations n'étaient admissibles que sous la forme du libellé "admis" ou "contesté", accompagné cas échéant d'une brève explication. Or, l'écriture du 7 avril 2022 comportait des faits nouveaux et était accompagnée de pièces nouvelles, de sorte qu'elle dépassait le cadre admissible en la matière. Celles-ci étaient ainsi irrecevables et devaient être retournées au demandeur.

C.           a. Par acte expédié le 6 mai 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ recourt contre cette ordonnance, dont il sollicite l'annulation.

Il conclut principalement à ce que la Cour déclare recevables les déterminations et le chargé de pièces complémentaires déposés le 7 avril 2022, ordonne au Tribunal de les verser à la procédure et de les transmettre à B______, laisse les frais judiciaires de recours à la charge de l'Etat et lui alloue une juste indemnité à titre de dépens.

b. Dans sa réponse du 30 mai 2022, B______ conclut au rejet du recours, avec suite de frais et dépens.

c. Par avis du 16 juin 2022, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 Le recours est recevable contre les décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats; elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps. Il en va ainsi notamment lorsque le tribunal fixe des délais ou ordonne des échanges d'écritures (Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 14 ad art. 319 CPC).

Quant aux "autres décisions", leur prononcé marque définitivement le cours des débats et déploie – dans cette seule mesure – autorité et force de chose jugée à l'encontre des parties ou des tiers concernés. Une telle qualification échoit par exemple aux décisions statuant sur une récusation, une suspension ou sur l'admission de faits et moyens de preuve nouveaux (Jeandin, op. cit., n. 15 ad art. 319 CPC).

La distinction entre "autres décisions" et "ordonnances d'instruction" – qui n'est pas toujours aisée – ne joue véritablement de rôle qu'en vue de calculer le délai de recours (Jeandin, op. cit., n. 16 ad art. 319 CPC). Le recours, écrit et motivé, est en effet introduit auprès de l'instance de recours dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 321 al. 1 CPC), alors que le délai est de dix jours pour les ordonnances d'instruction (art. 321 al. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, l'ordonnance querellée déclare irrecevables une écriture ainsi que des pièces produites par le recourant et lui impartit dans le même temps un délai pour déposer des déterminations. L'on peut ainsi s'interroger sur la qualification de cette ordonnance en "ordonnance d'instruction" ou "autre décision", le premier aspect de celle-ci laissant penser à une décision et le second à une ordonnance d'instruction. Cette question peut toutefois demeurer indécise à ce stade, dès leur que le recours a été formé dans le délai de dix jours, soit en temps utile pour les deux types de décision. Il a pour le surplus été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), par une partie qui y a intérêt (art. 59 al. 2 let. a CPC) et en suivant la forme prévue par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 1 CPC), de sorte qu'il est recevable à cet égard.

Le recours n'étant pas prévu par la loi, reste à déterminer si l'ordonnance querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.

2.             2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ACJC/416/2022 du 22 mars 2022 consid. 3.1; ACJC/1827/2018 du 13 décembre 2018 consid. 2.1.1; ACJC/580/2017 du 19 mai 2017 consid. 2.1 et les références citées).

En résumé, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond: il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22a ad art. 319). De même, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est en principe pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (ACJC/728/2022 du 31 mai 2022 consid. 2.1; CAPH/35/2018 du 19 mars 2018 consid. 2.1; CAPH/172/2017 du 3 novembre 2017 consid. 2.1; Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse [CPC], FF 2006 6841, p. 6984).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 141 III 80 consid. 1.2; 134 III 426 consid. 1.2; 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.2 En l'espèce, l'ordonnance querellée n'est pas de nature à causer un dommage difficilement réparable au recourant.

En effet et contrairement à ce qu'il soutient, il n'est pas empêché de se déterminer sur les nouveaux allégués de fait de sa partie adverse conformément à son droit inconditionnel de réplique, le Tribunal lui ayant précisément imparti un délai à cet effet. Le recourant se prévaut à tort de l'arrêt CAPH/155/2017 dans lequel la Cour a admis l'existence d'un préjudice difficilement réparable s'agissant d'une ordonnance d'instruction refusant l'octroi d'un délai supplémentaire pour déposer un nouveau mémoire écrit. Dans cet arrêt, le recourant avait en effet été privé de son droit de s'exprimer par écrit dans le cadre du second échange d'écritures qui avait pourtant été ordonné, et a fortiori de son droit de compléter librement ses allégations et offres de preuve, de sorte qu'il apparaissait disproportionné d'exiger du recourant qu'il attende le prononcé du jugement final pour se plaindre de la violation de son droit d'être entendu commise en début de procédure. Tel n'est en revanche pas le cas en l'espèce, dès lors que le recourant a pleinement bénéficié du second échange d'écritures et l'occasion lui a encore été donnée de faire usage de son droit inconditionnel de réplique.

Quand bien même l'ordonnance entreprise consacrerait une violation des droits procéduraux du recourant, celui-ci pourra en tout état remettre en cause cette décision dans le cadre d'un appel contre le jugement au fond si celui-ci devait lui être défavorable. Contrairement à ce qu'il soutient, le fait que son écriture et les pièces du 7 avril 2022 ne figurent plus au dossier de première instance ne l'empêchera pas de contester l'ordonnance querellée avec la décision finale, le recourant pouvant les produire à cette occasion pour qu'elles soient prises en compte en cas d'admission de ses griefs. Dans ce cas de figure, il ne s'agira en effet pas d'éléments nouveaux irrecevables mais de documents par hypothèse indûment écartés par Tribunal, qui pourront alors être pris en compte par la Cour. Une éventuelle violation du droit d'être entendu pourra, le cas échéant, ainsi être réparée. La procédure en serait certes prolongée, mais ce seul inconvénient ne constitue pas un dommage difficilement réparable. Il en va de même des éventuels frais supplémentaires que cela engendrerait.

Le recourant fait enfin valoir que la décision querellée serait susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable en tant qu'elle l'empêcherait de défendre son honneur et sa réputation en rétablissant immédiatement la vérité aux yeux du Tribunal, de ses auxiliaires et des parties, en se déterminant sur les allégations diffamatoires de son adverse partie. Or et comme cela a été rappelé ci-dessus, si le recourant est certes empêché de produire des pièces nouvelles par l'ordonnance querellée, il dispose néanmoins de la possibilité de se déterminer au sujet des allégués prétendument diffamatoires de l'intimée et de défendre sa réputation et son honneur dans cette mesure dans le cadre de l'exercice de son droit inconditionnel de réplique, le Tribunal lui ayant expressément imparti un délai à cet effet. Dans ces conditions, l'on ne discerne pas en quoi l'ordonnance querellée serait susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant.

La condition de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC n'étant pas remplie, le recours est irrecevable.

3.             Les frais judiciaires de recours, arrêtés à 800 fr. (art. 19 al. 3 let. c LaCC; art. 71 RTFMC), seront mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il n'est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 5:


A la forme
:

Déclare irrecevable le recours interjeté le 6 mai 2022 par A______ contre l'ordonnance OTPH/822/2022 rendue le 25 avril 2022 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/3169/2021-5.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 800 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance de frais fournie, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame
Anne-Christine GERMANIER, juge employeur; Monsieur Willy KNOPFEL,
juge salarié; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.