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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/2690/2025

ACJC/1615/2025 du 13.11.2025 sur JTBL/719/2025 ( SBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2690/2025 ACJC/1615/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU JEUDI 13 NOVEMBRE 2025

 

Entre

A______ SÀRL et Madame B______, domiciliée ______ [GE], appelantes et recourantes contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 30 juin 2025, représentées par Me Pascal PETROZ, avocat, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,

et

C______, sise ______ (ZH), intimée, représentée par Me David BENSIMON, avocat, rue du Rhône 100, 1204 Genève.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTBL/719/2025 du 30 juin 2025, notifié aux parties le 30 juillet 2025, le Tribunal des baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire en protection des cas clairs, a ordonné la jonction des causes C/2690/2025 et C/5562/2025 sous la référence C/2690/2025 (ch. 1 du dispositif), condamné A______ Sàrl et B______ à évacuer immédiatement de leur personne et de leurs biens ainsi que toute autre personne sous leur responsabilité l’atelier (n° 1______), les deux arcades (n° 2______ et 3______), ainsi que les deux places de parc extérieures (n° 4______ et 5______) dans les immeubles sis rue 6______
nos. ______-______ à Genève (ch. 2), autorisé C______ à requérir l’évacuation par la force publique de A______ Sàrl et B______ (ch. 3), dit que les requêtes étaient irrecevables pour le surplus (ch. 4), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5) et dit que la procédure était gratuite (ch. 6).

B.            a. Par acte expédié le 11 août 2025 à la Cour de justice, A______ Sàrl et B______ (ci-après : les locataires ou les appelantes) ont formé appel de, respectivement recours contre, ce jugement. A titre préalable, elles ont requis l’octroi de l’effet suspensif. Principalement, elles ont conclu à ce que les requêtes du 29 janvier 2025 et du 5 mars 2025 formées par C______ soient déclarées irrecevables, la procédure en cas clair n’étant pas applicable en l’espèce. Subsidiairement, elles ont conclu à l’annulation des chiffres 2 et 3 du dispositif du jugement entrepris et au déboutement de la bailleresse de toutes autres conclusions.

b. Par arrêt ACJC/1095/2025 du 19 août 2025, la Cour a constaté la suspension de la force jugée et du caractère exécutoire du jugement attaqué et dit que la requête d'effet suspensif était sans objet.

c. Par réponse expédiée le 21 août 2025, C______ (ci-après : l’intimée ou la bailleresse) a conclu à la confirmation du jugement entrepris et au déboutement des appelantes de toutes leurs conclusions.

L’intimée a produit une pièce nouvelle et allégué des faits nouveaux. En substance, les parties étaient convenues, par avenant du 22 juillet 2025, que la place de parc extérieure n° 7______ était substituée par celle portant le n° 8______; les autres clauses du contrat de bail du 8 janvier 2021 demeuraient inchangées.

d. Par réplique du 4 septembre 2025, les appelantes ont persisté dans leurs conclusions. Elles ont, au surplus, admis la recevabilité de la pièce nouvelle et les allégués nouveaux précités de l’intimée.

e. L’intimé a renoncé à dupliquer.

f. Les parties ont été avisées par plis du greffe de la Cour du 6 octobre 2025 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a.    Le 8 janvier 2021, C______, en qualité de bailleresse d’une part, et A______ Sàrl et B______, en qualité de locataires d’autre part, ont conclu un contrat de bail à loyer commercial portant sur la location d’un atelier, de deux arcades et d’une place de parc extérieure (portant le n° 7______), dans l’immeuble sis rue 6______ nos. ______-______ à Genève.

Le montant du loyer, charges comprises, a été fixé dès le mois de janvier 2024, en dernier lieu, à 9'440 fr. 35 par mois.

Le 23 novembre 2022, les parties ont encore conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d’une seconde place de parc extérieure (portant le n° 9______), dans le même immeuble susmentionné, pour un loyer mensuel brut fixé en dernier lieu à 270 fr. 35 par mois.

b.   Par avis comminatoire du 27 septembre 2024, la bailleresse a mis en demeure les locataires de lui régler dans un délai de trente jours, sous menace de résiliation conformément à l’art. 257d CO, les sommes de 66'121 fr. 45 à titre d’arriérés de loyers et de charges pour la période du 1er mars au 30 septembre 2024, concernant les locaux objets du bail conclu le 8 janvier 2021 et de 1'930 fr. 75 pour la même période, s’agissant de la seconde place de parc.

c.    Par courrier du 1er novembre 2024, les locataires ont excipé de compensation « avec les sommes qui leur [étaient] dues en relation avec la réduction de loyer et les dommages et intérêts auxquels ils [avaient] droit du fait des travaux réalisés dans l’immeuble ».

Ils n’ont pas consigné de loyers.

d.   Par avis officiel du 18 novembre 2024, la bailleresse a résilié les contrats de bail pour le 31 décembre 2024 (premier bail), respectivement pour le 31 janvier 2025 (second bail), considérant la compensation inopérante.

e.    Les locaux n’ont pas été restitués par les locataires aux dates susmentionnées.

f.     Les locataires ont déposé une requête en conciliation le 19 décembre 2024 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers tendant au constat de l'inefficacité des congés susvisés. Elles ont allégué que des travaux avaient été réalisés dans l'immeuble entre le 21 août 2023 et mi-octobre 2024, ce qui avait entraîné une baisse significative de leur chiffre d'affaires, estimée à 230'430 fr. 77. Elles avaient par conséquent sollicité de la bailleresse, par courrier du 26 avril 2024, une réduction de loyer à hauteur de 25% pour la durée des travaux.

g.    Par requêtes déposées en procédure de protection de cas clair les 29 janvier 2025 (cause C/2690/2025) et 5 mars 2025 (cause C/5562/2025) au Tribunal, C______ a requis l'évacuation des locataires, assortie des mesures d'exécution directe du jugement d'évacuation et conclu au paiement par les locataires, conjointement et solidairement entre elles, de 101'635 fr. 70 à titre d’arriéré de loyers et de charges relatifs au premier bail et 3'513 fr. 25 à titre d’arriéré de loyers et de charges concernant le second bail, plus intérêts moratoires.

h.   A l’audience du 30 juin 2025 devant le Tribunal, la bailleresse a persisté dans ses conclusions et amplifié ses prétentions en paiement à hauteur des arriérés au jour de l'audience, soit un total de 131'131 fr. 75 concernant les objets des deux baux. Elle a produit un décompte-locataire à l’appui de ses déclarations.

Les locataires ont déclaré que le montant allégué à titre de compensation estimé à 230'000 fr., dans le cadre de leur requête en conciliation du 19 décembre 2024 en contestation de la validité des congés, n'était pas définitif car les documents comptables devaient encore être révisés; ce calcul estimatif avait été effectué sur la base du chiffre d’affaires. Le pourcentage de réduction de loyer dont elles s’étaient prévalues n’avait pas été articulé à ce stade puisque la procédure au fond n’avait pas encore été introduite. Elles avaient réglé les loyers pour les mois d'avril à juin 2025; trois avis de débit avaient été produits à l’appui de cette affirmation.

Les parties ont plaidé. La bailleresse a persisté dans ses conclusions. Les locataires ont conclu à l’irrecevabilité des requêtes de la bailleresse.

i.      La cause a été gardée à juger par le Tribunal à l’issue de l’audience.

D. Dans le jugement entrepris, les premiers juges ont retenu que les conditions d’une résiliation selon l’art. 257d al. 1 CO étaient réunies, les locataires n’ayant pas rendu vraisemblable que l’une ou l’autre d’entre elles ferait défaut. Dans le délai comminatoire imparti par la bailleresse, elles s’étaient contentées d’exciper de compensation [« avec les sommes qui leur sont dues en relation avec la réduction de loyer et les dommages et intérêts auxquels ils ont droit du fait des travaux réalisés dans l’immeuble »], sans pour autant chiffrer leurs prétentions en dommages et intérêts, ne démontrant ni leur existence, ni leur quotité; tout au plus, avaient-elles fait valoir une prétention en réduction de loyer de 25%, soit d’un montant bien inférieur à l’arriéré réclamé dans la mise en demeure. Les locataires n’avaient ainsi pas permis à la bailleresse d’apprécier la validité de la compensation, ni au juge d’apprécier rapidement l’existence et le montant de la contre-créance invoquée. La bailleresse était ainsi fondée à résilier les baux, ce qu’elle avait fait en respectant l’art. 257d al. 2 CO. Ne disposant plus d’aucun titre juridique les autorisant à demeurer dans les locaux (art. 267 al.1 CO), l’évacuation des locataires devait être prononcée.

Par ailleurs, les conclusions en paiement de la bailleresse étaient irrecevables; le cas n’était pas clair sur ce point, la bailleresse n’ayant ni contesté l’existence des travaux réalisés dans l’immeuble, ni les nuisances occasionnées pour les locataires, de sorte qu’une réduction d’un montant à déterminer semblait devoir être accordée à celles-ci.

EN DROIT

1.             La voie de l'appel est ouverte contre les décisions d'évacuation, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), alors que la voie de recours est ouverte contre les décisions du Tribunal de l'exécution (art. 309 let. a CPC; art. 319 let. a CPC).

1.1 Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans
(ATF 
144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3, JdT 2019 II 235; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid. 1; Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, Lausanne 2019, pp. 69-70).

1.2 En l'espèce, les appelantes remettent en cause tant le prononcé de l'évacuation, respectivement la validité des congés – au motif notamment que les résiliations du bail, fondées sur l'art. 257d CO, seraient inefficaces dès lors qu'elles auraient valablement excipé de compensation dans le délai comminatoire – que les mesures d’exécution ordonnées par le Tribunal. Au vu du montant du loyer mensuel, de 9'440 fr. 35 pour le premier bail et de 270 fr. 35 pour le second bail, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte contre le prononcé d’évacuation.

En revanche, contre les mesures d'exécution, seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. a CPC).

1.3 Interjetés par écrit dans le délai prescrit par la loi, vu la notification du jugement entrepris par pli recommandé le 30 juillet 2025, l’appel est recevable (art. 130, 131, 142 al. 1 et 3, 143 al. 1, 311 al. 1 et 314 al. 1 CPC).

Toutefois, étant donné que l’acte des appelantes ne contient aucune contestation à l’encontre des mesures d’exécution du prononcé d’évacuation ordonnées par le Tribunal, le recours sera déclaré irrecevable, faute de conclusions et de motivation sur ce point (art. 321 al. 1 cum 309 let. a CPC).

1.4 La procédure en matière de cas clairs est applicable (art. 248 let. b et 257 CPC), au vu des considérants qui suivront.

1.5 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2.             Les appelantes font grief au Tribunal d’avoir violé l’art. 257 al. 1 let. a et b CPC en déclarant recevable la requête de la bailleresse en protection de cas clair. Elles font valoir que l’irrecevabilité des conclusions en paiement de l’intimée aurait dû entraîner l’irrecevabilité de ses conclusions en évacuation puisque dès le moment où l’existence même d’une dette est incertaine, toute mise en demeure est exclue; en ce sens, l’état de fait litigieux n’était, de leur point de vue, pas susceptible d’être immédiatement prouvé. Les appelantes soutiennent par ailleurs qu’elles auraient valablement excipé de compensation dans le délai comminatoire et que l’exception soulevée reposerait sur des motifs crédibles et étayés dans le cadre d’une action en contestation des congés, de sorte que la situation juridique ne serait pas claire.

2.1
2.1.1
Lorsque le bailleur introduit une requête d'expulsion pour le retard dans le paiement du loyer, selon la procédure de protection dans les cas clairs de l'art. 257 CPC, la cause est soumise tant aux conditions de droit matériel de l'art. 257d CO qu'aux règles procédurales de l'art. 257 CPC.

La réglementation de droit matériel mise en place par le législateur à l'art. 257d CO signifie que le locataire mis en demeure doit évacuer l'objet loué dans les plus brefs délais s'il ne paie pas le loyer en retard (arrêt du Tribunal fédéral 4A_140/2014 du 6 août 2014 consid. 5.2).

La procédure de protection dans les cas clairs prévue à l'art. 257 CPC permet d'obtenir rapidement une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire lorsque la situation en fait et en droit n'est pas équivoque
(ATF 138 III 620 consid. 5.1.1 avec référence au Message du 28 juin 2006 relatif au CPC, FF 2006 6959 ad art. 253; arrêts du Tribunal fédéral 4A_385/2022 du 14 février 2023 consid. 3.2; 4A_282/2015 du 27 juillet 2015 consid. 2.1).

2.1.2 Aux termes de l'art. 257 al. 1 CPC, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire de protection dans les cas clairs lorsque les conditions suivantes sont remplies : (a) l'état de fait n'est pas litigieux ou peut être immédiatement prouvé et (b) la situation juridique est claire. Si ces conditions ne sont pas remplies, le tribunal n'entre pas en matière sur la requête (art. 257 al. 3 CPC) et la déclare irrecevable. Il est exclu que la procédure aboutisse au rejet de la prétention du demandeur avec autorité de la chose jugée (ATF 144 III 462 consid. 3.1 p. 465; 140 III 315 consid. 5.2.3 et 5.3).

La recevabilité de la procédure de protection dans les cas clairs est donc soumise à deux conditions cumulatives.

Premièrement, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur. Il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. Il ne s'agit pas d'une preuve facilitée : le demandeur doit apporter la preuve certaine ("voller Beweis") des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ne suffit pas. Si le défendeur soulève des objections et exceptions motivées et concluantes ("substanziiert und schlüssig") qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620
consid. 5.1.1. et les arrêts cités).

Secondement, la situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 
138 III 123 consid. 2.1.2, 620 consid. 5.1.1, 728 consid. 3.3). En règle générale
(cf. toutefois l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_185/2017 du 15 juin 2017 consid. 5.4 et les références citées), la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite un certain pouvoir d'appréciation du juge ou si celui-ci doit rendre une décision fondée sur l'équité qui intègre les circonstances concrètes
(ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 123 consid. 2.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_273/2012 du 30 octobre 2012 consid. 5.1.2, non publié in ATF 138 III 620).

Si le juge parvient à la conclusion que les conditions du cas clair sont réalisées, le demandeur obtient gain de cause par une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Si elles ne sont pas remplies, le juge doit prononcer l'irrecevabilité de la demande (ATF 144 III 462 consid. 3.1 et les arrêts cités).

2.1.3 Si le locataire conteste la résiliation du bail (art. 150 al. 1 in fine et 55 al. 1 CPC), le tribunal devra examiner sa validité à titre préjudiciel, autrement dit vérifier si les conditions matérielles de l'art. 257d al. 1 et 2 CO sont remplies. En effet, l'expulsion du locataire présuppose que le bail ait valablement pris fin, puisque l'extinction du bail est une condition du droit à la restitution des locaux
(art. 267 al.1 CO, respectivement art. 299 al. 1 CO). Les conditions de
l'art. 257 CPC s'appliquent également à cette question préjudicielle
(ATF 144 III 462 consid. 3.3.1; 142 III 515 consid. 2.2.4 in fine; 141 III 262 consid. 3.2 in fine).

2.1.4  La possibilité d'opposer en compensation une contre-créance contestée existe aussi pour le locataire mis en demeure de payer un arriéré de loyer (art. 257d CO); la déclaration de compensation doit toutefois intervenir avant l'échéance du délai de grâce (ATF 119 II 241 consid. 6b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 4C.212/2006 du 28 septembre 2006 consid. 3.1.1, in CdB 2007 22; cf. toutefois arrêt du Tribunal fédéral 4A_472/2008 du 26 janvier 2009 consid. 4.2.3, in RtiD 2009 II 681, qui exclut une telle possibilité dans une situation où la loi permet de consigner le loyer). Si le bailleur donne néanmoins le congé et si le locataire en conteste la validité en soutenant avoir payé son dû par compensation, le juge devra à titre préjudiciel se prononcer sur l'existence et le montant de la contre-créance, et partant instruire sur ce point. Cela étant, il y a lieu de tenir compte des spécificités de la cause (ACJC/1081/2024 du 9 septembre 2024 consid. 3.2.5 et les références citées).

L'obligation du juge de se prononcer sur la contre-créance invoquée en compensation ne saurait prolonger la procédure en contestation du congé de façon à contrecarrer la volonté du législateur de permettre au bailleur de mettre fin au bail et d'obtenir l'évacuation du locataire dans les plus brefs délais; cette volonté découle des règles de droit matériel évoquées ci-dessus, sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de savoir si la contestation de l'efficacité du congé relève de la procédure ordinaire ou simplifiée (cf. ATF 139 III 457 consid. 5.3 in fine, qui laisse la question indécise). Invoquer la compensation avec une contre-créance contestée ne doit pas être un moyen susceptible de conduire à une prolongation du séjour indu du locataire dans l'objet loué. La contre-créance invoquée en compensation doit dès lors pouvoir être prouvée sans délai; si une procédure relative à la contre-créance est pendante devant une autre instance, il ne saurait être question de suspendre la procédure en contestation du congé jusqu'à droit connu dans l'autre procédure, sauf si une décision définitive est imminente (ACJC/1081/2024 précité).

Cette restriction se justifie d'autant plus que le locataire qui prétend avoir une créance en réduction de loyer ou en dommages-intérêts pour cause de défauts de l'objet loué n'est pas en droit de retenir tout ou partie du loyer échu; il n'a en principe que la possibilité de consigner le loyer, l'art. 259g CO étant une lex specialis par rapport à l'art. 82 CO. Il est donc dans son tort s'il retient le loyer, ce qui a conduit le Tribunal fédéral à exclure la possibilité d'opposer en compensation une créance fondée sur les défauts de la chose louée (arrêt précité 4A_472/2008 du 26 janvier 2009 consid. 4.2.3, in RtiD 2009 II 681). Si le locataire passe outre, il peut toujours, à réception de l'avis comminatoire, éviter la résiliation du bail en payant le montant dû ou en le consignant et ainsi éviter le congé et la procédure judiciaire en contestation de ce congé. S'il se décide néanmoins à compenser avec une contre-créance contestée, il fait ce choix à ses risques et périls (arrêt du Tribunal fédéral 4A_140/2014 du 6 août 2014 consid. 5.2 et les références citées).

Lachat relève dans ce sens que le locataire qui prétend compenser avec le loyer une prétendue créance contre son bailleur court le risque de voir son bail résilié en application de l'art. 257d al. 2 CO (retard dans le paiement du loyer) s'il n'était pas fondé à invoquer la compensation. Par conséquent, il n'opérera une telle compensation que si sa créance est incontestée ou incontestable, en particulier si elle résulte d'une reconnaissance de dette ou d'une décision judiciaire. Le locataire n'excipera de compensation que si sa créance est certaine et chiffrée (Lachat, Le bail à loyer, 2019, pp. 382-383).

Pour que soit respectée la volonté du législateur lors de l'adoption de l'art. 257d CO, le juge doit pouvoir se prononcer sur l'existence et le montant de la contre-créance rapidement. Il doit en aller de même lorsque le locataire prétend seulement à une réduction de son loyer (arrêt du Tribunal fédéral 4A_574/2022 précité consid 3.4).

Il ne suffit pas que la contre-créance ne soit pas sans fondement ("nicht haltlos"). Il ne suffit pas non plus que le locataire tente d'éviter une résiliation pour demeure de paiement, à laquelle ferait suite une expulsion par la voie du cas clair (art. 257 CPC), en prétextant des défauts de l'objet loué et sur la base de ceux-ci, invoque en compensation des créances non chiffrées et non établies ("unbezifferte, nicht feststehende Forderungen"; cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_333/2022 du
9 novembre 2022 destiné à la publication, consid. 5.2, arrêt résumé et analysé par Ecklin, Newsletter bail.ch janvier 2023).

Le locataire doit invoquer en compensation une créance certaine dans le délai comminatoire de l’art. 257d al. 1 CO ; à défaut, il ne pourra pas faire obstacle à la résiliation anticipée du bail (Lachat, op.cit., p. 381).

2.2 En l'espèce, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, en vain, l’irrecevabilité des conclusions en paiement de l’intimée n’entraîne pas pour autant l’irrecevabilité des conclusions en évacuation de la précitée.

En effet, il est constant qu’à l’issue du délai comminatoire, les locataires n’avaient pas réglé les arriérés de loyers et de charges réclamés pour la période de mars à septembre 2024; en tout état, elles n’ont pas apporté la preuve du contraire. A l’instar de ce que les premiers juges ont retenu, à juste titre, il est établi que les appelantes se sont contentées d’exciper de compensation avec des montants supposément dérisoires, en lien avec une réduction de loyer et des dommages et intérêts, sans quantifier ceux-ci. Bien qu’elles aient fait valoir cette exception dans le délai comminatoire imparti par l’intimée, la créance compensatrice ainsi invoquée n’était ni déterminée, ni certaine, ni chiffrée – ce que les appelantes admettent d’ailleurs dans leurs écritures d’appel. Le fait d’avoir articulé, a posteriori, un montant estimatif d’environ 230'000 fr. à titre de compensation d’une baisse de leur chiffre d’affaires en raison de travaux allégués dans l’immeuble, n’est pas pertinent compte tenu de la jurisprudence fédérale applicable rappelée supra.

Ainsi que l’a retenu le Tribunal, la prétention des locataires en réduction de 25% du loyer formulée auprès de la bailleresse par courrier du 26 avril 2024 est, en tout état de cause, d’un montant inférieur – vu le montant mensuel du loyer en l’espèce – à celui réclamé dans la mise en demeure au titre d’arriérés de loyers. Cet argument ne permettait donc pas de démontrer le règlement des arriérés de loyers dans le délai comminatoire.

Dans ces circonstances, les griefs développés par les appelantes dans la procédure de conciliation en constatation de l'inefficacité des congés ainsi que dans la présente procédure d’appel quant à la compensation invoquée ne pouvaient faire obstacle au cas clair.

En tout état, le fait qu’une procédure en réduction de loyer relative à la contre-créance invoquée soit pendante ne change rien à ce qui précède, vu la jurisprudence restrictive du Tribunal fédéral.

2.3 Compte tenu de ce qui précède, les conditions cumulatives de recevabilité de la requête de l’intimée en protection du cas clair, au sens de l’art. 257 al. 1 CPC, respectivement celles de l’art. 257d al. 1 et 2 CO étant réalisées, c’est à bon droit que le Tribunal a prononcé l’évacuation des appelantes des locaux litigieux.

Le jugement entrepris sera ainsi confirmé.

3.             A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 11 août 2025 par A______ SÀRL contre le jugement JTBL/719/2025 rendu le 30 juin 2025 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/2690/2025.

Déclare irrecevable le recours interjeté le 11 août 2025 par A______ SÀRL contre le jugement JTBL/719/2025 rendu le 30 juin 2025 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/2690/2025.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Zoé SEILER et Monsieur Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 





Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.