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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/24140/2020

ACJC/1212/2024 du 25.09.2024 sur JTBL/526/2023 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24140/2020 ACJC/1212/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MERCREDI 25 SEPTEMBRE 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE] et Monsieur B______, domicilié ______ [GE], appelants d’un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 21 juin 2023 et intimés sur appel joint, représentés par Maître Jacques ROULET, avocat, Rond-Point de Plainpalais 2, 1205 Genève,

et

C______ FONDATION DE PLACEMENT, sise ______ (ZH), intimée et appelante sur appel joint, représentée par Maîtres Yves JEANRENAUD et Gregory STROHMEIER, avocats, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1.


EN FAIT

A.    Par jugement JTBL/526/2023 du 21 juin 2023, notifié le 27 juin 2023 à A______ et B______, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) a déclaré efficace et valable le congé qui leur avait été notifié le 29 octobre 2020 pour le 30 novembre 2020 concernant l’arcade d’environ 323 m2 située rue 1______ no. ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), les a condamnés à évacuer immédiatement de leurs personnes, de tous tiers dont ils seraient responsables et de leurs biens, l’arcade précitée (ch. 2), a autorisé C______ FONDATION DE PLACEMENT à faire exécuter ce qui précède par la force publique dès le 30ème jour après l’entrée en force du jugement (ch. 3), les a condamnés à verser à C______ FONDATION DE PLACEMENT les sommes de 4'088 fr. 50 avec intérêts à 5% dès le 10 mars 2017, 1'346 fr. 90 avec intérêts à 5% dès le 1er mars 2018, 4'380 fr. 60 avec intérêts à 5% dès le 3 mars 2019, 2'313 fr. 95 avec intérêts à 5% dès le 22 avril 2020 et 360 fr. 40 avec intérêts à 5% dès le 2 juin 2021 (ch. 4), a débouté les parties de toutes autres ou contraires conclusions (ch. 5) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 6).

S’agissant de l’efficacité du congé, le Tribunal a constaté que les avis comminatoires du 15 septembre 2020 avaient été notifiés par plis séparés à A______ et B______ (ci-après : les locataires) qui ne les avaient pas retirés durant le délai de garde postal. Ils disposaient d’un délai de 30 jours à partir de ce moment pour s’acquitter de leur dette, soit jusqu’au 24 octobre 2020. A cette dernière date au plus tard, faute d’avoir reçu l’assurance d’une exemption de paiement de loyer, les locataires devaient s’acquitter des sommes réclamées. Par ailleurs, l’un des locataires en particulier se savait en demeure, puisqu’il ne s’était pas acquitté de sa part de loyer durant la période d’avril à septembre 2020. L’exigibilité des montants réclamés a été admise et, s’agissant de l’avis comminatoire, le Tribunal a considéré qu’il était clairement libellé et ainsi jugé le congé litigieux efficace.

Concernant la validité du congé, le Tribunal a retenu que C______ FONDATION DE PLACEMENT (ci-après : la bailleresse) n’avait pas agi de manière contraire à la bonne foi, puisqu’elle avait résilié le contrat de bail après avoir envoyé plusieurs rappels de paiement et mises en demeure. Les locataires avaient eu plusieurs occasions de comprendre qu’ils n’avaient pas été exonérés du paiement des loyers, mais que l’exigibilité de ceux-ci avait uniquement été différée. Par ailleurs, les locataires n’avaient pas démontré que le motif du congé n’était pas réellement celui ayant donné lieu à la résiliation du bail. Le Tribunal a ainsi considéré que le congé était valable au regard de l’art. 271 CO.

Compte tenu de ces deux éléments, il convenait de prononcer l’évacuation des locataires et d’ordonner les mesures d’exécution nécessaires, puisque les locataires ne disposaient plus d’aucun titre leur permettant de demeurer dans les locaux litigieux.

S’agissant des décomptes de charges, le Tribunal a suivi l’avis de la doctrine majoritaire qui applique la prescription quinquennale de l’art. 128 ch. 1 CO aux créances en paiement du solde de décomptes annuels de charges. Partant, les prétentions portant sur les périodes du 1er juillet 2012 au 30 juin 2015 étaient prescrites. Au surplus, la bailleresse avait détaillé les décomptes à satisfaction de droit et démontré que ceux-ci étaient aisément attribuables à l’un ou l’autre des colocataires. Il n’y avait dès lors aucune confusion à cet égard et les montants étaient dus. Le Tribunal a ainsi condamné les locataires à s’acquitter des soldes de décomptes annuels de charges pour les périodes courant du 1er juillet 2015 au 30 juin 2019.

Le Tribunal a considéré que le droit de contester les décomptes de charges n’était pas un droit formateur nécessitant que les colocataires agissent conjointement en tant que consorts nécessaires.

Finalement, le Tribunal a considéré que les frais engagés par la bailleresse devaient être portés à la charge des locataires. D’une part, les travaux liés au siège WC consistaient en de menus travaux, et, d’autre part, l’absence de conformité du raccordement de la machine à café des locataires était à l’origine des dégâts liés à l’infiltration d’eau au plafond dont ceux-ci se plaignaient.

B.     a. Par acte expédié à la Cour de justice le 25 août 2023, A______ et B______ (ci-après également les appelants) ont formé appel du jugement précité et conclu principalement, au fond, à l’annulation des chiffres 1, 2 et 3 du dispositif du jugement entrepris et, cela fait, à ce que soit constatée l’inefficacité de la résiliation du bail datée du 29 octobre 2020. Subsidiairement, ils ont conclu à ce que les chiffres 1, 2 et 3 du dispositif du jugement entrepris soient annulés et, cela fait, à ce que la résiliation du bail datée du 29 octobre 2020 soit annulée. En tout état de cause, ils ont conclu à ce que la bailleresse soit déboutée de ses conclusions.

En substance, ils ont reproché au Tribunal d’avoir constaté les faits de manière incomplète et d’avoir violé le droit.

S’agissant de la constatation inexacte des faits, les locataires ont soutenu que dans la mesure où ils réclamaient une « aide supplémentaire » pour les mois d’août 2020 à novembre 2020, le Tribunal aurait dû constater qu’ils ne se sentaient valablement pas redevables des loyers afférents à cette période. Concernant les avis comminatoires, ils ont relevé que la bailleresse n'était pas en mesure d’indiquer avec précision au Tribunal les diverses créances composant la somme totale réclamée dans les avis comminatoires.

Dans ces conditions, le Tribunal ne pouvait pas constater l’efficacité du congé litigieux, car les conditions de clarté et de précision des avis comminatoires n’étaient pas remplies. D’une part parce que les locataires ne se savaient pas redevables des loyers « suspendus » et, d’autre part, parce que la somme réclamée ne correspondait en réalité pas aux créances qui étaient réellement en souffrance. Selon eux, le Tribunal ne pouvait retenir que les locataires auraient dû comprendre qu’ils n’avaient pas été exonérés du paiement des loyers.

S’agissant de la validité du congé, les appelants ont fait valoir que la bailleresse aurait fait preuve de mauvaise foi en demeurant silencieuse suite à la demande d’exonération de paiement des loyers du 1er mai 2020, alors que les loyers étaient partiellement acquittés depuis plusieurs mois déjà. Elle aurait ainsi tacitement accepté la situation, puisqu’elle n’avait pas non plus infirmé les certitudes des locataires à ce sujet. Par ailleurs, le motif du congé ne correspondait manifestement pas à celui qui avait été invoqué par la bailleresse, soit le défaut de paiement de loyers, mais était fondé sur la volonté de la bailleresse d’implanter dans l’immeuble un centre commercial et également de se soustraire à son engagement contractuel de paiement d’une indemnité de départ en faveur des locataires.

b. Par réponse du 2 octobre 2023, C______ FONDATION DE PLACEMENT (ci-après également l’intimée) a conclu, sur appel principal, au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement entrepris. Sur appel joint, elle a conclu à ce que les chiffres 1 à 4 du dispositif du jugement soient confirmés et à ce qu’il soit annulé pour le surplus, en tant qu’il convenait de condamner les locataires à payer les montants de 2'882 fr., plus intérêts à 5% l’an dès le 4 janvier 2014, 2'483 fr. 15, plus intérêt à 5% l’an dès le 9 mars 2015, et 4'960 fr. 10, plus intérêt à 5% dès le 9 mars 2016. Dans les deux cas, elle a conclu à ce que les locataires soient déboutés de leurs conclusions pour le surplus.

Sur appel principal, la bailleresse a contesté la constatation inexacte des faits soulevée par les locataires. Il n’était pas possible de soutenir que ces derniers ne se savaient pas redevables des loyers litigieux, car la bailleresse avait conditionné l’octroi d’aides supplémentaires à l’envoi d’un dossier complet qui ne lui avait jamais été remis. Par ailleurs, les reproches formulés par les locataires s’agissant des précisions apportées par le conseil de la bailleresse sur la question de savoir quels montants étaient réellement visés par l’avis comminatoire n’étaient pas fondés. En effet, ces précisions n’étaient pas assimilables à des faits de la cause.

L’intimée a relevé que l’exigibilité des créances litigieuses était incontestable, puisque la part des loyers versés par l’autre colocataire durant la période litigieuse avait été comptabilisée sur des dettes plus anciennes, conformément à la loi. Pour le surplus, les conditions de clarté et de précision étaient remplies, dans la mesure où la somme totale était chiffrée et que les difficultés invoquées par les locataires pour la détermination exacte de toutes les créances composant l’arriéré leur étaient exclusivement imputables.

Les arguments des appelants concernant leur état d’esprit n’étaient pas dignes de foi. En effet, si la bailleresse leur avait certes proposé de trouver d’autres solutions pour le paiement des loyers, elle n’avait jamais évoqué la possibilité de leur accorder une exonération totale. En outre, elle avait conditionné son entrée en matière pour l’octroi d’une aide supplémentaire à l’envoi de pièces comptables qui ne lui avaient jamais été transmises. Finalement, les locataires avaient reçu préalablement plusieurs avis comminatoires, ce qui aurait dû faire naître chez eux un doute quant au procédé qu’ils avaient choisi d’adopter.

Pour le surplus, les locataires n’avaient apporté aucune preuve sur la question du motif réel du congé. Ils s’étaient limités à alléguer qu’il s’agissait en réalité d’une volonté de la bailleresse d’implanter un centre commercial dans l’immeuble.

Sur appel joint, concernant les soldes des décomptes de charges, la bailleresse a fait valoir que la prescription quinquennale ne serait pas applicable, car le décompte était réputé accepté – faute d’avoir été contesté dans le délai fixé par le contrat de bail – et aucune créance n’était dès lors prescrite lors de l’introduction de la demande.

c. Par acte expédié à la Cour le 7 novembre 2023, les appelants ont répliqué sur appel principal et répondu sur appel joint. Ils ont conclu au rejet de l’appel joint, à l’annulation des chiffres 1, 2 et 3 du dispositif du jugement attaqué et à la confirmation de celui-ci pour le surplus.

Sur appel principal, les locataires ont persisté dans leurs développements et conclusions.

Sur appel joint, s’agissant des décomptes de charges, ils ont souscrit au raisonnement du Tribunal.

d. Par acte déposé au greffe de la Cour le 7 décembre 2023, C______ FONDATION DE PLACEMENT a dupliqué sur appel principal et répliqué sur appel joint.

Sur appel principal, elle a relevé que les exigences de clarté et de précision des avis comminatoires étaient respectées, dans la mesure où il n’était pas exigé du bailleur que celui-ci indique de manière exhaustive la période concernée pour la créance réclamée.

Pour le surplus, elle a persisté dans ses développements et conclusions.

e. Par acte du 29 janvier 2024, les appelants ont dupliqué sur appel joint et persisté dans leurs développements.

f. Le 21 février 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents de la cause sont les suivants :

a. A______ et B______, locataires, et C______ FONDATION DE PLACEMENT, bailleresse, sont liés par un contrat de bail portant sur la location d'une arcade d'environ 323 m² situ ée à la rue 1______ no. ______ à Genève.

Le contrat a été conclu pour une durée initiale de 5 ans, du 1er juin 2000 au 31 mai 2005, renouvelable ensuite tacitement de 5 ans en 5 ans sauf résiliation respectant un préavis de 6 mois.

Les locaux sont destinés à l'usage d'une salle de jeux, billard et dancing.

Le loyer a été fixé en dernier lieu à 10'549 fr. par mois dès le 1er mai 2011, hors charges.

Les acomptes de charges ont quant à eux été fixés à 1'000 fr. par mois et le contrat prévoit que le décompte doit être établi le 1er juillet de chaque année, le solde étant payable dans un délai d'un mois à compter de son envoi et les locataires disposant le cas échéant d'un délai de 30 jours pour contester en justice le décompte, à défaut de quoi celui-ci était réputé accepté.

L'article 14 des clauses complémentaires du bail stipule que lorsque le commerce exploité dans les locaux a duré 20 ans ou plus et que le bailleur résilie le bail ou se prévaut du terme fixe d'échéance du contrat, il doit accorder au locataire une pleine indemnité de départ anticipé si ce dernier restitue les locaux avant le délai maximal de prolongation du bail (art. 272 CO). Si le locataire obtient une prolongation de bail, l'indemnité est alors réduite proportionnellement dès la deuxième année de prolongation, à raison d’un cinquième par année. Le locataire est libre de choisir la restitution anticipée des locaux contre indemnité.

L'immeuble est géré par D______ (ci-après également la régie).

b. Les locataires se sont répartis l'exploitation des locaux, A______ exploitant le dancing et B______ la salle de jeux et le billard. Tous deux s’acquittent de la moitié du loyer et des charges, à savoir un montant de 5'775 fr. chacun.

c. Plusieurs décomptes de charges ont été notifiés aux locataires par D______ :

-       Le décompte pour la période du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013 notifié le 4 mars 2013 faisant état d'un solde en faveur de la bailleresse de 2'882 fr. 20.

-       Le décompte pour la période du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014 notifié le 5 février 2015 faisant état d'un solde en faveur de la bailleresse de 4'966 fr. 15.

Les locataires se sont acquittés d'un montant de 2'483 fr. le 5 mai 2015.

-       Le décompte pour la période du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015 notifié le 8 février 2016 faisant état d’un solde en faveur de la bailleresse de 4'960 fr. 10.

-       Le décompte pour la période du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016 notifié le 8 février 2017 faisant état d'un solde en faveur de la bailleresse de 4'088 fr. 50.

-       Le décompte pour la période du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017 notifié le 30 janvier 2018 faisant état d'un solde en faveur de la bailleresse de 2'697 fr. 90.

Les locataires se sont acquittés d'un montant de 1'351 fr. le 4 avril 2018.

-       Le décompte pour la période du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018 notifié le 2 avril 2019 faisant état d'un solde en faveur de la bailleresse de 4'380 fr. 60.

-       Le décompte pour la période du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 notifié le 23 mars 2020 faisant état d’un solde en faveur de la bailleresse de 4'625 fr. 95.

Les locataires se sont acquittés d'un montant de 2'312 fr. le 5 août 2020.

d. Le 12 avril 2017, A______, par l'intermédiaire de son conseil, a sollicité des explications concernant les décomptes de charges, notamment le détail des répartitions entre les colocataires.

e. Le 1er mai 2017, D______ a répondu que le décompte était établi pour l'arcade entière et qu'elle n’était par conséquent pas en mesure de définir les parts respectives des deux colocataires. Elle proposait un rendez-vous dans ses locaux afin que les locataires puissent consulter les pièces justificatives.

f. Un entretien a eu lieu dans les locaux de D______ en date du 18 mai 2017 en présence des locataires et de leur conseil ainsi que de E______, collaborateur de la régie.

g. Le 19 février 2018, A______, par l'intermédiaire de son conseil, a contesté le décompte de charges pour la période du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017 reçu le 30 janvier 2018, faute d'avoir obtenu les informations réclamées lors de l'entretien du 18 mai 2017 afin qu'il puisse déterminer si l'intégralité des éléments apparaissant sur le décompte devait effectivement être mise à sa charge, notamment les frais de climatisation qui étaient facturés spécifiquement pour le 1er étage et en sus au titre du poste général pour l’ensemble de l'immeuble.

h. Par courrier du 23 mars 2020, A______ a sollicité de la bailleresse une réduction de loyer de 100% en raison de la fermeture de son établissement due aux mesures prises pour lutter contre le COVID-19.

Le 2 avril 2020, D______ a répondu que la propriétaire cherchait à poursuive le bail de manière durable et dans un esprit de collaboration et souhaitait agir de manière rapide, non bureaucratique et accommodante afin de trouver une solution. Elle précisait qu'au vu de l'impact des mesures sur l'exploitation de l'établissement, la propriétaire permettait de suspendre temporairement le paiement du loyer et des frais accessoires pour le mois d'avril 2020 et renonçait à faire valoir ses droits concernant ce loyer jusqu'au 1er juillet 2020. Elle précisait que si les mesures persistaient, les locataires pourraient également suspendre le paiement du loyer et des charges du mois de mai 2020 jusqu’au 1er août 2020. Finalement, la régie sollicitait des informations complémentaires de la part des locataires d'ici fin avril 2020 afin qu'elle puisse décider d'éventuelles mesures supplémentaires, telles qu’un report des échéances de paiement ou un règlement échelonné de la dette de loyers.

i. Le 1er mai 2020, A______ a fait parvenir à D______ une demande d'exonération des loyers d'avril à juin 2020, hors charges, formulaire que la régie était priée de transmettre au département compétent.

j. A______ ne s'est plus acquitté de sa part de loyer pour les mois d'avril, mai, juin, août et septembre 2020. De son côté, B______ a continué de s'acquitter de sa part du loyer de 5'775 fr. pendant la crise sanitaire.

k. Par courrier du 15 juillet 2020 envoyé à l'adresse des locaux loués, D______ a envoyé un rappel pour le paiement du loyer brut arrivé à échéance le 1er juillet 2020, d’un montant de 11'549 fr.

l. Le 7 septembre 2020, A______ a demandé une aide supplémentaire concernant le paiement du loyer jusqu'au 16 novembre 2020 car l'établissement devait demeurer fermé jusqu'à cette date.

m. Par courriers recommandés du 15 septembre 2020 notifiés à l'adresse des locaux loués, la bailleresse a mis les locataires en demeure de lui verser dans un délai de 30 jours la somme de 11'549 fr. représentant l'arriéré de loyer brut arrivé à échéance le 1er août 2020 et la même somme pour l'arriéré de loyer brut arrivé à échéance le 1er septembre 2020, sous menace de résiliation du contrat de bail.

Ces courriers ont été avisés pour retrait le 17 septembre 2020. Ils n'ont pas été retirés dans le délai de garde postal et ont été renvoyés à l'expéditeur le 28 septembre 2020.

En date du 15 septembre 2020, selon le décompte locataires produit, les locataires étaient redevables d'un montant total de 51'574 fr. 60, représentant les soldes impayés des décomptes de charges, certaines factures concernant des travaux entrepris dans les locaux, et 28'759 fr. d'arriérés de loyers et de charges (à savoir 8'605 fr. pour une partie du loyer du mois de mai 2020 dont l'échéance avait été repoussée jusqu'en août 2020, 8'605 fr. pour une partie du loyer d'août 2020 et le loyer de septembre 2020, les paiements effectués par B______ en août et septembre 2020 ayant été imputés sur les dettes de loyers les plus anciennes). Il était précisé que la différence entre les montants indiqués dans les avis comminatoires résidait dans le fait que les locataires s’acquittaient d’un montant de 1 fr. supplémentaire par rapport au montant du loyer, dans la mesure où tous deux s’acquittaient d’un montant de 5'775 fr., soit 11'550 fr. au total, alors que le loyer s’élevait à 11'549 fr.

n. Par courrier recommandé du 14 octobre 2020 envoyé à l'adresse des locaux loués, la bailleresse a mis les locataires en demeure de lui verser dans un délai de 30 jours la somme de 11'549 fr. représentant l'arriéré de loyer brut arrivé à échéance le 1er octobre 2020, sous menace de résiliation du contrat de bail.

o. Par courrier du 28 octobre 2020 envoyé la rue 2______ no. ______ au nom de A______, D______ a répondu par la négative à la demande d'aide de ce dernier du 23 mars 2020 concernant les loyers, s'excusant pour le temps d'attente lié au traitement de cette demande.

p. Les locataires ont effectué deux versements en date des 12 et 28 octobre 2020 d'un montant de 5'775 fr. chacun.

q. Par avis officiels du 29 octobre 2020 notifiés à la rue 3______ no. ______ au nom de A______ ainsi qu’aux deux locataires à l'adresse des locaux loués, la bailleresse a résilié le bail pour le 30 novembre 2020.

La résiliation était fondée sur l'avis comminatoire du 15 septembre 2020 et précisait que la dette se montait à 69’077 fr. 60 et correspondait à six mois de loyers, du 1er mai au 31 octobre 2020.

Selon le décompte de la régie arrêté au 29 octobre 2020, les locataires étaient débiteurs d'un montant de 51'573 fr. 60, à savoir 2'830 fr. pour le loyer de mai 2020, 2'830 fr. pour le loyer d'août 2020, 11'549 fr. pour les loyers de septembre et octobre 2020 ainsi que les soldes des décomptes de charges et le paiement de trois factures pour travaux.

r. Les 2 et 5 novembre 2020, A______ a contesté être en demeure dans le paiement du loyer et a demandé à ce que le congé soit retiré.

s. A la suite de la demande des locataires, la bailleresse leur a fait parvenir une copie des avis comminatoires du 15 septembre 2020.

t. Par requête déposée le 25 novembre 2020 en conciliation, déclarée non conciliée lors de l'audience du 18 janvier 2021 et portée devant le Tribunal le 18 février 2021, les locataires ont conclu, préalablement, à ce que le Tribunal ordonne à la bailleresse de produire les justificatifs des décomptes de frais accessoires pour les années 2016 à 2020 ainsi qu'un décompte de loyers et charges payés depuis le mois de mars 2020 et, principalement, à ce qu'il constate l'inefficacité du congé. Subsidiairement, ils ont conclu à l’annulation du congé.

u. Par mémoire réponse et demande reconventionnelle du 26 mai 2021, la bailleresse a conclu, sur demande principale, à ce que le Tribunal déboute les locataires de leurs conclusions, et sur demande reconventionnelle, à ce qu'il ordonne l'évacuation des locataires, avec mesures d'exécution directe, et à ce qu'il les condamne à lui verser les sommes de 2'882 fr. avec intérêts à 5% dès le 4 janvier 2014, 2'483 fr. 15 avec intérêts à 5% dès le 9 mars 2015, 4'960 fr. 10 avec intérêts à 5% dès le 9 mars 2016, 4'088 fr. 50 avec intérêts à 5% dès le 10 mars 2017, 1'346 fr. 90 avec intérêts à 5% dès le 1er mars 2018, 4'380 fr. 60 avec intérêts à 5% dès le 3 mars 2019, 2'313 fr. 95 avec intérêts à 5% dès le 22 avril 2020, 114 fr. 90 avec intérêts à 5% dès le 18 février 2017, 130 fr. 20 avec intérêts à 5% dès le 23 février 2017 et 115 fr. 30 avec intérêts à 5% dès le 31 juillet 2017.

Elle a notamment produit à l'appui de ses conclusions des factures adressées par D______ à la bailleresse de 114 fr. 90 pour un changement de lunettes de WC, de 130 fr. 20 pour une intervention suite à une infiltration d’eau survenue au 1er sous-sol de l’immeuble et due à la défectuosité de l'installation de la machine à café des locataires et de 115 fr. 30 pour le vissage d'un siège WC desserré.

v. Par mémoire réponse sur demande reconventionnelle, les locataires ont conclu au déboutement de la bailleresse de ses conclusions reconventionnelles, invoquant notamment la prescription pour les soldes des décomptes de charges.

Les locataires ont notamment produit un courrier daté du 19 décembre 2013, non signé et n'indiquant aucune adresse de destinataire, par lequel A______ sollicitait des explications concernant les décomptes de charges, notamment concernant les frais d’administration et de climatisation qui lui étaient facturés spécifiquement pour le 1er étage et également dans un poste général pour l'immeuble.

w. Les parties ont déposé des déterminations les 14 septembre et 22 octobre 2021.

La bailleresse a déposé des pièces complémentaires, dont les états annuels des frais relatifs aux exercices des années 2012 à 2019 ainsi que les bons de commande des travaux et les factures des entreprises, à savoir une facture de 114 fr. 90 du 19 décembre 2016 pour divers réglages et le contrôle d’un siège de WC, une facture de 130 fr. 20 du 16 novembre 2016 pour un contrôle de la provenance de l’infiltration d’eau au 1er sous-sol de l’immeuble, fuite venant du raccordement non conforme et déboité de la machine à café des locataires, et une facture de 115 fr. 30 du 24 mai 2017 pour le vissage d'un siège WC desserré.

Elle a également allégué que les réclamations concernant les frais accessoires n’émanaient que de A______ et non pas des deux colocataires. En outre, elle a expliqué que l'immeuble dans sa globalité était équipé d'un système de ventilation général, dont les frais relatifs étaient répercutés sur l'ensemble des locataires de l’immeuble. Ces frais étaient regroupés sous la rubrique "Climatisat./Ventilat. Général" des décomptes annuels et des états annuels de frais. Malgré la formulation de ce poste, les frais ne concernaient que la ventilation et non la climatisation. Les frais liés au système de climatisation, propres aux espaces du rez-de-chaussée et des étages, étaient quant à eux facturés séparément. Seule la quote-part relative aux frais du rez-de-chaussée avait été facturée aux locataires.

x. Des audiences se sont tenues les 26 septembre 2022 et 30 janvier 2023.

Il ressort des déclarations de A______ et du conseil de la bailleresse que, bien que certains courriers aient été adressés à la rue 2______ no. ______ alors que A______ n'y avait été domicilié qu'entre mars et octobre 2020 et d'autres à la rue 3______ no. ______, adresse à laquelle A______ n'aurait jamais été domicilié, les avis comminatoires du 15 septembre 2020 avaient été notifiés à l'adresse des locaux loués mais n'avaient pas été retirés car B______, même s’il ne bénéficiait pas d’une procuration en faveur de A______, s'occupait en principe de récupérer les courriers recommandés mais était en vacances à cette période.

Lors de l’audience du 30 janvier 2023, le conseil de la bailleresse a initialement déclaré que le montant dont l’échéance était fixée au 1er septembre 2020 concernait le mois de septembre 2020, tandis que celui dont l’échéance était fixée au 1er août 2020 concernait le mois d’août 2020. Il a finalement nuancé ses déclarations en indiquant que cette dernière échéance concernait une partie du loyer du mois de mai 2020 et une partie du loyer du mois d'août 2020. Les paiements effectués en août et septembre 2020 avaient été imputés sur la créance générale, soit sur les loyers les plus anciens non encore honorés.

Concernant le motif du congé, A______ a déclaré qu'après s'être renseigné, il avait appris que tous les locataires de l'immeuble avaient reçu un congé car la propriétaire souhaitait y installer un centre commercial. Le conseil de la bailleresse a confirmé que d'autres baux avaient été résiliés car il y avait eu un projet de rénovation mais qu'il n'y avait toutefois en l'état pas de demande d'autorisation de construire.

A______ a ajouté que lui-même et son colocataire exploitaient le local depuis 27 ans et n'avaient jamais eu de retard dans le paiement du loyer. Quand la pandémie était survenue, D______ leur avait dit qu'elle les "aiderait" puis avait résilié leur bail. Concernant les décomptes de charges, il a précisé que lors de la réunion tenue dans les locaux de D______ en mai 2017, il avait dit que les locaux n'étaient pas chauffés car les clients qui dansaient généraient suffisamment de chaleur. Par ailleurs, les locaux ne disposaient pas de fenêtres et il n’y faisait pas froid. En outre, les locataires n’utilisaient la climatisation que cinq mois par année. D______ leur avait répondu qu'il n'y avait pas de compteur et que les frais étaient répartis entre tous les locataires de l'immeuble.

Finalement, B______ a confirmé qu'il avait demandé des travaux sur une porte et les toilettes ainsi que sur le plafond, ce dernier n'ayant toutefois pas été remis en état.

y. Le 12 décembre 2022, la bailleresse a produit des factures détaillées des deux entreprises facturant leurs prestations de manière séparée concernant la maintenance des installations de climatisation de l'immeuble, pour les postes 070 (Climatisat./Ventilat. Général) et 072 (Climatisation Rez-de-chaussée) des états annuels de charges.

z. Par mémoires de plaidoiries finales du 10 mars 2023, les parties ont persisté dans leurs conclusions, après quoi la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.              1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC; Jeandin in Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2e éd., 2019, N 13 ad art. 308 CPC ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2012 du 28 février 2013).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

1.2 En l’espèce, le loyer des locaux litigieux a été fixé à 10'549 fr. par mois, hors charges. Ainsi, la valeur litigieuse – compte tenu de la période de protection de trois ans selon la jurisprudence citée ci-dessus – est manifestement supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l’appel est ouverte.

1.3 Interjeté dans le délai prescrit et selon la forme requise par la loi, l'appel est recevable (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il en va de même de l’appel joint qui a été déposé dans le cadre de la réponse à l’appel dans le respect de l’art. 313 al. 1 CPC.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit ; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. Les appelants se plaignent dans un premier grief d’une constatation inexacte des faits au motif, d’une part, que le Tribunal n’aurait pas relevé que les locataires n’étaient, dans leur esprit, pas redevables des loyers litigieux et, d’autre part, que les avis comminatoires ne rempliraient pas les exigences de clarté, à tel point que le conseil de la bailleresse n’avait pas été en mesure de préciser à quoi correspondaient les sommes réclamées.

2.1. La "constatation inexacte des faits" mentionnée à l'art. 310 let. b CPC habilite l'instance supérieure à revoir les faits sans restriction, ce qui découle de la nature ordinaire de la voie de l'appel, en vertu de laquelle le litige se continue pour ainsi dire devant l'instance supérieure (JEANDIN, op. cit., N-6 ad art. 310 CPC).

2.2. En l'espèce, les éléments soulevés par les appelants ne tendent pas à critiquer une constatation inexacte des faits retenus, lesquels ont par ailleurs été complétés dans l'état de faits ci-dessus. En réalité, ceux-ci se plaignent d'une appréciation erronée des preuves, laquelle sera examinée ci-après.

3. Dans un second grief, les appelants soulèvent une violation du droit, au motif que le Tribunal aurait dû conclure à l’inefficacité du congé – pour défaut de clarté des avis comminatoires – et, subsidiairement, l’invalider, car le réel motif du congé ne correspondrait pas à celui qui avait été communiqué, soit un défaut de paiement de loyers.

Par ailleurs, l’intimée reproche au Tribunal une violation du droit, au motif qu’il aurait retenu un délai de prescription quinquennal, soit un délai plus court que celui qui serait applicable selon elle en matière de frais accessoires.

3.1.
3.1.1
Selon l'art. 257d CO, lorsque le locataire d'habitations ou de locaux commerciaux a du retard dans le paiement du loyer ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui adresser un avis comminatoire en lui fixant un délai de 30 jours au moins pour s'en acquitter et en le menaçant, à défaut de paiement, de la résiliation du bail (al. 1); si, à l'expiration du délai fixé, le locataire n'a pas payé, le bailleur peut résilier le bail moyennant un délai de 30 jours pour la fin d'un mois (al. 2).

La validité du congé suppose notamment que le locataire se soit effectivement trouvé en retard dans le paiement du loyer ou de frais accessoires lorsque la sommation lui a été adressée, d'une part, et qu'il ne se soit pas acquitté de cet arriéré dans le délai fixé, d'autre part (arrêt du Tribunal fédéral 4A_299/2011 du 7 juin 2011 consid. 5). Si ces conditions ne sont pas réalisées, le locataire peut faire valoir l'invalidité du congé à l'encontre de l'action en évacuation des locaux qui lui est plus tard intentée par le bailleur (ATF 121 III 156 consid. 1c/aa; 122 III 92 consid. 2d).

Les résiliations de bail qui respectent les exigences légales de forme mais pour lesquelles une condition matérielle, légale ou contractuelle fait défaut sont inefficaces. L'inefficacité est une forme de nullité. Elle peut être soulevée en tout temps, sauf abus manifeste de droit, même à l'occasion de la procédure d'expulsion et doit être constatée d'office par le juge (Lachat, Le bail à loyer, 2019, p. 951; Lachat, in Commentaire romand Code des obligations, 3ème éd., 2021, N 3 ad art. 266o CO, qui précise alors que le juge doit soulever l'inefficacité ou la nullité d'office).

Cette réglementation de droit matériel mise en place par le législateur signifie que le locataire mis en demeure doit évacuer l'objet loué dans les plus brefs délais s'il ne paie pas le loyer et les frais accessoires en retard (arrêt du Tribunal fédéral 4A_385/2022 du 14 février 2023 consid. 3.1; sur la notification de l'avis comminatoire et de la résiliation, cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_234/2022 du 21 novembre 2022 consid. 4.1). La rigueur de la sanction prévue par cette réglementation présuppose, en particulier, que l'avis comminatoire soit suffisamment clair et précis (arrêt du Tribunal fédéral 4A_332/2023 du 11 janvier 2024 consid. 4.1).

3.1.2 Le bailleur est libre de choisir les termes de son avis comminatoire. Il faut cependant que son avertissement soit clair : le locataire doit pouvoir reconnaître que le bailleur possède contre lui une créance exigible encore impayée et qu’il est mis en demeure; il doit en outre comprendre que le paiement doit être effectué dans un laps de temps donné; enfin la déclaration doit indiquer que le non-paiement dans le délai fixé rendra possible l’extinction du bail par résiliation extraordinaire. Le bailleur doit ainsi préciser le montant de la créance qu’il réclame, son échéance, le point de départ et la durée du sursis octroyé et le risque d’une résiliation anticipée du bail. Pour simplifier, l’avertissement du bailleur ne doit porter que sur les postes qui font partie du loyer. Il n’est pas indispensable d’indiquer le montant de la créance en souffrance de manière chiffrée (CdB 4/00, p. 107 ss ; arrêt du Tribunal fédéral du 14 juin 2000 = MRA 2/01, p. 47 ss); il est cependant conseillé, en cas de doute, de rendre la créance suffisamment déterminable pour éviter d’éventuelles confusions (Burkhalter/Martinez-Favre, Commentaire SVIT, 2011, N 26 ad art. 257d CO).

Selon la jurisprudence, l'avis comminatoire doit indiquer le montant arriéré à payer dans le délai de façon suffisamment claire et précise pour que le locataire puisse reconnaître clairement quelles dettes il doit payer pour éviter un congé. Le montant de l'arriéré doit être déterminé (par une indication chiffrée) ou, tout au moins, déterminable (arrêts du Tribunal fédéral 4A_436/2018 du 17 janvier 2019 consid. 4.1; 4A_306/2015 du 14 octobre 2015 consid. 2; 4A_134/2011 du 23 mai 2011 consid. 3).

Ainsi, lorsque l'avis comminatoire désigne précisément les mois de loyers impayés, le montant de l'arriéré est déterminable (arrêts du Tribunal fédéral 4A_436/2018 précité consid. 4.1; 4A_306/2015 précité consid. 2; 4A_134/2011 précité consid. 3; 4C_123/2000 du 14 juin 2000 consid. 3b).

Si les mois de loyers impayés ne sont pas mentionnés et que le montant de l'arriéré indiqué est sans rapport avec la somme effectivement en souffrance, l'avis comminatoire ne satisfait pas aux exigences de clarté et de précision permettant au locataire de reconnaître de combien de mois de loyers il doit s'acquitter dans le délai comminatoire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_436/2018 précité consid. 4.1; 4A_134/2011 précité consid. 3 in fine).

En revanche, l'indication d'un arriéré trop élevé n'entraîne pas nécessairement l'inefficacité de l'avis comminatoire : le locataire qui constate une erreur doit la signaler au bailleur, à défaut de quoi il ne mérite pas d'être protégé (arrêts du Tribunal fédéral 4A_550/2020 du 29 avril 2021 consid. 7.2; 4A_436/2018 précité consid. 4.1; 4A_330/2017 du 8 février 2018 consid. 3.1 et les arrêts cités).

Le bailleur n'est pas habilité à résilier le contrat en application de l'art. 257d al. 2 CO lorsque le locataire est en retard dans le paiement de frais de poursuite, de sûretés (garantie bancaire), de dommages-intérêts, de frais de rappel, ou d'autres dettes, par exemple pour de menus travaux non exécutés, pour des dégâts aux locaux, pour la violation d'une clause de non-concurrence, etc. (Lachat, op. cit., p. 870).

3.2 En l’espèce, la résiliation du bail litigieux du 29 octobre 2020 a été notifiée aux appelants sur la base des avis comminatoires du 15 septembre 2020, notifiés à l’adresse des locaux loués et portant sur deux montants de 11'549 fr. chacun.

Les locataires soutiennent qu’ils ignoraient être en retard dans le paiement des loyers, car l’intimée avait formulé des propositions d’arrangement de paiement.

Ce raisonnement ne saurait être suivi. Les locataires ont toujours déclaré que si l’un d’entre eux s’était régulièrement acquitté de sa part de loyer, cela n’avait pas été le cas pour l’autre. Par ailleurs, il ne ressort d’aucune pièce que l’intimée aurait proposé une exonération complète du paiement des loyers. Tout au plus était-il prévu que la bailleresse renonçait à faire valoir ses droits jusqu’à une date déterminée, ce qui milite en faveur du maintien du caractère exigible de la dette de loyer. La bailleresse avait toutefois compris les problèmes auxquels les locataires faisaient face et leur avait accordé une période plus longue pour s’acquitter de leur dette. Qui plus est, les locataires avaient eux-mêmes formulé une demande d’exonération du paiement des loyers litigieux en date du 1er mai 2020, ce qui tend à démontrer qu’ils avaient saisi la différence entre une exonération de l’obligation de payer le loyer et un report de l’exigibilité des créances de loyer.

Ainsi, au moment de la réception des avis comminatoires, bien que les locataires se savaient débiteurs de loyers, ceux-ci n'ont pas procédé au paiement des montants réclamés, de sorte que les conditions de l'art. 257 d al. 2 CO sont remplies.

A teneur des avis comminatoires, il est incontestable que le montant exact réclamé est indiqué de manière chiffrée, tandis que ce montant est inférieur à la somme qui était effectivement en souffrance, à teneur du décompte versé à la procédure par l’intimée.

En tout état, même à retenir que les avis comminatoires n'étaient pas suffisamment clairs, les locataires restaient débiteurs, quoi qu'il en soit, d'arriérés de loyer à l'échéance du délai comminatoire.

Compte tenu de ce qui précède, c’est à raison que le Tribunal a constaté l’efficacité du congé notifié le 29 octobre 2020 pour le 30 novembre 2020. Ce point sera dès lors confirmé par la Cour de céans, par substitution de motifs.

4. Les appelants soutiennent que le congé litigieux serait contraire aux règles de la bonne foi au motif que la bailleresse ne les avait pas préalablement informés du retard de paiement et n’avait, partant, pas détourné les appelants de leur erreur au sujet du caractère exigible de la dette de loyers. Par ailleurs, le réel motif du congé ne correspondrait pas à celui qui avait été invoqué, mais se fonderait sur une volonté de la bailleresse d’implanter un centre commercial dans l’immeuble.

4.1 Selon la jurisprudence, la résiliation fondée sur l'art. 257d al. 2 CO n'est contraire aux règles de la bonne foi, et donc annulable sur la base de l'art. 271 al. 1 CO, que dans des circonstances particulières. L'annulation entre en considération lorsque le bailleur a réclamé une somme largement supérieure à celle en souffrance, alors qu'il n'était pas certain du montant effectivement dû (ATF 120 II 31 consid. 4b). L'annulation entre aussi en considération lorsque l'arriéré est insignifiant, ou lorsque ce montant a été réglé très peu de temps après l'expiration du délai comminatoire, alors que, auparavant, le locataire s'était toujours acquitté à temps du loyer, ou encore lorsque le bailleur ne résilie le contrat que longtemps après l'expiration de ce même délai (arrêts du Tribunal fédéral 4A_472/2008 du 26 janvier 2009 consid. 5.3.1 et 4C_430/2004 du 8 février 2005 consid. 3.1 in SJ 2005 I p. 310/311).

S’agissant du congé signifié en application de l’art. 257d CO, le Tribunal fédéral avertit d’emblée qu’en règle générale, la résiliation fondée sur la demeure du locataire ne contrevient pas à la bonne foi; est réservée « l’hypothèse où le bailleur était mû par un motif réel autre que le défaut de paiement, motif qui constitue un abus de droit » (arrêt du Tribunal fédéral 4A_108/2012 du 11 juin 2012 consid. 4.3) (Wessner, in Commentaire pratique du droit du bail à loyer et à ferme, 2017, N 37 ad art. 257d CO).

Le fardeau de la preuve de l’art. 8 CC commande que la partie qui veut faire annuler le congé doit prouver les circonstances permettant de déduire qu'il contrevient aux règles de la bonne foi. Le bailleur qui résilie le bail a toutefois le devoir de contribuer loyalement à la manifestation de la vérité, en motivant, sur requête, la résiliation et, en cas de contestation, en fournissant tous les documents en sa possession nécessaires à la vérification du motif qu'il a invoqué (ATF 148 III 215 consid. 3.1.5; 142 III 456 consid. 2.1; 140 III 433 consid. 3.1.2; 120 II 105 consid. 3c; arrêts du Tribunal fédéral 4A_69/2021 du 21 septembre 2021 consid. 4.2; 4A_17/2017 du 7 septembre 2017 consid. 2).

4.2 Il convient de relever à titre liminaire qu’un congé notifié pour défaut de paiement de loyers ne peut que très exceptionnellement être considéré comme contraire aux règles de la bonne foi. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

En effet, aucune des situations admises par la jurisprudence n’est réalisée dans le cas concret. Reste à savoir si – tel que persistent à le soutenir les appelants – le motif communiqué à la base du congé en cacherait en réalité un autre.

A cet égard, les appelants n’ont jamais été en mesure de démontrer ni même de rendre vraisemblable l’existence d’un motif autre que le défaut de paiement de loyers qui aurait pu conduire l’intimée à résilier le contrat de bail.

Pour le surplus, les appelants ne peuvent reprocher à l’intimée de les avoir confortés dans leur prétendue erreur au sujet de l’exigibilité des loyers litigieux. En effet, les appelants se sont placés en défaut de paiement en cessant unilatéralement de s'acquitter de leurs loyers, sans l’accord de l’intimée.

Quant à la proximité temporelle entre le refus d'octroi d'une aide supplémentaire par l'intimée et la notification des avis officiels de résiliation, les appelants ne peuvent en tirer aucun argument. Comme retenu à juste titre par le Tribunal, sans que cela n'ait été remis en cause en appel, le délai comminatoire fixé par les avis du 15 septembre 2020 était arrivé à échéance le 24 octobre 2020. La bailleresse était donc légitimée à notifier des avis de résiliation aux locataires le 29 octobre 2020.

Les griefs des appelants sont dès lors infondés.

5. Compte tenu de ce qui précède, c’est à juste titre que le Tribunal a donné droit aux conclusions reconventionnelles en évacuation de l’intimée avec mesures d’exécution directe. Le jugement entrepris sera également confirmé à cet égard.

6. Finalement, l'intimée a formé appel joint sur la question de la prescription de la créance en paiement du solde annuel de décompte de charges et frais accessoires.

Le Tribunal a procédé à un examen des avis doctrinaux en la matière et s'est rallié à l'avis majoritaire qui préconise une prescription quinquennale de la prétention litigieuse, en application de l'art. 128 ch. 1 CO.

6.1 Les frais accessoires ne sont à charge du locataire que moyennant une convention particulière (art. 257a al. 2 CO). Le contrat doit indiquer de manière précise et compréhensible la liste des frais accessoires facturables séparément (Lachat/Bohnet, in Commentaire romand du code des obligations II, art. 253-529 CO, 2021, N 2 ad art. 257a/257b CO).

Pour le système des acomptes, le bailleur fournira au locataire un décompte une fois l’an (art. 4 al. 1 OBLF et 8 OBLF), clair et compréhensible, de manière à ce que le locataire puisse contrôler les frais accessoires (Lachat/Bohnet, op. cit., N 5 ad art. 257a/257b CO).

Les acomptes provisionnels et les montants forfaitaires que le locataire doit verser périodiquement au titre des frais accessoires se prescrivent par cinq ans dès chaque échéance (art. 128 ch. 1 CO) (Lachat, op. cit., p. 425 et les références citées).

La redevance périodique est la créance pour laquelle le débiteur est tenu à époques régulières en vertu d’un même rapport juridique (il y a lieu d’entendre par là un rapport de durée dont découlent des obligations de prester périodiques, qui prennent naissance de manière nouvelle et indépendante au cours de cette durée ATF 143 III 348); il faut que chacune des prestations revenant régulièrement puisse être exigée de façon indépendante, mais il n’est pas nécessaire que les prestations soient toutes de la même importance et que leur montant, voire leur échéance, soient par avance exactement déterminés (ATF 78 II 145; 124 III 370; 139 III 263) (Braconi/Carron/Gauron-Carlin, CC-CO Annoté, 11e édition, 2020, p. 129, ad art. 128 CO).

Les textes légaux précités dégagent ainsi tous une idée de périodicité, dans la mesure où l’établissement du décompte est une obligation annuelle (art. 4 al. 1 OBLF) et le paiement des acomptes de charges et frais accessoires est mensuel (art. 257c CO). Ces deux obligations découlant pour le surplus d’un même rapport juridique, soit le contrat de bail à loyer.

La créance du bailleur pour le loyer se prescrit après cinq ans, s’il est dû par périodes (par exemple dû mensuellement) (art. 128 ch. 1 CO). Ce délai de prescription commence à courir dès que la créance du loyer est exigible. Le bailleur ne peut plus réclamer le loyer après les cinq ans précités, à moins que précédemment il n’ait interrompu la prescription, soit en intentant une action en justice, soit en déposant une réquisition de poursuite (art. 135 ch. 2 CO). Si le locataire reconnaît la dette, la prescription est également interrompue (art. 135 ch. 1 CO). Un nouveau délai commence à courir à partir de l’interruption du précédent : il est en principe de cinq ans également; toutefois, si la dette a été reconnue dans un titre ou constatée par jugement, le nouveau délai est de dix ans (art. 137 CO). Les autres prestations périodiques convenues entre le bailleur et le locataire se prescrivent également au bout de cinq ans, par exemple les acomptes ou les forfaits pour frais accessoires. Il en va de même pour les intérêts de retard dans le paiement du loyer (Lachat, op. cit., p. 371 et les références citées).

Le délai de prescription de la prétention en paiement du solde annuel des frais accessoires court dès que la créance est exigible (art. 130 al. 1 CO), soit dès que le bailleur présente le décompte, à la fin de l’année pour laquelle il doit être établi. Plus précisément, la prescription court à partir du 30ème jour du délai suivant la réception du décompte par le locataire, puisque la pratique lui reconnait un tel délai pour s’acquitter du solde dû (Lachat, op. cit., p. 425).

Tous les frais accessoires qui ne font pas l'objet de prestations périodiques et qui ne relèvent dès lors pas de l'art. 128 ch. 1 CO, se prescrivent en revanche selon la règle générale du délai de dix ans (Richard, Les frais accessoires au loyer dans les baux d’habitations et de locaux commerciaux, 12ème Séminaire sur le droit du bail, Neuchâtel 2002, p. 32, N 123).

6.2 En l’espèce, la notion de périodicité ressort, d’une part, de l’obligation incombant au bailleur d’établir un décompte de frais accessoires chaque année et de le soumettre aux locataires et, d’autre part, de l’engagement du locataire de s’acquitter mensuellement des acomptes provisionnels.

La définition d’une obligation de prester périodique au sens de la jurisprudence fédérale précitée correspond aux engagements réciproques auxquels ont souscrit les parties par la signature du contrat de bail à loyer qui les lie.

Ainsi, il importe peu de savoir si les parties ont prévu conventionnellement un délai de contestation du décompte annuel.

Compte tenu des considérations qui précèdent, le raisonnement du Tribunal ne prête pas le flanc à la critique et sera confirmé sur ce point également.

Ainsi, les prétentions en paiement de l’intimée portant sur la période courant du 1er juillet 2012 au 30 juin 2015 sont prescrites.

7. En application de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n’est pas prélevé de frais judiciaires ni alloué de dépens dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,

La Chambre des baux et loyers :

 

A la forme :

Déclare recevable l’appel interjeté le 25 août 2023 A______ et B______ contre le jugement JTBL/526/2023 rendu le 21 juin 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/24140/2020.

Déclare recevable l’appel joint interjeté le 2 octobre 2023 par C______ FONDATION DE PLACEMENT contre ce même jugement.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Pauline ERARD et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Monsieur Serge PATEK et Madame Sibel UZUN, juges assesseurs; Madame
Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours : 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.