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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/25594/2023

ACJC/1126/2024 du 13.09.2024 sur JTBL/342/2024 ( SBL ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/25594/2023 ACJC/1126/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU VENDREDI 13 SEPTEMBRE 2024

 

Entre

Monsieur A______, Madame B______, Monsieur C______, recourants contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 21 mars 2024, représentés par
Me Rachel DUC, avocate, boulevard de Saint-Georges 72, case postale, 1211 Genève 8,

et

Monsieur D______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Igor ZACHARIA, avocat, rue De-Beaumont 3, case postale 24, 1211 Genève 12.


EN FAIT

A.           Par jugement du 21 mars 2024, expédié pour notification aux parties le 27 mars 2024 et reçu le 4 avril 2024 par A______, B______ et E______, le Tribunal des baux et loyers a condamné ceux-ci à évacuer immédiatement de leur personne et de leurs biens ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec eux l'appartement n° 1______ de trois pièces au 2ème étage de l'immeuble sis rue 2______ no. ______ à F______ [GE] (ch. 1), autorisé D______ à requérir l'évacuation par la force publique des précités à l'échéance d'un délai d'un mois après l'entrée en force du jugement (ch. 2), a précisé que l'évacuation portant sur un logement, l'exécution du jugement par la force publique devrait être précédée de l'intervention d'un huissier judiciaire (ch. 3), a déclaré la requête irrecevable pour le surplus (ch. 4) et rappelé que la procédure était gratuite (ch. 5).

B.            Par acte du 15 avril 2024, A______, B______ et E______ ont formé appel, subsidiairement recours, contre le jugement précité.

Ils ont conclu à l'annulation des chiffres 1 à 3 du dispositif de celui-ci, cela fait à ce que soit déclarée irrecevable l'action en cessation de trouble, subsidiairement à ce que l'effet suspensif soit accordé, plus subsidiairement à l'annulation des chiffres 1 et 2 du dispositif de cette décision, et à ce que un délai de neuf mois leur soit octroyé pour évacuer le logement.

Par arrêt du 23 avril 2024, la Cour, retenant prima facie, au vu de la valeur litigieuse, que seule la voie du recours était ouverte, a suspendu la force jugée et le caractère exécutoire du jugement susmentionné.

D______ a conclu à l'irrecevabilité de l'acte de recours, subsidiairement au rejet de celui-ci, sous suite de frais et dépens.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

Par avis du 27 juin 2024, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants :

a.       Le 1er janvier 2013, la propriétaire (FONDATION HLM DE LA COMMUNE DE F______) de l'appartement n° 1______ de trois pièces au deuxième étage de l'immeuble sis rue 2______ à F______, a remis ce logement à bail à D______.

Le loyer mensuel a été fixé en dernier lieu à 871 fr.

b.      D______ a allégué que, le 22 octobre 2023, il avait remis les clés de son appartement à un tiers, G______, lequel lui avait demandé l'hébergement.

A partir du 25 octobre 2023, il n'avait plus été présent dans le logement, en raison d'un voyage à l'étranger.

Le 5 novembre 2023, un voisin l'avait informé de nuisances en provenance du logement, depuis le 1er novembre précédent, de la présence de personnes étrangères à l'immeuble et de l'évacuation de ses meubles. A sa requête, ledit voisin avait ensuite requis l'intervention de la police, laquelle aurait constaté la présence d'un homme et de deux jeunes adultes, qui se seraient prévalus d'une sous-location opérée en leur faveur, moyennant remise de 3'200 fr.

c.       Le 10 novembre 2023, D______, de retour de l'étranger et hébergé par des connaissances, a saisi le Ministère public d'une plainte pénale dirigée contre G______ pour abus de confiance, escroquerie et soustraction de choses mobilières.

d.      Le 21 novembre 2023, une dizaine d'habitants de l'immeuble ont adressé une "plainte" à la propriétaire, requérant notamment l'évacuation des personnes qui occupaient "à six" l'appartement loué à D______, se montraient bruyants, provoquaient une "odeur nauséabonde" parce qu'ils fumaient et laissaient trainer des déchets et des meubles usagés sur le parking à vélo en bas de l'immeuble.

e.       Après avoir appris de la police l'identité des occupants, D______ a déposé, par la voie de la protection du cas clair, une requête, intitulée "action en cessation de trouble", contre A______, B______ et E______, ainsi que contre H______ et I______. Il a conclu à l'évacuation des précités, soit les parents et trois de leurs quatre enfants (dont seul l'aîné était majeur), avec exécution dans les cinq jours dès l'entrée en force de la décision, à la condamnation de ceux-ci à lui remettre les clés de l'appartement et à lui verser 871 fr. par mois du 1er novembre 2023 à la libération des locaux, à titre de réparation du dommage.

f.        Le 20 mars 2024, "A______ et B______", représentés par avocat, ont fait parvenir au Tribunal un chargé de pièces. Celui-ci comporte, outre les pièces d'identité kosovares des six membres de la famille, un procès-verbal d'audition de police de A______, daté du 13 février 2024 (dont résulte notamment que celui-ci est "présent illégalement sans procédure d'asile", qu'il aurait "signé un bail" avec une dénommée J______ [prénom] ainsi qu'un homme qui s'était légitimé au moyen d'une carte d'identité comme D______, moyennant remise de 3'000 fr., que sur instructions de ceux-ci, il aurait été autorisé à débarrasser le mobilier à l'exception de certains objets conservés sur le balcon ou à la cave, et que sa famille et lui-même étaient disposés à quitter le logement s'ils en trouvaient un autre, un exemplaire non signé d'un "contrat de location" entre "D______" et lui-même portant sur le logement susmentionné, moyennant un loyer de 1'500 fr. à payer tous les deux mois, dont "le premier paiement a[vait] été réglé le 28 octobre", et divers documents relatifs à la situation personnelle et financière de la famille.

g.      A l'audience du Tribunal du 21 mars 2024, D______ a persisté dans ses conclusions; il a déclaré sous-louer une chambre chez une amie. A______, B______ et E______, ainsi que H______ et I______, représentés par leurs parents, ont conclu au rejet de la requête. Ils ont produit des pièces complémentaires (dont un rapport de police du 15 février 2024, lequel fait notamment mention de l'intervention d'une patrouille le 5 novembre précédent, lors de laquelle A______ avait reconnu sur photo G______ – décrit comme connu en France pour recel, vol et escroquerie -comme étant l'accompagnant de la dénommée J______ [prénom]). B______ a déclaré que la famille habitait auparavant dans un studio, dont le loyer était de 1'500 fr. L'avocate des précités a précisé que G______ n'était pas venu "aux auditions de police". Aucune autre déclaration des parties n'a été portée au procès-verbal d'audience, qui s'achève par la mention suivante : "Sur quoi les conseils plaident et le Tribunal garde la cause à juger".

h.      Dans la partie en fait du jugement, le Tribunal a résumé les plaidoiries ainsi : "Les cités se sont prévalus d'avoir pris possession de l'appartement de bonne foi, lequel leur avait été remis par un tiers, G______, qui s'en était vu confier les clés par le requérant. Ils ont également fait valoir s'être installés dans l'appartement en le vidant d'une partie de son contenu, conformément aux instructions de G______. Ils se prévalent également d'avoir versé un montant total de CHF 3000.- à leurs cocontractants, à titre de sous-loyer. Ils ont ainsi fait valoir que le cas n'était pas clair, de sorte que la requête était irrecevable. Subsidiairement, ils ont conclu à l'octroi d'un sursis humanitaire d'une année vu leur état de santé et le fait que trois de leurs enfants étaient mineurs et ont conclu au rejet des prétentions financières du requérant. Le requérant a pour sa part contesté la bonne foi des cités, à tout le moins depuis leur interpellation par la police peu après qu'ils avaient pris possession des locaux".

Dans la partie en droit de la décision, le Tribunal, après avoir admis qu'il était compétent à raison du lieu et de la matière, et apparemment mis hors de cause deux (les mineurs H______ et I______) des cinq personnes visées par la requête, a retenu que le locataire D______ disposait de droits préférables à ceux invoqués par A______, B______ et E______, ce qui conduisait à faire droit à l'évacuation de ceux-ci, avec exécution au terme d'un sursis d'un mois compte tenu de la situation personnelle des intéressés, et que les prétentions financières non chiffrées au jour de l'audience étaient irrecevables.


 

EN DROIT

1. L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC). Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC).

Lorsque le litige porte sur une décision prise dans le cadre d'une procédure en cas clair portant sur une requête en expulsion, la valeur litigieuse correspond à la valeur du loyer pour la chose louée pour six mois (ATF 144 III 346 consid. 1.2.1).

En l'espèce, le prononcé, par le Tribunal, de l'évacuation des recourants est contesté, de sorte que la voie du recours est ouverte, la valeur litigieuse étant inférieure à 10'000 fr. au vu du loyer des locaux loués de 871 fr. par mois.

Interjeté selon la forme et dans le délai prescrits, le recours est recevable (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

2. Les recourants reprochent au Tribunal d'avoir retenu que le cas était clair.

2.1 Aux termes de l'art. 257 al. 1 et 3 CPC, relatif à la procédure de protection dans les cas clairs, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque les conditions suivantes sont remplies : (a) l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé et (b) la situation juridique est claire (al. 1); le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (al. 3).

2.1.1 Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée : le demandeur doit ainsi apporter la preuve certaine des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections et exceptions motivées et concluantes, qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du tribunal, la procédure du cas clair est irrecevable ((ATF 144 III 462 consid. 3.1).

La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvée (ATF 144 III 462 consid. 3.1). En règle générale (cf. toutefois arrêt du Tribunal fédéral 4A_185/2017 du 15 juin 2017 consid. 5.4 et les références), la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du tribunal ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 144 III 462 consid. 3.1 et les références citées).

Si le tribunal parvient à la conclusion que les conditions du cas clair sont réalisées, le demandeur obtient gain de cause par une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Si elles ne sont pas remplies, le tribunal doit prononcer l'irrecevabilité de la demande (ATF 144 III 462 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_422/2020 du 2 novembre 2020 consid. 4.1).

2.2 La juridiction des baux et loyers peut connaître des litiges survenant entre un bailleur principal et un sous-locataire, la notion de «litiges relatifs au contrat de bail à loyer» au sens de l'art. 89 LOJ devant être comprise extensivement. Le Tribunal des baux et loyers est compétent à raison de la matière pour statuer sur tout litige relatif aux baux et loyers opposant un bailleur principal à un sous-locataire (restitution des locaux, évacuation, exécution de l'évacuation, demande en paiement d'une indemnité pour occupation illicite, etc.). Cette compétence ne concerne que les rapports entre un bailleur principal et un sous-locataire, à l'exclusion d'un squatteur, d'un occupant non titulaire d'un contrat de bail de sous-location ou d'un occupant à titre gratuit titulaire d'un contrat de prêt à usage, cas où la compétence de la juridiction ordinaire selon l'art. 86 LOJ demeure (ACJC/646/2019 du 6 mai 2019).

2.3 En tant que moyen de réaction contre une voie de fait apparente, les actions possessoires protègent le possesseur immédiat contre les tiers (arrêt du Tribunal fédéral 5A_63/2019 du 15 juillet 2019, consid. 5.1).

L'action en raison du trouble de l'art. 928 CC doit être admise chaque fois qu'il y a un trouble illicite de la possession. L'acte de trouble est illicite chaque fois qu'il n'est pas autorisé par la loi ou par le possesseur. En principe, le défendeur n'est pas admis à invoquer un droit qu'il aurait sur ou en relation avec l'objet, notamment en vertu d'un contrat, même si en pratique, le tribunal pourra difficilement éviter cette question lorsque la limite des possessions est incertaine (STEINAUER, Les droits réels, tome 1, 6ème éd. 2019, n. 466, 408, 470).

En ouvrant action en procédure sommaire, le demandeur court le risque que le juge considère que la situation juridique n'est pas suffisamment claire, et qu'il déclare ainsi sa requête irrecevable. Les actions possessoires peuvent en effet poser des questions de fait ou de droit délicates (PICHONNAZ, CR-CC, 2016 ad art. 927 n. 25, 28).

2.4 En l'espèce, il est constant qu'aucune relation contractuelle n'existe entre les parties.

Le "contrat de bail" dont se prévalent les recourants, a, comme l'admettent ceux-ci, été passé avec un tiers qui ne disposait d'aucun droit sur le logement, de sorte qu'il n'a pu en faire bénéficier son cocontractant. Le recourant, ainsi que sa famille, se trouvent dès lors dans une situation d'occupants non titulaires d'un contrat de bail de sous-location.

La compétence ratione materiae de la juridiction des baux et loyers n'est donc pas clairement établie, étant rappelé que celle-ci s'examine d'office (art. 59 et 60 CPC).

Par ailleurs, l'action formée par l'intimé tend à la cessation du trouble, au sens de l'art. 928 CC. Il s'agit d'une action possessoire, dans laquelle la doctrine rappelle que l'examen de la limite des possessions est délicate. En l'occurrence, le Tribunal a retenu implicitement qu'à cet égard, la situation juridique était claire. A cet effet, il a comparé les droits de l'intimé, locataire, aux droits des recourants découlant selon ceux-ci du contrat passé avec un tiers (dont la propre position de possesseur cas échéant n'a pas été évoquée), sans s'attacher à examiner les règles de la possession susceptibles d'entrer en considération dans le présent cas. Cet examen se révèle pourtant nécessaire, et les éléments à la procédure ne permettent pas d'en tirer une conclusion évidente.

Pour les deux motifs qui précèdent, les conditions de l'art. 257 CPC ne sont pas réalisées.

Le recours sera ainsi admis. La décision attaquée sera annulée, et il sera statué à nouveau dans le sens que la requête formée par l'intimé sera déclarée irrecevable.

3. En application de l'art. 22 al. 1 LaCC, il ne sera pas perçu de frais judiciaires et il ne sera pas alloué de dépens (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 15 avril 2024 par A______, B______ et C______ contre le jugement JTBL/342/2024 rendu le 21 mars 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/25594/2023.

Au fond :

Annule ce jugement et statuant à nouveau :

Déclare irrecevable la requête formée le 24 novembre 2023 par D______.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur
Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.