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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3701/2023

ATAS/546/2024 du 28.06.2024 ( LAA ) , ADMIS

Recours TF déposé le 23.08.2024, 8C_438/2024, 536.530/0002
En fait
En droit

n rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3701/2023 ATAS/546/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 28 juin 2024

Chambre 9

 

En la cause

A______

représenté par Me Pierre BANNA, avocat

 

 

recourant

 

contre

AXA ASSURANCES SA

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né le ______ 1965, est engagé en qualité de concierge à temps partiel par quatre différents employeurs, dont la B______ au temps de 30%, pour lequel il a travaillé en dernier lieu avant de partir en vacances le 3 septembre 2022. Cet employeur assure le prénommé contre le risque d'accidents, professionnels ou non, auprès de AXA ASSURANCES SA (ci-après : AXA).

b. La déclaration d'accident du 20 septembre 2022 mentionne qu'en date du 13 septembre 2022, l'assuré, alors en vacances, déplaçait des pierres dans son jardin et s'est fait très mal au dos.

c. Dans un questionnaire préétabli par AXA, que l'assuré a rempli le 11 octobre 2022, il a décrit l'événement comme suit : « [j]e posais des plaques de parement sur un mur lorsque cette dernière [s'] est décollé[e], en voulant la récupérer, j'ai [été] entraîné par le poids du parement (environ 10 kg) qui m'a fait faire un faux mouvement. J'ai eu comme une décharge électrique dans le bas du dos ». À la question de savoir si quelque chose d'extraordinaire ou d'inattendu s'était produit dans son mouvement (dérapage ou chute p. ex.), il a répondu par la négative. Il a ajouté que les premiers soins avaient été prodigués le 15 septembre 2022 par la docteure C______, spécialiste FMH en médecine interne générale. À la question de savoir comment les troubles avaient évolué après leur première apparition, il a indiqué « [d]ans la nuit de mardi à mercredi [entre le 13 et le 14 septembre 2022], vers 1h du matin, je me suis rendu au WC et j'ai fait un malaise vagal. Le mercredi, j'ai pris des antidouleurs. En voyant que ça ne s'atténue pas, j'ai décidé le jeudi 15 septembre de me rendre à la Clinique D______ pour consulter. La [Dre C______] m'a diagnostiqué une lombalgie aiguë et m'a prescrit des antidouleurs pour une semaine. Au bout de cinq jours, ma jambe gauche a commencé à me brûler de plus en plus, ce qui m'a obligé à retourner le mercredi 21 septembre aux D______. La docteure aux urgences m'a demandé de faire une IRM le samedi 24 septembre à 9h15. À la suite de cette IRM, le médecin radiologue m'a orienté aux urgences pour avoir l'avis d'un neurologue qui après examen m'a opéré à 15h ».

d. L'IRM lombaire du 24 septembre 2022 a conclu en L3-L4, à une formation de l'espace épidural antérieur extra-dural d'environ 3 cm de hauteur, circonscrite par une prise de contraste bien limitée fine, occupant une partie du canal lombaire et regroupant les radicelles à ce niveau. Les diagnostics évoqués étaient en premier un hématome épidural tandis qu'une épidurite infectieuse ou secondaire paraissait moins probable. Une hernie exclue paraissait peu probable compte tenu de la morphologie, de même qu'une tumeur de type neurinome en l'absence de prise de contraste. Aux deux étages sous-jacents, étaient présentes des discopathies modérées avec protrusion latéro-médiane droite peu contraignante pour les racines.

e. Dans un rapport du 26 septembre 2022, le docteur E______, spécialiste FMH en neurochirurgie, qui avait opéré l'assuré l'avant-veille, a posé le diagnostic de hernie discale traumatique avec hématome épidural dans le segment L2-L3. L'intervention avait consisté en l'évacuation de l'hématome épidural, coagulation intra-spinale et retrait d'hernie discale par une fenestration interlaminaire L2-L3 à gauche, thermocoagulation de la facette articulaire et dépôt épidural de dexaméthasone sous microscope en urgence.

f. L'assuré a été hospitalisé jusqu'au 28 septembre 2022. Il a bénéficié d'un arrêt de travail total jusqu'au 5 février 2023, d'un traitement médicamenteux, ainsi que de séances de physiothérapie.

g. L'IRM lombaire du 29 novembre 2022 a mis en évidence une discarthrose étagée du rachis lombaire, et une hernie discale L2-L3 gauche de 6 mm sans composante foraminale.

h. Dans un rapport du 20 décembre 2022, la docteure F______, spécialiste FMH en médecine interne générale, qui avait examiné l'assuré le 15 septembre 2022 à la « Consultation urgence adulte » de la Clinique D______, a indiqué que des douleurs / lombalgies étaient apparues après un port de charges lourdes.

B. a. Par décision du 15 février 2023, AXA a considéré qu'il n'existait aucun droit à des prestations au titre de l'assurance-accidents obligatoire. L'événement du 13 septembre 2022 ne constituait ni un accident au sens de la loi ni une lésion corporelle assimilée à un accident.

b. Par courrier du 23 mars 2023, l'assuré, sous la plume de son conseil, s'est opposé à cette décision, en alléguant avoir chuté le 13 septembre 2022 alors qu'il posait des plaques de parement sur un mur. Une des plaques s'était décollée et, en voulant la récupérer, il avait été entraîné par le poids du parement, ce qui lui avait fait faire un faux mouvement. Le 6 février 2023, il avait pu reprendre son activité professionnelle, sans éprouver de douleurs.

Il a joint en particulier :

-          un rapport du 24 février 2023 du docteur G______, médecin généraliste en France, attestant suivre l'assuré depuis 24 ans, lequel n'avait jamais présenté de problèmes dorso-lombaires majeurs ;

-          un rapport du Dr E______ du 27 février 2023, complété le 4 juillet suivant, mentionnant qu'à la suite du port de charges et d'un travail physique dans son jardin le 13 septembre 2022, l'assuré avait développé de violentes lombalgies suivies de sciatalgies et déficits neurologiques avec parésie du membre inférieur gauche. En l'absence de prise d'anticoagulants, d'antiagrégant ou de trouble de la crase, et en raison de la nature physique du travail que l'assuré réalisait au moment de la survenue de lombalgies, celui-ci avait présenté un traumatisme lié à ce travail corporel. Selon la littérature médicale, la concomitance d'un hématome épidural lombaire et d'une hernie discale parlait en faveur d'une hernie discale d'origine traumatique.

c. Par décision sur opposition du 4 octobre 2023, AXA a maintenu sa position. L'assuré s'était blessé au dos alors qu'il avait attrapé une plaque de parement d'environ 10 kg qui était en train de tomber. Nonobstant le faux mouvement décrit, l'assuré avait confirmé que rien d'extraordinaire ou d'inattendu ne s'était produit pendant le mouvement. Si la condition du facteur dommageable extérieur pourrait être réalisée au travers de l'effort exercé pour attraper la plaque de parement, celui-ci ne revêtait toutefois pas en l'espèce un caractère si extraordinaire justifiant d'admettre la survenance d'un accident. Les déclarations initiales de l'assuré ne contenaient en effet aucune référence à une chute. De plus, l'assuré exerçait la profession de concierge, soit une activité très physique rendant l'effort en question encore moins extraordinaire. L'effort produit n'avait pu entraîner les lésions au dos qu'en raison de facteurs maladifs préexistants. Ainsi, une cause interne était à l'origine des troubles à la santé, la cause externe n'ayant fait que de les révéler. Le caractère extraordinaire ne s'appliquait pas à l'effet sur le corps humain. Le fait que la plaque se soit décollée du mur n'était pas pertinent dans l'examen du caractère extraordinaire du facteur extérieur. C'était la cause immédiate de l'atteinte qui devait revêtir cette caractéristique, soit l'effort pour soutenir la plaque et non la raison du déploiement de cet effort. En conséquence, en l'absence du caractère extraordinaire, la notion d'accident au sens de la loi ne pouvait pas être retenue.

C. a. Par acte du 6 novembre 2023, l'assuré, par l'intermédiaire de son avocat, a recouru contre cette décision sur opposition auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, en concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation, à la constatation que l'événement du 13 septembre 2022 constituait un accident au sens de la loi, et à l'octroi des prestations au titre de
l'assurance-accidents obligatoire.

Il a fait valoir que son atteinte à la santé à la suite de l'événement du 13 septembre 2022 avait été causée par un facteur extérieur, soit un faux mouvement inhabituel et spontané en voulant récupérer une plaque de parement s'étant soudainement détachée du mur. Dans son rapport du 26 septembre 2022, le Dr E______ constatait que tant l'hématome décrit par le radiologue que l’hernie discale découverte lors de l'opération étaient consécutifs au traumatisme. Aucun médecin l'ayant examiné n'avait émis l'hypothèse que l'atteinte à la santé était due à une maladie préexistante dont l'incident du 13 septembre 2022 n'aurait été qu'un déclencheur. Il avait immédiatement ressenti une décharge électrique dans le bas du dos, en rattrapant, par un mouvement inhabituel et réflexe, une plaque de parement de plus de 10 kg s'étant détachée du mur de sa maison sur lequel il travaillait pendant son temps libre. Cet évènement revêtait le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Par ailleurs, il existait un lien de causalité entre l'événement et l'atteinte à la santé.

Le recourant a produit un rapport du Dr E______ du 18 octobre 2023 dans lequel le médecin confirmait que la survenue d'un hématome épidural en parallèle à une hernie discale témoignait de la nature traumatique de cette dernière.

b. Dans sa réponse du 5 janvier 2023, l'intimée a conclu au rejet du recours.

Elle relevait que le recourant n'exposait plus avoir été victime d'une chute. Selon lui, le facteur extérieur était le faux mouvement, réflexe et inhabituel, en voulant récupérer une plaque de parement de 10 kg qui s'était détachée d'un mur. Aucun élément au dossier ne permettait de retenir que le recourant, lors de cet événement, avait fait un mouvement non coordonné, tel une glissade ou un trébuchement.

L'intimée a répété que, dans la mesure où le recourant exerçait la profession de concierge, consistant en une activité très physique, l'effort déployé par celui-ci était d'autant moins extraordinaire.

Elle a également souligné que la notion d'accident était d'ordre juridique et non médicale, de sorte que l'avis de son médecin-conseil était inutile pour déterminer si l'événement en cause remplissait les caractéristiques d'un accident.

c. Dans sa réplique du 6 février 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Il a exposé que le mouvement qu'il avait effectué n'entrait pas dans le cadre des tâches qu'il effectue quotidiennement ou habituellement ou qui ressortirait de son activité professionnelle de concierge, laquelle ne pouvait pas être assimilée à une activité d'ouvrier du bâtiment en termes d'effort fourni quotidiennement. La pose de plaques de parement sur le mur de sa maison à titre de loisirs, pendant ses vacances, était une activité sortant de l'ordinaire et ne saurait être considérée comme habituelle pour lui. Il n'avait pas tenté de rattraper une plaque de parement qui lui avait glissé des mains. Le déroulement naturel de ses mouvements avait été interrompu soudainement par la chute de ce parement qui lui avait fait faire un faux mouvement en tentant de le rattraper. De plus, il n'avait jamais présenté de problèmes dorso-lombaires majeurs et son atteinte à la santé qu'il avait subie à la suite de l'événement du 13 septembre 2022 n'était pas due à une cause préexistante. Il en a tiré la conclusion que son faux mouvement en vue de récupérer une lourde plaque de parement s'étant soudainement désolidarisée d'un mur remplissait la condition du facteur extérieur extraordinaire.

d. Dans sa détermination spontanée du 14 février 2024, l'intimée a également persisté dans ses conclusions.

Elle a indiqué que l'activité pratiquée par le recourant, même pendant ses vacances, était caractérisée par des efforts qui étaient superposables à ceux effectués dans le cadre de son activité professionnelle de concierge impliquant différentes tâches physiques, notamment l'entretien des bâtiments et l'entretien et la préservation des espaces extérieurs. Au début, le recourant n'avait pas dans ses mains la plaque de 10 kg, mais dès que celle-ci s'était détachée du mur, il l'avait prise en tentant d'éviter sa chute. Son effort entrait dans le cadre d'une activité habituelle, ordinaire. L'apparition des troubles au dos était donc imputable à une cause interne au corps.

e. Copie de cette écriture a été transmise au recourant pour information.

f. Le 14 juin 2024, la chambre de céans a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

Le recourant a déclaré qu'il travaille en qualité de concierge depuis janvier 2015. Avant cela, il exerçait l'activité de couturier. Avant l'événement du 13 septembre 2022, il n'avait jamais eu d'arrêt de travail. Il avait repris son activité à 100% depuis le 6 février 2023 et n'avait plus présenté d'arrêt de travail. Il ne suivait plus de traitement médical depuis son opération. Lors de l'événement du 13 septembre 2022, il pesait, comme actuellement, entre 72 et 74 kg. Il était situé sur le bord de sa terrasse et posait, à peu près à hauteur des yeux, les bordures de cette terrasse avec des plaques, qui consistaient en des pierres enrobées dans du béton. Il s'agissait de vraies pierres et non de plaques factices.

Le recourant a montré à la chambre de céans ainsi qu'au représentant de l'intimée une photo sur son téléphone portable.

Il a indiqué qu'il posait de la colle sur les plaques, qu'il les plaçait ensuite sur le mur puis qu'il tapait dessus avec un maillet. En théorie, lorsqu'il plaçait la plaque sur le mur, il y avait un effet ventouse. Il venait de poser une plaque et il s'était aperçu que son maillet n'était pas à sa portée. D'habitude, il laissait une main sur la plaque et la tapait à l'aide du maillet avec l'autre main. Cette fois, il avait pris ses deux mains pour chercher le maillet qui se trouvait à 50 cm de son bras et la plaque s'était détachée à ce moment-là. Il avait voulu récupérer la plaque avec les deux mains d'un geste extrêmement brusque. Il s'agissait d'un geste-réflexe avec un mouvement en porte-à-faux et il avait récupéré la plaque à hauteur de taille sur le côté. Tout de suite après avoir reposé la plaque sur le mur, il avait senti comme un couteau planté dans son dos. La douleur était comme une décharge électrique. Il avait l'impression d'avoir 40 de fièvre et une envie de vomir. Il avait dû ramper pour rejoindre son salon, s'était mis sur son canapé et attendu que son épouse rentre du travail. Il lui avait dit qu'il avait fait un faux mouvement en montant une « pierre ». Il avait pris un Doliprane. Il a précisé que la « pierre » mesurait de 60 à 80 cm de large et 20 cm de hauteur.

Le représentant de l'intimée a relevé qu'il ressortait de leur pièce A16 que la douleur serait survenue en voulant récupérer la plaque et non en la reposant au mur. Il y avait à son sens deux mouvements différents. Le mouvement de « remettre au mur » était nouveau. Il n'y avait rien d'extraordinaire dans le fait de se retourner pour rattraper une plaque de 10 kg, cela d'autant plus en raison du travail effectué par le recourant.

Ce dernier a précisé que dans son activité de concierge, le port de charges lourdes était peu usuel hormis les sacs poubelles. Il arrivait que certaines personnes âgées ne mettent pas les sacs poubelles dans les containers et il le faisait à leur place. Ces containers avaient des roulettes. Dans le cadre de son travail de concierge, il s'occupait essentiellement à faire le ménage dans les espaces communs et à assurer la bienveillance dans l'immeuble.

Le représentant de l'intimée a trouvé étonnant que le métier de concierge n'implique aucun port de charges. À son sens, il y avait peut-être un transport de meubles ou un travail dans le jardin. Il s'est référé au considérant 2 en droit de son recours dans lequel il était fait mention de l'activité usuelle d'un concierge.

Le recourant a répondu qu'il n'avait aucun meuble à transporter et l'immeuble ne contenait pas de jardin.

Enfin, il recevait toujours des factures de la Clinique H______ et de la Clinique D______ et ne savait pas comment les traiter.

g. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur
l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Selon l'art. 58 LPGA (applicable par le renvoi de l'art. 1 al. 1 LAA), le tribunal des assurances compétent est celui du canton de domicile de l’assuré ou d’une autre partie au moment du dépôt du recours (al. 1). Si l’assuré ou une autre partie sont domiciliés à l’étranger, le tribunal des assurances compétent est celui du canton de leur dernier domicile en Suisse ou celui du canton de domicile de leur dernier employeur suisse ; si aucun de ces domiciles ne peut être déterminé, le tribunal des assurances compétent est celui du canton où l’organe d’exécution a son siège (al. 2).

En l'occurrence, le recourant est domicilié en France, mais son employeur est situé dans le canton de Genève. Partant, la chambre de céans est compétente à raison de la matière et du lieu pour juger du cas d'espèce.

1.2 Interjeté dans la forme (art. 61 let. b LPGA) et le délai de trente jours (art. 60 et 38 al. 3 LPGA ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]) prévus par la loi, le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur la question de savoir si l'événement du 13 septembre 2022 peut être qualifié d'accident ou être assimilé à un accident.

3.              

3.1 Aux termes de l'art. 6 LAA, l'assureur-accidents verse des prestations à l'assuré en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d'accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés : une atteinte dommageable ; le caractère soudain de l'atteinte ; le caractère involontaire de l'atteinte ; le facteur extérieur de l'atteinte ; enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il suffit que l'un d'entre eux fasse défaut pour que l'événement ne puisse pas être qualifié d'accident (ATF 142 V 219 consid. 4.31 ; 129 V 402 consid. 2.1 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_159/2023 du 9 novembre 2023 consid. 3.1).

Suivant la définition même de l'accident, le caractère extraordinaire de l'atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Dès lors, il importe peu que le facteur extérieur ait entraîné des conséquences graves ou inattendues. Pour admettre la présence d’un accident, il ne suffit pas que l’atteinte à la santé trouve sa cause dans un facteur extérieur. Encore faut-il que ce facteur puisse être qualifié d’extraordinaire. Cette condition est réalisée lorsque le facteur extérieur excède le cadre des événements et des situations que l'on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d'habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante (ATF 134 V 72 considd. 4.1 ; 129 V 402 consid. 2.1). Pour des lésions dues à l'effort (soulèvement, déplacement de charges notamment), il faut examiner de cas en cas si l'effort doit être considéré comme extraordinaire, en tenant compte de la constitution physique et des habitudes professionnelles ou autres de l'intéressé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_827/2017 du 18 mai 2018 consid. 2.1). Il n'y a pas d'accident, au sens de ce qui précède, lorsque l'effort en question ne peut entraîner une lésion qu'en raison de facteurs maladifs préexistants, car c'est alors une cause interne qui agit, tandis que la cause extérieure – souvent anodine – ne fait que déclencher la manifestation du facteur pathologique (ATF 116 V 136 consid. 3b).

Selon la jurisprudence, le critère du facteur extraordinaire extérieur peut résulter d'un « mouvement non coordonné ». Lors d'un mouvement corporel, l'exigence d'une incidence extérieure est en principe remplie lorsque le déroulement naturel d'un mouvement corporel est influencé par un empêchement « non programmé », lié à l'environnement extérieur. Dans le cas d'un tel mouvement non coordonné, l'existence du facteur extérieur doit être admise, parce que le facteur extérieur – la modification entre le corps et l'environnement extérieur – constitue en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_159/2023 du 9 novembre 2023 consid. 3.2 et les références). On peut ainsi retenir à titre d'exemples de facteurs extérieurs extraordinaires le fait de trébucher, de glisser, de se heurter à un objet ou d'éviter une chute (arrêt du Tribunal fédéral 8C_159/2023 précité ibidem ; RAMA 2004 n° U 502 p. 184 consid. 4.1 ; RAMA 1999 n° U 345 p. 422 consid. 2b). Le Tribunal fédéral a, dans un arrêt récent, nié le facteur extraordinaire chez un assuré qui avait monté un petit escalier normal en tenant quelque chose à la main (arrêt du Tribunal fédéral 8C_24/2022 du 20 septembre 2022, in SVR 2023 UV n° 13 p. 40).

La preuve d'un accident causant des lésions touchant l'intérieur du corps est soumise à des exigences strictes, en ce sens que la cause immédiate de la blessure doit être établie dans des circonstances particulièrement évidentes. En général, un accident entraîne des lésions qui sont perceptibles de l'extérieur, et son absence constitue une probabilité accrue qu'elle est d'origine maladive (ATF 99 V 136 consid. 1). À cet égard, le facteur externe est un élément central (ATF 134 V 72 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_225/2019 du 20 août 2019 consid. 3.4).

Lorsque la lésion se limite à une atteinte corporelle interne, qui pourrait également survenir à la suite d'une maladie, le mouvement non coordonné doit en apparaître comme la cause directe selon des circonstances particulièrement évidentes. Un accident se manifeste en règle générale par une lésion perceptible à l'extérieur. Lorsque tel n'est pas le cas, il est plus vraisemblable que l'atteinte soit d'origine maladive (arrêt du Tribunal fédéral 8C_693/2010 du 25 mars 2011 consid. 5.2).

3.2 Dans un arrêt 8C_404/2020 du 11 juin 2021, concernant un assuré qui s'était blessé à l'épaule gauche en retenant, par un mouvement particulier du membre supérieur gauche (abduction external rotation), un panneau d'environ 80 kg glissant des mains de la personne qui l'aidait à le transporter, le Tribunal fédéral a retenu que ce n'était pas l'effort déployé pour soutenir le panneau qui était à l'origine des plaintes de l'assuré, mais bien le mouvement du bras gauche pour retenir l'objet en train de glisser, soit un mouvement corporel non programmé. Il a considéré qu'il y avait eu une sollicitation de l'organisme plus élevée que la normale et conclu à l'existence d'une cause extérieure extraordinaire à l'origine des douleurs de l'épaule annoncées par l'assuré (consid. 5.3).

Dans un arrêt 8C_194/2015 du 11 août 2015 concernant un assuré qui mettait en place un rouleau de tapis sur une étagère et qui avait rattrapé précipitamment, du bout de la main droite, ce rouleau (de 4.20 m) qui glissait, à la suite de quoi, il avait ressenti une violente douleur au niveau de l'épaule droite, le Tribunal fédéral a estimé que le mouvement corporel de l'assuré avait été interrompu par un phénomène non programmé (chute du rouleau de moquette), ayant provoqué chez l'assuré un mouvement brusque et incontrôlé au niveau du membre supérieur droit, d'une certaine intensité, compte tenu de sa soudaineté et surtout du poids – notoirement élevé – d’un rouleau de moquette. Il en était résulté une sollicitation du corps bien plus importante que la normale, qui ne pouvait pas être considérée comme habituelle pour un poseur de sols (consid. 5.2.2).

Dans un arrêt 8C_579/2014 du 28 novembre 2014 concernant un assuré qui s'était fait mal au dos en rattrapant un gaufrier de 25 kg qui tombait d'une table, le Tribunal fédéral a également admis une sollicitation du corps plus importante que la normale. Le mouvement corporel de l'assuré avait été interrompu par un phénomène non programmé (chute subite du gaufrier), ayant provoqué chez l'assuré un mouvement brusque et incontrôlé au niveau du dos (il avait courbé son dos, les bras en avant à moins de 80 cm du sol pour rattraper l'appareil). Ce mouvement non coordonné avait présenté une certaine intensité, compte tenu de sa soudaineté, de la position de l'assuré et surtout du poids du gaufrier (consid. 6.3).

3.3 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

4.              

4.1 En l'espèce, lors de l'audience de comparution personnelle, le recourant a précisé le déroulement de l'événement du 13 septembre 2022 en indiquant qu'il était sur le bord de sa terrasse en train de poser des plaques de pierres, à hauteur des yeux. Alors qu'il s'apprêtait à prendre avec ses deux mains le maillet situé à 50 cm de son bras, la plaque qu'il venait de poser s'était détachée. Il s'est blessé au dos en rattrapant à hauteur de la taille sur le côté cette plaque de pierres d'environ 10-12 kg par un mouvement en porte-à-faux, effectué brusquement par réflexe.

Le fait que la douleur soit survenue « instantanément » d'après les informations fournies par le recourant dans le questionnaire qu'il a complété le 11 octobre 2022 ou qu'elle soit plutôt apparue après avoir reposé la plaque sur le mur selon ses dires à l'audience, relevées par l'intimée, n'est pas décisif, dans la mesure où tant dans ce document qu'à l'audience, il a souligné que c'est ce faux mouvement tel que décrit (qui ne fait pas partie des gestes de la vie courante) qui expliquait ses douleurs. Par ailleurs, comme le recourant a eu un mouvement réflexe, il n'a pas pu avoir le temps de contrôler son mouvement.

C'est donc ce mouvement en porte-à-faux pour retenir cet objet en train de tomber qui est à l'origine des plaintes du recourant, soit un mouvement corporel non programmé et non maîtrisé d'un point de vue physiologique.

Dans ces circonstances, l'existence d'un facteur extraordinaire doit être admise.

Les arrêts cités par l’intimée pour nier le caractère extraordinaire du facteur extérieur (ATF 116 V 136 [concernant le déplacement d'un patient de la table d'opération à un lit] ; arrêt U.100/06 du 30 mai 2006 [concernant le soulèvement par un assuré et son collègue d'un poids de 165 kg environ] ; arrêt 8C_319/2009 du 23 octobre 2009 [concernant le soulèvement d'une palette de boissons de 9 kg] et arrêt U.238/99 du 14 février 2000 [traitant le cas d'un assuré, un infirmier, qui procédait selon la méthode de Heimlich, et qui avait ressenti une douleur dorsale jusque dans l'épaule droite en voulant aider la patiente qui s'étouffait et qui perdait connaissance]) ne lui sont d’aucun secours. Ils ont en effet tous été examinés sous l'angle des lésions dues à l'effort. Or, comme indiqué supra, ce n'est pas l'effort déployé pour soutenir la plaque de pierres qui est à l'origine des plaintes du recourant, mais le mouvement en porte-à-faux.

Certes, l'arrêt du Tribunal 8C_1019/2009 du 26 mai 2010 auquel se réfère également l'intimée a été examiné sous l'angle des mouvements du corps, et non sous celui des lésions dues à l'effort. Dans cette affaire, une aide-soignante s'était blessée à l'épaule en rattrapant une caisse de livres qui lui avait glissé des mains. Selon le Tribunal fédéral, le déroulement naturel du mouvement corporel n'avait pas été modifié par un phénomène non programmé. Rien n'indiquait non plus une sollicitation de l'organisme plus élevée que la normale. Enfin, le facteur extérieur n'était pas suffisamment inhabituel pour supprimer l'influence de l'élément endogène, in casu une instabilité chronique de l'épaule. Le cas d'espèce est toutefois différent. En effet, le recourant a changé de position de manière incontrôlée sous l'influence d'un phénomène extérieur inhabituel (chute de la plaque de pierres de 10-12 kg). Même à retenir que le métier de concierge, qu'exerce le recourant, implique une activité très physique ainsi que le port de charges lourdes, comme le prétend l'intimée, on ne saurait considérer que le fait de rattraper une plaque de pierres de 10-12 kg en train de tomber fasse partie du cadre usuel de l'activité de concierge.

4.2 Pour le surplus, les autres conditions constitutives d'un accident étant manifestement remplies, ce que l'intimée ne conteste pas, c'est à tort qu'elle a refusé de qualifier d'accidentel l'événement du 13 septembre 2022.

5.             Au vu de ce qui précède, le recours est admis en ce sens que le caractère accidentel de cet événement est reconnu, la décision sur opposition du 4 octobre 2023 annulée et la cause renvoyée à l'intimée à charge pour elle d'examiner les autres conditions du droit aux prestations et de statuer sur les prestations éventuellement dues au recourant (dans ce sens : ATAS/68/2023 du 2 février 2023 consid. 9).

Le recourant, représenté par avocat, qui obtient gain de cause, a droit à une indemnité à titre de participation à ses frais et dépens, que la chambre de céans fixe en l'espèce à CHF 1’500.- (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

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PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet au sens des considérants.

3.        Annule la décision sur opposition du 4 octobre 2023.

4.        Renvoie la cause à l'intimée pour examen des autres conditions du droit aux prestations du recourant et calcul éventuel de celles-ci.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 1'500.- à titre de dépens, à la charge de l'intimée.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le