Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1209/2023

ATAS/913/2023 du 24.11.2023 ( AVS ) , REJETE

Recours TF déposé le 17.01.2024, rendu le 12.03.2024, RETIRE, 9C_23/2024
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1209/2023 ATAS/913/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 24 novembre 2023

Chambre 9

 

En la cause

A______
représenté par Me Björn BETTEX

 

 

recourant

 

contre

CAISSE INTERPROFESSIONNELLE AVS DE LA FÉDÉRATION DES ENTREPRISES ROMANDES FER CIAM 106.1

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. La société B______, en liquidation (ci-après : la société), avec siège à Genève, a été inscrite au registre du commerce de Genève (ci-après : RC) le 12 janvier 2010, avec comme but social les prestations de services à d'autres sociétés et entités, notamment de services d'administration, de comptabilité, de contrôle et de gestion financière.

b. La société était affiliée à la Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des entreprises romandes FER CIAM 106.1 (ci-après : la caisse).

c. La société a été dissoute par suite de faillite prononcée par jugement du Tribunal de première instance du 21 janvier 2019.

Par jugement du 31 octobre 2019, le Tribunal de première instance a ordonné la liquidation sommaire de la faillite.

La procédure de faillite a été clôturée par jugement du 5 août 2021 et la société a été radiée d’office selon publication dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC) du 13 août 2021.

d. Monsieur A______ (ci-après : l’administrateur) en était administrateur et président avec signature individuelle entre janvier 2010 et février 2011, puis administrateur avec signature individuelle jusqu’à la radiation de la société.

B. a. Par décision du 22 décembre 2021, la caisse a réclamé à l’administrateur le paiement de la somme de CHF 71'194.35, correspondant à son dommage en raison du non-paiement des cotisations paritaires AVS/AI/APG/AC et celles dues au titre du régime des allocations familiales des périodes d’avril à juillet 2016, d’avril à août 2017, de janvier à décembre 2018 et à un solde de frais et intérêts sur les périodes d’août 2016, septembre et octobre 2017.

b. Le 21 janvier 2022, l’administrateur a formé opposition à cette décision, faisant valoir que la faillite de la société avait été prononcée le 21 janvier 2019. Or, le délai de prescription était à cette époque de deux ans, si bien que la créance de la caisse était prescrite. Il était par ailleurs fondé de retenir que l’autorité avait eu connaissance du dommage bien avant la date de la faillite de la société.

c. Le 3 mars 2023, la caisse a rejeté l’opposition. Sa connaissance du dommage datait de l’état de collocation, soit du 16 mars 2020, et non de la faillite ou auparavant. Son action en réparation du dommage datait quant à elle du 22 décembre 2021. Elle avait ainsi manifestement respecté les délais applicables. Sur le fond, qui n’était pas abordé dans l’opposition, l’administrateur devait répondre du dommage en sa qualité d’organe formel de la société.

C. a. Par acte du 5 avril 2023, l’administrateur a formé recours devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre cette décision, concluant à sa réformation en ce sens qu’aucun montant n’est dû par l’administrateur, subsidiairement à son annulation.

L’était de fait contenait des inexactitudes qui devaient conduire à l’annulation de la décision. En effet, différents montants étaient mentionnés s’agissant du montant du dommage. La créance de la caisse était en outre prescrite. En effet, elle avait eu connaissance du dommage bien avant le dépôt de l’état de collocation. Entre 2016 et 2018, elle avait introduit des poursuites à l’encontre de la société. En 2018, la société avait été exclue de ses membres. Le 30 avril 2019, elle avait averti le recourant que si elle constatait un dommage dans la faillite, la caisse en réclamerait le dommage aux organes responsables.

b. Par réponse du 4 mai 2023, la caisse a maintenu les termes de sa décision sur opposition. Si divers montants avaient été mentionnés dans la décision sur opposition, c’était en raison du fait que les montants de cotisations arriérées avaient varié dans le temps et que ces montants ne correspondaient pas, juridiquement, à ce que constituait le dommage au sens de l’art. 52 LAVS. S’agissant de la prescription, ni le fait d’introduire des poursuites, ni l’exclusion de la société de la FER Genève, ni l’annonce du 30 avril 2019 ne constituaient une connaissance du dommage. La date du dépôt de l’état de collocation dans la faillite valait ainsi connaissance du dommage. En agissant en réparation du dommage le 22 décembre 2021, la caisse avait respecté les délais de prescription.

c. Par réplique du 7 août 2023, l’administré a relevé que la société avait fait face à des difficultés financières importantes, ainsi qu’à des difficultés de trésorerie. Il avait des raisons sérieuses et objectives de penser qu’il pourrait s’acquitter des cotisations dans un délai raisonnable.

d. La chambre de céans a transmis cette écriture à l’intimée.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

Le siège de la société ayant été situé dans le canton de Genève jusqu’au moment de sa faillite, la chambre de céans est également compétente ratione loci.

1.3 Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56ss LPGA).

2.             Le litige porte sur la responsabilité du recourant pour le dommage subi par l'intimée du fait du défaut de paiement des cotisations sociales pour les salaires versés par la société de 2016 à 2018.

3.             Le recourant fait valoir en premier lieu que la prétention de la caisse est prescrite.

3.1 L’art. 52 al. 3 LAVS, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2020, prévoit que l’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites. Cette disposition renvoie à l’art. 60 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (Code des obligations [CO] - RS 220), selon lequel l’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé.

Ces deux dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020. Jusqu’au 31 décembre 2019, l’ancien art. 52 al. 3 LAVS prévoyait que le droit à la réparation se prescrivait deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. En renvoyant aux nouvelles dispositions du CO relatives à la prescription, le nouvel art. 52 al. 3 LAVS porte le délai de prescription relatif de deux à trois ans et le délai de prescription absolu de cinq à dix ans. En outre, le délai absolu de prescription ne commence plus à courir à la survenance du dommage mais le jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé, ce qui inclut les dommages causés par une omission, les dommages survenant de manière répétée et les dommages résultant d’une action prolongée dans le temps. Les autres aspects de la prescription, notamment les motifs d’empêchement ou de suspension et les actes interruptifs, sont régis par les art. 130ss CO (Message relatif à la modification du code des obligations [droit de la prescription] du 29 novembre 2013, FF 2014 221, spéc. pp. 237 et 260).

S’agissant de déterminer le droit de la prescription applicable, l’art. 49 al. 1 Titre final CC (Code civil suisse du 10 décembre 1907 ; RS 210), ici pertinent, règle de manière générale les questions de droit transitoire en matière de prescription et a été réécrit lors de la révision du droit de la prescription (FF 2014 221, 230 s.). Selon cette disposition, lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit (al. 1). L’entrée en vigueur du nouveau droit est sans effet sur le début des délais de prescription en cours, à moins que la loi n’en dispose autrement (al. 3).

3.2 Selon la jurisprudence rendue à propos de l’ancien art. 52 al. 3 LAVS, la caisse de compensation a connaissance du dommage au moment où elle doit savoir, en usant de l’attention qu’on est en droit d’attendre d’elle, que les circonstances ne lui permettent plus d’exiger le paiement des cotisations, mais peuvent entraîner l’obligation de réparer le dommage. C’est à ce moment que le délai relatif commence à courir. En cas de faillite, le moment de la connaissance du dommage correspond en règle générale à celui du dépôt de l’état de collocation ou celui de la publication de la suspension de la liquidation de la faillite faute d’actifs (ATF 129 V 193 consid. 2.3). Quant au moment de la survenance du dommage, il s’agit du moment où l’on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées pour des motifs juridiques ou des motifs de fait. Ainsi, en cas de faillite, en raison de l’impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement, le dommage subi par la caisse est réputé être survenu le jour de la faillite ; le jour de la survenance du dommage marque celui de la naissance de la créance en réparation et de la date à partir de laquelle court le délai absolu (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_246/2017 du 18 décembre 2017 consid. 4.2).

S’agissant de délais de prescription et non de péremption, cela signifie qu’ils ne sont pas sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts ; le droit à la réparation du dommage peut donc aussi se prescrire durant la procédure d’opposition ou la procédure de recours qui s’ensuit. Tandis que le juge ne peut interrompre la prescription que par une ordonnance ou une décision, « chaque acte judiciaire des parties » suffit à produire cet effet (art. 138 al. 1 CO). Cette notion d’acte judiciaire des parties doit être interprétée largement, tout en ayant égard à la ratio legis de la disposition citée, qui est de sanctionner l’inaction du créancier. Il faut donc considérer comme acte judiciaire d’une partie tout acte de procédure relatif au droit invoqué en justice et susceptible de faire progresser l’instance (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 4.2 et les références citées). La prescription du droit à la réparation du dommage vis-à-vis de l’organe employeur ne peut être interrompue que par des actes qui se rapportent à la créance. Les actes concernant la créance vis-à-vis de l’employeur n’engagent aucun effet interruptif de délai. En outre, l’art. 136 CO ne s’applique pas à l’organe tenu subsidiairement à la réparation de l’art. 52 LAVS, de sorte que les actes interruptifs de la prescription contre la personne morale (débiteur primaire) ne peuvent lui être opposés (ATF 141 V 487 consid. 4).

3.3 S’agissant des actes interruptifs de prescription, il résulte de la jurisprudence rendue à propos de l’art. 52 al. 3 aLAVS les éléments qui suivent.

Les délais de prescription sont interrompus par les actes énumérés à l’art. 135 CO (applicable par analogie) ainsi que par tous les actes adéquats par lesquels la créance en dommages-intérêts est invoquée de manière appropriée à l’encontre du débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 9C_641/2020 du 30 mars 2021 consid. 5.3 et la référence ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_400/2020 du 19 octobre 2020 consid. 3.2.1 et la référence). Tant la décision que l’opposition interrompent les délais de prescription (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

La prescription est notamment interrompue par une action ou une exception devant un tribunal (art. 135 ch. 2 CO par analogie) et recommence à courir lorsque le litige devant l'instance saisie est clos (art. 138 al. 1 CO ; ATF 147 III 419 consid. 5.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_906/2017 du 21 juin 2018 consid. 1.2 ; sur l'application par analogie des dispositions générales selon les art. 135 ss CO, cf. ATF 141 V 487 consid. 2.3 et les références ; ATF 135 V 74 consid. 4.2.1 et les références).

3.4 En l’espèce, le prononcé de la faillite, en date du 21 janvier 2019, marque le début du délai de prescription absolu de cinq ans prévu par l’ancien droit. Quant au délai relatif de deux ans (toujours selon l’ancien droit), il court depuis le moment de la connaissance du dommage, soit en l’occurrence, depuis la publication de l’état de collocation, le 16 mars 2020. Contrairement à ce que soutient le recourant, ni le fait d’introduire des poursuites, ni l’exclusion de la société de la FER Genève, ni l’annonce de l’intimée que si un dommage devait être constaté, elle en réclamerait réparation aux organes de la société, ne constituent des circonstances exceptionnelles qui justifieraient de faire courir le délai de prescription avant le dépôt de l'état de collocation, moment qui correspond en règle générale à celui de la connaissance du dommage au sens de l'art. 52 al. 3 LAVS (ATF 129 V 193 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_246/2018 du 18 décembre 2017 consid. 4.2 ; ATAS/1065/2022 du 2 décembre 2022 consid. 3.4 ; ATAS/768/2022 du 2 septembre 2022 consid. 3.3 ; ATAS/713/2021 du 30 juin 2021 consid. 6.2). Le fait que la caisse intimée avait connaissance de la situation financière difficile de la société constituait certes un indice que sa créance ne serait probablement pas réglée à temps ou seulement dans une mesure insuffisante. Toutefois, cela ne fixait pas encore de manière définitive quels étaient les biens qui faisaient partie de la masse en faillite. Seule la procédure de faillite a permis de clarifier la situation quant aux actifs et passifs de la société faillie et des chances de recouvrement de l'intimée. À cet égard, le créancier n'est en principe en mesure de connaître le montant des actifs, sa propre collocation dans la liquidation, ainsi que le dividende prévisible avec suffisamment de certitude qu'une fois la procédure de collocation avec dépôt de l'état de collocation et de l'inventaire achevée (cf. ATF 116 V 72 consid. 3c).

Ainsi, tant le délai absolu (cinq ans dès le prononcé de la faillite) que le délai relatif (deux ans dès la publication de l’état de collocation) n’étaient pas échus lorsque le nouveau droit de la prescription est entré en vigueur au 1er janvier 2020, de sorte que c’est le nouveau droit qui s’applique. En l’occurrence, en demandant la réparation du dommage au recourant le 22 décembre 2021, l’intimée a valablement interrompu la prescription relative de trois ans. Quant au délai de prescription absolue, il n’est pas non plus échu.

4.             L’action en réparation du dommage n’étant pas prescrite, il convient à présent d’examiner si les autres conditions de la responsabilité de l’art. 52 LAVS sont réalisées.

4.1 À teneur de l’art. 52 al. 2 LAVS, si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage.

Selon la jurisprudence, si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom, notamment quand la personne morale n'existe plus au moment où la responsabilité est engagée (ATF 123 V 12 consid. 5b ; ATF 122 V 65 consid. 4a). Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d'une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).

L'art. 52 LAVS ne permet ainsi pas de déclarer l'organe d'une personne morale directement débiteur de cotisations d'assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu'il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).

La notion d'organe selon l'art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui se dégage de l'art. 754 al. 1 CO. En matière de responsabilité des organes d'une société anonyme, l'art. 52 LAVS vise en première ligne les organes statutaires ou légaux de celle-ci, soit les administrateurs, l'organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29 consid. 3a ; Thomas NUSSBAUMER, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d'un dommage selon l'art. 52 LAVS, in RCC 1991 p. 403).

4.2 L'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l'assurance-vieillesse et survivants (RCC 1978 p. 259 ; RCC 1972 p. 687). Il faut donc un manquement d'une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b).

Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d'une négligence grave l'employeur qui manque de l'attention qu'un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s'apprécie d'après le devoir de diligence que l'on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d'un employeur de la même catégorie que celle de l'intéressé. En présence d'une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l'attention qu'elle doit accorder au respect des prescriptions. Une différenciation semblable s'impose également lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l'employeur (ATF 108 V 189). Les faits reprochés à une entreprise ne sont pas nécessairement imputables à chacun des organes de celle-ci. Il convient bien plutôt d'examiner si et dans quelle mesure ces faits peuvent être attribués à un organe déterminé, compte tenu de la situation juridique et de fait de ce dernier au sein de l'entreprise. Savoir si un organe a commis une faute dépend des responsabilités et des compétences qui lui ont été confiées par l'entreprise (ATF 108 V 199 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.2). La négligence grave mentionnée à l'art. 52 LAVS est admise très largement par la jurisprudence (ATF 132 III 523 consid. 4.6).

Commet notamment une faute grave, l'organe qui verse des salaires pour lesquels les créances de cotisations qui en découlent de par la loi ne sont pas couvertes (SVR 1995 AHV n° 70 p. 214 consid. 5 ; voir également l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2007 du 21 avril 2008 consid. 3.1). Commet également une faute grave celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu'il se trouvait, en raison de l'attitude du tiers, dans l'incapacité de prendre les mesures qui s'imposaient s'agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l'incapacité d'exercer son devoir de surveillance (voir par exemple : arrêts du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.3 ; 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2).

Dans certaines circonstances, un employeur peut causer intentionnellement un préjudice sans être dans l'obligation de le réparer, lorsqu'il retarde le paiement des cotisations pour maintenir son entreprise en vie, lors d'une passe de trésorerie difficile. Mais il faut alors, pour qu'un tel comportement ne tombe pas ultérieurement sous le coup de l'art. 52 LAVS, que l'on puisse admettre que l'employeur avait, au moment où il a pris sa décision, des raisons sérieuses et objectives de penser qu'il pourrait s'acquitter des cotisations dues dans un délai raisonnable (arrêts du Tribunal fédéral9C_320/2018 du 20 septembre 2018 consid. 4.2 ; 9C_338/2007 du 21 avril 2008 consid. 3.1). À cet égard, la seule expectative que la société retrouve un équilibre financier ne suffit pas ; il faut des éléments concrets et objectifs selon lesquels on peut admettre que la situation économique de la société se stabilisera dans un laps de temps déterminé et que celle-ci recouvrera sa capacité financière (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 163/06 du 11 juin 2007 consid. 4.4). Ce qui est déterminant, ce n'est pas de savoir si l'employeur croyait réellement que l'entreprise pouvait être sauvée et que les cotisations seraient payées dans un proche avenir, il s'agit bien plutôt d'examiner si une telle attitude était alors défendable, objectivement, aux yeux d'un tiers responsable (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 19/07 du 10 décembre 2007 consid. 4.1).

4.3 La responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS suppose enfin un rapport de causalité (naturelle et) adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).

4.4 Le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et d’employés ou ouvriers) dues par l’employeur, les contributions aux frais d’administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (Directives sur la perception des cotisations - DP, nos 8016 et 8017).

Par arrêt du 30 janvier 2020 (ATAS/79/2020), la chambre de céans a jugé qu’il n’existait pas de base légale suffisante pour rechercher les employeurs ou leurs organes pour le dommage résultant du défaut de paiement des cotisations dues en vertu de la loi instituant une assurance en cas de maternité et d'adoption du 21 avril 2005 (LAMat - J 5 07).

Selon l’art. 11A LAMat, entré en vigueur le 1er février 2023, l’employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n’observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage au fonds cantonal de compensation de l’assurance-maternité ou à la caisse de compensation AVS est tenu de le réparer. L’art. 52 de la loi sur l’assurance-vieillesse et survivants s’applique par analogie.

5.             En l'espèce, le recourant était administrateur de la société, avec signature individuelle depuis l’inscription de la société au RC jusqu’à sa radiation. Il disposait ainsi de la qualité d'organe formel de la société à teneur du RC durant toute la période pendant laquelle les cotisations sociales étaient en souffrance (soit d’avril à juillet 2016, d’avril à août 2017 et de janvier à décembre 2018), ce qui n’est pas contesté. Conformément aux dispositions précitées, il répond du dommage à titre subsidiaire. Dans sa réplique, le recourant fait valoir qu’au moment où il a décidé de ne pas remplir son devoir de versement, il avait des raisons sérieuses et objectives de penser qu’il pourrait s’acquitter des cotisations dues dans un délai raisonnable. Il n’expose toutefois pas quelles seraient ces raisons, étant rappelé que, selon la jurisprudence, il faut des éléments concrets et objectifs selon lesquels on peut admettre que la situation économique de la société se stabilisera dans un laps de temps déterminé. C’est le lieu de préciser que la société a eu des difficultés à régler ses cotisations depuis 2015 et que l’intimée l’avait alors menacée de déposer une plainte pour soustraction de cotisations. Suite à cela, la société avait fait l’objet de divers rappels, sommations et poursuites. Il appert ainsi que le recourant a commis une faute grave en laissant en souffrance les créances de la caisse intimée pendant plusieurs années, étant précisé que ces manquements sont sans aucun doute en rapport de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par l’intimée.

Le recourant soutient enfin que la décision entreprise contiendrait des incohérences s’agissant du montant du dommage. Or, dans sa réponse, la caisse intimée a détaillé l’ensemble des calculs ayant abouti aux montants mentionnés dans les différentes pièces au dossier. Elle a notamment expliqué, pièces à l’appui, que le montant du dommage s’élevait à CHF 71'194.35, duquel il convenait de retrancher les versements effectués par le recourant du 3 février au 11 juillet 2022, soit au total CHF 8'500.-. Le montant ainsi obtenu, soit CHF 62'694.35, correspond aux pièces au dossier, de sorte qu’il doit être confirmé. On précisera, enfin, que ce montant ne comprend pas le dommage lié au non-paiement des cotisations de la LAMat, ce qui est conforme à la jurisprudence de la chambre de céans. La décision en réparation ayant été rendue antérieurement au 1er février 2023, l’art. 11A LAMat ne s’applique pas au cas d’espèce.

6.             Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 89H al. 1 LPA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le