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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2667/2022

ATAS/595/2023 du 11.08.2023 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2667/2022 ATAS/595/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 11 août 2023

Chambre 9

 

En la cause

A______
représentée par son curateur, B______, représenté par Me Caroline KÖNEMANN, avocate

 

 

recourante

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1986, souffre d’une encéphalopathie grave sur délétion du chromosome 18. Elle réside à la Fondation Clair-Bois depuis ses 14 mois et bénéficie d’une rente d’assurance-invalidité et d’une allocation pour impotence grave.

b. Une curatelle de portée générale a été instituée en faveur de son père, Monsieur B______.

c. La mère de l’assurée, Madame C______ (ci-après : C______), est décédée le ______ 2020. Elle avait deux autres fils, soit D______, né en 1983 de son union avec B______, et E______, né en 1990 d’une union subséquente. Elle avait également un compagnon, F______.

d. Le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE) a désigné Me G______, aux fonctions de curateur ad hoc, avec pour tâche de représenter l’assurée dans le cadre de la succession de sa mère.

B. a. Dans un courrier reçu par le service des prestations complémentaires (ci-après : SPC) le 30 septembre 2021, le père de l’assurée a signalé un changement dans la fortune de sa fille à la suite du décès de sa mère. Selon les calculs du curateur ad hoc de l’assurée dans le cadre de la succession de sa mère, l’intéressée devait percevoir la somme de CHF 219'215.- après répartition entre ses deux frères et la vente du bien immobilier situé en France voisine.

Il a produit un courrier de Me G______ du 13 septembre 2021, selon lequel les libéralités consenties par feue C______ au profit de son compagnon et de ses fils dépassaient largement la quotité disponible. La succession avait toutefois abouti à un partage « amiable », en ce sens que les frères de l’assurée, de même que le compagnon de sa mère, avaient accepté de reconstituer sa réserve. Il n’avait dès lors pas besoin d’emprunter la voie judiciaire de l’action en réduction afin de récupérer sa part.

b. Le 26 juin 2022, le père de l’assuré a sollicité du SPC « l’arrêt total et immédiat de la procédure de baisse des prestations de [s]a fille en attendant le règlement de l’héritage ».

c. Par décision du 28 juin 2022, le SPC a informé le père de l’assurée de ce qu’il avait repris le calcul des prestations complémentaires de sa fille avec effet au 1er mars 2020, en tenant compte de l’héritage de feue sa mère. Il apparaissait ainsi qu’elle avait perçu trop de prestations pour la période du 1er mars 2020 au 30 juin 2022, soit CHF 56'612.-. Dès le 1er juillet 2022, sa prestation mensuelle s’élevait à CHF 4'152.-, hors réduction individuelle de prime d’assurance-maladie.

Selon les plans de calcul annexés à la décision, les dépenses reconnues mentionnaient le prix de la pension de CHF 86'140.-, ainsi qu’un forfait de dépenses personnelles de CHF 5'400.-. La fortune s’élevait quant à elle à CHF 217'378.15.

d. Par courrier du 8 juillet 2022, le SPC a expliqué que lorsqu’un bénéficiaire recevait un héritage d’une tierce personne, celui-ci devait être pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires dès l’ouverture de la succession, soit dès le 1er jour du mois durant lequel le décès était survenu, intérêts compris.

e. Le 13 juillet 2022, le père de l’assurée a fait opposition à cette décision. Sa fille n’avait pas encore reçu le montant de l’héritage de sa mère. Elle était dans l’incapacité d’assumer les montants réclamés par le SPC (CHF 52'612.-), par la fondation Clair-Bois (CHF 8'127.70) et par son assurance-maladie (CHF 600.- par mois). Il était à la retraite et ne pouvait pas régler ces montants.

f. Par courrier du 25 juillet 2022, la notaire en charge de la succession de la mère de l’assurée en France a confirmé que l’intéressée était héritière à concurrence d’un tiers en nue-propriété d’un bien immobilier à Seyssel. Ses deux frères étaient également héritiers à concurrence d’un tiers en nue-propriété chacun dudit bien et le partenaire de pacte civil de solidarité survivant de feue C______ était légataire de l’usufruit dudit bien, évalué à 40% de la valeur en pleine propriété. En cas de vente du bien, l’assurée percevrait environ EUR 58'000.-, à charge pour elle de supporter sa quote-part du passif de la succession, soit environ CHF 10'000.-. L’assurée devait également percevoir des indemnités de réduction dues par le partenaire survivant de sa mère d’un montant de EUR 160'000.- et par ses deux frères d’un montant d’environ EUR 14'000.- (soit EUR 7'000.- chacun). Ces sommes ne pourraient être versées à l’assurée que lors du règlement définitif de la succession, qui ne pourrait intervenir qu’une fois le bien de Seyssel vendu, puisque le partenaire survivant de feue C______ ne pouvait régler l’indemnité de réduction qu’il devait sans percevoir sa part du prix de vente de ce bien. Or, la vente du bien de Seyssel était actuellement bloquée car elle n’avait plus de nouvelles du partenaire survivant de C______. L’assurée n’avait dès lors perçu aucune somme dans le cadre du règlement de la succession de sa mère.

g. Par décision sur opposition du 5 août 2022, le SPC a maintenu sa décision. Conformément à la jurisprudence, la part d’héritage d’un assuré devait être prise en considération dès le premier jour du mois lors duquel était survenu le décès du défunt. C’était donc à juste titre que le SPC avait tenu compte de sa part d’héritage à compter du 1er mars 2020, soit au moment du décès de la mère de l’assurée.

h. Le 15 août 2022, le père de l’assurée a formellement contesté la diminution de ses prestations avant qu’elle ne touche son héritage.

C. a. Par acte du 7 septembre 2022, l’assurée a formé recours devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre la décision sur opposition du SPC, concluant à son annulation.

Le SPC n’avait pas tenu compte des charges complètes de l’assurée. Il n’avait retenu qu’une pension de CHF 86'140.- alors qu’elle s’élevait à CHF 97'532.40, soit CHF 8'127.- par mois, montant auquel s’ajoutait le camp du mois de juillet 2022 de CHF 600.-.

S’agissant de la fortune de l’intéressée, le SPC n’avait pas tenu compte du fait qu’elle n’avait hérité du bien immobilier qu’en nue-propriété. Or, selon la législation fiscale cantonale, la nue-propriété n’était pas imposable. À ce titre, elle ne pouvait pas être prise en compte par le SPC. S’ajoutait à cela que l’assurée ne disposait que de l’action en réduction contre ses co-héritiers. Compte tenu du risque d’entamer une procédure judiciaire à l’étranger, dont le succès n’était jamais garanti, il convenait de retenir que l’assurée ne disposait en réalité d’aucune prétention successorale.

b. Le 10 octobre 2022, le SPC a répondu que les dépenses reconnues pour les personnes vivant en permanence dans un home comprenaient uniquement la taxe journalière pour chacune des journées facturées par le home. Or, il ressortait des factures produites que la taxe journalière s’élevait à CHF 236.-, soit CHF 86'140.- par an. Ce montant devait dès lors être confirmé. En ce qui concernait sa part de succession, le SPC confirmait sa position.

c. Par réplique du 21 novembre 2022, l’assurée a relevé qu’elle ne disposait toujours pas de la succession de sa mère. Le SPC ne pouvait se fonder sur une fortune qui n’existait pas.

d. Lors de l’audience de comparution personnelle du 17 mai 2023, le père de l’assurée a indiqué que les deux appartements de Ferney-Voltaire avaient été vendus au profit des deux frères il y avait environ un an. Sa fille n’avait rien retiré de cette vente. L’actif successoral de EUR 877'400.- tenait compte des deux appartements de Ferney-Voltaire et de la maison à Seyssel. Il n’y avait rien d’autre dans son actif successoral. S’agissant de la maison de Seyssel, les locataires avaient reçu l’ordre de partir. La maison faisait l’objet d’une expertise pour évaluer les travaux nécessaires. Elle serait vendue en tenant compte de prix des travaux à effectuer. Le montant de EUR 290'000.- tenait compte du fait que la maison était grevée d’un usufruit. Les frères et le compagnon de C______ étaient toujours d’accord de restituer la part de réserve qui revenait à sa fille, de sorte qu’il ne serait pas nécessaire d’agir par la voie de l’action en réduction.

La représentante du SPC n’a pas contesté que la maison de Seyssel était grevée d’un usufruit.

À l’issue de l’audience, un délai a été imparti à la recourante pour produire les pièces relatives à l’actif successoral et l’évaluation par l’expert de la maison de Seyssel.

e. Le 7 juin 2023, le père de la recourante a produit plusieurs pièces, dont un courriel de Me MOREL du 26 mai 2023, selon lequel le bien à Seyssel devait être vendu pour que l’intéressée puisse obtenir des liquidités par prélèvement sur le prix de vente devant lui revenir et pour que F______ puisse lui verser l’indemnité de réduction qu’il lui devait par prélèvement sur la quote-part du prix de vente qui devait lui revenir, ainsi qu’un courriel de Me G______ du 6 juin 2023, l’informant de ce qu’il était toujours dans l’attente de l’évaluation de l’expert. Il a également transmis l’acte de liquidation de succession.

f. Le 21 juin 2023, le SPC a maintenu ses conclusions.

g. Le 10 juillet 2023, l’assurée a transmis une expertise concernant le bien de Seyssel datée du 11 mai 2023.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA; art. 9 de la loi cantonale du 14 octobre 1965 sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à
l’assurance-invalidité [LPFC - J 4 20]; art. 43 LPCC).

2.              

2.1 Dans le cadre de la réforme de la LPC, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, de nombreuses dispositions ont été modifiées (FF 2016 7249; RO 2020 585).

En vertu des dispositions transitoires de la modification du 22 mars 2019 (Réforme des PC), l’ancien droit reste applicable pendant trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente modification aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels la réforme des prestations complémentaires entraîne, dans son ensemble, une diminution de la prestation complémentaire annuelle ou la perte du droit à la prestation complémentaire annuelle (al. 1).

À teneur de la circulaire concernant les dispositions transitoires de la réforme des PC (C-R PC), valable dès le 1er janvier 2021, les dispositions du droit transitoire ne s’appliquent qu’aux cas en cours. À partir du 1er janvier 2021, les nouveaux cas sont exclusivement régis par le nouveau droit (ch. 1301). Sont considérés comme cas en cours ceux pour lesquels le droit à la prestation complémentaire a pris naissance avant le 1er janvier 2021. Sont considérés comme cas nouveaux ceux pour lesquels le droit à la prestation complémentaire prend naissance après le 31 décembre 2020 (ch. 1303).

Afin de déterminer si l’ancien ou le nouveau droit est plus favorable aux cas en cours au 1er janvier 2021, il faut dresser une comparaison en établissant un calcul selon l’ancien droit et un autre selon le nouveau droit (ch. 2101).

Pour les cas où la fortune au 1er janvier 2021 dépasse le seuil prévu à l’art. 9a al. 1 LPC, il n’est pas nécessaire d’établir un calcul comparatif, car les conditions d’octroi de la prestation complémentaire ne seraient plus remplies dans le nouveau droit. Dans cette situation, il faut continuer de calculer la prestation complémentaire conformément à l’ancien droit (ch. 2103).

Pour le calcul de la prestation complémentaire conformément à l’ancien droit, il faut donc tenir compte des dispositions de la LPC et de l'ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC-AVS/AI - RS 831.301), dans leur version en vigueur le 31 décembre 2020 et des Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI [DPC] valables dès le 1er avril 2011 dans l’état au 1er janvier 2020 (ch. 2222).

2.2 En l’espèce, la période de calcul visée par la décision litigieuse s’étend du 1er mars 2020 au 31 décembre 2021. Au 1er janvier 2021, la fortune de l’intéressée dépassait le seuil prévu à l’art. 9a al. 1 let. a LPC (CHF 100'000.- pour les personnes seules). Par conséquent, conformément aux dispositions transitoires et au ch. 2103 de la circulaire précitée, c’est le droit en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020 qui est applicable, de sorte que les dispositions légales pertinentes seront citées dans cette teneur.

3.             Le litige porte sur le montant des prestations complémentaires pour la période du 1er mars 2020 au 31 décembre 2021, en particulier sur l’intégration dans les calculs du SPC de la part de succession de la recourante suite au décès de sa mère.

3.1 Sur le plan fédéral, les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse et qui remplissent les conditions personnelles prévues aux art. 4, 6 et 8 LPC ont droit à des prestations complémentaires. Ont ainsi droit aux prestations complémentaires notamment les personnes qui perçoivent une rente de l'assurance-invalidité, conformément à l'art. 4 al. 1 let. c LPC.

Les prestations complémentaires fédérales se composent de la prestation complémentaire annuelle et du remboursement des frais de maladie et d’invalidité (art. 3 al. 1 LPC). L’art. 9 al. 1 LPC dispose que le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants.

3.1.1 Selon l’art. 11 al. 1 LPC, les revenus déterminants comprennent notamment : le produit de la fortune mobilière et immobilière (let. b) et un quinzième de la fortune nette, un dixième pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, dans la mesure où elle dépasse CHF 37'500.- pour les personnes seules (let. c). Pour les personnes vivant dans un home ou dans un hôpital (comme en l'espèce), les cantons peuvent fixer le montant de la fortune qui sera pris en compte en dérogeant à l’al. 1 let. c. Les cantons sont autorisés à augmenter, jusqu’à concurrence d’un cinquième, ce montant (al. 2). Le canton de Genève a fait usage de cette possibilité. Selon l'art. 2 al. 2 LPFC, pour les personnes vivant dans un home ou dans un établissement médico-social, en dérogation à l'art. 11 al. 1 let. c LPC, la part de la fortune nette prise en compte dans le calcul du revenu déterminant est de un huitième, respectivement de un cinquième pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, après déduction des franchises prévues par cette disposition.

3.1.2 La fortune, au sens de l'art. 11 al. 1 let. b et c LPC, comprend toutes les choses mobilières et immobilières ainsi que les droits personnels et réels qui sont la propriété de l'assuré et qui peuvent être transformés en espèces (par le biais d'une vente ou d'un nantissement par exemple) pour être utilisés (Urs MÜLLER, Bundesgesetz über Ergäzungsleistungen zur Alters-, Hinterlassenen- und Invalidenversicherung, 2006 n. 35, Ralph JÖHL/Patricia USINGER-EGGER, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Band XIV, Soziale Sicherheit, 2016, p. 1844 s n. 163). Ainsi, font notamment partie de la fortune : les gains à la loterie, la valeur de rachat d'une assurance-vie, l'épargne, les actions, les obligations, les successions, les versements en capital d'assurances, l'argent liquide (MÜLLER, op. cit., n. 35).

De manière constante, le Tribunal fédéral retient que lors du calcul de la prestation complémentaire, la part d’héritage d’un bénéficiaire de prestations complémentaires doit être prise en compte dès l'ouverture de la succession qu’il acquiert de plein droit (art. 560 al. 1 CC), soit au décès du de cujus (cf. art. 537 al. 1 CC) et non seulement à partir du moment où le partage est réalisé (arrêts du Tribunal fédéral des assurances P 22/06 du 23 janvier 2007, in RCC 1992 p. 347 ; P 61/04 du 23 mars 2006 consid. 4 ; P 54/02 du 17 septembre 2003 consid. 3.3 ; ATAS/301/2022 du 1er avril 2022 consid. 7 ; ATAS/122/2021 du 17 février 2021 consid. 6 et les références mentionnées ; Erwin Carigiet,
Ergänzungs-leistungen zur AHV/IV, 3e éd. 2021, n. 593).

Le Tribunal fédéral justifie sa jurisprudence par le fait que les membres d'une communauté héréditaire sont propriétaires et disposent en commun des biens qui dépendent de la succession (cf. art. 602 al. 1 CC). Dans une propriété indivise, chaque propriétaire peut disposer individuellement de la part au produit de la liquidation lorsque l'indivision est dissoute, par exemple par cession et mise en gage (cf. art. 635 CC). De cette façon, le droit d'un héritier sur la part de la succession ou de la liquidation qui lui revient peut être aliéné et utilisé déjà avant le partage (RCC 1992 p. 347 consid. 2c et 2d). En outre, si on prenait en compte la part de l'héritage au moment du partage, les bénéficiaires de prestations complémentaires pourraient être tentés de retarder le plus longtemps possible le partage pour pouvoir continuer à percevoir lesdites prestations (Erwin CARIGIET, op. cit., n. 593ss).

En vertu de l'art. 17 OPC-AVS/AI, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2020, la fortune prise en compte est évaluée selon les règles de la législation sur l'impôt cantonal direct du canton du domicile (al. 1).

3.1.3 Ne sont pas pris en considération les immeubles qui appartiennent au bénéficiaire de prestations complémentaires mais sont grevés d’un usufruit ou d’un droit d’habitation dans les revenus déterminants (DPC, ch. 3443.07).

La transformation de la fortune en revenu suppose que celle-ci se compose – à tout le moins s’agissant de la partie prise en considération à titre de revenu – de liquidités (argent liquide ou créances exigibles). Il en résulte qu’outre les liquidités effectivement disponibles, seules les valeurs patrimoniales qui peuvent être transférées à des tiers de manière onéreuse, cédées ou converties en liquidités d’une autre manière, peuvent être prises en compte lors de la fixation du revenu déterminant. Les éléments de fortune qui ne peuvent être convertis en argent ne doivent pas être retenus lors de la détermination de la fortune au sens de l’art. 11 al. 1 let. c LPC, dès lors qu’ils ne peuvent être affectés au financement des besoins vitaux (Ralph JÖHL / Patricia USINGER-EGGER, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Band XIV, Soziale Sicherheit, 3ème éd. 2016, pp. 1842-1843 n. 161).

Ces principes ont donné lieu à la jurisprudence suivante en matière d’usufruit. Le Tribunal fédéral a relevé que l’usufruitier peut user et jouir de la chose mais qu’il ne peut en disposer, et que partant, un élément patrimonial grevé d’usufruit ne peut être considéré comme fortune. Cette conclusion est également valable pour le nu-propriétaire, qui ne peut se voir imputer son immeuble à titre de fortune. Une pratique contraire aurait pour résultat qu’un revenu serait admis par le biais de la fortune transformée, alors même que le nu-propriétaire ne peut disposer de son immeuble au vu des droits de l’usufruitier (ATF 122 V 394 consid. 6a).

Cette jurisprudence a été reprise par la chambre de céans (ATAS/371/2018 du 2 mai 2018 consid. 9 ; ATAS/870/2016 du 20 octobre 2016 consid. 9), ainsi que par une partie de la doctrine (Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI, 2015, pp. 144-145, n° 45 ad art. 11 ; Erwin CARIGIET/Uwe KOCH, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, 3e éd. 2021, p. 163). Elle se heurte en revanche à une critique de JÖHL et USINGER-EGGER, qui considèrent que le fait qu’un usufruit grève un bien immobilier n’en exclut ni la vente ni la mise en gage, et qu’on ne peut partir du principe qu’il est impossible de trouver un acquéreur pour un immeuble grevé d’un usufruit. Selon ces auteurs, le propriétaire d’un immeuble grevé d’un usufruit doit se voir imputer une fortune transformée en revenu, dont le montant sera toutefois sensiblement inférieur à la valeur qu’aurait l’immeuble sans usufruit (JÖHL/USINGER-EGGER, op. cit., note de bas de page 683, p. 1843).

3.1.4 Quant aux dépenses, l'art. 10 LPC énumère - de manière exhaustive - les dépenses reconnues. Ce montant inclut notamment les frais de nourriture, d'habillement, de soins corporels de consommation d'énergie (électricité, gaz, etc.), de communication, de transport ou de loisirs (arrêt du Tribunal fédéral 9C_945/2011 du 11 juillet 2012 consid. 5.1 et les références).

Selon l'art. 10 al. 2 LPC, pour les personnes qui vivent en permanence ou pour une longue période dans un home ou dans un hôpital, les dépenses reconnues comprennent : la taxe journalière ; les cantons peuvent fixer la limite maximale des frais à prendre en considération en raison du séjour dans un home ou dans un hôpital; les cantons veillent à ce que le séjour dans un établissement médico-social reconnu ne mène pas, en règle générale, à une dépendance de l'aide sociale (let. a); un montant, arrêté par les cantons, pour les dépenses personnelles (let. b).

Si la taxe journalière d’un home ou d’un hôpital comprend les frais de soins en faveur d’une personne impotente, l’allocation pour impotent de l’AVS, de l’AI, de l’assurance militaire ou de l’assurance-accidents seront pris en compte comme revenus (art. 15b OPC-AVS/AI).

Selon les directives concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI (DPC), teneur au 1er janvier 2019, le montant pour les dépenses personnelles comprend l’argent de poche et d’autres dépenses encore (tels que vêtements, articles d’hygiène, journaux, impôts, etc.).

Selon l’art. 3 al. 3 du règlement relatif aux prestations cantonales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 25 juin 1999 (RPCC - AVS/AI - J 4 25.03), le forfait pour dépenses personnelles s’élève à CHF 5'400.- par an pour les personnes invalides. Il est versé par mensualités avec la prestation.

3.2 Sur le plan cantonal, ont droit aux prestations complémentaires cantonales les personnes qui remplissent les conditions de l'art. 2 LPCC et dont le revenu annuel déterminant n'atteint pas le revenu minimum cantonal d'aide sociale applicable (art. 4 LPCC).

Selon l'art. 2A LPCC, en application de l'art. 7 al. 1 de la loi fédérale sur les institutions destinées à promouvoir l'intégration des personnes invalides, du 6 octobre 2006 (LIPPI - RS 831.26), une personne invalide vivant dans un home peut toucher des prestations complémentaires cantonales si : elle est domiciliée dans le canton de Genève (let. a) : et à défaut de pouvoir toucher des prestations complémentaires, elle doit faire appel à l'aide sociale (let. b). Les prestations des personnes vivant dans un home, accordées en vertu de l'al. 1, sont calculées selon les règles prévues pour les prestations complémentaires fédérales (al. 2).

Le montant annuel de la prestation complémentaire correspondant correspond à la part des dépenses reconnues qui excède le revenu annuel déterminant de l'intéressé (art. 15 al. 1 LPCC).

Selon l'art. 5 LPCC, le revenu déterminant est calculé conformément aux règles fixées dans la LPC et ses dispositions d'exécution, moyennant les adaptations suivantes : les prestations complémentaires fédérales sont ajoutées au revenu déterminant (let. a); et, en dérogation à l'art. 11 al. 1 let. c LPC, la part de la fortune nette prise en compte dans le calcul du revenu déterminant est de un huitième, respectivement de un cinquième pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, et ce après déduction (let. c) : des franchises prévues par cette disposition (ch. 1) ; du montant des indemnités en capital obtenues à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice corporel, y compris l'indemnisation éventuelle du tort moral (ch. 2).

Les dépenses reconnues sont celles énumérées par la loi fédérale et ses dispositions d'exécution à l'exclusion du montant destiné à la couverture des besoins vitaux, remplacé par le montant destiné à garantir le revenu minimum cantonal d'aide sociale défini à l'art. 3 (art. 6 LPCC).

Selon l'art. 7 LPCC, la fortune comprend la fortune mobilière et immobilière définie par la LPC et ses dispositions d'exécution (al. 1). La fortune est évaluée selon les règles de la LIPP, à l'exception notamment des règles concernant les déductions sociales sur la fortune, prévues aux art. 50 let. e et 58 de ladite loi, qui ne sont pas applicables. Les règles d'évaluation prévues par la LPC et ses dispositions d'exécution sont réservées (al. 2).

Pour la fixation des prestations complémentaires cantonales, sont déterminantes, les rentes, pensions et autres prestations périodiques de l'année civile en cours (art. 9 let. a LPCC), la fortune au 1er janvier de l'année pour laquelle la prestation est demandée (let. b). En cas de modification importante des ressources ou de la fortune du bénéficiaire, la prestation est fixée conformément à la situation nouvelle (al. 3).

3.3 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

 

 

4.              

4.1 Devant la chambre de céans, la recourante invoque en premier lieu une mauvaise appréciation des faits, faisant valoir que l’intimé n’a retenu, dans ses calculs, que CHF 86'000.- à titre de pension, alors que celle-ci s’élèverait en réalité à CHF 97'532.40.

Il ressort des factures versées au dossier que la fondation Clair-Bois a facturé à la recourante, pour le mois de mai 2022, un montant total de CHF 8'127.70, soit CHF 7'316.- de jours en résidence (soit CHF 236.- par jour), CHF 486.70 de jours d’allocation pour impotence grave, CHF 225.- de forfait de dépenses personnelles et CHF 100.- de contribution aux prestations thérapeutiques. Pour le mois de juin 2022, la fondation a facturé un montant total de CHF 8'476.-, soit CHF 7'080.- de jours en résidence (soit CHF 236.- par jour), CHF 471.- de jours d’allocation pour impotence grave, CHF 225.- de forfait de dépenses personnelles, CHF 100.- de contribution aux prestations thérapeutiques et CHF 600.- de participation à un camp.

Or, conformément à l’art. 10 al. 2 LPC, les dépenses reconnues comprennent uniquement la taxe journalière et les dépenses personnelles. Dans la mesure où la taxe journalière s’élève à CHF 236.-, c’est à juste titre que l’intimé a tenu compte, dans les dépenses, d’un prix de pension de CHF 86’140.- (CHF 236.- x 365 jours). Contrairement à ce que soutient la recourante, il n’y a pas lieu de tenir compte, dans les dépenses, du montant réclamé par la fondation Clair-Bois à titre de jours d’allocation pour impotence grave. En effet, dans la mesure où ce montant n’est pas compris dans la taxe journalière de CHF 236.-, il n’a pas été pris en compte par l’intimé dans les revenus de la recourante, et cela conformément à l’art. 15b OPC-AVS/AI. Ce procédé n’emporte pas la critique. Quant aux montants facturés à titre de dépenses personnelles (CHF 225.-), de contributions aux prestations thérapeutiques (CHF 100.-) et de camp de vacances (CHF 600.- pour le mois de juin 2022), force est de relever qu’ils sont inférieurs au forfait retenu par l’intimé à titre de dépenses personnelles (CHF 5'400.-). On notera d’ailleurs que le camp de vacances a entraîné une diminution du prix de résidence, sans que l’intimé n’en ait tenu compte dans les dépenses de la recourante.

Ainsi, en tant qu’elle tient compte d’un prix de pension de CHF 86'140.- et d’un forfait de dépenses personnelles de CHF 5'400.-, la décision entreprise est conforme au droit.

4.2 La recourante conteste ensuite la prise en compte de sa part dans la succession de sa mère.

À titre liminaire, il convient de préciser que, contrairement à ce que soutient la recourante, c’est à bon droit que l’intimé, se fondant sur la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, a recalculé les prestations dues à la recourante en prenant en compte sa part d'héritage dès l'ouverture de la succession et non dès le partage effectif, même s'il s'agissait encore d'un montant fictif. Cette part était en effet suffisamment déterminée et tous les héritiers et leurs quotes-parts étaient connus.

Reste à voir si le montant retenu par l’intimé, à titre de fortune, est fondé.

Dans la décision entreprise, l’intimé a tenu compte d’une fortune de CHF 217'378.15, correspondant à la part dont l’assurée a hérité de sa mère. Conformément à un avis rédigé par sa notaire française, confirmé par la liquidation des droits dans la succession de C______ produite devant la chambre de céans le 8 juin 2023, ce montant se décompose comme suit : environ EUR 58'000.- correspondant à un tiers en nue-propriété d’un bien immobilier sis en France voisine (montant dont il faut retrancher EUR 10'000.- de quote-part du passif de la succession), environ EUR 160'000.- d’indemnités de réduction dues par le partenaire survivant et environ EUR 14'000.- d’indemnités de réduction dues par ses frères. Il ressort du même avis que le partenaire survivant est légataire de l’usufruit du bien immobilier, évalué à 40% de la valeur en pleine propriété compte tenu de son âge. Dans son courriel du 26 mai 2023, la notaire a ajouté que l’indemnité de réduction due à la recourante par le partenaire survivant de sa mère ne pourrait lui être versée qu’après la vente du bien immobilier. Quant aux indemnités de réduction dues par les frères de l’intéressée, elles avaient d’ores et déjà été prélevées sur les prix de vente des appartements de Ferney-Voltaire afin de régler les droits de succession de la recourante.

Or, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral (cf. ATF 122 V 394 consid. 6a), reprise dans les DPC et par la chambre de céans dans sa jurisprudence, l’existence d’un droit d’usufruit en faveur d’un tiers implique de renoncer à tenir compte de la valeur de l’immeuble à titre de fortune transformée en revenu. Cette conclusion vaut même si le droit applicable à la succession est le droit français (cf. ATAS/371/2018 précité consid. 9).

Il suit de là que dans la mesure où une partie de l’héritage concerne un immeuble grevé d’un usufruit, c’est à tort que l’intimé en a tenu compte dans la fortune de l’intéressée.

4.3 Eu égard à ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision de l’intimé annulée et la cause renvoyée à ce dernier pour calcul des prestations complémentaires au sens des considérants.

5.             La recourante, qui obtient partiellement gain de cause par l’intermédiaire d’une avocate, a droit à des dépens qui seront fixés en l’espèce à CHF 1'000.- (art. 61 let. g LPGA).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA).

 

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PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision du 5 août 2022.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour calcul des prestations complémentaires au sens des considérants.

5.        Condamne l’intimé à verser à la recourante une indemnité de CHF 1'000.- à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le