Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/637/2025 du 10.06.2025 ( FORMA ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2847/2024-FORMA ATA/637/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 10 juin 2025 1ère section |
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dans la cause
A______ recourant
contre
DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé
A. a. A______, né le ______2007, a suivi une scolarité normale jusqu'à la fin du cycle d'orientation (ci-après : CO), en juillet 2021. Il a entamé en août 2022 une formation de culture générale (ci-après : ECG) au sein de l'école de commerce et de culture générale B______.
b. Au terme du premier semestre de sa première année, en janvier 2023, il ne satisfaisait pas aux conditions de promotion, avec une moyenne générale de 3.8, cinq disciplines insuffisantes et une somme des écarts négatifs à la moyenne de 2.6. Il avait par ailleurs accumulé 55 heures d'absences non excusées, cinq arrivées tardives, quatorze renvois et une salle de renvoi. Tout en reconnaissant son potentiel, son enseignant de classe déplorait son manque d'investissement et préconisait un rendez-vous avec la conseillère en orientation afin de « construire un projet ».
Au terme de sa première année, en juin 2023, il ne satisfaisait toujours pas aux conditions de promotion en deuxième année, avec une moyenne générale de 3.8, six disciplines insuffisantes et une somme des écarts négatifs à la moyenne de 3. Il avait accumulé au cours du seul deuxième semestre 103 absences non excusées, neuf arrivées tardives, 26 renvois et une salle de renvoi. Pour son enseignant de classe, il avait de bonnes capacités mais devait travailler davantage en classe et à la maison, ses nombreuses absences pouvant par ailleurs contribuer à expliquer sa non-promotion.
c. Le 21 juin 2023, A______ et ses parents ont demandé qu'il soit promu par dérogation en deuxième année. Cette demande a été rejetée par la direction de l'établissement, qui a toutefois autorisé l'élève à répéter sa première année.
d. Au terme du premier semestre de sa première année redoublée, A______ ne satisfaisait à nouveau pas aux conditions de promotion en deuxième année, avec une moyenne générale de 3.5, six disciplines insuffisantes et une somme des écarts négatifs à la moyenne de 5.4. Il avait accumulé 41 absences non excusées, quatre arrivées tardives, 25 renvois et six salles de renvoi.
Il n'a pas été testé au second semestre de sa première année redoublée.
e. À une date ne résultant pas du dossier, la direction de l'école de commerce et de culture générale B______ a signifié à A______ sa non-promotion et son échec dans la filière de culture générale.
f. Le 6 juin 2024, l'élève et ses parents ont adressé au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse, direction générale de l'enseignement secondaire II (ci-après : DGES II), une demande de triplement de sa première année d'ECG, de manière à pouvoir poursuivre sa scolarité dans cette filière.
La péjoration de ses résultats scolaires remontait au deuxième trimestre de sa 11e année de scolarité, soit la dernière année du CO. Avec le recul, elle pouvait être attribuée à une maladie psychique évolutive ayant eu, au fil du temps, des effets significatifs et négatifs sur sa motivation et ses capacités cognitives, l'empêchant de suivre une scolarité normale. Au cours des deux années et demi précédentes, il avait subi de nombreux examens médicaux et, depuis le mois de novembre 2023, il était suivi par l'office médico-pédagogique (ci-après : OMP). À la suite d'une aggravation de ses symptômes, survenue en mai 2024, ses médecins en coordination avec l'OMP lui avaient prescrit des médicaments, dont on pouvait espérer qu'ils lui permettent de retrouver ses capacités. Il souhaitait reprendre ses études au sein de l'ECG en filière sociale.
g. L'intervention de l'OMP, mentionnée dans la demande de triplement de l'élève, a fait l'objet d'un rapport daté du 13 mars 2023 (recte : 2024 ; ci-après : le rapport du 13 mars 2024) couvrant la période du 13 décembre 2023 au 17 janvier 2024, établi par C______, psychologue, et D______, psychologue psychothérapeute cadre.
Il en ressort que l'OMP avait été mis en œuvre en novembre 2023 par la mère de l'élève, sur conseil de l'établissement scolaire.
Selon l'anamnèse figurant dans ce rapport, les parents de A______ avaient constaté chez lui une « dégringolade » (désinvestissement des activités de loisir, diminution des capacités cognitives, difficultés de motivation et chute des résultats scolaires) à partir du milieu du CO, période ayant coïncidé avec le début d'une consommation de cannabis. Un bilan neurologique établi à l'été 2023 avait mis en évidence des difficultés sur le raisonnement abstrait, une très grande lenteur dans la prise d'informations visuelles, une dysgraphie et des faiblesses langagières majorées par une mémoire de travail « limite ». Un bilan en logopédie avait suivi en septembre 2023, qui avait permis d'établir l'existence d'un trouble spécifique du langage écrit, de type dyslexie-dysorthographie, se caractérisant par une fatigabilité en cours de lecture et une fluence en lecture ralentie pouvant engendrer des difficultés de compréhension écrite. Des mesures d'aménagement scolaires avaient alors été préconisées.
L'établissement scolaire avait fait état de certaines « étrangetés » dans les interactions de l'élève avec les tiers au cours de l'année 2023. Celui-ci aurait ainsi eu des paroles et des gestes inappropriés à l'égard de certaines élèves ; interpellé par le personnel de l'établissement, il aurait expliqué de manière détachée du réel que les élèves concernées avaient raconté des histoires par jalousie parce qu'il était « le plus beau ». Il aurait tenu le même genre de propos grandioses à son père. À une reprise, après une légère altercation avec un enseignant, il avait frappé très fort contre un mur, se blessant à la main.
A______ indiquait avoir commencé à consommer du cannabis à l'âge de 14 ans mais avoir aujourd'hui mis un terme à cette consommation, ce dont son entourage familial et scolaire doutait.
Les auteurs du rapport ne retenaient pas de diagnostic psychiatrique spécifique. Sous un angle clinique, ils soulignaient toutefois des signes de détérioration du fonctionnement psychologique de l'élève depuis le début de sa consommation de cannabis, allant de pair avec une modification comportementale au sein des différentes sphères de son environnement. Ces inquiétudes étaient renforcées par un échec scolaire progressif et, plus récemment, des comportements inadéquats et des difficultés relationnelles. Les difficultés scolaires pouvaient certes être en partie expliquées par les diagnostics dits « dys » posés par les spécialistes, mais la survenue tardive de ces troubles devait conduire à investiguer leur origine en prenant en compte le fonctionnement global de l'élève. Bien qu'il conserve le contact avec la réalité, celui-ci présentait des signes évocateurs de perturbations psychiques s'installant de manière progressive. Sa situation méritait donc une attention particulière, d'autant plus primordiale en cas de poursuite de la consommation de cannabis.
Un accompagnement thérapeutique, sous forme d'une séance de psychothérapie hebdomadaire, était nécessaire pour soutenir l'élève dans ses difficultés. Dans la mesure où, en l'état, il ne reconnaissait pas ses difficultés, soit par incapacité de se rendre compte de ses propres troubles soit par crainte d'une perte de contrôle et d'un effondrement de sa structure psychique, il risquait toutefois de percevoir un tel accompagnement thérapeutique comme une menace.
h. Par décision du 6 août 2024, la DGES II a rejeté la demande de triplement du 6 juin 2024.
La situation devait être appréhendée sous l'angle de l'art. 31 du règlement de l'enseignement secondaire II et tertiaire B du 29 juin 2016 (REST - C 1 10.31), dont l'al. 4 prévoyait qu'un élève ayant bénéficié d'un redoublement ne pouvait prétendre à un triplement, l'al. 7 réservant toutefois la possibilité d'accorder un redoublement supplémentaire pour de justes motifs, tels que des problèmes de santé ou un accident.
Dans le cas d'espèce, l'élève était atteint dans sa santé depuis deux ans, ce qui pouvait expliquer son échec. Il convenait toutefois, avant qu'il puisse poursuivre un cursus scolaire, que son état de santé soit stabilisé, faute de quoi il n'était pas possible de poser un pronostic favorable à la réussite de la première année de l'ECG. Or, une assurance à cet égard faisait défaut.
B. a. Par acte adressé le 4 septembre 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a formé recours contre la décision du 6 août 2024, concluant à son annulation, à ce que la stabilisation de son état de santé soit prise en compte, à ce que tout soit mis en œuvre pour qu'il puisse réintégrer rapidement l'ECG avec des aménagements tenant compte des semaines de scolarité manquées, et à ce qu'il soit demandé à la DGES II de s'interroger sur son processus de décision.
Ce n'était qu'en mai 2024 que, après de nombreux mois de tests et de questionnements, les troubles dont il souffrait, et qui lui avaient coûté deux ans de scolarité, avaient enfin pu être diagnostiqués au terme d'un processus complexe. Il avait alors pu commencer un traitement. La décision contestée avait été prise sans que la DGES II se procure auprès de l'OMP les informations médicales utiles pour apprécier si son état s'était stabilisé. Elle était fondée sur de simples présomptions et ne tenait pas compte de ses souhaits.
b. Dans sa réponse du 20 septembre 2024, la DGES II a conclu au rejet du recours.
L'élève n'ayant pu être testé au cours du second semestre de la première année répétée, c'était à juste titre que la direction de l'établissement avait constaté sa non‑promotion en deuxième année.
La décision de refus d'octroyer un triplement de la première année ECG avait été prise après considération du rapport de l'OMP du 13 mars 2024. Les nombreuses absences, arrivées tardives et renvois accumulés par l'élève n'avaient donc pas été pris en considération, dès lors qu'il avait été considéré qu'ils étaient en relation avec sa maladie. Il résultait cela étant dudit rapport, ainsi que de la demande de triplement du 6 juin 2024, qu'aucune certitude n'existait, en l'état du dossier à la date de la décision, sur l'adhésion du recourant à une thérapie ni sur les effets à long terme du traitement sur sa capacité à reprendre une formation appelée à s'étendre sur au moins trois années. Bien que le recours mentionne, en se référant à l'avis des « médecins qui le suivent », que l'état de santé de l'élève serait désormais stabilisé, aucun élément probatoire, et notamment aucun certificat médical, ne confirmait cette constatation. Un pronostic de succès dans la filière de culture générale ne pouvait donc être posé.
c. A______, assisté de ses parents, a été entendu le 17 mars 2025 par la chambre de céans.
Il n'avait pas été testé lors du second semestre de l'année scolaire 2023/2024 car il n'avait plus pu se rendre à l'école à compter du mois d'avril 2024, pour des raisons de santé. Il n'avait ainsi pas pu se présenter aux épreuves communes de fin d'année scolaire. Dès le mois d'avril 2024, il avait suivi une fois par semaine des séances de psychothérapie avec C______ (l'un des auteurs du rapport du 13 mars 2024) ainsi, que, une fois par mois, des séances avec le docteur E______, psychiatre auprès de l'OMP, qui lui avait prescrit des médicaments. Après un certain temps, les séances de psychothérapie s'étaient espacées avant de prendre fin au début de l'année 2025. Les séances avec le Dr E______ se poursuivaient encore, et il continuait à prendre des médicaments. Il avait aujourd'hui l'impression d'aller mieux, ce que ses médecins confirmaient.
Il avait commencé l'année scolaire 2024/2025 au sein des parcours individualisés, ce qui lui avait permis de faire de nombreux stages professionnels et en écoles professionnelles, notamment dans le domaine social, ce qui lui avait plu. Il avait l'intention de se présenter aux tests d'entrée au centre de formation professionnelle (CFP) social mais avait également postulé à de nombreuses places d'apprentissage ainsi qu'au CFP constructions. Sa préférence allait cependant à la poursuite de son parcours à l'ECG, en filière sociale.
Pour les parents de l'élève, les pertes cognitives étaient apparues petit à petit sur une longue durée, avec pour effet une péjoration de ses résultats scolaires alors qu'il était un bon élève. Il avait été difficile et long de poser un diagnostic. À la fin du mois de mars 2024, leur fils avait de grandes difficultés à parler, était affecté d'oublis et de pertes cognitives : le Dr E______ avait dû être consulté en urgence et leur fils avait dû arrêter l'école. À la suite des examens médicaux conduits en avril 2024, ils étaient demeurés en contact régulier avec la direction de l'école et une réunion était prévue le 13 août 2024. La décision contestée, datée du 6 août 2024, avait été rendue sans qu'ils soient entendus sur l'évolution de la situation, et sans même que l'opinion du médecin traitant de leur fils soit requise.
Les parents de l'élève ont produit en audience une nouvelle version du rapport du 13 mars 2024, complétée d'un nouveau chapitre intitulé « mise à jour au 12.08.2024 ». Il en ressort que l'élève avait été reçu en entretien en mai 2024 à la suite d'une péjoration de son état psychique. Selon les indications données par son père, il était dans un état de grande régression, avec des comportements comparables à ceux d'un enfant jeune, une difficulté à s'exprimer clairement et des épisodes réguliers de rires immodérés ; il aurait par ailleurs tenté de se déshabiller en classe. Lors de l'entretien, des symptômes psychotiques avaient été objectivés et il avait été convenu d'entamer un traitement médicamenteux associé à un suivi psychiatrique et psychothérapeutique. Ce traitement avait rapidement conduit à une amélioration de l'état de l'élève, qui se montrait à nouveau capable d'interagir de manière cohérente avec la réalité. Ce dernier, qui parvenait petit à petit à mettre des mots sur ses difficultés, continuait toutefois à utiliser le déni et la mise à distance des affects comme mécanismes de défense. Le diagnostic posé, soit « trouble schizophrénique en rémission », s'accompagnait chez l'élève de symptômes tels que des interruptions ou une altération par interpolation du cours de la pensée, des affects perturbés, avec des humeurs inappropriées accompagnées de fous rires et stéréotypies verbales, d'une apathie importante et d'hallucinations auditives. La disparition progressive de ce tableau clinique depuis le début du traitement expliquait les termes « en rémission ». Une absence de consommation de cannabis semblait primordiale afin d'optimiser le traitement en cours, sous peine d'une réapparition de symptômes psychotiques clairs.
La représentante de la DGES II a souligné que cette autorité devait traiter de très nombreuses demandes dans le courant de l'été. Il aurait été souhaitable que le complément au rapport du 13 mars 2024, dont elle n'avait pas pu avoir connaissance avant l'audience, lui soit communiqué.
d. Dans le délai qui lui avait été imparti à cet effet au terme de l'audience du 17 mars 2025, le recourant a produit un rapport médical établi le 21 mars 2025 par le Dr E______.
Il résulte de ce rapport qu'après une phase initiale difficile, l'élève avait progressivement adhéré à la prise en charge psychiatrique. Une évaluation clinique approfondie avait permis d'établir un diagnostic précis – schizophrénie paranoïde – et de mettre en place un traitement combinant une approche psychothérapeutique et une médication adaptée. Un travail de sensibilisation aux effets nocifs du cannabis avait été mené auprès de l'élève et de sa famille et celui-ci avait progressivement intégré cet élément dans la compréhension de sa situation. Des rechutes ponctuelles avaient toutefois été observées, systématiquement suivies de décompensations psychiques. Au fil du temps, l'élève avait réinvesti progressivement ses activités ; à la date de l'établissement du rapport, il présentait une capacité accrue à se projeter dans l'avenir et à formuler des projets professionnels cohérents. Son état psychique pouvait être considéré comme globalement stabilisé, les observations cliniques ne révélant aucun signe évocateur de troubles cognitifs, de symptomatologie dépressive ni de manifestations anxieuses significatives. L'élève semblait avoir pris conscience des effets délétères du cannabis et s'était engagé à maintenir une abstinence, acceptant dans ce cadre de se soumettre à des contrôles urinaires réguliers.
Dans ce contexte de stabilisation, le Dr E______ estimait que l'élève était désormais en mesure de bénéficier d'une reprise de sa scolarité, la demande de triplement lui paraissant médicalement justifiée et de nature à lui apporter un soutien essentiel dans sa réinsertion scolaire et sociale. La poursuite d'un suivi thérapeutique et d'un traitement médicamenteux était indispensable, et un aménagement pédagogique adapté (tutorat, soutien individualisé) serait bénéfique pour optimiser ses chances de réussite. À l'inverse, un refus de l'autorisation de répéter une nouvelle fois sa première année risquait de compromettre les progrès thérapeutiques observés et de nuire à sa stabilité psychique.
e. En l'absence de déterminations supplémentaires des parties dans le délai au 30 avril 2025 qui leur avait été fixé à cet effet, la cause a été gardée à juger à cette date.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 40 REST ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).
2. Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont pas la compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée dans le cas d’espèce.
Il y a abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).
3. Le recourant dénonce en premier lieu une constatation à ses yeux incomplète des faits pertinents, reprochant à l'autorité intimée d'avoir insuffisamment investigué sa situation de santé, en particulier l'évolution récente de celle-ci, avant de statuer.
3.1 En application de la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public (art. 19 et 20 LPA), l’autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés. Les parties sont pour leur part tenues de collaborer à la constatation des faits dans les procédures qu’elles introduisent elles-mêmes, dans celles où elles prennent des conclusions indépendantes ainsi que dans les autres cas prévus par la loi (art. 22 LPA). L’autorité peut les inviter à la renseigner, notamment en produisant les pièces en leur possession ou à se prononcer sur les faits constatés ou allégués et leur fixer un délai à cet effet (art. 24 al. 1 LPA).
La maxime inquisitoire oblige notamment les autorités compétentes à prendre en considération d’office l’ensemble des pièces pertinentes qui ont été versées au dossier. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l’établissement des faits (ATF 124 II 361 consid. 2b ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1 ; 2C_416/2013 du 5 novembre 2013 consid. 10.2.2 ; 2C_84/2012 du 15 décembre 2012 consid. 3.1) ; il leur incombe d’étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1), spécialement lorsqu’il s’agit d’élucider des faits qu’elles sont le mieux à même de connaître, respectivement qui relèvent de leur sphère d’influence ; la jurisprudence considère à cet égard que le devoir de collaboration des parties à l’établissement des faits est spécialement élevé s’agissant de faits que celles-ci connaissent mieux que quiconque (arrêts du Tribunal fédéral 2C_284/2019 du 16 septembre 2019 consid. 4.3 ; 1C_426/2017 du 11 mars 2019 consid. 5.3 et les références citées). En l’absence de collaboration de la partie concernée par de tels faits et d’éléments probants au dossier, l’autorité qui met fin à l’instruction du dossier en considérant qu’un fait ne peut être considéré comme établi, ne tombe ni dans l’arbitraire ni ne viole les règles régissant le fardeau de la preuve (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_611/2020 du 10 mai 2021 consid. 2.3 ; ATA/957/2020 du
29 septembre 2020 consid. 3c).
3.2 Selon la doctrine, l'autorité de recours est compétente pour examiner librement les faits (art. 61 al. 1 let. b LPA). Elle peut également renvoyer le dossier à l'autorité intimée pour qu'elle le complète (art. 19 et 69 al. 3 LPA). En application de l'art. 110 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le juge cantonal ne peut limiter son pouvoir de cognition relatif à l'établissement des faits à l'arbitraire, même dans des domaines spécialisés (art. 61 LPA). L'autorité de recours doit prendre en compte des pièces ou allégués nouveau produits au stade de la procédure de recours et ne peut, en application de l'art. 24 LPA, sanctionner un refus de collaborer en arrêtant son analyse aux faits survenus devant l'autorité administrative seule (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 770 et 771 ad art. 61).
3.3 Il ressort en l'espèce du dossier que l'autorité intimée a statué le 6 août 2024 sur la demande de redoublement exceptionnel (ou triplement) déposée le 6 juin 2024 par les représentants légaux du recourant. Elle l'a fait sur la base du rapport du 13 mars 2024, qui portait sur la période du 13 décembre 2023 au 17 janvier 2024, et sur les allégations de fait figurant dans la demande de triplement. Il n'apparaît pas en revanche qu'elle ait procédé à d'autres mesures d'instruction, par exemple en sollicitant des représentants légaux du recourant ou de l'OMP des informations sur l'évolution de l'état de santé de celui-là, et en particulier des effets du traitement entamé en mai 2024.
Dans la décision contestée, l'autorité a retenu en fait que le recourant était atteint dans sa santé depuis plus de deux ans, ce qui pouvait expliquer son échec scolaire, mais que sa situation médicale n'était pas stabilisée. Dans ses observations sur recours, elle a expliqué s'être fondée à cet égard sur le contenu du rapport du 13 mars 2024, lequel relevait en particulier que le recourant niait ses difficultés et refusait l'aide qui lui avait été proposée, ainsi que sur l'admission par les représentants légaux du recourant, figurant dans la demande de triplement, selon laquelle il n'était en l'état pas possible de prévoir comment celui-ci réagirait sur le long terme au traitement entamé depuis peu de temps, même s'ils avaient bon espoir sur ce point.
L'existence même de ce traitement récemment entamé, qui comportait un aspect médicamenteux, constituait toutefois un élément nouveau justifiant un complément d'instruction, par exemple sous la forme d'une invitation au recourant ou à ses représentants légaux de produire dans un court délai une attestation médicale relative aux perspectives d'amélioration et de stabilisation de son état de santé. L'autorité ne pouvait à cet égard se fonder uniquement sur le rapport du 13 mars 2024 dans la mesure d'une part où celui-ci faisait état d'une « impression diagnostique » au 5 janvier 2024, soit cinq mois avant la demande de triplement, et que d'autre part la situation avait manifestement évolué depuis lors, l'élève ayant dû arrêter l'école en avril 2024 et ayant entamé, avec succès selon lui, un traitement alliant un suivi thérapeutique et la prise de médicaments.
En s'abstenant de toute mesure d'instruction relative à l'évolution de l'état de santé du recourant, alors que le caractère stabilisé ou non de cet état constituait selon elle un élément pertinent pour statuer sur la demande de triplement, l'autorité intimée a ainsi procédé à une constatation incomplète des faits. Le grand nombre de demandes qu'elle est appelée à traiter dans le courant de chaque été contribue sans doute à expliquer qu'elle ait renoncé à approfondir ce point, sans toutefois le justifier.
Il ne peut pour le surplus être reproché au recourant, alors représenté par ses parents, d'avoir manqué à son obligation de collaborer dans la mesure où la seule attestation médicale qui, selon le dossier, lui a été communiquée est l'actualisation du rapport du 13 mars 2024, postérieure à la décision contestée.
4. Le recourant demande à être autorisé à redoubler une seconde fois la première année de l'ECG.
4.1 L’école publique a pour buts, dans le respect de la personnalité de chacun : a) de donner à chaque élève le moyen d’acquérir les meilleures connaissances et compétences dans la perspective de ses activités futures et de chercher à susciter chez lui le désir permanent d’apprendre et de se former ; b) d’aider chaque élève à développer de manière équilibrée sa personnalité, sa créativité ainsi que ses aptitudes intellectuelles, manuelles, physiques et artistiques ; c) de veiller à respecter, dans la mesure des conditions requises, les choix de formation des élèves ; d) de préparer chacun à participer à la vie sociale, culturelle, civique, politique et économique du pays, en affermissant le sens des responsabilités, la faculté de discernement et l’indépendance de jugement ; e) de rendre chaque élève progressivement conscient de son appartenance au monde qui l’entoure, en éveillant en lui le respect d’autrui, la tolérance à la différence, l’esprit de solidarité et de coopération et l’attachement aux objectifs du développement durable ; f) de tendre à corriger les inégalités de chance de réussite scolaire des élèves dès les premières années de l’école (art. 10 al. 1 de la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 - LIP - C 1 10).
4.2 Selon l’art. 29 REST, les conditions de promotion sont déterminées par les règlements de chaque filière (al. 1). L’orientation des élèves constitue une part importante de la mission de l’école et, dans cette optique, lors de l’analyse de l’octroi d’une promotion par dérogation ou d’un redoublement ou lors d’une réorientation, il doit être tenu compte des aptitudes de l’élève à mener à bien son projet de formation (al. 2). Sont également prises en considération les circonstances ayant entraîné l’échec, les progrès accomplis, la fréquentation régulière des cours et le comportement de l’élève (al. 3).
4.3 À teneur de l’art. 31 REST, l’octroi d’un redoublement n’est pas un droit (al. 1). La direction d’un établissement, sur proposition de la conférence des maîtres de la classe ou du groupe ou, dans des cas exceptionnels, de sa propre initiative, peut autoriser un élève non promu à redoubler l’année (al. 2). Dans les voies de formation générale, cette mesure ne peut être accordée qu’une seule fois par filière (al. 3). Un élève ayant bénéficié d’un redoublement ne peut prétendre ni à un triplement de l’année ni à un redoublement de l’année immédiatement supérieure (al. 4). La DGES II peut accorder un redoublement supplémentaire pour de justes motifs, tels que des problèmes de santé ou un accident (al. 7).
Dans ce cadre, l’autorité scolaire bénéficie d’un très large pouvoir d’appréciation, dont la chambre de céans ne censure que l’abus ou l’excès. Ainsi, alors même que l’autorité resterait dans le cadre de ses pouvoirs, quelques principes juridiques les restreignent, dont la violation constitue un abus de ce pouvoir : elle doit exercer sa liberté conformément au droit. Elle doit respecter le but dans lequel un tel pouvoir lui a été conféré, procéder à un examen complet de toutes les circonstances pertinentes, user de critères transparents et objectifs, ne pas commettre d’inégalité de traitement et appliquer le principe de la proportionnalité (ATA/1697/2019 du 19 novembre 2019 consid. 4d et les références citées).
4.4 Dans l’exercice de ses compétences, toute autorité administrative est tenue de respecter le principe de la proportionnalité découlant des art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), qui commande que la mesure étatique en cause soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu’elle soit dans un rapport raisonnable avec l’atteinte aux droits des particuliers qu’elle entraîne (ATF 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 140 II 194 consid. 5.8.2).
4.5 Dans le cas d'espèce, il n'est pas contesté que le recourant n'a rempli les conditions d'une promotion en deuxième année de l'ECG ni au terme de sa première année, en juin 2023, ni au terme de sa première année redoublée, en juin 2024, de telle sorte que l'art. 31 al. 4 REST ne lui permet en principe pas de prétendre à un nouveau redoublement. C'est donc exclusivement au regard de la possibilité dérogatoire d'accorder un redoublement supplémentaire en présence de justes motifs tels que des problèmes de santé ou un accident, prévue par l'art. 31 al. 7 REST, que sa situation doit être examinée.
À cet égard, l'autorité intimée a retenu à juste titre dans la décision attaquée que, lors de la demande de triplement, le recourant était affecté dans sa santé depuis plus de deux ans. Elle paraît de même avoir retenu l'existence d'une relation de causalité entre cette atteinte à la santé et l'insuffisance durable de ses résultats scolaires, indiquant par exemple ne pas avoir pris en considération, à son détriment, ses nombreuses heures d'absence non excusées, ce pour tenir compte de sa maladie. Une telle relation de causalité, à tout le moins partielle, est par ailleurs rendue fortement vraisemblable par les diverses attestations médicales figurant au dossier. Celles-ci font en effet état d'une perte progressive de ses capacités cognitives et de sa motivation par le recourant, allant de pair avec une péjoration de ses résultats scolaires jusqu'à l'arrêt complet de sa scolarité en avril 2024, dans le contexte d'une aggravation importante de ses symptômes.
L'autorité a toutefois considéré, sur la base des éléments alors à sa disposition, qu'il n'était pas possible d'émettre un pronostic favorable sur la capacité de l'élève à répéter sa première année puis à poursuivre sa formation au sein de l'ECG, au motif que son état médical n'était pas suffisamment stabilisé. Au vu des éléments de fait supplémentaires recueillis dans la procédure de recours, cette appréciation ne peut cependant être confirmée, à tout le moins sans qu'il soit procédé à un réexamen global de la situation de l'élève. Qu'il s'agisse du complément au rapport du 13 mars 2024, établi le 12 août 2024 par deux psychologues de l'OMP, ou du rapport médical établi le 21 mars 2025 par le Dr E______, les informations médicales disponibles mettent en effet en évidence les effets positifs du traitement entamé en mai 2024, comprenant des séances de psychothérapie, un suivi psychiatrique et la prise régulière de médicaments. Selon le rapport le plus récent, le recourant ne présente ainsi plus aucun signe évocateur de troubles cognitifs et son état est suffisamment stabilisé pour qu'il puisse reprendre sa scolarité. Certes, la pérennité de cette stabilisation suppose la poursuite du traitement médicamenteux et thérapeutique en cours ainsi que, surtout, l'absence de rechutes de consommation de cannabis de la part du recourant. Celui-ci, selon le rapport médical du 21 mars 2025, a toutefois pris conscience des effets néfastes de cette substance et accepté de se soumettre à des contrôles réguliers.
L'appréciation de l'autorité intimée selon laquelle la situation médicale du recourant n'était pas suffisamment stabilisée pour envisager une poursuite de sa formation est ainsi contraire aux pièces du dossier. Cette appréciation étant essentielle pour émettre un pronostic sur les perspectives du recourant de poursuivre jusqu'à son terme cette formation, auquel est conditionné l'octroi d'une autorisation exceptionnelle de triplement, la décision contestée doit être annulée. Le dossier sera retourné à l'autorité intimée afin qu'elle procède à un nouvel examen global des conditions à l'octroi d'une telle autorisation.
5. Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, ni le recourant ni ses parents ne faisant état de frais de procédure (art. 87 al. 2 LPA).
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 4 septembre 2024 par A______ contre la décision du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 6 août 2024 ;
au fond :
l'admet partiellement ;
renvoie la cause à la direction générale de l'enseignement secondaire II pour nouvelle décision au sens des considérants ;
dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse – DGES II.
Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
J. PASTEUR
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| le président siégeant :
P. CHENAUX |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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