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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3871/2022

ATA/357/2025 du 01.04.2025 sur JTAPI/1006/2023 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : IMPÔT SUR LA FORTUNE;IMMEUBLE;VALEUR FISCALE;PROCÉDURE D'ESTIMATION;EXPERTISE;IMPOSITION DANS LE TEMPS
Normes : LHID.14.al1; LHID.17.al1; LIPP.49.al2; LIPP.50.leta
Résumé : Les immeubles locatifs sont en principe évalués à leur valeur vénale. La valeur vénale peut résulter d’une transaction intervenue sur le marché libre, à condition que celle-ci présente un lien de proximité temporelle suffisante avec la date fiscale de référence. En l’absence d’une telle transaction, l’immeuble locatif pourra être estimé sur la base de la valeur de rendement, conformément à l’art. 50 let. a LIPP. En l’occurrence, la vente intervenue trois mois après la fin de l’année fiscale présentait une proximité temporelle suffisante et il n’y avait pas eu de fluctuations significatives de la valeur durant ces trois mois. L’immeuble devait dès lors être évalué à sa valeur vénale, qui correspondait au prix de vente.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3871/2022-ICC ATA/357/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er avril 2025

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE recourante

contre

A______ intimée
représentée par G.A. FIDUCIAIRE SA, mandataire

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 septembre 2023 (JTAPI/1006/2023)


EN FAIT

A. a. Sur la parcelle n° 2'490, sise à B______ au C______, est érigé un bâtiment constitué en propriété par étages (ci-après : PPE), qui abrite des bureaux, des ateliers et des dépôts. En 2021, A______ (ci-après : la contribuable) était propriétaire, respectivement usufruitière, d’un lot de parts de cette PPE (ci‑après: l’immeuble).

b. Selon un rapport d’évaluation du 6 septembre 2021, établi par D______SA sur mandat de la communauté des copropriétaires, la valeur de l’immeuble de A______ au 31 juillet 2021 était estimée à CHF 23'720'965.-.

c. Le 30 mars 2022, l’immeuble a été vendu à la E______ (E______) au prix de CHF 23'720’000.-. Le contrat de vente précisait que la E______ avait pris connaissance de l’état locatif de l’immeuble au 31 décembre 2021.

d. Dans sa déclaration fiscale 2021, déposée en avril 2022, A______ a indiqué une valeur fiscale de l’immeuble de CHF 23'720’000.-, en joignant le contrat de vente.

e. Par bordereau du 5 septembre 2022, l’administration fiscale cantonale (ci‑après : AFC-GE) a arrêté la valeur fiscale de l’immeuble à CHF 31'612'576.-, par capitalisation de son état locatif (CHF 1'251'858.-) au taux de 3.96 %.

f. Le 13 septembre 2022, la contribuable a formé réclamation, faisant valoir que l’immeuble avait fait l’objet d’une vente récente et que sa valeur vénale correspondait au prix de vente de CHF 23'720'000.-.

g. Par décision du 25 octobre 2022, l'AFC-GE a rejeté la réclamation. La valeur de l’immeuble devait être déterminée en capitalisant l’état locatif, car une valeur vénale résultant d’une vente en 2022 ne pouvait pas être prise en considération pour l’exercice fiscal 2021.

B. a. Par acte du 22 novembre 2022, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision.

La méthode préconisée par l'AFC-GE n’était pas applicable, car la valeur vénale de l’immeuble était connue, compte tenu de la vente intervenue seulement trois mois après la fin de l’année fiscale 2021. L’acheteur était une partie institutionnelle avec laquelle la contribuable n’avait pas de lien particulier. Si la vente avait eu lieu avant le 31 décembre 2021, le prix aurait été le même. L’on ne pouvait pas considérer que l’immeuble avait subi une dépréciation de presque CHF 8'000'000.- entre le 31 décembre 2021 et le moment de la vente.

b. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

En droit genevois, les immeubles locatifs étaient en principe valorisés en capitalisant leur état locatif. La jurisprudence du Tribunal fédéral qui admettait une exception lorsque le bien avait fait l’objet d’une transaction sur le marché libre, devait être interprétée restrictivement et s’appliquer uniquement pour l’année de la vente. L’AFC-GE avait pour pratique de prendre le prix de vente comme valeur fiscale pour l’année de la vente et d’appliquer la capitalisation des loyers pour les années fiscales précédant et suivant celle de la vente, comme dans le cas d’espèce, où la vente était postérieure à la période fiscale 2021. Maintenir une valeur de transaction une ou plusieurs années avant et après celle-ci reviendrait à appliquer une dualité de méthodes d’évaluation non prévue par la loi et serait contraire à la systématique légale, qui distinguait les immeubles locatifs et les autres immeubles, estimés selon des règles différentes. Les taux de capitalisation appliqués reposaient sur une observation précise des transactions immobilières de bien analogues antérieures et postérieures à la vente, actualisés pour chaque année fiscale, soit sur des paramètres davantage représentatifs de la valeur vénale réelle du bien au 31 décembre de l’année fiscale en cours.

c. La contribuable a répliqué que le raisonnement de l’AFC-GE permettrait de prendre en compte, comme valeur fiscale au 31 décembre, le prix d’une vente au 1er janvier de la même année, fixé 12 mois auparavant et probablement basé sur l’état locatif et le taux de capitalisation de l’année précédente, mais non le prix d’une vente au 30 mars de l’année suivante, pourtant plus rapprochée du 31 décembre, ce qui ne refléterait pas la réalité du marché. L’acheteur avait déclaré, dans l’acte de vente, qu’il s’était basé sur l’état locatif au 31 décembre 2021. Le prix de vente ne pouvait pas s’expliquer par une baisse des prix en 2022, puisque les valeurs capitalisées des immeubles locatifs avaient augmenté en 2022.

d. Sur duplique, l’AFC-GE a maintenu que la loi et la jurisprudence étaient sans ambiguïté et l’exception au principe de l’estimation par la capitalisation des états locatifs n’était applicable que pour l’année de la vente du bien immobilier.

e. Par jugement du 18 septembre 2023, le TAPI a admis le recours et renvoyé le dossier à l’AFC-GE pour nouvelle décision de taxation dans le sens des considérants.

En vertu du droit fédéral, la fortune des personnes physiques était estimée à la valeur vénale, la valeur de rendement pouvant être prise en considération de façon appropriée. Selon le Tribunal fédéral, il était conforme au droit fédéral d’évaluer les immeubles locatifs sis dans le canton de Genève en capitalisant l'état locatif annuel aux taux fixés chaque année par le Conseil d’État sur proposition d’une commission d’experts, sur la base des transactions effectives constatées sur le marché immobilier. Une telle évaluation avait toutefois une portée subsidiaire et ne s’appliquait qu’aux immeubles qui n'avaient pas fait l'objet d'une vente récente ou lorsque la transaction n’avait pas eu lieu sur le marché libre, notamment parce que les relations particulières entre les parties avaient influencé le prix.

En revanche, lorsque la valeur d’un élément de fortune était donnée par le résultat d'une transaction sur le marché libre, le droit fédéral la désignait comme valeur fiscale imposable. Il ne ressortait pas de la jurisprudence que cette transaction devait obligatoirement avoir lieu dans l’année de taxation. Dans un jugement récent (JTAPI/675/2023 du 29 juin 2023), non contesté, le TAPI avait admis que la valeur vénale pour l’année fiscale 2021 correspondait au prix d’une vente conclue en novembre 2020. La vente du 30 mars 2022, intervenue seulement trois mois après la fin de la période fiscale 2021, était récente au sens de la jurisprudence et il n’était ni allégué ni établi que les parties à la vente entretenaient des relations particulières qui auraient pu fausser le libre jeu du marché. La valeur fiscale de l’immeuble pour l’année 2021 correspondait dès lors au prix de vente de CHF 23'720’000.-.

C. a. Par acte déposé le 16 octobre 2023, l’AFC-GE a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation et à la confirmation de sa décision du 25 octobre 2022.

La jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle les règles d’estimation genevoises ne s’appliquaient pas en cas de vente récente, concernait le cas où cette vente avait eu lieu au cours de la période fiscale concernée. Le jugement du TAPI dans l’autre affaire évoquée dans le jugement attaqué pouvait s’inscrire dans la ligne de cette jurisprudence. Il était en revanche contraire aux principes fondamentaux du droit fiscal de prendre en compte le résultat d’une vente intervenue postérieurement à la période fiscale. L’adjectif « récent » utilisé par le Tribunal fédéral se référait au passé. Si l’on admettait qu’un fait générateur puisse déployer ses effets sur la période fiscale précédente, cela reviendrait à ne plus déterminer la fortune au 31 décembre de l’année fiscale et la période fiscale excéderait la période d’une année, contrairement au système postnumerando annuel. Le raisonnement du TAPI conduirait à une imposition contraire aux principes de la légalité, de l’égalité de traitement et la sécurité juridique. Le contribuable pourrait influencer la valeur fiscale de son bien en choisissant de déposer sa déclaration fiscale avant ou après la vente intervenue au cours de l’année suivant la période fiscale, tandis que l’AFC‑GE serait légitimée à augmenter la valeur du bien si le prix de vente était supérieur à la valeur fiscale résultant du calcul schématique prévu par la loi genevoise.

b. A______ a conclu au rejet du recours.

En complément à ses observations formulées devant le TAPI, elle précisait que le contrat de vente avait été signé le 30 mars 2022, mais que les négociations, notamment sur la détermination de la valeur du bien et donc du prix de vente, avaient commencé dès 2021. La vente ne s’était pas faite du jour au lendemain, mais au terme d’un long processus qui trouvait son origine en 2021. Selon l’acte de vente, l’acheteur s’était bien basé sur l’état locatif au 31 décembre 2021 et le prix de vente correspondait à la valeur, arrondie, résultant de l’expertise du 6 septembre 2021. C’était cette date, et non celle de la signature de l’acte, qui était pertinente comme fait générateur, celui-ci ayant donc pris naissance dans la période fiscale concernée. Si l’AFC-GE considérait que la valeur vénale mentionnée dans la déclaration fiscale 2021 ne reflétait pas la valeur réelle, elle aurait pu faire procéder à une expertise contradictoire, ce qu’elle n’avait pas fait.

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             L'impôt sur la fortune a pour objet l'ensemble de la fortune nette (art. 13 al. 1 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14), d’après son état à la fin de la période fiscale ou de l’assujettissement (art. 17 al. 1 LHID). La fortune est estimée à sa valeur vénale, la valeur de rendement pouvant être prise en considération de façon appropriée (art. 14 al. 1 LHID).

2.1 L'évaluation selon la valeur vénale est obligatoire pour les cantons, mais la LHID ne prescrit pas de méthode d'évaluation précise pour déterminer cette valeur. Les cantons disposent donc en la matière d'une marge de manœuvre importante pour élaborer et mettre en œuvre leur réglementation, aussi bien quant au choix de la méthode de calcul applicable pour estimer la valeur vénale que pour déterminer, compte tenu du caractère potestatif de l'art. 14 al. 1 2e phr. LHID, dans quelle mesure le critère du rendement doit, le cas échéant, également être intégré dans l’estimation (ATF 134 II 207 consid. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_953/2019 du 14 avril 2020 consid. 4.1 ; ATA/853/2022 du 23 août 2022 consid. 7b ; ATA/1401/2021 du 21 décembre 2021 consid. 4a).

2.2 La valeur vénale correspond à la valeur du marché objective d'un immeuble, à savoir celle qui serait vraisemblablement obtenue lors d'une aliénation dans les conditions usuelles des affaires (ATF 128 I 240 consid. 3.1.2 ; 124 I 193 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_954/2020 du 26 juillet 2021 consid. 5.1 ; ATA/853/2022 précité consid. 7b et les références ; Hannes TEUSCHER/Frank LOBSIGER in Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH [éd.], Kommentar zum Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, 4e éd., 2022, n. 4 ad art. 14).

2.3 La valeur vénale au sens du droit fiscal ne correspond pas à une valeur que l’on peut déterminer exactement de manière mathématique mais, en règle générale, à une valeur d’estimation ou de comparaison. Dans la mesure où toute estimation, quelle que soit la méthode utilisée, aboutit à une certaine marge, variable, d’inexactitude, il est admissible de fixer la valeur déterminante pour l’impôt sur la fortune des immeubles sur la base d’estimations prudentes, schématiques, même si cela a pour conséquence que les valeurs ainsi déterminées divergent dans une certaine mesure des valeurs effectives du marché. Un certain schématisme est ainsi admis en la matière, pourvu que l’évaluation ne soit pas fondée sur le seul critère du rendement et qu’elle n’aboutisse pas à des résultats qui s’écartent par trop de la valeur vénale (ATF 134 II 207 consid. 3.6 ; 128 I 240 consid. 3.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_874/2010 du 12 octobre 2011 consid. 3.1 ; ATA/853/2022 précité consid. 7b ; ATA/1401/2021 du 21 décembre 2021 consid. 4a et 4b).

3.             La loi genevoise sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) prévoit que l'impôt sur la fortune a pour objet l'ensemble de la fortune nette (art. 46 LIPP), dans son état au 31 décembre de l'année pour laquelle l'impôt est dû (art. 49 al. 1 LIPP).

3.1 La fortune est estimée, en général, à la valeur vénale (art. 49 al. 2 LIPP), soit la valeur marchande objective d'un actif à un moment donné, qu'un acheteur paierait normalement, dans des circonstances normales (ATA/853/2022 précité consid. 7c).

3.2 L’art. 50 LIPP établit les principes d’évaluation des immeubles situés dans le canton. Selon l’art. 50 let. a LIPP, la valeur des immeubles locatifs est calculée en capitalisant l'état locatif annuel aux taux fixés chaque année par le Conseil d'État, sur proposition d'une commission d'experts composée paritairement de représentants de l'administration fiscale et de personnes spécialement qualifiées en matière de propriétés immobilières et désignées par le département. L'état locatif annuel se détermine d'après les loyers obtenus des locaux loués et des loyers qui pourraient être obtenus de ceux susceptibles d'être loués, y compris ceux occupés par le propriétaire et sa famille. Le taux de capitalisation est fixé chaque année sur la base des transactions constatées sur le marché immobilier entre le 1er janvier de l'année précédant l'année fiscale et le 30 juin de l'année fiscale (art. 25 du règlement d'application de la LIPP du 13 janvier 2010 - RIPP - D 3 08.01).

Ces règles d’évaluation ont été jugées conformes au cadre défini largement par l'art. 14 al. 1 LHID, le principe de la capitalisation de l'état locatif inscrit à l'art. 50 let. a LIPP renvoyant à la valeur de rendement et la prise en considération des transactions constatées sur le marché ou, pour les immeubles de logements, de l'âge de ces derniers (art. 50 let. a LIPP cum art. 25 al. 1 et 3 RIPP) pour déterminer le taux de capitalisation applicable se référant à des critères qui relèvent plus particulièrement de la valeur vénale. Le taux de capitalisation des immeubles locatifs au sens de l'art. 50 let. a LIPP est ainsi calculé non pas de manière abstraite, mais en fonction des transactions réalisées durant une période donnée (ATF 134 II 2017 consid. 3.8 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_194/2018 du 1er octobre 2018 consid. 5.3 ; 2C_442/2012 du 14 décembre 2012 consid. 4.4 ; 2C_316/2010 du 29 juillet 2010 consid. 3 ; 2C_820/2008 du 23 avril 2009 consid. 3.3 et 5.2 ; ATA/1834/2019 du 17 décembre 2019 consid. 12a ; ATA/1728/2019 du 26 novembre 2019 consid. 5d).

3.3 Selon le Tribunal fédéral et la jurisprudence constante de la chambre administrative, le système de l’art. 50 let. a LIPP est toutefois subsidiaire et ne s’applique que pour fixer la valeur fiscale d'un immeuble qui n'a pas fait l'objet d'une vente récente. En effet, lorsque la valeur vénale d'un élément de fortune est donnée par le résultat d'une transaction ayant eu lieu sur le marché libre, elle devient la valeur fiscale, en raison du principe de droits fédéral et cantonal selon lequel la fortune est estimée à la valeur vénale, attribuée à un objet sur le marché des échanges économiques lors d'un achat ou d'une vente dans des conditions normales (arrêts du Tribunal fédéral 2C_442/2012 précité consid. 4.4 ; 2C_316/2010 précité consid. 3.3 ; ATA/853/2022 précité consid. 7e et les références).

3.4 À la différence d'une vente effectivement réalisée, une expertise, même effectuée par un cabinet de conseils immobiliers renommé, ne peut aboutir qu'à une estimation, laquelle comporte inévitablement des éléments d'appréciation. Dans ces circonstances, lorsque le prix établi par l'expertise diverge de la valeur fiscale, on ne saurait en déduire d'emblée que cette dernière est arbitraire (arrêts du Tribunal fédéral 2C_442/2012 précité consid. 5.4 ; 2C_820/2008 précité consid. 6.3 ; ATA/482/2014 du 24 juin 2014 consid. 3b ; ATA/853/2022 précité consid. 7e).

4.             La contribuable se prévaut de la valeur basée sur la vente intervenue en mars 2022, alors que l’AFC-GE a retenu la valeur fondée sur le rendement.

4.1 L’immeuble a fait l’objet d’une vente en date du 30 mars 2022. Aucun élément au dossier ne suggère que le prix de vente convenu ne refléterait pas la réelle valeur attribuée à l’immeuble sur le marché des échanges économiques dans des conditions normales. Ni le dossier ni les déterminations de la recourante ne font état d’un lien particulier entre les parties qui aurait pu conduire à la fixation d’un prix différent de celui pouvant être obtenu lors d'une aliénation dans les conditions usuelles des affaires. Il y a donc lieu de considérer que le prix de vente de CHF 23'720'000.- correspondait à la valeur vénale de l’immeuble en mars 2022.

4.2 L’interprétation de la recourante, selon laquelle le prix d’une vente intervenue postérieurement à l’année de taxation ne saurait être prise en compte au titre de la valeur vénale et écarter l’art. 50 let. a LIPP, ne résulte ni des arrêts du Tribunal fédéral ni de la jurisprudence cantonale.

4.2.1 Dans l’arrêt cité par le TAPI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_316/2010 précité), le Tribunal fédéral a admis comme valeur fiscale au 31 décembre un prix de vente payé en janvier de la même année, car c’était l’état de fait dont il était saisi. Comme relevé dans le jugement attaqué, le Tribunal fédéral n’a cependant pas érigé en condition stricte que la transaction soit intervenue durant l’année fiscale et il n’a ni évoqué ni examiné l’hypothèse d’une vente conclue avant le 1er janvier ou après le 31 décembre de l’année concernée. Dans l’autre arrêt cité (arrêt 2C_442/2012 précité consid. 4.4), le Tribunal fédéral n’a pas non plus donné un tel sens restrictif à la notion de « vente récente ».

La chambre administrative a jugé que la valeur vénale d’un immeuble pour l’année fiscale 2011 pouvait résulter d’une transaction sur le marché libre en 2010, ce qui excluait l’évaluation fondée sur la capitalisation de l’état locatif (ATA/1834/2019 du 17 décembre 2019 consid. 13). La recourante a, par ailleurs, déclaré qu’elle estimait conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral un autre jugement du TAPI, cité dans le jugement attaqué, qui admettait une valeur fiscale au 31 décembre 2011 basée sur une vente en 2010, soit plus de treize mois auparavant (JTAPI/675/2023 du 29 juin 2023).

4.2.2 En matière d’imposition de titres non cotés – mais les règles qui suivent revêtent une certaine pertinence aussi pour la détermination de la valeur vénale d’un immeuble –, la valeur vénale peut également être déterminée par une vente entre tiers indépendants sur le marché libre (§ 2.5 de la circulaire n° 28 de la Conférence suisse des impôts [ci-après : CSI], intitulée Instructions concernant l'estimation des titres non cotés en vue de l'impôt sur la fortune, ci-après : la circulaire n° 28). Dans ce domaine, il est admis que le critère pertinent est celui d’une proximité temporelle suffisante, pour limiter le risque que les conditions du marché aient trop changé, mais que la vente de référence peut être aussi bien antérieure que postérieure à la date fiscale déterminante. Le commentaire de la circulaire n° 28 édité par la CSI (p. 7 ad § 2.5) évoque ainsi des transactions jusqu’à 12 mois antérieurs ou postérieurs à la date de référence. Selon le Tribunal fédéral, rien ne s’oppose à ce qu’on tienne compte, pour estimer la valeur d’actions non cotées, d’indices survenus au cours de la période suivante, s'ils permettent de tirer des conclusions fiables en raison de leur proximité temporelle (arrêt du Tribunal fédéral 2C_504/2009 du 15 avril 2010 consid. 3.6). Deux décisions zurichoises ont écarté les ventes intervenues non pas au motif qu’elles étaient postérieures à la date fiscale déterminante, mais parce qu’elles l’étaient de 12 ou 15 mois, une telle durée ne répondant pas au critère de la proximité temporelle (arrêt ST.2023.139 du Steuerrekursgericht de Zurich du 28 mai 2024 consid. bb et cc; Tribunal administratif zurichois, SB.2017.00116 du 21 février 2018 consid. 3.1.3).

4.2.3 C’est le lieu de relever qu’il s’agit ici uniquement de connaître les conditions du marché au 31 décembre de l’année fiscale concernée et non, comme le laisse entendre l’AFC-GE, d’étendre la période de calcul au-delà d’une année, de modifier la date déterminant l’état de la fortune ou de considérer la vente de référence comme un fait générateur d’impôt déployant des effets rétroactifs.

4.3 Les éléments au dossier confirment que la valeur vénale au 30 mars 2022 correspondait à la valeur de l’immeuble pendant l’année de taxation, en particulier au 31 décembre 2021.

Selon le rapport d’évaluation du 6 septembre 2021, l’immeuble avait, au 31 juillet 2021, pratiquement la même valeur que lors de la vente, à savoir CHF 23'720'965.‑. Contrairement à l’expertise mentionnée dans l’arrêt 2C_442/2012 précité (consid. 5.4), réalisée en 2010 et dont le contribuable tentait de déduire, par une extrapolation rétroactive, la valeur fiscale de l’immeuble en 2005, l’évaluation a ici été faite durant l’année de taxation. Elle tenait compte des circonstances concrètes susceptibles d’affecter la valeur de l’immeuble, telles que l’état locatif et les charges d’exploitation, le marché de location des surfaces artisanales à Genève et les projets urbains affectant la zone concernée. Il n’est pas allégué, ni a fortiori démontré, que ces circonstances auraient subi des changements significatifs entre juillet et décembre 2021. Il ne ressort pas non plus du dossier que l’évaluation aurait été influencée par des facteurs étrangers au fonctionnement normal d’un marché libre.

Ce rapport ne fournit certes qu’une estimation et, émanant d’une partie, a valeur de simple allégation (ATA/1634/2019 du 5 novembre 2019 consid. 3 ; ATF 132 III 83 consid. 3.4). Dans le cas d’espèce, le montant de l’évaluation a cependant été repris comme prix de la vente effectuée fin mars 2022, avec seulement un arrondissement mineur. En d’autres termes, la valeur d’estimation de CHF 23'720'000.- s’est maintenue durant toute la période de négociation entre les parties, jusqu’à être confirmée lors de la signature du contrat de vente. Aucun élément ne conduit à penser qu’entre juillet 2021 et mars 2022, la valeur vénale aurait connu une fluctuation de près de CHF 8'000'000.‑, pour atteindre au 31 décembre 2021, le montant de CHF 31'612'576.- retenu par l’AFC-GE. Il est à cet égard rappelé que l’acheteur a déclaré lors de la vente qu’il avait pris connaissance de l’état locatif au 31 décembre 2021, ce qui tend à confirmer que le prix convenu tenait compte de la situation à cette date-là.

Il résulte de ce qui précède qu’il existait, entre la date de la vente au 30 mars 2022 et la date de référence fiscale, une proximité temporelle suffisante pour considérer que les conditions du marché aux deux dates étaient comparables et que la valeur vénale de l’immeuble au 31 décembre 2021 correspondait au prix de la vente intervenue trois mois après. Partant, il n’y avait pas lieu de procéder à une estimation selon l’art. 50 let. a LIPP.

Le recours sera rejeté.

5.             Malgré l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 2e phr. LPA) ; vu cette issue, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à l’intimée, qui y a conclu et a eu recours aux services d’un mandataire (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 octobre 2023 par l’administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 septembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’État de Genève (administration fiscale cantonale) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à G.A. FIDUCIAIRE SA, mandataire de A______, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

le greffier :