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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3569/2023

ATA/1414/2024 du 03.12.2024 sur JTAPI/140/2024 ( LCR ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3569/2023-LCR ATA/1414/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 décembre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Reynald BRUTTIN, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 février 2024 (JTAPI/140/2024)


EN FAIT

A. a. A______ , né le ______ 1986, est titulaire d'un permis de conduire de catégorie B depuis le 22 novembre 2005.

b. Il possède aussi un permis de conduire de catégorie A depuis le 11 novembre 2020.

B. a. Le 22 août 2019, aux alentours de 08h45, il a été impliqué, au guidon d'un scooter, dans une altercation avec un cycliste, B______ , lequel a été blessé.

b. À la même date, le cycliste a déposé une plainte contre inconnu. La personne mise en cause avait par la suite été identifiée comme étant A______ . Il ressortait de cette plainte que le cycliste s'était inséré dans la file de circulation des véhicules sur le pont des Acacias, en direction de la plaine de Plainpalais, car la piste cyclable était trop dangereuse. Au milieu du pont, entre les deux voies de circulation, A______ , au guidon d'un scooter, l'avait frôlé sur son côté gauche avant de lui couper la route et de s'arrêter devant lui, la circulation se trouvant à l'arrêt. S'en était ensuivie une altercation verbale avec A______ . À la reprise de la circulation, il s'était trouvé trop proche de celui-ci, raison pour laquelle il lui avait fait un geste avec son bras droit, touchant involontairement son casque. Quelques mètres plus loin, A______ l'avait volontairement percuté avec son scooter, ce qui avait entraîné sa chute sur les rails du tram qui se trouvaient à proximité. Il avait été légèrement blessé. A______ avait repris sa route sans s'arrêter.

c. Les 11 et 17 septembre 2019, la police a procédé à l'audition de témoins.

Selon un premier témoin, A______ avait volontairement tourné le guidon de son scooter dans la direction du cycliste avant de mettre les gaz et de le percuter.

Selon un second témoin, qui était par ailleurs le collègue de A______ , le cycliste avait donné un coup sur le top-case du scooter après que celui-ci se fut rabattu devant lui. À la suite de cela, A______ avait discuté avec le cycliste avant que ce dernier ne lui adressât un revers de main. A______ avait alors donné un coup du pied dans le cadre du vélo, entraînant la chute du cycliste.

d. Lors de son audition par la police du 23 septembre 2019, A______ a expliqué que le cycliste l'avait dans un premier temps percuté à l'arrière de son scooter après qu'il l'eut dépassé et se fut arrêté devant lui pour les besoins de la circulation. Ce dernier s'était alors énervé et lui avait mis un coup sur son top-case, après quoi, le ton était monté entre les deux. Étant trop proche du cycliste, il avait écarté son bras pour se distancer et reprendre sa route. Immédiatement après cela, il avait reçu un coup du revers de la main. Se sentant agressé, il avait donné un coup de pied au niveau de la partie arrière du vélo, causant la chute du cycliste. Voyant que la chute était sans gravité et pour éviter un nouveau conflit, il avait repris sa route. Il avait par ailleurs déposé plainte contre le cycliste pour injure et voies de fait.

e. Selon le rapport de renseignements du 27 septembre 2019 établi par la police, sur les images de la vidéosurveillance du tramway qui passait sur les lieux, on voyait le bras du cycliste partir vers l'arrière, et suite à cela, A______ démarrer en sa direction, armer sa jambe et donner un coup de pied au niveau du cadre du vélo, provoquant la chute du cycliste.

C. a. Par courrier du 4 octobre 2019, l'office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) a fait savoir à A______ que les faits précités avaient été portés à sa connaissance, lui indiquant qu'une mesure administrative pouvait être prise à son encontre, indépendamment de l'amende ou d'une autre sanction pénale. Un délai de quinze jours lui était ainsi imparti pour produire ses observations écrites.

b. Le 15 octobre 2019, A______ s’est déterminé. Il renvoyait en substance à son audition par la police du 23 septembre 2019, insistant sur le fait qu'il n'avait pas percuté le cycliste ou son vélo à l'aide de son scooter mais qu'il avait porté un coup de pied sur le cadre du vélo. Bien qu'il avait légitimement fait usage de la force suite à l'agression du cycliste qui lui avait mis un coup sur la tête, il regrettait la tournure des événements. Il avait par ailleurs quitté les lieux seulement après s'être assuré que le cycliste n'avait pas subi de graves conséquences. Un retrait de son permis de conduire mettrait en péril son emploi puisqu'il était amené à se déplacer quotidiennement à travers le canton en tant que gérant technique en immobilier.

c. Par courrier du 25 octobre 2019, l'OCV a informé A______ de la mise en suspens de son dossier jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale.

d. Par ordonnance pénale du 15 novembre 2019, le Ministère public (ci-après : MP) a reconnu A______ coupable de lésions corporelles simples, de dommages à la propriété et de violation des obligations en cas d'accident (art. 92 al. 2 de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 ; LCR - RS 741.01).

Il lui était reproché d'avoir, après une altercation verbale avec le cycliste, volontairement démarré en direction de celui-ci avant de donner un coup de pied au niveau du cadre de son vélo, de manière à entraîner sa chute sur les rails du tram et à le blesser. Il lui était également reproché d'avoir, dans les circonstances précitées, quitté les lieux sans remplir ses devoirs en cas d'accident avec dégâts matériels et blessés.

e. A______ a fait opposition à cette ordonnance. Le MP a néanmoins maintenu sa décision par ordonnance sur opposition du 11 mars 2020.

f. Par décision du 10 juin 2020, le Tribunal de police a renvoyé le dossier au MP pour qu'il traite une opposition de la partie plaignante, procède à la confrontation de cette dernière avec A______ et entende des témoins.

g. Par courrier du 29 décembre 2020, A______ a informé l'OCV qu'il était toujours dans l'attente d'une convocation du MP.

h. Par ordonnance sur opposition du 25 juin 2021, le MP a une nouvelle fois maintenu l'ordonnance pénale du 15 novembre 2019 et a transmis la procédure au Tribunal de police. Lors de leur confrontation, A______ et le cycliste avaient maintenu leurs précédentes déclarations et n'avaient pas sollicité l'audition de témoins.

i. Par courrier du 15 septembre 2022, A______ a informé l'OCV que le Tribunal de police avait rendu un jugement le 12 août 2022, le condamnant à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 160.- l'unité pour lésions corporelles simples, dommages à la propriété et violation des obligations en cas d'accident (art. 92 al. 2 LCR). Il avait fait appel le 6 septembre 2022.

j. Par arrêt du 18 janvier 2023, la chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (ci‑après : la CPAR) a rejeté l'appel de A______ et confirmé le jugement du Tribunal de police du 12 août 2022.

Le cycliste avait subi plusieurs lésions à cause de sa chute provoquée par le coup de pied que A______ avait reconnu lui avoir donné. Ces lésions avaient été causées intentionnellement, le fait que A______ ait voulu frapper le vélo et non le cycliste n’étant pas pertinent. Enfin, les voies de fait qu'auraient commises le cycliste à l'encontre de A______ en amont ne pouvaient être considérées comme suffisantes pour justifier un état excusable d'excitation ou de saisissement. A______ avait ainsi agi de manière coupable en tant qu'auteur de lésions corporelles simples.

S'agissant du délit de fuite, A______ ne pouvait pas justifier son départ des lieux de la chute du cycliste par le fait qu'il lui semblait que cette dernière fût légère, toute chute pouvant causer des lésions, voire des lésions graves. De plus, son propre collègue, qui le suivait en scooter, avait jugé nécessaire de s'assurer de l'état du cycliste. Par ailleurs, le fait qu'il ait déposé une main courante, dont le contenu ne figurait pas au dossier, ne suffisait pas pour considérer que les devoirs en cas d'accident avaient été remplis, la police devant pouvoir intervenir sur place. Il avait ainsi bien violé ses devoirs en cas d'accident.

k. Le 28 juillet 2023, A______ s'est rendu au guichet de l'OCV pour l'informer que la CPAR avait rendu l’arrêt précité et qu'il allait le transmettre.

l. Ce n'est toutefois que le 30 août 2023, après avoir pris contact avec la CPAR, que l'OCV a obtenu le jugement du 18 janvier 2023.

m. Par décision du 29 septembre 2023, l'OCV a prononcé un retrait de permis d’une durée de trois mois à l'encontre de A______ .

Les infractions retenues étaient d'avoir donné un coup avec sa jambe dans le cadre d'un vélo de manière à entraîner la chute du cycliste et d'avoir quitté les lieux sans remplir ses devoirs en cas d'accident avec blessé. Cela constituait une infraction grave aux règles de la circulation routière au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR, de sorte que la durée minimale du retrait de permis s'élevait à trois mois.

Son besoin professionnel de conduire des véhicules automobiles avait été pris en compte. Par ailleurs, il ne pouvait pas justifier d'une bonne réputation, le système d'information relatif à l'admission à la circulation (ci-après : SIAC) faisant apparaître un retrait de permis prononcé par décision du 30 mars 2010 ainsi que trois avertissements prononcés par décisions des 27 octobre 2006, 11 novembre 2009 et 18 avril 2016.

D. a. Par acte du 30 octobre 2023, A______ a formé recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant à son annulation et, cela fait, à ce que la durée du retrait de permis soit fixée à un mois.

C'était sur le coup de l'émotion provoquée par le coup reçu de la part du cycliste qu'il lui avait à son tour adressé un coup de pied. Son intention n'était donc pas de le faire chuter mais de lui rendre son coup. Cette chute s'expliquait uniquement par la différence de vitesse entre les deux véhicules.

Il n'avait pas violé ses devoirs en cas d'accident au sens de l'art. 92 al. 2 LCR comme l'avait retenu la CPAR, cette disposition impliquant que le conducteur prenne la fuite après avoir tué ou blessé une personne lors d'un accident de la circulation. Or, il n'avait pas constaté que le cycliste avait été blessé et n'avait pas non plus à imaginer cela dans la mesure où ce dernier était remonté en selle et avait repris sa route, ce qui avait été au demeurant constaté par un témoin. Le fait qu'il se soit rendu dans un poste de police afin de déclarer les faits confirmait par ailleurs l'absence de volonté de fuir de sa part.

Le délit de fuite n'ayant pas été réalisé tant sur le plan subjectif qu'objectif, il demandait au tribunal de s'écarter de l'appréciation du juge pénal en retenant une infraction moyennement grave au sens de l'art. 16b LCR et non pas une infraction grave au sens de l'art. 16c al. 1 let. e LCR, disposition qui reprenait le libellé de l'art. 92 al. 2 LCR. La durée minimum du retrait de permis serait ainsi d'un mois et non plus de trois mois. Enfin, un retrait de trois mois l'empêcherait d'exercer son activité au sein du parc locatif qui lui était confié par son employeur, ce qui pourrait avoir de graves conséquences sur sa carrière professionnelle.

b. Le 21 décembre 2023, l'OCV a conclu au rejet du recours.

Dans la mesure où le prononcé pénal n'avait pas été contesté, il n'était plus possible, dans le cadre de la procédure administrative, de revenir sur les faits déjà constatés. La notion de délit de fuite décrite aux art. 92 al. 2 et 16c al. 1 let. e LCR étant identique, le recourant avait commis une infraction grave pour laquelle la durée minimale du retrait de permis était de trois mois (art. 16c al. 2 let. a LCR). Le besoin professionnel du recourant de conduire des véhicules avait pour le surplus été pris en compte dans son appréciation.

c. Le 11 janvier 2024, A______ a persisté dans ses conclusions. Bien que l'autorité administrative n'eût pas à s'écarter de la décision prise par l'autorité pénale, cette règle pouvait connaître des exceptions lorsqu'il apparaissait que la disposition appliquée par l'autorité pénale n'était manifestement pas en adéquation avec l'état de fait non contesté sur lequel s'était fondé l'autorité administrative.

d. Par jugement du 19 février 2024, le TAPI a rejeté le recours.

Aucun élément ne lui permettait de s'écarter de l'appréciation de la CPAR, laquelle est au demeurant conforme à la jurisprudence. De plus, A______ n'apportait aucun nouvel élément, se contentant de vouloir substituer sa propre appréciation des faits à celle retenue par la CPAR.

Définitivement condamné par la CPAR pour infraction à l'art. 92 al. 2 LCR, laquelle tombait également sous le coup de l'art. 16c al. 1 let. e LCR, A______ avait ainsi commis une infraction grave aux règles de la circulation routière. L'OCV ne s'étant pas écarté du minimum légal prévu par l'art. 16c al. 2 let. a LCR en fixant à trois mois la durée du retrait de permis du recourant et étant lié par cette durée, qui constituait le minimum légal incompressible devant sanctionner l'infraction en cause, il ne pouvait tenir compte des besoins professionnels évoqués par le conducteur dans une plus grande mesure et avait donc correctement appliqué les règles en vigueur.

E. a. Par acte déposé le 22 mars 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation, à une réduction de la durée du retrait de son permis de conduire à un mois ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité de procédure.

Le TAPI s’était référé à l’art. 16c al. 1 let. e LCR alors que cette disposition n’avait pas été invoquée par l’OCV, qui se référait uniquement à la let. a. Par ailleurs, l’application par le juge pénal de l’art. 92 al. 2 LCR ne liait pas l’autorité administrative au point de considérer que seul l’art. 16c LCR pouvait être appliqué, le fait que le libellé de l’art. 16c al. 1 let. e LCR soit identique à celui de l’art. 92 al. 2 LCR ne permettant pas de ce seul fait une assimilation entre les deux dispositions. La notion d’accident elle-même était en l’occurrence douteuse, dès lors qu’il s’agissait en réalité d’une altercation entre deux usagers de la route, qui aurait tout aussi bien pu avoir lieu au bord de la route. Ainsi, en se considérant lié par la décision (recte : l’arrêt) rendue au pénal, le juge administratif avait renoncé arbitrairement à son pouvoir d’appréciation.

Le TAPI devait considérer qu’il n’était pas « un chauffard tel que [voulait] l’appréhender l’art. 16c LCR », mais un conducteur ayant cédé, à tort et avec excès, à une provocation – attitude justifiant sans doute une mesure administrative, mais pas du niveau de sévérité s’imposant à l’égard d’un conducteur qui mettait gravement et sciemment en danger la circulation routière. Il convenait dès lors de retenir qu’il avait commis une faute moyennement grave justifiant un retrait de permis d’un mois seulement.

b. Le 29 avril 2024, l’OCV a conclu au rejet du recours, en renvoyant à ses écritures de première instance.

c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 31 mai 2024 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 28 mai 2024, l’OCV a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d’observations complémentaires à formuler.

e. Le 30 mai 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions. Il n’avait pas été impliqué dans un accident au sens de la LCR. En conséquence, lui reprocher de ne pas s’être arrêté et d’avoir ainsi violé ses devoirs en cas d’accident était une application abusive de la LCR dans le cadre de circonstances qui devaient être qualifiées exclusivement selon « le droit ordinaire ».

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 ‑ LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige a pour objet le bien-fondé du retrait du permis de conduire du recourant pour une durée de trois mois.

2.1 En cas d’accident où sont en cause des véhicules automobiles ou des cycles, toutes les personnes impliquées devront s’arrêter immédiatement. Elles sont tenues d’assurer, dans la mesure du possible, la sécurité de la circulation (art. 51 al. 1 LCR). S’il y a des blessés, toutes les personnes impliquées dans l’accident devront leur porter secours; quant aux autres personnes, elles le feront dans la mesure qu’on peut exiger d’elles. Ceux qui sont impliqués dans l’accident, mais en premier lieu les conducteurs de véhicules, avertiront la police (art. 51 al. 2 LCR).

Est puni de l’amende quiconque viole, lors d’un accident, les obligations que lui impose la LCR (art. 92 al. 1 LCR). Est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire le conducteur qui prend la fuite après avoir tué ou blessé une personne lors d’un accident de la circulation (art. 92 al. 2 LCR).

Selon la jurisprudence, est considéré comme accident tout événement dommageable susceptible de causer un dommage corporel ou matériel (ATF 122 IV 356 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1002/2020 du 4 octobre 2021 consid. 5.2.2), pour autant évidemment qu’il se produise sur la voie publique (art. 1 al. 1 LCR).

2.2 Selon l'art. 16 LCR, les permis de conduire et les autorisations seront retirés lorsque l’autorité constate que les conditions légales de leur délivrance ne sont pas ou ne sont plus remplies (al. 1). Une infraction aux prescriptions sur la circulation routière entraîne le retrait du permis de conduire ou un avertissement lorsque la procédure prévue par la loi fédérale sur les amendes d’ordre du 24 juin 1970 (LAO ‑ RS 741.03) n’est pas applicable (al. 2).

Les infractions à la LCR sont réparties en fonction de leur gravité en trois catégories distinctes, assorties de mesures administratives minimales : les infractions légères, moyennement graves et graves (art. 16a à 16c LCR). Les principes relatifs aux retraits de permis de conduire d'admonestation sont, beaucoup plus que sous l'ancien droit, fonction de la mise en danger créée par l'infraction (ATA/1361/2024 du 19 novembre 2024 consid. 4.3 ; ATA/1018/2024 du 27 août 2024 consid. 3.2).

2.3 Selon l'art. 16a al. 1 let. a LCR, commet une infraction légère la personne qui, en violant les règles de la circulation, met légèrement en danger la sécurité d'autrui alors que seule une faute bénigne peut lui être imputée. En cas d’infraction particulièrement légère, il est renoncé à toute mesure administrative (art. 16a al. 4 LCR).

2.4 À teneur de l'art. 16b al. 1 let. a LCR, commet une infraction moyennement grave la personne qui, en violant les règles de la circulation, crée un danger pour la sécurité d'autrui ou en prend le risque.

Le législateur conçoit l'art. 16b al. 1 let. a LCR comme l'élément dit de regroupement. Cette disposition n'est ainsi pas applicable aux infractions qui tombent sous le coup des art. 16a al. 1 let. a et 16c al. 1 let. a LCR. Dès lors, l'infraction est toujours considérée comme moyennement grave lorsque tous les éléments constitutifs qui permettent de la privilégier comme légère ou au contraire de la qualifier de grave ne sont pas réunis. Tel est par exemple le cas lorsque la faute est grave et la mise en danger bénigne ou, inversement, si la faute est légère et la mise en danger grave (ATF 136 II 447 consid. 3.2). Ainsi, par rapport à une infraction légère, où tant la mise en danger que la faute doivent être légères, on parle d'infraction moyennement grave dès que la mise en danger ou la faute n'est pas légère, alors qu'une infraction grave suppose le cumul d'une faute grave et d'une mise en danger grave (ATF 135 II 138 consid. 2.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_135/2022 du 24 août 2022 consid. 2.1).

Le Tribunal fédéral a qualifié de moyennement grave la faute du conducteur qui : a démarré en faisant crisser les pneus lors du passage au vert du signal lumineux, sans prendre garde au feu orange clignotant et a renversé un piéton qui traversait normalement au feu vert sur un passage sécurisé (arrêt du Tribunal fédéral 1C_253/2012 du 29 août 2012) ; n'a pas accordé la priorité à un piéton déjà engagé sur le passage protégé au motif qu'une camionnette lui masquait la vue (arrêt du Tribunal fédéral 1C_504/2011 17 avril 2012) ; ébloui par les phares d'un véhicule venant en sens inverse, n'a pas pu freiner à temps et a renversé un piéton qui avait déjà traversé plus de la moitié du passage protégé (arrêt du Tribunal fédéral 1C_594/2008 du 27 mai 2009) ; inattentif, a heurté une piétonne engagée sur un passage sécurisé peu après avoir bifurqué à gauche (arrêt du Tribunal fédéral 6A.83/2000 du 31 octobre 2000) ; à l'approche d'un carrefour, alors qu'il réduisait son allure et concentrait son attention sur les véhicules venant de sa gauche, a remarqué tardivement la piétonne qui avait traversé les trois quart d'un passage sécurisé, l'a heurtée et l’a fait chuter (arrêt du Tribunal fédéral 6A.43/2000 du 22 août 2000).

Selon l’art. 16b al. 2 let. a LCR, après une infraction moyennement grave, le permis d’élève conducteur ou le permis de conduire est retiré pour un mois au minimum.

2.5 Commet une infraction grave, la personne qui, en violant gravement les règles de la circulation, met sérieusement en danger la sécurité d'autrui ou en prend le risque (art. 16c al. 1 let. a LCR).

Après une infraction grave, le permis de conduire est retiré pour trois mois au minimum (art. 16c al. 2 let. a LCR). Les circonstances doivent être prises en considération pour fixer la durée du retrait du permis de conduire, notamment l'atteinte à la sécurité routière, la gravité de la faute, les antécédents en tant que conducteur ainsi que la nécessité professionnelle de conduire un véhicule automobile (art. 16 al. 3 1e phr. LCR). Conformément à la jurisprudence, l'infraction grave de l'art. 16c LCR correspond à la violation grave d'une règle de la circulation routière de l'art. 90 al. 2 LCR (ATF 132 II 234 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_402/2015 du 10 février 2016 consid. 2.1).

Selon le Tribunal fédéral, commet une faute grave le motocycliste qui, de nuit et sur une chaussée mouillée, n'ayant remarqué que tardivement un piéton sur un passage sécurisé, effectue un freinage d'urgence entraînant la chute de sa moto qui renverse alors le piéton (arrêt du Tribunal fédéral 1C_87/2009 du 11 août 2009), ou encore le conducteur qui a heurté une personne engagée sur un passage pour piétons en ne s'arrêtant pas à temps (arrêts du Tribunal fédéral 1C_87/2009 précité ; 6A.83/2000 précité).

2.6 Selon l’art. 16 al. 3 LCR, les circonstances doivent être prises en considération pour fixer la durée du retrait du permis d’élève conducteur ou du permis de conduire, notamment l’atteinte à la sécurité routière, la gravité de la faute, les antécédents en tant que conducteur ainsi que la nécessité professionnelle de conduire un véhicule automobile. La durée minimale du retrait ne peut toutefois être réduite, sauf si la peine a été atténuée conformément à l’art. 100 ch. 4 3e phr. LCR.

Conformément à la jurisprudence précitée, les tribunaux sont liés par une durée minimale de retrait, qui a un caractère incompressible.

2.7 En principe, l'autorité administrative statuant sur un retrait du permis de conduire ne peut pas s'écarter des constatations de fait d'un jugement pénal entré en force. La sécurité du droit commande en effet d'éviter que l'indépendance du juge pénal et du juge administratif ne conduise à des jugements opposés, rendus sur la base des mêmes faits (ATF 139 II 95 consid. 3.2 ; 137 I 363 consid. 2.3.2). L'autorité administrative ne peut s'écarter du jugement pénal, dont elle doit en principe attendre le prononcé (ATF 119 Ib 158 consid. 2c/bb), que si elle est en mesure de fonder sa décision sur des constatations de fait inconnues du juge pénal ou qui n'ont pas été prises en considération par celui-ci, s'il existe des preuves nouvelles dont l'appréciation conduit à un autre résultat, si l'appréciation à laquelle s'est livré le juge pénal se heurte clairement aux faits constatés, ou si le juge pénal n'a pas élucidé toutes les questions de droit, en particulier celles qui touchent à la violation des règles de la circulation (ATF 139 II 95 consid. 3.2).

Cela vaut non seulement lorsque le jugement pénal a été rendu au terme d'une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés, mais également, à certaines conditions, lorsque la décision a été rendue à l'issue d'une procédure sommaire, même si la décision pénale se fonde uniquement sur le rapport de police. Il en va notamment ainsi lorsque la personne impliquée savait ou aurait dû prévoir, en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés, qu'il y aurait également une procédure de retrait de permis. Dans cette situation, la personne impliquée est tenue, en vertu des règles de la bonne foi, de faire valoir ses moyens dans le cadre de la procédure pénale, le cas échéant en épuisant les voies de recours à sa disposition. Elle ne peut pas attendre la procédure administrative pour exposer ses arguments (ATF 123 II 97 consid. 3c/aa ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_470/2023 du 22 février 2024 consid. 2.1 ; 1C_738/2021 du 1er décembre 2022 ; 1C_91/2021 du 27 juillet 2021 consid. 2.1).

2.8 Dans un arrêt 1C_170/2023 rendu le 3 juin 2024, le Tribunal fédéral a eu à juger d’une mesure de retrait du permis de conduire pour une durée de trois mois prononcée sur la base des art. 16 al. 3 et 16c al. 1 let. e et al. 2 let. a LCR.

Le conducteur recourant avait été reconnu coupable par le Tribunal pénal de Bâle‑Ville de violation des devoirs en cas d’accident au sens de l’art. 92 al. 2 LCR, mais exempté de toute peine sur la base de l’art. 100 ch. 1 al. 2 LCR (cas de très peu de gravité).

Selon le Tribunal fédéral, la notion de délit de fuite était décrite de la même manière à l’art. 16c al. 1 let. e LCR que dans l'infraction visée à l'art. 92 al. 2 LCR, laquelle présupposait toujours que le fait de s'éloigner du lieu de l'accident était contraire aux obligations au sens de l'art. 51 LCR (consid. 5.2.1, avec renvoi à l’ATF 146 IV 358 consid. 3.2). Lors de l'appréciation juridique des faits, l'autorité administrative n'était en principe pas liée par l'évaluation du tribunal pénal, principe qui s'appliquait également dans un cas comme celui d'espèce, où les conditions du retrait du permis étaient décrites de la même manière que celles du prononcé de la peine ; il résultait également de la différence de finalité entre la peine, d'une part, et le retrait de permis, d'autre part, que les mêmes notions sont ouvertes à une interprétation différente (consid. 5.2.2, avec renvoi aux ATF 136 II 447 consid. 3.1 et 124 II 103 consid. 1c/bb ainsi qu’à l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_536/2022 du 25 juillet 2023 consid. 3.2). Toutefois, si la qualification juridique dépendait fortement de l'appréciation de faits que le tribunal pénal connaissait mieux, par exemple parce qu'il avait entendu personnellement le prévenu, contrairement aux instances chargées du retrait d'admonestation, l'autorité administrative était liée, à cet égard également, par l'appréciation du tribunal pénal (consid. 5.2.2 avec renvoi à l’ATF 136 II 447 consid. 3.1 et à l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_194/2022 du 7 juillet 2023 consid. 5.2.2).

Le tribunal pénal avait en l’occurrence procédé à des investigations complètes et avait interrogé à cette occasion aussi bien le recourant qu'un témoin. En outre, le recourant ne contestait pas remplir les éléments constitutifs du délit de fuite selon l'art. 92 al. 2 LCR, tant du point de vue objectif que subjectif. Il n’y avait donc rien à redire au fait que le Tribunal administratif, suivant en cela, l'appréciation du tribunal pénal, ait admis l'existence du délit de fuite selon l'art. 16c al. 1 let. e LCR. En même temps, l'unité de l'ordre juridique était respectée par les jugements qui ne se contredisaient pas sur ce point (consid. 5.2.3). L'art. 16c al. 1 let. e LCR réglait les conséquences administratives du délit de fuite selon l'art. 92 al. 2 LCR (ibid.).

Le fait que le cas particulièrement léger de délit de fuite ne soit pas spécifiquement réglé dans le droit révisé des mesures administratives ne constituait pas une lacune que le Tribunal fédéral devrait combler en s'appuyant sur la jurisprudence antérieure, mais était délibérément voulu ainsi par le législateur (consid. 6.2). En conclusion, le Tribunal fédéral a confirmé le retrait du permis de conduire pour une durée de trois mois, laquelle correspondait au minimum légal incompressible.

2.9 La juridiction administrative chargée de statuer est liée par les conclusions des parties. Elle n’est en revanche pas liée par les motifs que les parties invoquent (art. 69 al. 1 LPA). Aux termes de l’art. 67 al. 1 LPA, dès le dépôt du recours, le pouvoir de traiter l’affaire qui en est l’objet passe à l’autorité de recours. En vertu de l’effet dévolutif du recours ainsi prévu par la loi, la juridiction saisie est habilitée à substituer une autre motivation juridique à celle retenue par l’autorité intimée (ATF 136 II 101 consid. 1.2).

2.10 En l’espèce, la situation du recourant se rapproche de celle du conducteur de l’arrêt précité, à ceci près que le recourant a quant à lui été condamné à une peine pécuniaire de 90 jours-amende. En effet, le recourant a été condamné pénalement pour délit de fuite au sens de l’art. 92 al. 2 LCR, à l’issue d’un procès d’appel où les autorités pénales de jugement ont examiné l’ensemble des preuves disponibles (notamment les enregistrements vidéo du tramway voisin) et entendu tant le recourant que le cycliste impliqué dans l’altercation. Il en résulte que la mesure de trois mois de retrait du permis de conduire est en principe conforme au droit, les circonstances d’espèce permettant de retenir une faute grave du recourant et l’autorité intimée ayant prononcé une durée de retrait correspondant au minimum incompressible de l’art. 16c al. 2 let. a LCR.

L’argument du recourant selon lequel la chute du cycliste ne serait pas un accident et que l’application de la LCR à ces faits serait abusive ne résiste pas à l’examen. Cette chute – provoquée par le recourant en toute hypothèse – a eu lieu sur la voie publique et a entraîné des blessures, si bien qu’elle répond en tous points à la définition jurisprudentielle de l’accident. Cet argument du recourant est également contradictoire par rapport à ses propres conclusions, dès lors qu’il conclut uniquement à une réduction de la sanction administrative, alors que celle‑ci serait totalement infondée si la LCR n’était pas applicable à son cas.

Le fait que le TAPI ait basé son jugement en examinant la let. e plutôt que la let. a de l’art. 16c al. 1 LCR s’apparente à une substitution de motifs ; la juridiction précédente s’est appuyé sur les mêmes faits que l’OCV, si bien qu’un tel changement de base légale était admissible. Cela étant, le fait d’avoir provoqué la chute du cycliste sur la voie publique, en lui causant des blessures, fait pour lequel le recourant a aussi été condamné pénalement, ressortit à l’art. 16c al. 1 let. a LCR, qui comprend également les infractions ayant entraîné des lésions (voir p. ex. l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_135/2022 du 24 août 2022) et non seulement une mise en danger comme le suggère la formulation utilisée.

Il découle de ce qui précède que le jugement attaqué est conforme au droit. Le recours, infondé, sera rejeté.

3.             Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 mars 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 février 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Reynald BRUTTIN, avocat du recourant, à l'office cantonal des véhicules, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'office fédéral des routes.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Jean-Marc VERNIORY, Marine WYSSENBACH, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :