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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3801/2024

ATA/1399/2024 du 29.11.2024 ( EXPLOI ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3801/2024-EXPLOI ATA/1399/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 29 novembre 2024

sur effet suspensif et suspension de la procédure

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Dimitri TZORTZIS, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé

 



Vu, en fait, la décision rendue le 21 octobre 2024 par le département des institutions et du numérique (ci-après : le département), ordonnant à A______, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), la fermeture du salon « B______C » sis __, chemin C______ à D______, ainsi que celle du salon « E______ » sis __, rue F______ à Genève, lui impartissant un délai au 30 novembre 2024 pour mettre un terme à toute activité de prostitution dans ces locaux, et lui interdisant d’exploiter tout autre salon de massage ou agence d’escorte pendant dix ans, ces points étant déclarés exécutoires nonobstant recours, et lui infligeant une amende administrative de CHF 3’000.- ; une procédure administrative avait été ouverte suite à un rapport de police établi le 12 juin 2024 en lien avec le « E______ » , dénonçant les manquements suivants : A______ servait de prête-nom à G______, de la cocaïne était mise à disposition des clients et facturée par le biais du salon, du kamagra et du viagra, uniquement disponibles sur ordonnance médicale, avaient été acquis par le salon et mis à disposition des clients et travailleuses du sexe du salon, des prestations sexuelles non protégées étaient demandées aux travailleuses du sexe du salon ; il lui était ainsi reproché des manquements aux obligations qui lui incombaient en vertu des art. 12 let. c, d et g de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49) ; le département ne donnait pas suite à la demande de suspension de la présente procédure jusqu'à droit jugé au pénal dès lors que les faits pertinents sous l'angle de la LProst étaient suffisamment établis ; enfin, A______ avait déjà fait l'objet de deux avertissements depuis 2019 ;

que le 14 novembre 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation ; préalablement, l’effet suspensif devait être restitué au recours et la procédure devait être suspendue jusqu’à droit connu sur les faits au pénal ; la décision querellée se basait sur une enquête en cours, dont les faits n'étaient pas avérés (et formellement contestés) ; aucune urgence n'était donnée puisque, d'une part, la plainte de H______datait du 5 juillet 2023 et que, d'autre part, l'audition de la recourante s'était tenue il y avait déjà six mois ; en cas de non-restitution de l'effet suspensif, les salons devraient être fermés d'ici au 30 novembre 2024 et le dommage subi par la recourante (absence de revenu malgré les charges importantes dont elle serait obligée de continuer à s'acquitter, éventuelle résiliation des baux commerciaux pour non-paiement de loyer), mais également par les quatorze hôtesses qui exerçaient dans ces salons (qui ne pourraient pas retrouver rapidement un autre salon pour y exercer leur activité et seraient contraintes de se prostituer dans la rue), seraient importants ; aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'opposait à la restitution de l'effet suspensif ; enfin le recours n'était pas dénué de chances de succès puisque la procédure pénale était toujours en cours et que la dénonciation de H______– seule à la base de la présente procédure – n'était pas fondée ;

que le département s'est opposé à la restitution de l'effet suspensif sollicitée par la recourante, ainsi qu'à la suspension de la présente procédure ; la décision querellée avait été rendue à l'issue d'une procédure administrative initiée en juin 2024, aussitôt que le département avait obtenu le "n'empêche" du Ministère public lui permettant d'exploiter et d'instruire, sous l'angle administratif ; contrairement à ce qu'affirmait la recourante, elle n'avait pas été prise sur la base des seules déclarations de H______, le département ayant au contraire écarté tous les faits non documentés et non prouvés ; la présence de substances inaccessibles sur le marché libre (viagra, kamagra) et de drogue (cocaïne) était établie par le dossier et ses annexes (perquisitions, échanges WhatsApp, auditions). Il en allait de même des pratiques sexuelles non protégées. La décision querellée avait été prise en application de la LProst et les manquements reprochés à la recourante l'avaient également été à la lumière de cette seule loi ; indépendamment de la confirmation ou non de la condamnation pénale prononcée, les faits étaient suffisamment établis pour considérer que la recourante avait enfreint les obligations qui lui incombaient en vertu de l'art. 12 let. c et d LPRost et qu'elle ne remplissait plus la condition d'honorabilité prévue à l'art. 10 let. c LPRost ; les faits reprochés constituaient des manquements graves à cette loi qui mettaient en danger l'ordre public, et plus spécifiquement la santé et la sécurité publiques ; le danger concernait non seulement les personnes qui exerçaient la prostitution dans ses salons mais aussi des clients ; par ailleurs, la présence de drogues au sein du salon était non seulement susceptible d'altérer la capacité de discernement des travailleuses du sexe quant aux prestations qu'elles étaient prêtes à faire mais aussi de créer ou d'entretenir un lien de dépendance envers le salon et ses responsables, ce que la LPRost prohibait ; aussi, le département disposait d'un intérêt public important à fermer les salons de la recourante ; l'argument selon lequel les travailleuses du sexe qui s'y trouvaient n'auraient pas d'autre lieu de travail ne résistait pas à l'examen : il existait suffisamment d'autres salons, respectueux des lois, dans lesquels elles pourraient offrir leurs services ;

que le 27 novembre 2024, la recourante a indiqué ne pas souhaiter répliquer, de sorte que les parties ont été informées que la cause était gardée à juger ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par le président de ladite chambre, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d'empêchement de celles-ci, par un juge ;

qu'aux termes de l'art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1)  ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3)  ;

que selon la jurisprudence constante, les mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l’effet suspensif – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis, et ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1099/2023 du 5 octobre 2023 ; ATA/288/2021 du 3 mars 2021). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265)  ;

que, par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3)  ;

que la restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1)  ;

que lors du prononcé de mesures provisionnelles, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1)  ;

que, selon l'art. 10 LProst, la personne responsable d'un salon doit, notamment, offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie d'honorabilité et de solvabilité concernant la sphère d'activité envisagée (let. c) ; être au bénéfice d'un préavis favorable du département, confirmant que les locaux utilisés peuvent être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation a été accordée (let. d) et ne pas avoir été responsable, au cours des dix dernières années, d'un salon ou d'une agence d'escorte ayant fait l'objet d'une fermeture et d'une interdiction d'exploiter au sens des art. 14 et 21 LProst (let. e)  ;

que selon l’art. 12 LProst elle doit par ailleurs tenir constamment à jour et disponible le registre (let. a), s’assurer qu’elle ne contrevient pas à la législation, notamment sur les étrangers (let. b), empêcher toute atteinte à l’ordre public (let. c), contrôler que l’exercice de la prostitution est conforme à la législation (let. d), intervenir et alerter les autorités en cas d’infractions (let. f) et exploiter de manière personnelle et effective le salon (let. g)  ;

que lorsque le sort d'une procédure administrative dépend de la solution d'une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d'une autre autorité et faisant l'objet d'une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu'à droit connu sur ces questions (art. 14 al. 1 LPA), l'art. 14 LPA étant une norme potestative et son texte clair ne prévoyant pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/1099/2023 du 5 octobre 2023 et l'arrêt cité)  ;

qu’en l’espèce, la requête de restitution de l’effet suspensif tend à permettre à la recourante de continuer l’exploitation des salons « B______ » et « E______ »  ;

qu'il ressort du dossier, plus particulièrement des actes d’instruction accomplis par la police (auditions de témoins, analyse des extractions de conversations What'sapp et visites domiciliaires en présence d'un chien) que de la cocaïne, du kamagra et du viagra ont été mis à disposition dans le salon « E______ » et que la recourante aurait toléré des pratiques sexuelles à risque, créant ainsi un danger pour la santé des travailleuses et porté atteinte à leurs conditions de travail ;

qu’il apparaît, prima facie, que les mesures prises par le département paraissent aptes, nécessaires et proportionnées aux fins de protéger les intérêts publics et privés visés par la LProst, en particulier de garantir, notamment, qu'il ne soit pas porté atteinte à la liberté d'action des personnes qui se prostituent ni que celles-ci ne soient victimes de pressions ou que l'on ne profite pas de leur détresse ou de leur dépendance pour les déterminer à se livrer à un acte d'ordre sexuel (art. 1 let. a LProst)  ;

que l’intérêt public au rétablissement immédiat d’une situation conforme à l’ordre public doit ainsi, à ce stade de la procédure et sans préjudice de l’examen au fond, prévaloir sur les intérêts invoqués par la recourante à préserver ses sources de revenus et s'agissant des hôtesses, à continuer à pouvoir travailler dans les deux salons. À cet égard, l'intérêt public à la fermeture des salons l'emporte à l'évidence puisque les faits reprochés ont pour conséquence notamment de mettre en danger la santé des travailleuses et leur liberté d'action (pratiques sexuelles non protégées et présence de drogues susceptible d'altérer leur capacité de discernement quant aux prestations qu'elles sont prêtes à faire et de créer ou d'entretenir un lien de dépendance envers les salons)  ;

que par ailleurs les chances de succès du recours n’apparaissent pas prima facie si grandes qu’elles justifieraient la restitution de l'effet suspensif sollicitée ;

qu’au vu de ce qui précède, la requête de restitution de l’effet suspensif au recours sera rejetée ;

que la demande de suspension de l’instruction de la cause sera également rejetée, les mesures contestées ne paraissant pas à ce stade, et sans préjuger de la suite de l’instruction, devoir dépendre du résultat de la procédure pénale ;

qu’il sera statué ultérieurement sur les frais de la présente décision ;

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête de restitution de l’effet suspensif ;

rejette la demande de suspension de la procédure ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;


 

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Dimitri TZORTZIS, avocat de la recourante, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

La vice-présidente :

F. PAYOT ZEN RUFFINEN

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :