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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1657/2024

ATA/1283/2024 du 05.11.2024 ( DIV ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : SURVEILLANCE
Normes : CP.292; LSFIP.2.al1; LSFIP.3.letb; Cst.5.al1; Cst.164.al1.letc; Cst-GE.9.al2; LaCC.230; LPP.79; CC.84; RFSIP-Surv.2; RFSIP-Surv.12; RFSIP-Surv.3.al1.leti; RFSIP-Surv.7; RFSIP-Emol.11.letd; RFSIP-Emol.12.al1
Résumé : Il s’agit de déterminer si l’ASFIP dispose de la compétence pour sanctionner la fondation par une amende, en la menaçant des peines au sens de l’art. 292 CP, sur la base de l’art. 3 let. i RSFIP-Surv en relation avec les art. 11 et 12 RSFIP-Emol. Ni l’art. 84 CC ni les art. 3 let. i RSFIP-Surv, 11 et 12 RSFIP-Emol ne prévoient le principe du prononcé d’une amende. Dans la mesure où le principe et la quotité de l’amende relèvent de règlements internes adoptés par l’ASFIP, et non pas d’une loi formelle déléguant un pouvoir réglementaire (ni l’art. 84 CC ni la LaCC et la LFSIP ne contenant de norme de délégation législative), ceux-ci ne satisfont pas aux standards normatifs minimaux pouvant fonder le prononcer de sanctions administratives. En revanche, en tant qu’établissement de droit public autonome, l’ASFIP constitue une autorité au sens de l’art. 292 CP, de sorte qu’elle n’a pas violé le droit en menaçant la recourante selon cette base légale, a fortiori, compte tenu du fait que celle-ci n’a, à plusieurs prises, pas satisfait aux décisions prises à son encontre par l’intimée. En l’absence de violation grave des droits procéduraux de la recourante susceptible de conduire à un constat de nullité, l'annulation de l'amende querellée lui offre la protection nécessaire. Recours partiellement admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1657/2024-DIV ATA/1283/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 novembre 2024

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Steve ALDER, avocat

contre

AUTORITÉ CANTONALE DE SURVEILLANCE DES FONDATIONS ET DES INSTITUTIONS DE PRÉVOYANCE intimée

_________



EN FAIT

A. a. La A______ (ci-après : la fondation), fondation de droit privé, est inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis le 11 juin 2014.

Elle a pour but d’apporter un soutien à des élèves – pianistes exclusivement – du Conservatoire de Musique de Genève faisant face à une situation matérielle difficile.

b. Par décision du 7 juillet 2014, la fondation a été placée sous la surveillance de l’autorité de surveillance des fondations et institutions de prévoyance (ci‑après : ASFIP), établissement de droit public autonome. Selon le chiffre 2 de cette décision, la fondation doit remettre chaque année à l’ASFIP, dans les six mois suivant la clôture de son exercice comptable, les documents suivants : les états financiers, le rapport annuel d’activité, le rapport de son organe de révision et le procès-verbal de la séance de son organe suprême au cours de laquelle les états financiers annuels ont été approuvés.

c. Le 7 septembre 2020, B______, fondateur de la fondation est décédé, faisant de cette dernière son héritière universelle.

d. L’ASFIP a imparti à la fondation un délai au 31 juillet 2022 pour produire les documents suivants, relatifs à l’exercice comptable 2022 : les états financiers annuels ; le rapport original de l’organe de révision ; le rapport d’activité ; le procès-verbal approuvant les comptes annuels.

e. Faisant suite aux demandes de la fondation, l’ASFIP a prolongé à deux reprises le délai de remise desdits documents, pour la dernière fois au 31 novembre 2023.

f. Par courrier du 5 décembre 2023, l’ASFIP a adressé à la fondation une première relance, sans frais, lui impartissant un délai de sept jours pour transmettre les documents.

g. Le 19 décembre 2023, l’ASFIP a notifié à la fondation une première réclamation, lui impartissant un délai de 30 jours pour transmettre les documents demandés et mettant à sa charge des frais de rappel à hauteur de CHF 100.-.

h. Le 22 décembre 2023, la vice-présidente de la fondation a pris contact téléphoniquement avec l’ASFIP afin de solliciter une nouvelle prolongation de délai au 31 janvier 2024. Du fait de la succession toujours en cours, le conseil de fondation n’était toujours pas en mesure d’approuver les comptes de l’année 2022. La demande a été formalisée par un courriel daté du 22 décembre 2023.

i. Par courriel du 4 janvier 2024, l’ASFIP a répondu par la négative à la demande de prolongation de délai du 22 décembre 2023, déclarant qu’une prolongation supérieure à douze mois après le délai de clôture de l’exercice se ferait en rupture de l’égalité de traitement avec les autres fondations.

j. Le 25 janvier 2024, l’ASFIP a adressé à la fondation une deuxième réclamation, lui impartissant un nouveau délai de 30 jours et mettant à sa charge des frais de rappel à hauteur de CHF 200.-.

k. Le 4 mars 2024, l’ASFIP a notifié à la fondation une décision de sommation par laquelle elle lui octroyait un nouveau délai de 30 jours pour la remise des documents ayant trait à l’exercice 2022 et a mis à sa charge des émoluments à hauteur de CHF 500.-.

L’ASFIP a également dans ce courrier fait état des sanctions auxquelles la fondation s’exposait si elle ne remettait pas les documents dans le délai imparti :

-       l’amende, en vertu de l’art. 84 al. 2 du code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), de l’art. 30 de la loi sur la surveillance des fondations de droit civil et des institutions de prévoyance du 14 octobre 2011 (LSFIP- E 1 16) et des art. 11 let. d et 12 al. 1 du règlement fixant les coûts de la surveillance et les modalités de facturation et frais de l’autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance du 19 janvier 2012 (RSFIP-Emol) ;

-       la dénonciation aux autorités pénales, en application de l’art. 292 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) ;

-       la mise en œuvre de toutes autres mesures ou sanctions légales.

l. Le 7 mars 2024, l’ASFIP a envoyé à la fondation la facture relative aux émoluments de surveillance 2023, s’élevant à un total de CHF 1'800.-.

m. Le 10 avril 2024, la fondation a, par courrier recommandé, réagi à la décision de sommation et à la facture relative aux émoluments de surveillance 2023. Elle a sollicité de l’ASFIP qu’elle reconsidère la décision du 4 mars 2023 et lui impartisse un nouveau délai au 10 mai 2024 pour produire l’intégralité des documents et annule la facture du 7 mars 2024. Elle a également sollicité de l’ASFIP, pour le cas où celle-ci ne donnerait pas suite aux précédentes demandes, l’octroi d’un délai d’un mois supplémentaire pour le paiement de la facture dans la mesure où il lui était alors impossible d’accéder aux comptes.

n. Le 11 avril 2024, l’ASFIP a prononcé à l'égard de la fondation une amende de CHF 1'000.- sur la base des art. 84 al. 2 CC et art. 11 let. d et 12 al. 1 du RSFIP- Emol. Elle lui a par ailleurs octroyé un ultime délai de 30 jours pour présenter les documents demandés, faute de quoi le cas serait transmis au Ministère public en application de l’art. 292 CP.

o. Le 13 mai 2024, la fondation a transmis les documents relatifs à son exercice 2022 à l’ASFIP.

B. a. Par acte expédié le même jour, la fondation a interjeté recours contre la décision de l’ASFIP du 11 avril 2024 par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) concluant, principalement, à la constatation de sa nullité et, subsidiairement, à son annulation.

Conformément au principe de légalité tel qu’il devait s’appliquer dans le droit pénal, le prononcé d’une sanction pénale devait reposer sur une loi formelle et être énoncé clairement et explicitement. La décision de l’ASFIP, en se référant aux art. 84 al. 2 CC et 30 LSFIP – qui n’étaient pas-pertinents – et aux art. 11 let. d et 12 RSFIP-Emol – prescriptions autonomes de l’ASFIP ne constituant pas une base légale formelle – contrevenait au principe de légalité.

À cela s’ajoutait que le prononcé d’amendes et la commination au sens de l’art. 292 CP ne rentraient pas dans le champ de compétence de l’ASFIP. L’art. 30 LSFIP n’évoquait « que la perception de frais et émoluments, à l’exclusion de toute sanction de nature pénale ». Les art. 19 et 20 LSFIP ne citaient « aucune tâche ni aucune compétence de nature pénale ». Aucune autre disposition de la LSFIP n’attribuait ce genre de compétences à l’ASFIP. Partant, la décision querellée devait être considérée comme nulle.

b. L’ASFIP a conclu au rejet du recours.

L’art. 84 al. 2 CC pourvoyait à ce que les biens des fondations soient employés conformément à leur but. Cela devait être compris de manière large et donnait à l’autorité le pouvoir de veiller à ce que les organes de la fondation agissent en conformité avec les normes en vigueur. Lorsque cela n’était pas le cas, l’autorité avait le devoir d’intervenir, « conformément à son mandat légal ».

Bien que non énumérés dans le code civil, il était unanimement admis que « pour pouvoir exercer son pouvoir de surveillance, l’autorité dispos[ait] de pouvoirs étendus et d’une large palette de mesures ordinaires ou extraordinaires », préventives ou répressives. « Ces mesures pouvaient être prévues dans des ordonnances (cantonales) ou des règlements de l’autorité de surveillance ». Ainsi, l’ASFIP disposait au terme de l’art. 84 CC d’une base légale fédérale suffisante pour prendre toute mesure nécessaire au bon déroulement de son mandat.

Il était rappelé que l’ASFIP avait octroyé plusieurs prolongations de délai à la fondation pour se mettre en conformité quant à la remise des documents annuels 2022. La décision de l’ASFIP était donc proportionnée mais aussi nécessaire afin que la fondation pourvoie à ses obligations et se rende compte de la gravité de ses manquements.

Les compétences de l’ASFIP, lui étaient attribuées par, en sus de l’art. 84 CC, la LSFIP, qui, au terme de son art. 20, disposait que la direction [de l’autorité de surveillance] était responsable de l’exécution des tâches confiées par la loi et qu’à cet effet, elle établissait « notamment des règlements, qu’elle soumet[ait] pour approbation au conseil, ainsi que les directives, circulaires et instructions ». L’art. 30 al. 1 let. b LSFIP disposait que l’autorité de surveillance percevait « auprès des entités soumises à sa surveillance des émoluments pour les décision et les prestations de service ». Selon l’al. 4 de ce même article, l’ASFIP fixait les coûts de surveillance et les modalités de facturation dans un règlement approuvé par le conseil. Le 10 mars 2021, le Conseil d’État avait précisé, concernant l’art. 30 LSFIP, que « les barèmes des émoluments pour les différentes prestations de l’autorité de surveillance ser[aient] consignés dans un règlement approuvé par le conseil d’administration, ayant valeur de prescription autonome (PL 10802) ».

C’était « conformément aux exigences d’indépendance voulues par le droit fédéral, le Grand Conseil et le Conseil d’État », qu’avait été déléguée [à son] Conseil d’administration la responsabilité d’adopter les règlements sur la surveillance et sur les émoluments et frais. Ces règlements renfermaient ainsi les bases légales nécessaires à son action. Le règlement de surveillance des fondations de droit civil et des institutions de prévoyance du 29 mars 2012 (RSFIP-Surv) prévoyait les moyens de surveillance à disposition de l’ASFIP, notamment aux termes de son art. 3 al.1 let. i: « adresser des rappels, mettre en demeure, signifier ses décisions sous la menace des peines prévues aux articles 292 CP ou 79 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 (LPP - RS 831.40), dénoncer les cas d’insoumission au procureur général ou prononcer la réprimande ou l’amende ». Les art. 11 et 12 RSFIP-Emol prévoyaient spécifiquement les modalités de l’amende ainsi que ses montants minimum et maximum.

Ces règlements étaient des prescriptions autonomes répondant à la définition de loi matérielle prise sur la base du droit fédéral et du droit cantonal, de sorte que la décision de l’ASFIP était conforme au droit.

Enfin, la décision contestée ne pouvait être qualifiée de sanction pénale. Il s’agissait d’une sanction administrative, car elle avait pour but de rétablir une situation légale ou sanctionner de simples irrégularités. Une sanction était aussi administrative si elle sanctionnait un manquement à la réglementation de surveillance.

c. Dans sa réplique du 16 août 2024, la fondation a persisté dans ses conclusions.

Elle s’était efforcée, malgré les difficultés posées par la succession, de transmettre les documents sollicités dans les meilleurs délais. La situation était désormais réglée.

La nature administrative que prêtait l’ASFIP à la sanction prononcée contrevenait à la jurisprudence de la chambre administrative, qui considérait que les amendes administratives étaient de manière générale de nature pénale. La volonté par l’ASFIP de recourir à l’art. 292 CP démontrait que l’amende était bien de nature pénale et que son non-paiement entrainerait des conséquences pénales.

Quelle que fût sa nature, pénale ou administrative, il ne pouvait être fait fi du principe de légalité consacré à l’art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), imposant que toute activité étatique repose sur une base légale. Lorsqu’un canton déléguait une tâche de l’État à un établissement public autonome, cette délégation et ses modalités devaient être prévues dans une loi formelle. Il en allait de même pour toute délégation de l’exercice de pouvoirs de puissance publique à des tiers. Il était nécessaire qu’une loi formelle, à Genève une loi émanant du Grand Conseil, définisse clairement l’infraction reprochée à l’administré et la peine encourue en cas de violation de la norme. La compétence d’édicter des règles de droit via des prescriptions autonomes de la part d’établissements publics distincts de l’État ne pouvait résulter de l’existence même de ces établissements, et l’ASFIP n’était donc pas habilitée à infliger des amendes aux fondations placées sous sa surveillance.

Il n’existait en outre pas de disposition légale permettant à l’ASFIP de faire usage de la menace prévue à l’art. 292 CP, sa mise en œuvre devant par ailleurs émaner d’une autorité compétente au regard de l’ordre juridique. Ce n’était pas le cas de l’ASFIP, rendant la sanction « d’autant plus insoutenable ».

Une amende de CHF 1'000.- représentait une sanction pécuniaire portant atteinte au patrimoine de la fondation, bien protégé par la garantie de la propriété des art. 26 al. 1 Cst. et art. 34 al. 1 Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00). Cette sanction, au vu de sa quotité et de son caractère « éminemment répressif », constituait une restriction à la garantie de la propriété et devait trouver son fondement dans une base légale formelle au sens des art. 36 al. 1 Cst. et 41 al. 1 Cst-GE. La décision contestée était illicite et devait être déclarée nulle.

d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 32 let. b LSFIP).

2.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de l'autorité de surveillance sanctionnant la fondation par une amende et la menaçant de dénonciation au sens de l'art. 292 CP, sur la base de l’art. 3 let. i RSFIP-Surv.

2.1 Le principe de légalité, ancré aux art. 5 al. 1 Cst. et art. 9 al. 2 Cst-GE, exige que la base légale revête une certaine densité normative, c'est-à-dire qu'elle présente des garanties suffisantes de clarté, de précision et de transparence. Les exigences en matière de densité normative sont relatives. Le degré de précision que doit revêtir la loi dépend notamment du cercle de ses destinataires, de la gravité des atteintes qu'elle autorise aux droits fondamentaux, ainsi que de la possibilité de prévoir et cerner à l'avance, en dehors d'un cas concret, la forme et le contenu que doit revêtir l'action étatique pour régler un problème donné, compte tenu de la diversité, de la variété et de la complexité des situations pouvant se présenter (ATF 131 II 13 consid. 6.5 ; 129 I 161 consid. 2.2 ; 128 I 327 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 448 et 467 ss).

2.2 Selon que l'État exerce lui-même une tâche étatique ou en délègue l'exécution à des tiers externes à l'administration, les exigences quant à la légalité de la réglementation applicable à cette activité ne sont pas les mêmes. Lorsque l'Etat exécute ses tâches par le biais de ses propres services administratifs, il est en principe en droit de réglementer le domaine concerné au travers d'une ordonnance législative, voire le cas échéant, par le biais d'une ordonnance administrative (ATF 136 V 295 consid. 5.7 ; 128 I 167 consid. 4.3). Si le canton choisit de déléguer une tâche de l'Etat à des services extérieurs à l'administration, cette délégation et ses modalités doivent être prévues dans une loi formelle. Au niveau de la Confédération, une telle obligation découle de l'art. 178 al. 3 Cst. (ATF 137 II 409 consid. 4.3). Cette disposition constitutionnelle reflète toutefois un principe général du droit public qui exige qu'un acte de décentralisation administrative, de même que toute délégation de l'exercice de pouvoirs de puissance publique à des tiers reposent sur une base légale formelle suffisamment précise, dès lors qu'ils portent atteinte à l'unité organique de l'administration et constituent une entorse au monopole de l'Etat (ATF 138 I 196 consid. 4.4.3 ; 138 II 134 consid. 4.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2A_166/2005 du 8 mai 2006 consid. 10.2 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3e éd., 2012, pp. 266 et 664).

L'exigence d'une base légale formelle n'exclut pas que le législateur puisse autoriser le pouvoir exécutif, par le biais d'une clause de délégation législative, à édicter des règles de droit (art. 164 al. 2 Cst.) destinées à préciser les tâches publiques et les pouvoirs y afférents que la loi a confiés à une organisation extérieure à l'administration, ceci valant en particulier pour la délégation de tâches publiques mineures ou purement techniques. La clause de délégation législative en faveur du pouvoir exécutif est cependant soumise à des exigences strictes lorsqu'elle porte sur des tâches de puissance publique ou lorsque les droits et obligations des personnes sont en jeu (art. 164 al. 1 let. c Cst.). Il lui faut dans un tel cas être suffisamment précise, de manière à circonscrire les lignes fondamentales de la réglementation déléguée, soit le but, l'objet et l'étendue des pouvoirs délégués au pouvoir exécutif (ATF 137 II 409 consid. 6.4 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_854/2016 du 31 juillet 2018 consid. 7.2).

2.3 Selon l’art. 84 al. 1 CC, les fondations sont placées sous la surveillance de la corporation publique (Confédération, canton, commune) dont elles relèvent par leur but. D’après l’art. 84 al. 2 CC, l’autorité de surveillance pourvoit à ce que les biens des fondations soient employés conformément à leur destination. L’autorité de surveillance doit s’assurer que les organes de la fondation agissent conformément à la loi, à l’acte de fondation, au règlement ou aux mœurs (ATF 111 II 97 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_232/2010 du 16 septembre 2010 consid. 3.1.1).

2.4 Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de juger, s'agissant des autorités de surveillance, que dans le cadre de leur pouvoir de surveillance, elles disposent d'une large palette de mesures préventives et répressives (ATF 126 III 499 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_875/2018 du 4 février 2019 consid. 5.1 et les références citées). Les mesures préventives comprennent les recommandations, l'obligation de rendre régulièrement un rapport de gestion, voire d'autres documents (par ex. rapport de l'organe interne de révision, procès-verbaux). Les mesures répressives sont l'annulation des décisions prises par les organes, instructions, avertissements, amendes ou la révocation des organes (arrêts du Tribunal fédéral 5A_875/2018 consid. 5.1 ; 5A_232/2010 du 6 septembre 2010 consid. 3.1.2 et les références citées).

Ce faisant, le Tribunal fédéral se réfère à la doctrine, plus particulièrement à Hans Michael RIEMER, auteur du Berner Kommentar.

2.5 Or RIEMER expose que l’application cantonale ou intercantonale de l’art. 84 al. 2 CC ne peut conduire à une violation de cette disposition. Dans le domaine des moyens de surveillance répressifs, chaque autorité de surveillance est tenue, en vertu du droit fédéral (art. 84 al. 2 CC), de prendre des mesures liées à la pratique et à la doctrine. Si de telles mesures ne sont pas expressément prévues dans la loi d’exécution cantonale ou intercantonale sur le contrôle des fondations, l’autorité ne peut y renoncer. En d’autres termes, la mesure doit être prise sur la base de l’art. 84 al. 2 CC. Une exception s’applique toutefois aux amendes administratives, car une base légale ou réglementaire expresse est requise pour de telles sanctions (Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (ci-après : CDAP), GE.2009.0241 consid. 4 ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8e éd., 2020 n. 1492 ; Hans Michael RIEMER, Berner Kommentar zum schweizerischen Privatrecht, Die juristischen Personen, Die Stiftungen Art. 80- 89bis ZGB, 2e éd. Berne, 2020, n. 44 ad art. 84 CC).

Ainsi, si l’autorité de surveillance est en droit d’infliger des amendes lors d’une administration de fondation défaillante, cela nécessite une base légale spécifique (principe de la légalité, nulla poena sine lege). C’est pourquoi toute application par analogie de l’art. 79 LPP en relation avec l’art. 62 al. 2 let. i LPP, aux fondations autres que celles de prévoyance est exclue (Hans Michael RIEMER, op. cit., nos 49 et 96 ad. art. 84 CC et les références citées).

De l’avis d'autres auteurs de doctrine, l’autorité de surveillance peut ainsi être investie de mesures de surveillance extraordinaires, telle que l’amende, pour mener à bien son mandat (Harold GRÜNINGER in Thomas GEISER/Christiana FOUNTOULAKIS, Zivilgesetzbuch I, 7e éd., 2022, n. 13 ad art. 84 CC). Elle pourra signifier ses décisions sous la menace de la peine d’amende prévue à l’art. 292 CP. Elle pourra également être habilitée à infliger des sanctions pénales (telles que les amendes d’ordre) à d’autres personnes que les fondations surveillées, en particulier les membres du conseil de fondation. Tel pourra par exemple être le cas si l’attitude personnelle des membres du conseil de fondation a entravé l’action de l’autorité de surveillance (Loïc PFISTER, La fondation, 2e éd., 2024, n. 836 ss).

Le principe et le montant des amendes peuvent figurer dans les dispositions cantonales d’application de l’art. 84 al. 2 CC. Si le droit cantonal d’exécution de l’art. 84 al. 2 CC ne prévoit pas expressément l’amende, ce sont les dispositions générales relatives aux amendes d’ordre qui s’appliquent (Parisima VEZ, La fondation : lacunes et droit désirable, 2004, n. 947 ; Hans Michael RIEMER, op. cit., n. 96 ad art. 84 CC; Loïc PFISTER, op. cit, n. 836 ss).

Le principe de la légalité est applicable aux sanctions administratives, à la fois en ce qui concerne la légalité de l'infraction et en ce qui concerne la légalité de la peine. La loi doit donc définir l’infraction reprochée à l’administré et prévoir la peine qui lui sera infligé. Sur ce dernier point, il devrait s’agir d’une loi formelle. Cependant, le Tribunal fédéral admet que des amendes administratives puissent être prévues dans des ordonnances, car une telle sanction ferait partie des règles d’exécution des lois (ATF 124 IV 23 cosid. 1 ; 118 Ia 305 consid. 7 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd. 2018, n. 1212 ss).

2.6 Dans un arrêt du 25 février 2011 (GE.2009.0241) au consid. 2.4, confirmé dans l'arrêt GE.2009.0150 du 14 mars 2011 au consid. 5, la CDAP a, dans des affaires similaires à la présente, indiqué s'agissant de la jurisprudence du Tribunal fédéral citée supra, qu'elle expose, se référant à la doctrine, que les autorités de surveillance disposent d'une palette de moyens de surveillance préventifs et répressifs ; toutefois, comme en matière d'émoluments, une base légale est nécessaire pour que l'autorité de surveillance puisse prononcer une amende ; le principe de la légalité exige, s'agissant des amendes, que les destinataires, les bases de calcul et leur montant, de même que les conditions pour les prononcer, soient fixées dans la loi. Même insérée dans une loi au sens formel, une disposition qui se bornerait à prévoir que l'autorité peut prononcer des amendes sans autre précision, en particulier quant au montant maximum de celles-ci, serait de toute manière sans effet.

Sur cette base, la CDAP a retenu la nécessité d’une base légale formelle pour que l’autorité de surveillance puisse prononcer des amendes et a ainsi annulé une amende infligée par l’autorité de surveillance des fondations.

2.7 Dans le canton de Genève, l’art. 230 de la loi d’application du code civil suisse et d’autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 (LaCC - E 1 05) prévoit que l’autorité compétente en matière de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance est désignée par la LSFIP. Ainsi, aux termes de l’art. 1 LSFIP, cette surveillance est confiée à un établissement de droit public autonome, doté de la personnalité juridique, à savoir à l’ASFIP (art. 2 al. 1 LSFIP), qui exerce en particulier les compétences prévues par le CC (art. 3 let. b LSFIP).

Sur cette base, l’ASFIP a adopté le RSFIP-Surv et le RSFIP-Emol. Selon l’art. 2 RSFIP-Surv, l’ASFIP s’assure que les fondations se conforment aux dispositions légales ainsi qu’aux dispositions statutaires et réglementaires des entités surveillées et veille à ce que les biens de ces dernières soient employés conformément à leur but (al. 1). Elle examine les documents annuels des fondations et vérifie notamment (al. 2) : l’organisation (let. a) ; l’utilisation de la fortune conformément au but (let. b) ; la conformité aux statuts, à la législation, aux règlements et aux autres actes édictés par les entités surveillées (let. c).

Selon l’art. 12 RSFIP-Surv, les fondations sont tenues de remettre à l’ASFIP dans les six mois qui suivent la clôture de chaque exercice annuel (al. 1) : les états financiers annuels, composés du bilan, du compte d’exploitation et de l’annexe (let. a) ; le rapport de l’organe de révision (let. b) ; le rapport annuel d’activité (let. c) ; le procès-verbal de la séance de l’organe suprême approuvant les états financiers annuels (let. d). L’annexe aux comptes annuels est obligatoire et doit contenir au moins les informations notamment sur (al. 2) : les mesures prises en cas de surendettement et d’insolvabilité (let. c) ; les événements importants postérieurs à la date du bilan (let. d). L’ASFIP peut en tout temps demander des informations et documents supplémentaires (al. 4). Les fondations doivent remettre les documents requis par l’ASFIP dans les délais exigés. Passé ce délai, une procédure de rappel peut être déclenchée, l’ASFIP pouvant toutefois, sur demande écrite, motivée et signée par les représentants autorisés de la fondation, accorder une prolongation de ce délai (art. 7 RSFIP-Surv).

L’art. 3 RSFIP-Surv prévoit la possibilité d’adresser des rappels, mettre en demeure, signifier ses décisions sous la menace des peines prévues aux art. 292 CP ou 79 LPP, dénoncer les cas d’insoumission au Ministère public ou prononcer la réprimande ou l’amende (al. 1 let. i). Les modalités d’exécution sont fixées aux art. 11 let. d et 12 al. 1 RSFIP-Emol, articles traitant des frais perçus pour les tâches administratives, dont la perception des amendes pour non-remise des documents annuels (art. 11 let. d RSFIP-Emol), renvoyant à l’annexe 2 du RSFIP-Emol pour ce qui est du montant de l’amende (12 al. 1 RSFIP-Emol). L’annexe 2 – barème des émoluments pour les prestations de service et les frais pour les tâches administratives, dispose en son chiffre 3.5 que l’amende en cas de non remise des documents annuels ou de tout autre document demandé, sanction pour inobservation de prescriptions d’ordre sera comprise entre CHF 1'000.- et CHF 4'000.-.

3.             En l’espèce, il s’agit de déterminer si l’ASFIP pouvait prononcer une amende dans sa décision du 11 avril 2024, singulièrement si les bases légales sur lesquelles se fonde cette décision sont suffisantes.

3.1 La recourante fonde une partie de son argumentation sur la nécessité d’une base formelle en raison de la nature pénale qu’aurait la sanction prononcée par l’intimée. Cette dernière affirme qu’il s’agit d’une mesure purement administrative.

Cette question peut, dans le cas d’espèce, rester indécise. Selon les principes jurisprudentiels et doctrinaux rappelés ci-avant, l’amende prononcée par l'intimée – à qui sont confiées des tâches de puissance publique – doit en effet satisfaire aux exigences normatives accrues attendues en cas de prononcé de mesures répressives. Dès lors, l'amende prononcée par l'intimée devait reposer à tout le moins sur une base légale formelle ou réglementaire reposant sur une clause de délégation législative expresse de droit cantonal.

Il convient ainsi d’examiner si les normes sur lesquelles l’intimée fonde sa décision satisfont à cette exigence.

3.2 L’art. 84 al. 2 CC donne un mandat général à l’autorité de surveillance, disposant que l’autorité de surveillance pourvoit à ce que les biens des fondations soient employés conformément à leur destination.

L’art. 3 RSFIP-Surv prévoit les moyens de surveillance à disposition de l’intimée, en particulier l’amende et la menace de l’art. 292 CP (al. 1 let. i). Les art. 11 let. d et 12 al. 1 du RSFIP-Emol, faisant partie de la section 5 - frais pour les tâches administratives, disposent quant à eux que : [l’autorité de surveillance] perçoit des frais notamment pour les tâches administratives suivantes ; d) condamnation au versement d’une amende en cas de non remise des documents annuels (art. 11 let. d RSFIP-Emol) ; les frais sont facturés conformément au barème annexé au présent règlement (annexe 2) (art. 12 al. 1 RSFIP-Emol.).

L’intimée soutient que ces bases légales sont suffisantes pour le prononcé de la décision querellée, puisque les art. 3 RSFIP-Surv, en relation avec les art. 11 et 12 RSFIP-Emol, prévoient spécifiquement les modalités de l’amende ainsi que ses montants minimum et maximum ; et quand bien même tel ne serait pas le cas, l’art. 84 CC constituerait à lui seul une base légale suffisante pour permettre à l’autorité de surveillance de prendre toute mesure de surveillance ordinaire ou extraordinaire contre une fondation qui manquerait à ses obligations.

Cet avis ne saurait être suivi.

3.3 Ni l’art. 84 CC ni les dispositions cantonales d’application de cette disposition (soit la LaCC et la LSFIP) ne prévoient le principe du prononcé d'une amende.

L’art. 84 CC, s’il donne une grande latitude à l’autorité de surveillance pour organiser son activité et la dote de nombreux moyens pour se faire, n’est pas une base légale suffisante dans le cadre du prononcé d’amendes par l'autorité de surveillance. Cette disposition ne présente pas la densité normative attendue dans le cadre du prononcé de sanctions, fussent-elles seulement de nature administrative. En effet, aussi bien le principe que le montant de l’amende y font défaut. Partant, cette base légale ne saurait fonder la décision prise par l’intimée.

L’art. 84 CC ne saurait pas non plus être considéré comme une norme de délégation législative, n’étant pas suffisamment précis et ne circonscrivant pas les lignes fondamentales de la réglementation déléguée, soit le but, l'objet et l'étendue des pouvoirs délégués au pouvoir exécutif. Si, comme l’admettent la doctrine et la jurisprudence, l’art. 84 al. 2 CC peut servir de base légale en matière de mesures répressives dans le cadre de la surveillance des fondations en l’absence de normes cantonales, les amendes administratives ne peuvent être considérées comme entrant dans ce champ d’application et nécessitent une base légale au minimum formelle ou règlementaire reposant sur une clause de délégation législative expresse.

En outre, on ne trouve ni dans la LaCC, ni la LSFIP, de disposition de délégation législative relative à la question des moyens de surveillance. Si la LSFIP octroie bien, aux termes de son art. 30 al. 4 LSFIP, le droit à l’autorité intimée d’édicter un règlement relatif la fixation des coûts de la surveillance et les modalités de facturation, on ne saurait y voir une délégation relative à l’édiction de normes relatives aux sanctions.

En second lieu, la réglementation autonome d’unités administratives décentralisées ou d’organismes de droit privé peut certes constituer une base légale suffisante, lorsqu’une loi formelle leur délègue un pouvoir réglementaire, aux mêmes conditions que pour les ordonnances.

Or le principe et la quotité de l’amende relèvent de règlements internes adoptés par l’intimée (RSFIP-Surv, RSFIP-Emol) qui ne sauraient satisfaire aux standards normatifs minimums pouvant fonder le prononcé de sanctions administratives. Ces règlements n’ont, comme indiqué ci-avant, pas fait l’objet d’une délégation législative idoine. Or, comme indiqué supra, dans l’hypothèse de la règlementation autonome d’unités administratives décentralisées, les conditions de la délégation législative doivent satisfaire à des exigences strictes.

À titre de comparaison, dans d’autres cantons, en matière de surveillance des fondations classiques, le principe et la quotité de l’amende sont prévus soit dans des lois formelles, soit dans des normes de rang supérieur. On peut citer l’art. 9 al. 5 de la loi d’application du code civil suisse du 10 février 2012 (LACC - RSF 210.1) pour le canton de Fribourg ; l’art. 28 du concordat sur la création et l'exploitation de l'autorité de surveillance LPP et des fondations de Suisse occidentale du 23 février 2011 (C-AS-SO - 831.95), qu’ont ratifié les cantons du Jura, de Neuchâtel et de Vaud. Dans d’autres cas, tel que celui de la Zentralschweizer BVG‑ und Stiftungsaufsicht (ZBSA), autorité compétente dans les cantons de Lucerne, Schwytz, Obwald, Nidwald et Zoug, une clause de délégation est prévue à l’art. 6 let. l du concordat sur la LPP et les fondations de Suisse centrale du 19 avril 2004 (Konkordat über die Zentralschweizer BVG- und Stiftungsaufsicht  -  iSR  2.2- 10.1). L’Ostschweizer BVG- und Stiftungsaufsicht, autorité compétente dans les cantons de Saint-Gall, du Tessin et de Thurgovie, est habilitée à prononcer des amendes d’ordre sur la base des art. 11 let. h du règlement intercantonal sur la surveillance des LPP et des fondations de Suisse orientale du 16 novembre 2015 (Verfahrensrechtliche Bestimmungen der Ostschweizer BVG- und Stiftungsaufsicht - 2.2-10.2.2) et l’art. 11 let. b et h de l’accord intercantonal sur la surveillance LPP et des fondations en Suisse orientale du 26 septembre 2005 (Interkantonale Vereinbarung über die Ostschweizer BVG- und Stiftungsaufsicht - iSR 2.2-10.2). Dans les cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne, une délégation législative en faveur de l’autorité de surveillance figure à l’art. 6 let. l de la convention intercantonale entre les cantons de Bâle-Ville et de Bâle‑Campagne relatif à la surveillance LPP et des fondations des deux Bâle (Vertrag zwischen den Kantonen Basel-Stadt und Basel-Landschaft über die BVG- und Stiftungsaufsicht beider Basel - SG 833.100).

Au vu de ce qui précède, le RSFIP-Surv et le RSFIP-Emol ne sauraient être considérés comme des bases légales suffisantes pour le prononcé d’une amende, en particulier en l’absence de délégation législative, aucune disposition y relative ne figurant ni dans le CC, ni LaCC ni la LSFIP. C’est donc à tort que l’autorité a prononcé une amende sur la base de ces textes.

La nécessité pour l’autorité de surveillance de disposer de moyens de surveillance incisifs tels que l’amende ne saurait prendre le pas sur le principe de légalité. Le grief de la recourante sera admis sur ce point.

4.             La recourante conteste également le bien-fondé de la menace de l’art. 292 CP signifiée par l’ASFIP dans la décision litigieuse.

4.1 L’art. 292 CP dispose que quiconque ne se conforme pas à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents est puni d’une amende.

4.2 La décision doit être prise par une autorité ou un fonctionnaire compétents, faute de quoi une condamnation pour insoumission à une décision de l’autorité est exclue. Cela signifie que celui qui prend la décision doit être compétent à la fois ratione loci et ratione materiae, et être doté d’une compétence d’attribution (ATF 122 IV 340 consid. 2 ; Christof RIEDO/Barbara BONER, in Marcel Alexander NIGGLI/Hans WIPRÄCHTIGER, Strafrecht, 4e éd., 2019, n. 69 ad art. 292 CP).

4.3 Sont réputées autorités administratives au sens de l’art. 1 LPA, notamment, les institutions, corporations et établissements de droit public ainsi que les autorités communales, les services et les institutions qui en dépendent (art. 5 let. e et f LPA).

4.4 Comme on l'a vu, les fondations sont placées sous la surveillance de la corporation publique (Confédération, canton, commune) dont elles relèvent par leur but (art. 84 al. 1 CC).

Au terme de l’art. 1 al. 1 LSFIP, la surveillance des fondations de droit civil, des institutions de prévoyance et des institutions servant à la prévoyance est confiée à un établissement de droit public, doté de la personnalité juridique, ayant qualité d'autorité cantonale compétente au sens notamment de l'art. 84 CC. L’art. 2 al. 2 LSFIP dispose que cet établissement est l’autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance.

4.5 L'autorité de surveillance peut combiner sa décision avec une menace de sanction sur la base d'une disposition particulière du droit cantonal ou, à défaut, en application de l’art. 292 du CP. Elle a également le droit de donner du poids à ses avis par la menace de sanctions conformément à l’art. 292 CP (ATF 99 Ib 255 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_14/2003 du 20 août 2003 consid. 4.3 ; Harold GRÜNINGER in Thomas GEISER/Christiana FOUNTOULAKIS, op. cit, n. 13 ad art. 84 CC).

4.6 En l’espèce, l’intimée est un établissement de droit public et est désignée par la loi comme l’autorité compétente en matière de surveillance des fondations. La recourante ne l’ignore pas, au demeurant, puisqu’elle s’est conformée à son obligation de se soumettre à sa surveillance. Il ressort de ce qui précède que l’intimée, autorité au sens de l'art. 292 CP, n’a pas violé le droit en menaçant la recourante au sens de ce même article, d’autant plus que la recourante n’a, à plusieurs reprises, pas satisfait aux décisions prises à son encontre par l’autorité intimée.

Ce grief devra être écarté.

5.             La recourante conclut à la nullité de la décision.

5.1 Selon un principe général, la nullité d’un acte commis en violation de la loi doit résulter ou bien d’une disposition légale expresse, ou bien du sens et du but de la norme en question (ATF 122 I 97 consid. 3a ; 119 II 147 consid. 4a et les références). En d’autres termes, il n’y a lieu d’admettre la nullité, hormis les cas expressément prévus par la loi, qu’à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d’annulabilité n’offre manifestement pas la protection nécessaire (ATF 138 III 49 consid. 4.4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_160/2017 du 3 octobre 2017 consid. 5.1 ; ATA/547/2021 du 9 juillet 2021 consid. 6a et les références). Ainsi, d’après la jurisprudence, la nullité d’une décision n’est admise que si le vice dont elle est entachée est particulièrement grave, est manifeste ou du moins facilement décelable et si, en outre, la constatation de la nullité ne met pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Des vices de fond n’entraînent qu’à de rares exceptions la nullité d’une décision ; en revanche, de graves vices de procédure, ainsi que l’incompétence qualifiée de l’autorité qui a rendu la décision sont des motifs de nullité. L’illégalité crée un motif d’annulabilité et non de nullité. (ATF 144 IV 362 consid. 1.4.3 ; 139 II 243 consid. 11.2 ; 133 II 366 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_171/2020 du 6 avril 2021 consid. 1.4.2 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 376).

5.2 En l’espèce, la décision litigieuse ne répond pas aux critères jurisprudentiels précités permettant de retenir sa nullité. On ne discerne en effet pas de violation grave des droits procéduraux de la recourante susceptible de conduire à un constat de nullité et l'annulation de l'amende querellée lui offre manifestement la protection nécessaire.

Partant, le recours sera partiellement admis et la décision querellée sera annulée en tant qu’elle inflige une amende.

Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument et une indemnité de procédure réduite de CHF 800.- sera allouée à la recourante, qui obtient partiellement gain de cause, à la charge de l’autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 mai 2024 par la A______ contre la décision de l’autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance du 11 avril 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement et annule le prononcé de l’amende ;

confirme la décision pour le surplus ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à la A______ une indemnité de procédure de CHF 800.- à la charge de l'autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance;

dit que, conformément à l’art. 72 al. 2 let. b ch. 4 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière civile ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Steve ALDER, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'Autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :