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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3305/2022

ATA/6/2023 du 10.01.2023 ( NAT ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3305/2022-NAT ATA/6/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 janvier 2023

 

dans la cause

 

Monsieur M. A______
représenté par Me Anne-Laure Diverchy, avocate

contre

CONSEIL D'ÉTAT



EN FAIT

1) Monsieur A______ est né le ______ 1993 à Altamura, Bari en Italie. Il se dit de nationalité serbe ; selon le Conseil d’État, sa nationalité n’a pas pu être élucidée.

2) Arrivé le 18 septembre 2005 à Genève, il est au bénéfice d’un permis F.

3) Il a formé, le 7 juin 2012, une demande de naturalisation.

4) La procédure a été suspendue du 22 juillet 2016 au 21 juillet 2019, en raison d’un acte de défaut de biens d’un montant de CHF 1'933.65, du sens civique insuffisant de l’intéressé et du fait qu’il percevait des prestations d’aide sociale.

5) À la demande du 6 juin 2017 de M. A______, qui exposait avoir soldé ses dettes, de reprendre la procédure, le service des naturalisations (ci-après : SN) a répondu que la procédure ne pouvait être reprise que s’il justifiait de la prise d’un emploi à un taux minimum de 50 % depuis au moins six mois.

6) Le 19 septembre 2017, B______, fille de M. A______, est née. Elle est au bénéfice d’un permis F et a été incluse dans la procédure de naturalisation.

7) M. A______ a conclu un contrat de travail, le 19 mars 2019, avec C______, prévoyant un salaire « à la tâche ». Ses salaires mensuels nets ont oscillé entre CHF 1'300.- et CHF 2'400.-.

8) Le 19 octobre 2019, le SN a rendu un avis défavorable, l’administré continuant à percevoir l’aide sociale et ayant une dette de CHF 3'239.55 à l’égard de l’Hospice général (ci-après : l’hospice).

9) Cette dette se montait, en février 2022, à CHF 12'101.75.

10) En avril 2020, M. A______ a conclu un contrat de travail avec D______, en tant que livreur. Il était rémunéré à la prestation, réalisant des revenus mensuels nets entre CHF 1'000.- et CHF 2'000.- environ.

11) Le 14 juin 2021, le SN a suspendu une ultime fois la procédure jusqu’au 30 juillet 2021.

12) Par arrêté du 7 septembre 2022, le Conseil d’État a refusé la naturalisation genevoise de M. A______ et de sa fille. L’intégration, notamment professionnelle, de celui-ci n’était pas réussie. Il n’avait exercé une activité professionnelle qu’à des taux marginaux (entre 21 % et 30 %), n’avait pas cherché à combler ce taux d’activité ou à exercer une activité professionnelle à 100 %, alors qu’il était jeune, en bonne santé et avait suivi une partie de sa scolarité à Genève. L’absence d’intégration professionnelle l’avait conduit à ne pas pouvoir subvenir à ses besoins et ceux de sa fille et à être à la charge de l’assistance publique depuis le 1er novembre 2011. Entre 2017 et 2022, il avait perçu de l’hospice CHF 56'354.-. Il n’avait pas non plus établi qu’il ne s’était pas trouvé par sa faute ou par abus à la charge de l’assistance sociale.

13) Par acte déposé le 10 octobre 2022 au greffe universel du Pouvoir judiciaire, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre cet arrêté, concluant à son annulation et à l’octroi de la naturalisation genevoise.

Après une période de chômage depuis juillet 2021, il venait de conclure un nouveau contrat de travail avec E______, en qualité de livreur du 1er octobre au 31 décembre 2022. Il avait réglé l’intégralité de ses dettes auprès de l’hospice le 8 avril 2022. En réglant ses dettes et trouvant des emplois, il avait tout fait pour s’intégrer dans la communauté genevoise. Le Conseil d’État n’était donc pas fondé à retenir qu’il s’était retrouvé par sa faute à la charge de l’assistance publique.

Le contrat de travail produit prévoit que « vu le caractère irrégulier des contributions, le collaborateur est rémunéré sur la base d’un salaire horaire », celui-ci correspondant au salaire minimum applicable à Genève.

14) Le Conseil d’État a conclu au rejet du recours.

Il ressortait de l’attestation de l’hospice du 5 octobre 2022, produite par le recourant, qu’il percevait toujours des prestations de celui-ci, au demeurant plus élevées en 2022 que les années précédentes. Le contrat de travail avec E______ était précaire, dès lors que sa durée maximale prévue n’excédait pas le 31 décembre 2022, à moins d’être renouvelé par les parties. Le taux d’activité n’était pas précisé, seule une rémunération horaire était prévue, compte tenu du caractère irrégulier des paiements. Le recourant ne percevrait ainsi pas un salaire fixe.

15) Le recourant n’a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet.

16) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige a trait à la question de savoir si, pour les motifs invoqués à l’appui de sa décision de refus de naturalisation, le Conseil d’État a respecté le cadre de son pouvoir d’appréciation, ce que le recourant conteste.

3) L’art. 50 al. 1 de la loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN – RS 141.0), entrée en vigueur le 1er janvier 2018, prévoit que l’acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s’est produit. Les demandes déposées avant l’entrée en vigueur de ladite loi sont traitées conformément aux dispositions de l’ancien droit jusqu’à ce qu’une décision soit rendue (art. 50 al. 2 LN).

Le recourant ayant déposé sa demande de naturalisation auprès de l’autorité compétente en 2012, soit avant l’entrée en vigueur de la LN, elle doit être traitée selon l’ancien droit, à savoir la loi fédérale sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse du 29 septembre 1952 (aLN) et la LNat du 13 mars 1992 dans sa teneur antérieure à la dernière modification législative entrée en vigueur le 4 avril 2018 (aLNat - A 4 05).

4) a. Au niveau fédéral, les conditions de la naturalisation sont énoncées aux art. 14 (conditions d’aptitude, matérielles) et 15 (conditions de résidence, formelles) aLN. Aux termes de l’art. 14 aLN, pour obtenir la nationalité suisse, l’étranger doit en particulier s’être intégré dans la communauté suisse (let. a), s’être accoutumé au mode de vie et aux usages suisses (let. b), se conformer à l’ordre juridique suisse (let. c) et ne pas compromettre la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (let. d).

b. Dans le domaine de la nationalité, le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM) a établi le « Manuel sur la nationalité pour les demandes jusqu’au 31.12.2017 » (ci-après : Manuel ; consultable sur le site internet du SEM), qui est applicable ratione temporis en conformité avec l’art. 50 LN et dont la chambre de céans tient compte au titre de l’expression d’une pratique (ATA/269/2019 du 19 mars 2019 consid. 6i et les références citées).

Le terme d’intégration comprend une vaste gamme de critères, parmi lesquels figure l’intégration professionnelle. Dans chaque cas, il est indispensable de procéder à une évaluation générale de la situation en matière d’intégration, en tenant compte de la situation personnelle des requérants. La vérification de l’intégration incombe largement aux cantons, de sorte que le rôle de la Confédération se limite à vérifier si le requérant se conforme à l’ordre juridique suisse et s’il ne compromet pas la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (Manuel, p. 24 ; arrêt du Tribunal fédéral 1D_2/2017 du 22 mars 2017 consid. 3.1).

La perception de l’aide sociale, de prestations de l’assurance-invalidité ou d’allocations de chômage n’aboutit pas automatiquement, dans la procédure auprès des autorités fédérales – pour autant que tous les autres critères soient remplis – au rejet d’une demande de naturalisation, mais seulement si le requérant est responsable, de par son propre comportement, de la perception de ces moyens financiers ou qu’il existe des indices d’abus (Manuel, p. 25).

c. À Genève, le candidat à la naturalisation doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral et celles fixées par le droit cantonal (art. 1 let. b aLNat).

Il doit notamment remplir les conditions d’aptitude prévues à l’art. 12 aLNat, à savoir : avoir avec le canton des attaches qui témoignent de son adaptation au mode de vie genevois (let. a) ; ne pas avoir été l’objet d’une ou de plusieurs condamnations révélant un réel mépris des lois (let. b) ; jouir d'une bonne réputation (let. c) ; avoir une situation permettant de subvenir à ses besoins et à ceux des membres de sa famille dont il a la charge (let. d) ; ne pas être, par sa faute ou par abus, à la charge des organismes responsables de l’assistance publique (let. e) ; s’être intégré dans la communauté genevoise et respecter les droits fondamentaux (let. f).

5) En l’espèce, il ressort du dossier que le recourant bénéficie de l’aide sociale depuis 2011. Les revenus réalisés en sa qualité de livreur ne lui ont pas permis et ne lui permettent toujours pas de couvrir ses charges ainsi que celles de sa fille. Il n’est ainsi pas financièrement indépendant et ne l’a pas été tout au long de la procédure de naturalisation. Celle-ci a été suspendue, notamment pour permettre au recourant de régler ses dettes – ce qu’il est parvenu à faire – et acquérir son indépendance financière. Or, malgré le fait que le SN l’a rendu attentif à la nécessité d’augmenter son taux d’activité ou de trouver un emploi plus rémunérateur afin d’acquérir son indépendance financière, le recourant ne s’y est pas employé. Il fait valoir qu’il aurait tout fait pour participer à la vie économique. Il ne produit toutefois aucune preuve de recherche d’emploi, que ce soit dans le domaine de la livraison de repas ou dans un autre domaine plus rémunérateur. À teneur des pièces produites, les activités de livreur effectuées pour les différents employeurs n’ont pas été exercées en même temps, mais successivement, à savoir du 19 mars 2019 à avril 2020 pour C______, du 16 avril 2020 à juin 2021 pour D______, puis depuis octobre à décembre 2022 pour E______. Ce dernier contrat, sur appel, ne prévoit, comme les précédents, pas de salaire mensuel fixe.

Le recourant est jeune et ne soutient pas avoir de problèmes de santé. Toutefois, il n’établit ni même ne rend vraisemblable qu’il ne serait pas en mesure de trouver un emploi stable, exercé à un pourcentage lui permettant de subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille.

Dans ces circonstances, le Conseil d’État n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation en retenant que le recourant ne pouvait pas se targuer d’une bonne intégration professionnelle, en ne travaillant qu’à des taux réduits, en ne cherchant pas à combler ces taux d’activité ou à exercer une activité à professionnelle à 100 % et, de manière plus générale, en n’entreprenant pas les démarches lui permettant d’acquérir une indépendance financière, de sorte que sa dépendance de l’aide sociale lui était imputable.

L’arrêté querellé est donc conforme au droit, notamment aux art. 14 let. a aLN et 12 let. c à f aLNat, et ne consacre pas d’abus du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée.

Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.

6) Il n’est pas perçu d’émolument, la procédure étant gratuite. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 octobre 2022 par Monsieur A______ contre l’arrêté du Conseil d’État du 7 septembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Anne-Laure Diverchy, avocate du recourant, au Conseil d'État ainsi qu’au secrétariat d’État aux migrations.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le présidente siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

 

Genève, le

 

la greffière :