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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/601/2022

ATA/1276/2022 du 20.12.2022 ( NAT ) , REJETE

Descripteurs : NATURALISATION;ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ;SUSPENSION DE LA PROCÉDURE;INTÉGRATION SOCIALE;ASSISTANCE PUBLIQUE
Normes : LN.50; Cst.38.al2; aLN.12; LN.11; LN.12; OLN.7; OLN.9; LNat.12; RNat.1.al2; RNat.15; RNat.13.al6; LN.12.al2; OLN.9.letc; LNat.12.lete
Résumé : Confirmation d'une décision de suspension de la procédure de naturalisation au motif que la recourante est à la charge de l'assistance publique depuis de nombreuses années. L'intéressée ne peut pas se prévaloir de raisons personnelles majeures expliquant le fait qu'elle dépend de l'Hospice général. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/601/2022-NAT ATA/1276/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 décembre 2022

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Sacha Camporini, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 1972, de nationalité ukrainienne, réside à Genève depuis le 1er octobre 1999, actuellement au bénéfice d'une autorisation d'établissement (permis C).

2) Le 17 décembre 2019, Mme A______ a déposé une demande de naturalisation suisse et genevoise auprès du secteur naturalisations de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM).

Elle a notamment indiqué dans le formulaire ad hoc ne pas avoir d'activité professionnelle mais être au bénéfice de l'aide sociale, et a joint des attestations d'aide financière de l'Hospice général (ci-après : l'hospice) ainsi qu'un formulaire par lequel elle confirmait maintenir sa demande de naturalisation malgré cette aide, et être consciente que sa demande de naturalisation pouvait être rejetée pour ce motif.

3) Un enquêteur du secteur des naturalisations a procédé à l'audition de Mme A______ par vidéoconférence le 3 juillet 2020.

4) L'enquêteur a rendu un préavis défavorable dans son rapport daté du 8 juillet 2020.

Mme A______ était connue des services de police. Son français était de niveau B1 à l'oral et A2 à l'écrit. Sa participation à la vie locale et son suivi des médias et de l'actualité étaient insuffisants. Elle avait bénéficié de l'aide financière de l'hospice depuis le 1er juillet 2005, subvenait à ses besoins uniquement grâce à cette aide financière et devait à l'hospice un montant de CHF 31'799.05 pour des salaires et des comptes bancaires non déclarés entre 2006 et 2010.

5) Par courrier du 27 août 2021, le secteur naturalisations a informé Mme A______ qu'elle ne remplissait pas toutes les conditions de naturalisation. Elle était en effet au bénéfice de l'assistance publique depuis le 1er juillet 2005 et, lors de son audition par l'enquêteur, elle n'avait pas été à même de développer à satisfaction de droit son suivi des médias et de l'actualité et sa participation à la vie locale.

Sa procédure de naturalisation allait être mise en suspens jusqu'au 26 août 2024, conformément à l'art. 13 al. 6 du règlement d'application de la loi sur la nationalité genevoise, du 15 juillet 1992 (RNat - A 4 05.01). Au terme de ce délai, elle devrait pouvoir justifier d'une sortie totale de l'aide sociale et du remboursement intégral des prestations perçues lors des trois dernières années.

Sans nouvelles de sa part, la procédure serait classée le 26 août 2024. Une décision formelle pouvait être remise sur demande écrite formulée dans les trente jours.

6) Par courrier du 24 septembre 2021, Mme A______ a demandé le prononcé d'une décision formelle ainsi que l'apport de son dossier complet.

7) Le 18 janvier 2022, l'hospice a fait parvenir à l'OCPM un décompte actualisé des prestations d'aide financière servies chaque année entre 2018 et 2022, ainsi que le montant de la dette de Mme A______, qui s'élevait à CHF 26'323.05.

8) Le 20 janvier 2022, le secteur naturalisations a rendu une décision de mise en suspens de la procédure de naturalisation de Mme A______ jusqu'au 20 janvier 2025, soit jusqu'à la fin de délai de carence prévu par l'art. 7 al. 3 de l'ordonnance sur la nationalité suisse du 17 juin 2016 (OLN - RS 141.01), en vue d'une nouvelle audition qui se déroulerait à l'échéance susmentionnée.

Elle pouvait demander la reprise de la procédure avant ce délai, à condition d'être en mesure de prouver son remboursement intégral de l'aide sociale perçue au cours des trois dernières années ainsi que du montant de sa dette pour prestations indûment obtenues.

Mme A______ était à la charge continue de l'assistance publique depuis le mois de juillet 2005. Elle devait de surcroît rembourser à l'hospice des prestations financières indûment perçues. Elle n'avait pas été en mesure de démontrer à satisfaction de droit sa participation à la vie locale, se bornant à citer quelques fêtes locales tout en concédant qu'elle n'y avait jamais participé. Enfin, à la lecture des réponses données, il apparaissait qu'elle portait peu d'intérêt à l'actualité locale. Les conditions fixées par la législation en matière de naturalisation ordinaire n'étaient ainsi pas remplies.

9) Par acte posté le 21 février 2022, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à la production de la correspondance entre l'OCPM et l'hospice ainsi qu'à sa comparution personnelle, et principalement à l'annulation de la décision attaquée, à ce qu'il soit dit que la procédure de naturalisation suivrait son cours et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Elle avait une fille née en 1994 qui était étudiante en maîtrise universitaire auprès de l'Université de Genève (ci-après : l’université). Elle avait épousé en 1999 un citoyen suisse, dont elle était divorcée depuis juin 2005. À partir de cette date, elle avait dû assumer seule la prise en charge de sa fille et ne recevait aucune contribution d'entretien pour sa fille ou pour elle-même. Elle n'avait pas ménagé sa peine pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille, occupant de nombreux emplois souvent sous-qualifiés par rapport à ses études universitaires. Le soutien de l'hospice s'était néanmoins révélé nécessaire pour lui permettre d'assurer l'ensemble de ses charges.

Son dossier de naturalisation démontrait sa bonne intégration. Ses déclarations à l'enquêteur ne posaient nullement problème de ce point de vue.

Elle n'avait eu vent de l’existence du courrier adressé par l'hospice à l'OCPM le 18 janvier 2022 qu'à réception de la décision attaquée et n'en connaissait toujours pas la teneur, ce qui violait son droit d'être entendue.

En retenant qu'elle ne participait pas à la vie locale et qu'elle portait peu d'intérêt à l'actualité locale, l'OCPM avait procédé à une constatation inexacte des faits.

S'agissant de sa dépendance à l'aide sociale, les directives du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) prévoyaient des exceptions, notamment pour les raisons personnelles majeures empêchant les requérants de participer à la vie économique, et pour les personnes qui ne gagnaient pas suffisamment bien qu'elles eussent un emploi. Or, elle avait exercé une activité professionnelle jusqu'en 2015, même si cela avait souvent été dans des emplois sous-qualifiés, saisissant la moindre possibilité de travailler. Elle avait suivi diverses formations pour tenter de s'adapter au marché de l'emploi cantonal. Malgré sa diligence et sa grande volonté, son divorce l'avait conduite ainsi que sa fille dans une situation de grande précarité, ne leur laissant pas d'autre choix que d'avoir recours à l'aide sociale. Sa dépendance à celle-ci n'était dès lors pas fautive, mais relevait de circonstances personnelles majeures.

10) Le 31 mars 2022, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Mme A______ avait été entendue avant que la décision attaquée ne soit prise. Elle avait elle-même indiqué être à la charge de l'hospice et fourni des pièces à cet égard, avait été entendue par l'enquêteur et s'était vu remettre son dossier complet le 4 novembre 2021. Elle avait ainsi parfaitement connaissance des éléments contenus dans la décision attaquée. Le document de l'hospice du 18 janvier 2022 était une attestation actualisant les prestations perçues et les montants déjà remboursés. Mme A______ avait été avertie des intentions de l'OCPM par courrier du 27 août 2021 et avait eu tout loisir de s'exprimer au sujet de ce dernier. Son droit d'être entendue n'avait donc pas été violé.

L'enquêteur n'avait aucunement constaté les faits de manière inexacte concernant son intégration, laquelle était insuffisante.

S'agissant de la dépendance à l'aide sociale, les allégations de Mme A______ n'étaient pas propres à remettre en cause son appréciation de la situation. L'intéressée ne travaillait plus depuis 2015 alors que son divorce avait été prononcé en 2005 déjà et que sa fille était devenue majeure en 2012. Sa situation familiale actuelle ne justifiait pas qu'elle bénéficiât de prestations d'aide sociale encore à ce jour, et même déjà en 2016, soit trois ans avant le dépôt de sa demande de naturalisation. De plus, elle avait pu exercer une activité professionnelle lorsque sa fille était encore mineure, de sorte que l'on ne comprenait pas comment sa situation familiale pouvait justifier qu'elle ne travaillât plus, alors que sa fille était désormais âgée de 27 ans. Sa volonté d'intégration professionnelle ne ressortait enfin pas du dossier, les recherches d'emploi produites étant au nombre de cinq par mois, bien loin des dix demandées aux chômeurs par l'office cantonal de l'emploi.

11) Le 13 avril 2022, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 13 mai 2022 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

12) Le 21 avril 2022, l'OCPM a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires à faire valoir.

13) Le 13 mai 2022, Mme A______ a persisté dans ses conclusions, en particulier sa demande d'audition, produisant en outre un contrat de mission temporaire du 17 mars au 30 avril 2022, deux décomptes récents de l'hospice et une attestation d'inscription à des cours de français de niveau B1 et B2.

Ces documents montraient qu'elle avait trouvé un travail, quand bien même à titre temporaire, et qu'elle remboursait l'hospice à raison de CHF 100.- par mois. Elle avait donc la capacité de se passer, à brève échéance, du soutien de l'hospice.

14) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante sollicite son audition et invoque une violation du droit d'être entendu du fait que l'échange d'informations entre l'hospice et l'intimé ne lui aurait pas été communiqué.

a. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).

b. Le droit de consulter le dossier est un aspect du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 132 II 485 consid. 3.2). Selon la jurisprudence, le justiciable ne peut pas exiger la consultation de documents internes à l'administration, à moins que la loi ne le prévoie expressément (ATF 125 II 473 consid. 4a ; 122 I 153 consid. 6a). Il s'agit des notes dans lesquelles l'administration consigne ses réflexions sur l'affaire en cause, en général afin de préparer des interventions et décisions nécessaires. Il peut également s'agir de communications entre les fonctionnaires traitant le dossier. Cette restriction du droit de consulter le dossier doit de manière normale empêcher que la formation interne de l'opinion de l'administration sur les pièces déterminantes et sur les décisions à rendre soit finalement ouverte au public. Il n'est en effet pas nécessaire à la défense des droits des administrés que ceux-ci aient accès à toutes les étapes de la réflexion interne de l'administration avant que celle-ci ait pris une décision ou manifesté à l'extérieur le résultat de cette réflexion (ATF 115 V 297 consid. 2g ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_685/2018 du 22 novembre 2019 consid. 4.4.2).

Le principe de l'accès au dossier figure à l'art. 44 LPA, alors que les restrictions sont traitées à l'art. 45 LPA. Ces dispositions n'offrent pas de garantie plus étendue que l'art. 29 Cst. (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, p. 145 n. 553 et l'arrêt cité).

c. Selon la jurisprudence, une violation du droit d'être entendu peut être considérée comme réparée lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une autorité de recours disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure et pouvant ainsi contrôler librement l'état de fait et les considérations juridiques de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2). Une telle réparation doit, toutefois, rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte aux droits procéduraux de la partie lésée qui n'est pas particulièrement grave (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 135 I 276 consid. 2.6.1). Elle peut également se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 136 V 117 consid. 4.2.2.2).

d. En l'espèce, la recourante a pu s'exprimer par écrit et fournir des pièces tant devant la chambre de céans que devant l'intimé. Ainsi qu'il résulte des considérants qui suivent, la question décisive s'agissant de son intégration est celle de sa dépendance à l'aide sociale, dont les tenants et aboutissants sont démontrés par pièce. Il s'ensuit que sa demande d'audition sera refusée.

S'agissant de l'accès à l'échange entre l'hospice et l'intimé, la recourante ne rend pas vraisemblable qu'elle aurait demandé l'accès à son dossier et que celui-ci lui aurait été refusé. Au stade non contentieux, les autorités administratives n'ont pas à communiquer d'office aux parties toute pièce nouvelle leur parvenant. Le courrier d'intention du 27 août 2021, s'il ne mentionnait pas formellement l'échange précité, faisait déjà référence à la dépendance à l'aide sociale. Quoi qu'il en soit, même à admettre une violation du droit d'être entendu, celle-ci devrait être considérée comme réparée, dès lors que la recourante a eu accès au cours de la présente procédure à l'intégralité du dossier de l'intimé, y compris l'échange litigieux, et qu'il serait ainsi une vaine formalité que de renvoyer la cause à l'autorité intimée pour qu'elle donne connaissance de cet échange à la recourante avant de reprendre une décision.

Le grief sera par conséquent écarté.

3) Le présent litige porte sur la conformité au droit de la suspension de la procédure de naturalisation, décidée par le secteur naturalisations de l'OCPM le 20 janvier 2022, au motif que la recourante était au bénéfice de l'assistance publique depuis le 1er juillet 2005 et présentait des carences tant quant au suivi des médias et de l'actualité que quant à sa participation à la vie locale.

4) S'agissant du droit applicable à la présente affaire, l'art. 50 al. 1 de la loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN - RS 141.0) dispose que l'acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s'est produit. Les demandes déposées avant l'entrée en vigueur de ladite loi sont traitées conformément aux dispositions de l'ancien droit jusqu'à ce qu'une décision soit rendue (art. 50 al. 2 LN).

La demande de naturalisation de l’intéressée ayant été reçue par l'autorité compétente en décembre 2019, soit après l'entrée en vigueur de la LN révisée, elle doit être traitée en application du nouveau droit, lequel comprend aussi l’OLN, entrée en vigueur le 1er janvier 2018.

5) En matière de naturalisation (ordinaire) des étrangers par les cantons, la Confédération édicte des dispositions minimales et octroie l'autorisation de naturalisation (art. 38 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101). Elle dispose d'une compétence concurrente à celle des cantons. Une réinterprétation de cette disposition constitutionnelle a conduit à admettre que la compétence dont dispose la Confédération lui permet de fixer des principes et, ainsi, de prévoir dans la loi des conditions dites « maximales », que les cantons sont tenus de respecter et qu'ils ne peuvent outrepasser.

Les dispositions de la LN contenant des conditions formelles et matérielles minimales en matière de naturalisation ordinaire, les cantons peuvent définir des exigences concrètes en matière de résidence et d'aptitude supplémentaires, en respectant toutefois le droit supérieur, pour autant qu'ils n'entravent pas l'application du droit fédéral, par exemple en posant des exigences élevées au point de compliquer inutilement la naturalisation ou de la rendre tout simplement impossible (ATF 139 I 169 consid. 6.3 ; 138 I 305 consid. 1.4.3 ; 138 I 242 consid. 5.3 ; ATA/417/2016 du 24 mai 2016 consid. 5a).

Bien que ni le droit fédéral ni le droit cantonal n'accordent en principe aux candidats étrangers un droit subjectif à la naturalisation, il n'en reste pas moins que les procédures et les décisions de naturalisation doivent respecter les droits fondamentaux et que ce respect peut en principe être contrôlé par les tribunaux (ATA/892/2022 du 6 septembre 2022 consid. 4g).

6) Dans la procédure ordinaire de naturalisation, la nationalité suisse s'acquiert par la naturalisation dans un canton et une commune (art. 12 al. 1 aLN). Elle implique pour le candidat l'obtention d'une autorisation fédérale de naturalisation délivrée par l'office compétent (art. 12 al. 2 aLN) et l'octroi de la naturalisation cantonale et communale par les autorités cantonales et communales, en fonction des conditions et des règles de procédure déterminées par la législation du canton concerné (art. 15a al. 1 aLN).

Selon la jurisprudence, toutes les conditions de naturalisation doivent être remplies tant au moment du dépôt de la demande que lors de la délivrance de la décision de naturalisation (ATF 140 II 65 consid. 2.1 ; 128 II 97 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.2).

7) a. Au niveau fédéral, les conditions de la naturalisation sont énoncées aux art. 9 ss LN. Les conditions matérielles, posées par l'art. 11 LN, sont au nombre de trois, la naturalisation étant octroyée au requérant si : a) son intégration est réussie ; b) il s'est familiarisé avec les conditions de vie en Suisse, et c) il ne met pas en danger la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse. Une intégration réussie se manifeste en particulier par la participation à la vie économique ou l'acquisition d'une formation (art. 12 al. 1 let. d LN) ; la situation des personnes qui, du fait d'un handicap ou d'une maladie ou pour d'autres raisons personnelles majeures, ne remplissent pas ou remplissent difficilement cette condition, est prise en compte de manière appropriée (art. 12 al. 2 LN).

Le requérant participe à la vie économique lorsque son revenu, sa fortune ou des prestations de tiers auxquelles il a droit lui permettent, au moment du dépôt de sa demande et de sa naturalisation, de couvrir le coût de la vie et de s'acquitter de son obligation d'entretien (art. 7 al. 1 OLN). Quiconque perçoit une aide sociale dans les trois années précédant le dépôt de sa demande ou pendant sa procédure de naturalisation ne remplit pas les exigences relatives à la participation à la vie économique ou à l'acquisition d'une formation, sauf si l'aide sociale perçue est intégralement remboursée (art. 7 al. 3 OLN).

L’autorité compétente tient compte de manière appropriée de la situation particulière du requérant lors de l’appréciation des critères énumérés à l'art. 7 OLN (art. 9 OLN). Ainsi, il est possible de déroger à ces critères notamment lorsque le requérant ne peut pas les remplir ou ne peut les remplir que difficilement : a. en raison d’un handicap physique, mental ou psychique ; b. en raison d’une maladie grave ou de longue durée ; c. pour d’autres raisons personnelles majeures, telles que de grandes difficultés à apprendre, à lire et à écrire (ch. 1), un état de pauvreté malgré un emploi (ch. 2), des charges d’assistance familiale à assumer (ch. 3), ou une dépendance à l’aide sociale résultant d’une première formation formelle en Suisse, pour autant que la dépendance n’ait pas été causée par le comportement du requérant (ch. 4).

b. Selon le Message du Conseil fédéral du 4 mars 2011 concernant la révision totale de la LN (ci-après : Message ; FF 2011 2639, n. 1.2.2.6, p. 2648), lors du dépôt de sa demande et dans les limites du prévisible, le requérant doit être en mesure de pourvoir à son entretien et à celui de sa famille grâce à son revenu, sa fortune ou des prestations de tiers auxquelles il a droit (par ex. des prestations des assurances sociales, des prestations d’entretien de droit civil, des allocations cantonales de formation). Le droit des étrangers prévoit que l’autorisation d’établissement peut être révoquée lorsque le titulaire ou une personne dont il a la charge dépend durablement et dans une large mesure de l’aide sociale : dès lors qu’une personne remplit les conditions de révocation de l’autorisation d’établissement, elle ne peut répondre au critère d’intégration de la participation à la vie économique.

Le Conseil fédéral a en outre indiqué que des charges d’assistance familiale constituaient un motif justifiant que la personne concernée ne remplisse pas le critère de la volonté de participer à la vie économique et d’acquérir une formation. Par contre, elle ne saurait être explicitement dispensée de remplir les autres critères. Cela étant, lors de l’appréciation du critère, les autorités compétentes devaient prendre en considération un empêchement non fautif de prendre un emploi (par ex. des atteintes graves à la santé) et la situation individuelle de l’étranger (Message, n. 1.2.2.6, p. 2649).

c. Dans le domaine de la nationalité, le SEM a établi le « Manuel sur la nationalité pour les demandes dès le 01.01.2018 » (ci-après : Manuel ; consultable sur internet à l'adresse « https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/publiservice/ weisungen-kreisschreiben/ buergerrecht.html »), qui est applicable ratione temporis en conformité avec l'art. 50 LN et dont la chambre de céans, bien qu'elle n'y soit pas liée, peut tenir compte au titre de l'expression d'une pratique (ATA/416/2022 du 26 avril 2022 consid. 7b). Le chapitre 3 du Manuel porte sur les conditions générales et les critères de naturalisation.

Le requérant qui a perçu une aide sociale durant les trois années précédant le dépôt de sa demande, ou qui demeure dépendant de l’aide sociale durant sa procédure de naturalisation, est exclu de la procédure de naturalisation, sous réserve de l’art. 12 al. 2 LN et de l’art. 9 OLN. Le requérant ne pourra déposer une demande de naturalisation que lorsqu’il aura remboursé intégralement l’aide sociale perçue pendant les trois dernières années. Par ce remboursement, le requérant participe à nouveau à la vie économique ou à l’acquisition d’une formation. En l’absence d’un remboursement de l’aide sociale perçue par le requérant, et peu importe la législation cantonale topique en matière d’aide sociale, les critères minimaux d’intégration prévus dans la LN ne sont pas remplis (Manuel, chap. 3, n. 321/143 p. 57).

Le SEM précise également dans le Manuel les notions de l'art. 9 let. c OLN. Souffre ainsi d'un état de grande pauvreté malgré un emploi le requérant qui exerce une activité lucrative de longue durée, en général avec un taux d’occupation de 100 %, mais n’arrive pas à gagner un revenu supérieur au minimum vital. Bien qu’il se retrouve tributaire de l’aide sociale, le requérant participe concrètement à la vie économique de la Suisse par l’emploi qu’il occupe (Manuel, chap. 3, n. 321/2 p. 62).

A des charges d’assistance familiale à assumer le requérant qui s’occupe d’un membre de sa famille qui est dépendant suite à un handicap, à une maladie, en raison de l’âge ; cette situation justifie le fait que le requérant ne remplit pas le critère de l’indépendance financière lorsqu’il s’occupe exclusivement du ménage, de l’éducation et de la garde des enfants (ibid.).

Pâtit d’une dépendance à l’aide sociale résultant d’une première formation formelle en Suisse le requérant qui est tributaire de l’aide sociale en raison d’une formation initiale professionnelle ou dispensée par une haute école qu’il a suivie en Suisse en vue d’obtenir un diplôme reconnu au niveau fédéral ou cantonal. Dans ce cas, la dépendance de l’aide sociale ne constitue pas un obstacle à l’intégration ; en revanche, si la dépendance de l’aide sociale est causée par le comportement du requérant, qui refuse de rechercher ou d’accepter un emploi lors de sa formation formelle, le motif justificatif ne s’applique pas. Doit être considérée comme première formation toute formation sanctionnée d’un diplôme permettant, en principe, d’entrer dans le monde du travail. Les activités d’apprentissage en dehors du système de formation formelle, telles que des cours, des conférences, des séminaires ou l’enseignement privé, ne relèvent pas d’une formation formelle (ibid.).

d. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF], le critère de l'intégration professionnelle repose sur le principe de l'autonomie financière. La personne sollicitant la naturalisation devrait, au moment du dépôt de sa demande et dans un avenir prévisible, être capable de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille par le biais de ses revenus, sa fortune ou des prestations de tiers auxquelles elle a droit. La perception de l'aide sociale, de prestations de l'assurance-invalidité ou d'allocations de chômage n'aboutit pas automatiquement, dans la procédure auprès des autorités fédérales – pour autant que tous les autres critères soient remplis – au rejet d'une demande de naturalisation, mais seulement si le requérant est responsable de par son propre comportement, de la perception de ces moyens financiers ou qu'il existe des indices d'abus (arrêt du TAF F-2953/2019 du 23 juillet 2021 consid. 5.3). Ainsi, les autorités compétentes doivent tenir compte d'un empêchement non fautif de prendre un emploi ainsi que de la situation individuelle de l'étranger. Des charges d'assistance familiale sont considérées comme motif justifiant que la personne concernée ne remplisse pas le critère de la volonté de participer à la vie économique (arrêt du TAF F-4342/2020 du 1er novembre 2021 consid. 6.2).

8) À Genève, le candidat à la naturalisation doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral et celles fixées par le droit cantonal (art. 1 let. b de la loi sur la nationalité genevoise du 13 mars 1992 - LNat - A 4 05). Selon l'art. 210 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), l'État facilite la naturalisation des personnes étrangères. La procédure est simple et rapide. Elle ne peut donner lieu qu'à un émolument destiné à la couverture des frais.

a. Le candidat doit notamment remplir les conditions d'aptitude prévues à l'art. 12 LNat, à savoir : avoir avec le canton des attaches qui témoignent de son adaptation au mode de vie genevois (let. a) ; respecter la sécurité et l'ordre publics (let. b) ; jouir d'une bonne réputation (let. c) ; avoir une situation permettant de subvenir à ses besoins et à ceux des membres de sa famille dont il a la charge (let. d) ; ne pas être, par sa faute ou par abus, à la charge des organismes responsables de l'assistance publique (let. e) ; s'être intégré dans la communauté genevoise et respecter les droits fondamentaux garantis par la Cst-GE (let. f).

Selon le rapport de la commission des droits politiques chargée d'étudier le projet de loi à l'origine de la LNat, les let. d et e peuvent paraître, à première vue, quelque peu contradictoire si l'on envisage, par exemple, le cas concret d'un candidat qui se trouverait momentanément au chômage ; la prise en considération de telles situations a permis de préciser que si les candidats à la naturalisation ne doivent pas être en règle générale, des assistés, il faut faire preuve de souplesse dans l'interprétation des termes « par sa faute ou par abus » (MGC 1992 9/I p. 933).

En vertu de l'art. 54 al. 1 LNat, le Conseil d'État est chargé d'édicter le règlement d'application de la LNat.

b. L'étranger adresse sa demande de naturalisation au Conseil d'État (art. 13 al. 1 LNat). Selon l'art. 14 al. 1 LNat, le Conseil d'État délègue au département chargé d'appliquer la loi la compétence de procéder à une enquête sur la personnalité du candidat et sur celle des membres de sa famille ; il s'assure notamment que les conditions fixées à l'art. 12 de la loi sont remplies. Le département de la sécurité, de la population et de la santé est chargé de l'application de la LNat (art. 1 al. 1 RNat). Il délègue cette tâche au service cantonal des naturalisations sous réserve – in casu non pertinente – des attributions conférées au service état civil et légalisations (art. 1 al. 2 RNat).

Le département procède à l'enquête prescrite par la loi (art. 13 al. 1 RNat).

Une enquête sur la personnalité du candidat et les membres de sa famille est conduite par un enquêteur assermenté du département ou de la commune (art. 15 al. 1 RNat). L'enquête constate les aptitudes du candidat à se faire naturaliser (art. 15 al. 2 RNat).

L’accoutumance au mode de vie et aux usages suisses découlant de l’art. 14 let. b LN suppose certaines connaissances importantes sur le pays et les habitants pour pouvoir participer à la vie politique suisse, notamment aux votations en qualité de citoyen, des connaissances sur les fondements du système politique et social suisse sont nécessaires. Dès lors, une enquête concernant le sens civique pour s’assurer que le recourant pourra user de manière adéquate de son statut, en particulier des droits de participation au processus politique est nécessaire (ATF 137 I 235 consid. 3.1).

La procédure peut être suspendue par le département jusqu'à amélioration notoire des carences constatées lors de l'enquête (art. 13 al. 6 RNat).

9) En l’espèce, la première cause de mise en suspens de la procédure de naturalisation retenue par l'intimé est la dépendance de la recourante à l'aide sociale.

En effet, celle-ci émarge à l'aide sociale sans discontinuer depuis le mois de juillet 2005. Dès lors, selon l'art. 7 al. 3 OLN, elle ne remplit pas les exigences de l'art. 11 al. 1 let. d LN relatives à la participation à la vie économique.

La recourante invoque néanmoins des raisons personnelles majeures au sens des art. 12 al. 2 LN et 9 let. c OLN ou, pour reprendre la terminologie de la loi genevoise (art. 12 let. e LNat), le fait qu'elle se trouve à la charge de l'hospice sans que cela soit par sa faute ou par abus.

La recourante n'allègue pas souffrir d’un handicap physique, mental ou psychique, ni d’une maladie grave ou de longue durée ; elle est du reste à l'aide sociale et non au bénéfice de prestations de l'assurance-invalidité. La seule hypothèse de l'art. 9 let. c OLN qui pourrait trouver application dans son cas est celle des charges d’assistance familiale à assumer (ch. 3). En effet, elle ne prétend pas avoir de grandes difficultés à apprendre, à lire et à écrire (ch. 1 ; elle a fait des études universitaires et met en avant ses capacités linguistiques), un état de pauvreté malgré un emploi (ch. 2 ; elle n'a depuis 2005 que très rarement eu un emploi à temps plein, et n'a plus eu d'emploi depuis 2015 à l'exception d'une mission d'intérim en mars-avril 2022), ou une dépendance à l’aide sociale résultant d’une première formation formelle en Suisse (ch. 4 ; sa première formation a eu lieu dans son pays d'origine, et elle n'a suivi selon les pièces qu'elle a produites aucune formation complète en Suisse, mais uniquement de la formation continue et des cours privés de secrétariat, lesquels ont du reste eu lieu avant 2005).

Les explications de la recourante, selon lesquelles elle serait tombée à l'aide sociale en raison de son divorce et y serait demeurée car elle s’était occupée de sa fille, ne parviennent pas à convaincre. Sa fille est en effet devenue majeure en 2012, et est aujourd'hui âgée de 28 ans. Il n'est pas allégué que sa fille – qui était inscrite en 2020 à une maîtrise universitaire en Business Analytics – soit dépendante en raison d'un handicap, d'une maladie ou en raison de l’âge ; vu celui de son enfant, il n'y a enfin aucune raison que la recourante s’occupe exclusivement du ménage, de l’éducation et de la garde de sa fille. De plus, comme relevé par l'intimé, elle a pu à certains moments exercer une activité professionnelle lorsque sa fille était encore mineure, de sorte que l'on ne comprend pas comment sa situation familiale actuelle pourrait justifier qu'elle ne travaille plus. Il y a lieu de relever au surplus la très longue durée de la dépendance à l'aide sociale, soit depuis maintenant 17 ans.

Dès lors, au vu de cette carence dirimante d'intégration, il ne peut pas être reproché à l’autorité intimée d’avoir pris une décision disproportionnée en suspendant l’instruction de la demande de naturalisation de la recourante.

Par ailleurs, si celle-ci devait être en mesure de ne plus dépendre de l'aide sociale et de rembourser tant les prestations indûment touchées que celles versées durant les trois dernières années, elle pourra en tout temps demander la reprise de l’enquête (art. 14 al. 2 RNat).

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté, sans qu'il soit nécessaire d'aborder les deux autres motifs de suspension retenus par l'intimé dans la décision attaquée.

10) Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA), la procédure étant gratuite s'agissant d'une décision en matière de naturalisation (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 février 2022 par Madame A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 20 janvier 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Sacha Camporini, avocat de la recourante, à l'office cantonal de la population et des migrations ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :