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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2731/2021

ATA/1192/2021 du 09.11.2021 ( MARPU ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 20.12.2021, rendu le 02.05.2022, IRRECEVABLE, 2C_1034/2021
Descripteurs : MARCHÉS PUBLICS;ATTRIBUTION DE L'EFFET SUSPENSIF;ACCORD INTERCANTONAL SUR LES MARCHÉS PUBLICS;ADJUDICATION(MARCHÉS PUBLICS);APPEL D'OFFRES(MARCHÉS PUBLICS);PROCÉDURE D'ADJUDICATION;SOUMISSIONNAIRE;CONCORDAT(LP);INSOLVABILITÉ;SITUATION FINANCIÈRE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION DE LA DÉCISION;MOTIVATION SOMMAIRE
Normes : AIMP.15.al1; L-AIMP.3.al1; RMP.55.lete; RMP.56.al1; LPA.63.al2.letb; Cst.29.al2; AIMP.13.leth; RMP.45.al1; RMP.45.al2; RMP.52.al2; LPA.61.al2; RMP.57.al2; RMP.33.al1; RMP.42.al2.letc; AIMP.1.al1; AIMP.1.al3; AIMP.11; AIMP.13.letd; RMP.16; RMP.28; RMP.33; RMP.24; RMP.40.al1; RMP.42; AIMP.16.al2; LPA.61.al2; LP.305; LP.306; LMP.44.al1.letd; RFPA.6
Résumé : Marché public attribué à un soumissionnaire en procédure de sursis concordataire ; recours contre la décision d'adjudication. Le premier critère d'aptitude consistait à présenter des garanties de pérennité et de solvabilité, et seuls deux soumissionnaires ont présenté une offre. La décision d'adjudication ne contenant ni le prix d'adjudication ni la méthode de pondération des critères d'adjudication, l'autorité a violé son devoir de motivation sommaire, violation qu'elle n'a pas réparée pendant la procédure de recours. Par ailleurs, un soumissionnaire au bénéfice d'un sursis concordataire ne doit pas être exclu de la procédure d'adjudication de ce simple fait. Néanmoins, dans un tel cas, l'autorité adjudicatrice se doit de vérifier avec toute la diligence nécessaire si ledit soumissionnaire présente des garanties de pérennité et de solvabilité suffisantes, ce qu'elle n'a, en l'espèce, pas fait. Décision annulée et renvoi de la cause à l'autorité adjudicatrice pour organiser un appel d'offres conforme au droit. Recours partiellement admis, dans la mesure où le recourant a conclu à ce que le marché lui soit attribué.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2731/2021-MARPU ATA/1192/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 novembre 2021

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Killian Sudan, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES DE L'ÉTAT

et

B______ SA

représentée par Me Guy Stanislas, avocat



EN FAIT

1) Le 20 avril 2021, la centrale commune d'achats (ci-après : CCA), rattachée à la direction générale des finances de l'État (ci-après : DGF) du département des finances (ci-après : DF), a publié, sur la plateforme internet www.simap.ch, un appel d'offres en procédure ouverte, soumis aux accords internationaux, portant sur un marché de services, intitulé « appel d'offres public pour des prestations de nettoyage du linge, des rideaux, des voilages et des tapis ».

La procédure déboucherait sur la conclusion d'un contrat pour une durée initiale de trois ans, renouvelable tacitement d'année en année, mais dont la durée totale ne dépasserait pas cinq ans.

L'appel d’offres était divisé en deux lots, l’un pour le nettoyage du linge (lot n° 1) et l’autre pour le nettoyage des rideaux, des voilages et des tapis (lot n° 2). Le marché serait attribué à un ou deux soumissionnaires.

Les soumissionnaires avaient le droit de répondre pour tous les lots. L’attribution du marché devait se faire par lot.

Le premier critère d'aptitude que le soumissionnaire devait remplir était celui de « présenter des garanties de pérennité et de solvabilité relatives à son entreprise ».

Le marché serait adjugé au soumissionnaire ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, eu égard aux critères suivants :

Critères

Pondération

N° 1 : Prix

60 %

N° 2 : Délai de livraison

34 %

N° 3 : Qualité de l'entreprise, soit :

-          Contribution à la composante sociale du développement durable

-          Contribution à la composante environnementale du développement durable

6 %

L'offre devait être remise au plus tard le 31 mai 2021 à 12h00.

2) B______ SA (ci-après : B______) et A______ SA (ci-après : A______) ont déposé une offre pour le lot n° 1.

3) L'offre de B______ contenait une explication sur l'évolution de sa situation financière et une projection de celle-ci à la sortie – en juin 2021 – de la procédure de sursis concordataire dont elle faisait l'objet.

4) Par décision du 6 août 2021, notifiée le 10 août 2021, la CCA a informé A______ que le marché avait été attribué à B______ s'agissant du lot n° 1, celle-ci ayant déposé l'offre la plus avantageuse économiquement. A______ était classée en seconde position pour chacun des trois critères d’analyse.

5) L'adjudication a été publiée sur la plateforme internet www.simap.ch le 10 août 2021, sans indication du montant de l'adjudication.

6) Par acte posté le 20 août 2021, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre la décision d’adjudication, concluant préalablement à ce que l'effet suspensif soit octroyé et à ce que la DGF produise la soumission de B______ ainsi que tout renseignement donné par celle-ci concernant sa solvabilité. Elle a conclu principalement à l'annulation de la décision attaquée ainsi qu'à l’attribution en sa faveur du marché public.

La DGF avait constaté les faits de manière inexacte et incomplète en négligeant la situation financière de la société B______. Elle avait violé les dispositions légales applicables en lui attribuant le marché alors que la société ne présentait pas les garanties de solvabilité et de pérennité requises. Pourtant, il s'agissant de l'un des critères d'aptitude que la CCA avait fixés en sus des critères d'adjudication. Selon l'appel d'offres, le non-respect de l'un de ces critères entraînerait l'élimination du soumissionnaire. La DGF avait adjugé le marché à B______ au motif qu'elle représentait le meilleur rapport entre les critères d'adjudication et les conditions d'aptitude, mais elle avait fait fi de la situation financière délicate de la société, qui avait réduit son capital-actions de CHF 3'000'000.- à CHF 500'000.- et avait bénéficié de l'homologation d'un concordat le 3 juin 2021.

L'autorité adjudicatrice avait le devoir d'indiquer au soumissionnaire évincé les raisons du rejet de son offre. Dans sa décision, la DGF avait indiqué à A______ que son offre n'avait pas été retenue, sans fournir d'explications, se limitant à mentionner que l'analyse des dossiers avait placé son offre au second rang sur deux offres recevables. Il lui avait donc été difficile, voire impossible, de se déterminer sur le résultat de l'adjudication et de saisir l'étendue exacte de celle-ci. Cette motivation ne lui permettait pas de comprendre le classement. Le DT avait ainsi violé son devoir de motivation.

7) La DGF a conclu au rejet du recours et de la requête d’effet suspensif.

L’offre de B______ contenait des explications concernant sa situation financière, notamment les démarches entreprises avec l’intervention du groupe « 5 à sec » en vue d’obtenir un sursis concordataire. Au moment du dépôt de son offre, elle avait annexé une simulation de ce que serait sa situation financière en juin 2021 : la société disposerait d’une trésorerie de plus de CHF 1'000'000.- et de réserves facultatives issues du bénéfice de CHF 5'531'491.28. Il n'y avait pas de raison de douter de cette estimation, celle-ci ayant été réalisée en mai 2021 pour juin 2021. La DGF avait alors considéré, sur la base de ces éléments, que la situation financière de B______, qui s’était améliorée, était désormais positive. C'est pourquoi elle avait considéré que le critère d'aptitude de la pérennité et de la solvabilité de la société était rempli. Elle avait dès lors correctement et complètement constaté les faits et les avait correctement appréciés.

La décision d’adjudication comprenait une motivation suffisante, dès lors qu’elle mentionnait les critères d’adjudication et leur pondération. Cette motivation, bien que sommaire, permettait à A______ de comprendre les raisons pour lesquelles son offre n'avait pas été retenue et, le cas échéant, de demander un complément d'information, ce qu'elle n'avait pas fait.

Étaient joints un chargé de pièces destiné à la chambre administrative ainsi qu'un chargé destiné à A______ et contenant des pièces dont certaines informations avaient été caviardées à la demande de B______, qui considérait qu'elles étaient couvertes par le secret des affaires.

Selon le tableau intitulé « critères d’adjudication/pondération » produit par la DGF, A______ avait obtenu 2.69 points pour le critère « prix », 3.00 points pour le critère « délai » et 5.22 points (2.1 + 3.12) pour le critère « développement durable social et environnemental ». Sa concurrente avait obtenu 6 points pour le premier des critères précités, 4.80 points pour le deuxième et 7.9 points (4.3 + 3.6) pour le dernier, la note maximale par critère étant de 6. Selon le procès-verbal d’ouverture des offres, le prix total à l’unité de l’offre de l’adjudicataire s’élevait à CHF 37'869.- et celui de A______ à CHF 56'596.-.

8) B______ a également conclu au rejet du recours et de la requête d’effet suspensif.

Si elle avait, certes, rencontré des difficultés, aggravées par la situation pandémique, qui l'avaient contrainte à fermer des magasins, elle avait entrepris avec succès une procédure d’assainissement.

Elle produisait la requête de sursis concordataire, le jugement du Tribunal civil de première instance (ci-après : TPI) accordant un sursis provisoire et désignant un commissaire, le jugement du TPI octroyant le sursis concordataire définitif jusqu’au 1er mars, prolongé au 28 juin 2021, le rapport du commissaire du 21 mai 2021 constatant l’assainissement de la société et concluant à l’homologation du concordat ainsi que le jugement d’homologation du concordat du 3 juin 2021. Il ressortait de ces documents que la société était assainie au 30 avril 2021. La procédure de sursis concordataire avait précisément eu pour but de garantir sa pérennité.

9) Dans sa réplique sur effet suspensif, A______ a exposé qu’elle ne pouvait pleinement se déterminer sur la question de l'effet suspensif, les pièces produites par ses parties adverses ne le lui permettant pas, les pièces relatives à la solvabilité de B______ ayant été uniquement communiquées à la chambre administrative.

Le seul argument de B______ pour justifier de sa pérennité était fondé sur la procédure d’assainissement. Or, l’existence même d’une telle procédure rendait vraisemblable son grief. Selon les pièces produites, le dividende prévu était de 20 %, quotité estimée « proportionnée aux ressources de la débitrice » selon le commissaire. Cet élément ne suffisait pas à présumer que la société disposait d’une situation financière pérenne. Enfin, le jugement d’homologation définitive datait du 3 juin 2021, alors que l’offre de la précitée avait été soumise le 19 mai 2021. Dès lors, B______ ne pouvait, à ce stade de la procédure d'appel d'offres, même pas tenter de justifier sa situation financière sur la base du jugement d'homologation du concordat.

10) Par décision du 24 septembre 2021, l'effet suspensif a été accordé.

11) Dans sa réponse au fond, B______ a conclu, préalablement, au rejet des conclusions de A______ tendant à la production de sa soumission et, principalement, au rejet du recours.

La CCA avait choisi le critère d'aptitude selon lequel les soumissionnaires devaient présenter des garanties de pérennité et de solvabilité relatives à leur entreprise. Rien n'indiquait dans ce critère que le fait d'avoir passé avec succès une procédure de concordat constituait un facteur dirimant de la pérennité et de la solvabilité d'un soumissionnaire. Si A______ avait considéré ce critère comme trop vague, elle aurait dû faire recours contre l'appel d'offres. Elle ne pouvait dès lors pas invoquer ce grief à l'appui de son recours contre la décision d'adjudication.

Rien dans la situation de la société ne permettait d'affirmer que celle-ci n'était pas stable ou pérenne. La première chambre du Tribunal administratif du canton des Grisons avait admis qu'un soumissionnaire accomplissant une procédure de sursis concordataire n'était pas exclu de ce simple fait. Le canton de Vaud avait également rendu un « avis de droit » sur la question de l'admissibilité des soumissionnaires en sursis concordataire et avait retenu qu'il convenait de traiter le soumissionnaire au bénéfice d'un sursis concordataire de la même façon que celui faisant l'objet de poursuites susceptibles d'entraîner son insolvabilité. Les considérations vaudoises et grisonnes précitées concernaient les soumissionnaires en cours de procédure de sursis concordataire. Dès lors que la société avait passé avec succès cette procédure, il ne pouvait être retenu que sa situation aurait justifié de considérer l'adjudication comme illicite et encore moins que l'offre aurait dû être écartée d'office.

La CCA avait respecté les exigences légales en motivant sommairement sa décision et en indiquant, pour chaque poste, le classement de A______. En revanche, cette dernière s'était dispensée de demander des explications supplémentaires alors que cela lui incombait.

Dans le domaine des marchés publics, le droit de consulter les pièces relatives à l'offre des soumissionnaires concurrents et de l'adjudicataire pouvait être restreint afin de garantir le secret des affaires et le secret de fabrication. Dès lors, la société s'opposait à ce que son offre, qui contenait de nombreux éléments couverts par le secret d'affaires, ainsi que toute autre pièce couverte par ledit secret fussent consultées par A______.

Au demeurant, le grief formulé par A______ concernant la solvabilité de l'adjudicataire ne concernait pas l'offre de B______, ni sa solvabilité en tant que telle, mais l'appel d'offres.

12) Dans ses observations au fond, la DGF, reprenant les arguments exposés dans sa précédente écriture, a relevé qu'elle avait considéré à juste titre que la situation financière de B______ était assainie au moment du dépôt de son offre. Le jugement d’homologation du concordat par le TPI confirmait son appréciation sur ce point.

B______ était également soutenue par le groupe « 5 à sec », dont l'intervention démontrait sa volonté d'entreprendre ce qui était nécessaire pour assainir la société de manière durable. En outre, la réalisation du marché en cause ne nécessitait pas, de la part de l'adjudicataire, des investissements préalables massifs qui auraient entamé ses finances avant même la réalisation d'un chiffre d'affaires.

La décision contestée expliquait que, à la suite de l'évaluation des offres, celle de B______ était parvenue à la première position, car elle représentait le meilleur rapport entre les différents critères d'adjudication. La décision indiquait également que l'offre de A______ était arrivée en seconde position et mentionnait son rang pour chacun des critères d'adjudication. Son offre était placée au second rang pour chacun d'eux. Il en résultait que l'offre de A______ avait reçu une note inférieure à celle de B______. Ainsi libellée, la décision permettait à A______ de comprendre pourquoi son offre n'avait pas été retenue, et cette dernière avait eu la possibilité de demander un complément d'informations, ce qu'elle n'avait pas fait. La décision répondait ainsi à l'exigence de motivation sommaire prévue par la loi.

13) Dans sa réplique sur le fond, A______ a relevé que le jugement d'homologation du concordat accordé à B______ datait du 3 juin 2021, soit trois jours après la date de remise des offres et plus de deux semaines après la remise de l'offre de B______. Ainsi, tant à la date du dépôt de l'offre qu'à l’échéance du délai de soumission, B______ n'était pas en mesure de justifier sa solvabilité sur la base d'une telle homologation. La DGF n'avait a priori adressé aucune demande de renseignements complémentaire à B______ sur sa situation financière.

L'ouverture des offres avait eu lieu le 1er juin 2021, et la séance n'avait été ni publique ni ouverte aux soumissionnaires. B______ n'avait alors pas pu disposer de cette occasion pour faire part de ses observations. Le pouvoir adjudicateur était tenu d'effectuer un examen des offres et, le cas échéant, de solliciter des explications relatives à l'aptitude des soumissionnaires et de leur offre. Il y avait normalement lieu de penser que les offres étaient correctement examinées et écartées si celles-ci ne répondaient pas aux critères d'aptitude requis, sans qu'il y eût besoin qu'un soumissionnaire intervînt à ce stade. En l'occurrence, ce n'était qu'au stade de l'adjudication, sujette à recours, que la société s'était rendu compte que la décision du pouvoir adjudicateur était manifestement contraire au droit, de sorte qu'elle avait agi dans les temps.

L'attestation d'un soumissionnaire de ne pas être engagé dans une procédure de faillite et de n'avoir pas obtenu de concordat judiciaire ou extrajudiciaire n'était pas suffisante pour garantir sa solvabilité. Dès lors que la preuve de l'absence de concordat n'était pas suffisante pour attester de la solvabilité d'un soumissionnaire, l'existence d'un concordat faisait également obstacle à la garantie de sa solvabilité.

Le concordat prévoyait que seul un dividende de 20 % était assuré. Une société en mesure de n'assurer que le 20 % de ses dettes ne faisait à l'évidence pas preuve d'une bonne santé financière. Selon l'avis de droit vaudois produit par B______, lorsque le pouvoir adjudicateur était informé du fait qu'un soumissionnaire se trouvait en sursis concordataire, il devait être d'autant plus prudent, notamment en sollicitant des explications documentées sur la situation financière du soumissionnaire et éventuellement exiger de lui la fourniture de garanties. Or, tel ne semblait pas avoir été le cas. Il paraissait ainsi « plus que raisonnable » d'écarter, sur deux offres recevables, l'offre du soumissionnaire dont la solvabilité était « plus que douteuse », au profit de celui qui apportait toutes les garanties nécessaires et une offre répondant aux critères d'adjudication.

Certains éléments du jugement d'homologation mettaient en doute la santé financière de B______. Les liquidités de la société (un disponible de CHF 428'278.04) s'avéraient relativement faibles par rapport aux capitaux étrangers se chiffrant à CHF 2'881'104.68. Elle avait déjà bénéficié d'une aide de l'État de Genève de CHF 750'000.- et recevait ainsi, pour la seconde fois, les faveurs de l'État, ce qui semblait mettre à mal le principe de l'égalité de traitement.

Le concordat s'avérait plus avantageux pour les créanciers qu'une faillite immédiate de B______ dans la mesure où celle-ci ne disposait d'aucun actif susceptible de désintéresser les créanciers à des conditions plus favorables que celles proposées par le projet de concordat. Cela ne signifiait pas pour autant que B______ se trouvait dans une situation confortable.

L'argumentation de la DGF consistant à justifier la situation de B______ par la crise sanitaire n'était pas convaincante. Les raisons des difficultés financières n’étaient pas pertinentes pour l'analyse de la solvabilité d'un soumissionnaire, et seule la situation actuelle et future comptait. A______ avait été exposée à la même situation sanitaire dans la même catégorie d'activité, ce qui ne l'avait pas empêchée de présenter des garanties de solvabilité suffisantes. Au demeurant, le fait que B______ fût soutenue par « 5 à sec » faisait partie des éléments qui permettaient de considérer qu'elle ne disposait pas d'une bonne santé financière.

Le fait que l'autorité, dans sa décision, eût communiqué le rang des offres pour chaque critère ne permettait pas à lui seul de comprendre les raisons du classement et la différence qui séparait A______ du premier rang. Le tableau comparatif du résultat d'évaluation des offres produit par la DGF était relativement succinct. Il ne contenait notamment pas le montant des offres, critère pourtant le plus important. La décision n'était en conséquence pas suffisamment justifiée et devait ainsi être annulée.

A______ a réitéré sa demande d'avoir accès aux pièces relatives à la solvabilité de B______, celles en sa possession ne lui permettant toujours pas de se déterminer pleinement sur cette question.

14) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 15 al. 1 de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 55 let. e et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01 ; art. 63 al. 2 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante se plaint d'un défaut de motivation de la décision, constitutif d'une violation de son droit d'être entendue.

a. Le droit d’être entendu tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit d’obtenir une décision motivée. L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 137 II 266 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_597/2013 du 28 octobre 2013 consid. 5.2 ; 2C_713/2013 du 22 août 2013 consid. 2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 531 n. 1573). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 138 I 232 consid. 5.1 ; 136 I 184 consid. 2.2.1).

b. En matière de marchés publics, cette obligation se manifeste par le devoir qu’a l’autorité d’indiquer au soumissionnaire évincé les raisons du rejet de son offre (Jean-Baptiste ZUFFEREY/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, Le droit des marchés publics, 2002, p. 256). Ce principe est concrétisé par les art. 13 let. h AIMP et 45 al. 1 RMP, qui prévoient que les décisions d'adjudication doivent être sommairement motivées (ATA/1089/2018 du 16 octobre 2018 consid. 4b ; ATA/492/2018 du 22 mai 2018 consid. 6b). Pour les procédures ouvertes et sélectives, si la décision est notifiée par courrier, elle doit également être publiée selon les exigences figurant à l'art. 52 al. 2 RMP (art. 45 al. 2 RMP).

À teneur de cette disposition légale, si la décision d'adjudication a été notifiée par courrier, l'autorité adjudicatrice fait paraître sur la plateforme électronique sur les marchés publics gérée par l’association simap.ch (www.simap.ch), septante-deux jours au plus tard après la notification de l'adjudication, un avis d'adjudication indiquant le nom et l'adresse de l'autorité adjudicatrice, le type de procédure, l'objet et l'importance du marché, le nom et l'adresse de l'adjudicataire, le montant de l'adjudication ou le montant de l'offre la plus élevée et la plus basse dont il a été tenu compte dans la procédure d'adjudication, la date de l'adjudication (al. 2).

c. Selon la doctrine, les règles spéciales applicables en matière d'adjudication de marché prévoient que l'autorité peut, dans un premier temps, procéder à une notification individuelle, voire par publication, accompagnée d'une motivation sommaire ; sur requête du soumissionnaire évincé, l'autorité doit lui fournir des renseignements supplémentaires relatifs notamment aux raisons principales du rejet de son offre ainsi qu'aux caractéristiques et avantages de l'offre retenue. L'ensemble des explications de l'autorité (fournies le cas échéant en deux étapes) doit être pris en considération pour s'assurer qu'elles sont conformes, ou non, aux exigences découlant du droit d'être entendu ; de surcroît, la pratique admet assez généreusement la réparation d'une motivation insuffisante dans la procédure de recours subséquente. Toutefois, la notification d'une adjudication, accompagnée d'une motivation sommaire, suffit à faire courir le délai de recours ; ainsi, le soumissionnaire évincé peut se trouver dans une situation inconfortable de devoir former un pourvoi, alors que son information est encore largement incomplète (Étienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2014, p. 250 n. 392 et les références citées).

d. Dans la phase finale de l'évaluation des offres, le pouvoir adjudicateur attribue des notes aux offres qui n'ont pas été exclues, au regard de chacun des critères d'adjudication. Ces différentes notes doivent faire l'objet d'une brève motivation, susceptible d'être fournie au soumissionnaire souhaitant des explications plus détaillées au sujet de son éviction ou à l'autorité de recours. L'entité adjudicatrice opère ensuite la synthèse de ces évaluations en les intégrant dans un tableau comparatif, regroupant l'ensemble des offres et les notes retenues auxquelles sont appliqués les facteurs de pondération pour les différents critères (Étienne POLTIER, op.cit., p. 213 n. 338).

e. Une décision entreprise pour violation du droit d'être entendu n'est pas nulle mais annulable (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1 ; 136 V 117 consid. 4.2.2.2). La réparation de la violation du droit d'être entendu n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 126 I 68 consid. 2) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 et les arrêts cités). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse(ATA/1108/2019 du 27 juin 2019 consid. 4c et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral admet ainsi la guérison de l'absence de motivation devant l'autorité supérieure lorsque l'autorité intimée justifie sa décision et l'explique dans le mémoire de réponse (Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2ème éd., 2015, p. 365 et les références citées).

f. Saisi d'une affaire dans laquelle le refus du pouvoir adjudicateur d'adjuger le marché au soumissionnaire ne contenait aucune motivation, le tribunal cantonal de Schaffhouse a rappelé que, selon les dispositions applicables en matière de marchés publics, toute décision devait être motivée au moins sommairement. En particulier, les principaux motifs d'élimination doivent être communiqués (art. 13 let. h AIMP). Il était possible de remédier à un défaut de motivation dans le cadre d'une procédure de recours en indiquant par après les motifs en question dans la réponse au recours. Afin de préserver le droit d'être entendu, la partie recourante devait avoir une nouvelle possibilité de prendre position dans un deuxième échange d'écritures (arrêt du Tribunal cantonal de Schaffhouse OGE 60 2016 44 du 23 mai 2017, cité in DC 2018 I p. 69 n. 107 ; Jacques DUBEY/Lucien HÜRLIMANN, La jurisprudence en marchés publics entre 2018 et 2020 in Jean Baptiste ZUFFEREY/Martin BEYELER/Stefan SCHERLER [éd.], Marchés publics 2020, 2020, p. 248).

La Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois a rappelé à plusieurs reprises que la motivation d'une décision d'adjudication est suffisante lorsqu'elle fournit une justification adéquate du choix opéré sur la base des critères d'adjudication fixés dans les documents d'appel d'offres. Elle doit fournir une explication raisonnable des évaluations de chacune des offres, de sorte que les concurrents puissent les comparer et soulever d'éventuelles contestations à bon escient. Selon la cour vaudoise, une éventuelle violation du droit d'être entendu peut être « réparée » en seconde instance si le justiciable dispose de la faculté de se déterminer dans la procédure de recours et si l'autorité de recours jouit d'un plein pouvoir d'examen, en fait et en droit (MPU.2015.0037 du 25 janvier 2016 consid. 3 ; MPU.2015.0040 du 10 novembre 2015, consid. 4a ; RDAF 2017 I 528).

g. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF), la déclaration « adjugé à l'offre économiquement la plus avantageuse » n'a aucun sens au regard des exigences de justification pertinentes. En effet, ces justifications ne font que refléter le résultat de l'évaluation sans toutefois apporter de contenu substantiel. La signification de ces formulations équivaut à des « phrases vides » ou à des « phases purement rhétoriques ». Si ces informations ne sont pas complétées par d'autres précisions, le pouvoir adjudicateur viole son obligation de fournir une motivation suffisante (ATAF 2018 IV/11 consid. 2.3 = BR/DC 2019 I p. 44 n. 87 [Martin BEYELER] ; Jacques DUBEY/Lucien HÜRLIMANN, op.cit., p. 229 ; Pascal BIERI in Hand Rudolf TRÜEB [éd.], Handkommentar zum Schweizerischen Beschaffungsrecht, 2020, n. 27 p. 647).

3) En l'espèce, la décision d’adjudication indique qui est l'adjudicataire du marché pour le lot n° 1 et mentionne que l'offre de la recourante, arrivée en seconde position, était placée au second rang pour chacun des critères d'adjudication. Elle indique également que le marché a été attribué au soumissionnaire ayant déposé l'offre la plus avantageuse, à savoir celle qui représentait le meilleur rapport entre les critères d'adjudication annoncés.

Au vu de ce qui vient d’être exposé, le prix d'adjudication ainsi que la méthode de pondération des critères d’adjudication font partie des éléments nécessaires à la bonne compréhension d'une décision d'adjudication. L'une de ces deux indications doit au moins figurer dans une décision d'adjudication afin que l'autorité adjudicatrice respecte son devoir légal de motivation sommaire. Or, la décision attaquée ne contient ni l'une ni l'autre ; la publication – le 10 août 2021 – de l'adjudication sur la plateforme internet www.simap.ch n'indique pas non plus le montant de l'adjudication, contrairement à ce que prévoit l'art. 52 al. 2 RMP. Au regard de la jurisprudence précitée, le fait que la décision mentionne que le marché a été attribué au soumissionnaire ayant déposé l'offre la plus avantageuse ne saurait pallier ce défaut de motivation.

Dans ces circonstances, en particulier faute pour la recourante d'avoir pu comparer le prix de son offre à celui de l'adjudicataire, elle ne pouvait se rendre compte de la portée de la décision à son égard et recourir contre celle-ci en connaissance de cause. Le pouvoir adjudicateur a ainsi violé son obligation de fournir une motivation suffisante et a, de ce fait, violé le droit d'être entendue de la recourante.

Il convient encore de déterminer si cette violation a été réparée dans la procédure de recours.

L'autorité adjudicatrice a joint à sa réponse sur effet suspensif un chargé de pièces destiné à la recourante. Celui-ci contenait notamment l'offre de l'adjudicataire, dont certaines informations avaient été caviardées, le tableau comparatif du résultat d'évaluation des offres ainsi que le procès-verbal d'ouverture. Si la recourante a, certes, pu ainsi prendre connaissance du montant de l'adjudication qui figurait sur le procès-verbal d'ouverture, il convient de relever que le tableau comparatif du résultat d'évaluation des offres est très succinct dans la mesure où il ne fait qu'indiquer les notes attribuées aux soumissionnaires pour chaque critère d'évaluation, ces dernières ne faisant l'objet d'aucune motivation. Dans ses écritures adressées à la chambre administrative, l'autorité adjudicatrice n'a ni expliqué les motifs qui l'ont amenée à attribuer les notes aux soumissionnaires, ni détaillé les points obtenus, ce qui aurait pourtant permis à la recourante de comprendre les critères qui l'ont prétéritée. Au contraire, l'autorité adjudicatrice s'est limitée à reprendre le contenu de sa décision sans l'analyser ni fournir d'explications supplémentaires et n'a divulgué aucune indication concrète sur les avantages de l'offre retenue. La recourante n'a ainsi pas disposé de la faculté de se déterminer dans la procédure de recours et n'a jamais eu la possibilité de faire valoir ses arguments relatifs à l'évaluation des offres. Dès lors, l'autorité adjudicatrice n'a pas remédié au défaut de motivation de sa décision et la violation du droit d'être entendue de la recourante n'a pas été réparée. La chambre administrative ne pouvant revoir l'opportunité de la décision (art. 61 al. 2 LPA et 57 al. 2 RMP) et ne disposant ainsi pas du même pouvoir d'examen que l'autorité adjudicatrice, elle ne saurait elle-même réparer cette violation.

Dans ces circonstances, la décision querellée devra, pour ce motif déjà, être annulée.

Il ne sera dès lors pas nécessaire de donner suite aux conclusions préalables de la recourante tendant à la production de la soumission de la société adjudicataire ainsi que tout renseignement donné par celle-ci concernant sa solvabilité, en particulier ses bilans des trois dernières années et sa projection financière au mois de juin 2021.

4) La recourante estime que l'autorité adjudicatrice a violé les art. 33 al. 1 et 42 al. 2 let. c RMP en attribuant le marché à l'adjudicataire alors que cette dernière ne présentait pas les garanties de solvabilité et de pérennité fixées comme premier critère d'aptitude dans l'appel d'offres, dans la mesure où elle était au bénéfice d'un sursis concordataire.

a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics (art. 1 al. 1 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

b. En matière de marchés publics – et pour tous les types de procédure –, on distingue les critères d'aptitude ou de qualification (« Eignungskriterien »), qui servent à s'assurer que le soumissionnaire dispose des capacités suffisantes afin de réaliser le marché (art. 13 let. d AIMP), des critères d'adjudication ou d'attribution qui se rapportent en principe directement à la prestation requise et indiquent au soumissionnaire comment l'offre économiquement la plus avantageuse sera évaluée et choisie. Les entreprises soumissionnaires qui ne remplissent pas un des critères d'aptitude posés voient leur offre exclue, sans compensation possible, alors que la non-réalisation d'un critère d'adjudication n'est pas éliminatoire, mais peut être compensée par une pondération avec d'autres critères d'adjudication (ATF 141 II 353 consid. 7.1 et les références citées).

L’art. 16 RMP prescrit que toute discrimination des candidats ou des soumissionnaires est interdite, en particulier par la fixation de délais ou de spécifications techniques non conformes à l'art. 28 RMP, par l'imposition abusive de produits à utiliser ou le choix de critères étrangers à la soumission (al. 1), et que le principe de l'égalité de traitement doit être garanti à tous les candidats et soumissionnaires et dans toutes les phases de la procédure (al. 2).

Aux termes de l’art. 33 RMP, l'autorité adjudicatrice définit des critères d'aptitude conformément à l'art. 24 RMP – à teneur duquel elle choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché, et doit les énoncer clairement et par ordre d'importance au moment de l'appel d'offres (art. 13 let. d AIMP) – ; elle peut exiger des soumissionnaires des justificatifs attestant leur capacité sur les plans financier, économique, technique, organisationnel et du respect des composantes du développement durable, tels que : a) preuve que le candidat exerce une activité en rapport avec celle dont relève la soumission, par exemple sous forme d'un extrait du registre du commerce ou d'un registre professionnel ; b) déclaration indiquant l'effectif de la main-d'œuvre permanente et le nombre d'apprentis ; c) extrait du registre des poursuites et faillites ; d) pièces comptables ; e) certificat de qualité.

L'autorité adjudicatrice peut demander aux soumissionnaires des explications relatives à leur aptitude et à leur offre (art. 40 al. 1 RMP).

Un critère d'aptitude ne se pondère ni ne se compense ; soit il est réalisé, soit il ne l'est pas (ATF 141 II 353 consid. 7.2).

c. Les critères d'aptitude doivent pouvoir être contrôlés par l'adjudicateur avant la décision d'adjudication, ce qui exclut notamment que des éléments essentiels pour l'exécution du mandat ne soient acquis par l'adjudicataire que par la suite. Si l'adjudicateur estime qu'il suffit, pour des raisons pratiques liées à la réalité du marché, que les soumissionnaires se limitent à fournir des garanties, au moment de la décision d'adjudication, qu'ils posséderont les éléments essentiels pour l'exécution du mandat lorsque celui-ci devra être exécuté, alors il doit le mentionner dans l'appel d'offres. S'il ne le fait pas et si une telle volonté ne peut être clairement déduite d'une interprétation de l'appel d'offres, il ne peut, par la suite, attribuer le marché à une entreprise ne remplissant pas un critère d'aptitude au moment de la décision d'adjudication, sous peine de fausser l'attribution du marché. En effet, il n'est pas exclu que d'autres entreprises concurrentes, désireuses de participer au marché mais n'étant pas en mesure de remplir tous les critères d'aptitude au moment de soumissionner, y aient renoncé compte tenu de la teneur de l'appel d'offres (ATF 145 II 249 consid. 3.3 et les références citées).

d. Selon la doctrine, la pérennité constitue un critère délicat. L'adjudicateur est libre de vérifier la pérennité des soumissionnaires en leur demandant des informations relatives par exemple à leur chiffre d'affaires moyen au cours des années précédentes. Il cherche alors à s'assurer que l'adjudicataire disposera des ressources financières suffisantes pour réaliser les travaux faisant l'objet du marché et à vérifier que l'adjudicataire ne dépendra pas, dans une mesure trop importante, de ce marché pour réaliser son chiffre d'affaire annuel (Isabelle GUISAN/Robert ZIMMERMANN, Le juge saisi par les marchés publics in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Martin BEYELER/Stefan SCHERLER [éd.], Marchés publics 2018, 2018, p. 407).

e. À teneur de l’art. 42 RMP, l'offre est écartée d'office notamment lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non conforme aux exigences ou au cahier des charge (al. 1 let. a) ou ne répond pas ou plus aux conditions pour être admis à soumissionner (al. 1 let. b) ; les offres écartées ne sont pas évaluées ; l'autorité adjudicatrice rend une décision d'exclusion motivée, notifiée par courrier à l'intéressé, avec mention des voies de recours (al. 3).

L'autorité adjudicatrice peut également écarter l'offre d'un soumissionnaire qui ne remplit pas les garanties de bienfacture, de solvabilité et de correction en affaires (art. 42 al. 2 let. c RMP). Il ressort de cette disposition que le droit genevois ne règle expressément la question de savoir si un soumissionnaire en procédure de sursis concordataire ne remplit pas, de ce simple fait, les garanties de solvabilité.

f. Le pouvoir adjudicateur dispose d'une grande liberté d'appréciation dans le choix et l'évaluation des critères d'aptitude et d'adjudication, celui-là étant libre de spécifier ses besoins en tenant compte de la solution qu'il désire (ATF 137 II 313 consid. 3.4 in JdT 2012 I p. 28ss). Si l'autorité judiciaire substitue son pouvoir d'appréciation à celui de l'adjudicateur, elle juge en opportunité, ce qui lui est interdit, tant par l'art. 16 al. 2 AIMP que par l'art. 61 al. 2 LPA. L'autorité judiciaire ne peut intervenir qu'en cas d'abus ou d'excès du pouvoir de décision de l'adjudicateur, ce qui, en pratique, peut s'assimiler à un contrôle restreint à l'arbitraire. En revanche, l'autorité judiciaire n'a pas à faire preuve de la même retenue lors du contrôle des règles de procédure en matière de marchés publics (ATF 141 II 353 consid. 3 et les références citées).

L'insolvabilité a été définie par les tribunaux comme l'incapacité prolongée du débiteur de satisfaire ses créanciers (Sylvain MARCHAND, Précis de droit des poursuites, 2ème éd., 2013, p. 36 et la référence citée).

g. Le concordat est un accord entre le débiteur et ses créanciers sur une modification des modalités d'exécution de la créance. La procédure concordataire commence par une requête de sursis concordataire, qui peut notamment être adressée par le débiteur au juge du concordat. La requête doit être motivée, le but de cette motivation étant de convaincre le juge des chances d'obtention d'un concordat. Le requérant doit non seulement rendre vraisemblable qu'il est en mesure de présenter une proposition acceptable pour une majorité des créanciers (art. 305 LP), mais également que son projet remplira les conditions d'homologation (art. 306 LP). Cet examen prospectif ne doit conduire au refus du sursis que s'il est certain que les conditions d'homologation ne pourront être réunies (Sylvain MARCHAND, op.cit., pp. 264ss et les références citées).

Le but du concordat est d'éviter la réalisation forcée des biens du débiteur lorsqu'un assainissement paraît possible (ATF 50 II 503 consid. 1 = JdT 1925 I 199 ; Pierre-Robert GILLIÉRON, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 5ème éd., 2012, p. 588 ; Lucien GANI, in Louis DALLÈVES/Bénédict FOËX/Nicolas JEANDIN [éd.], Commentaire romand, Poursuite et faillite, n. 1 ad art. 293ss LP).

5) a. La Loi fédérale sur les marchés publics du 21 juin 2019 (LMP - RS 172.056.1) ainsi que le règlement d'application vaudois du 7 juillet 2004 de la loi sur les marchés publics - RLMP/VD - BLV 726.01.1) prévoient la possibilité d'exclure l'offre d'un soumissionnaire qui fait l’objet d’une procédure de saisie ou de faillite (art. 44 al. 1 let. d LMP ; art. 32 al. 1 let. g RMLP/VD). Le message du Conseil fédéral relatif au projet de révision totale de la LMP du 15 février 2017 précise que, lorsqu'un soumissionnaire se trouve en procédure de faillite, il existe un risque considérable que la fortune du soumissionnaire concerné diminue en raison de mesures d’exécution et qu’il ne dispose donc plus des ressources nécessaires pour l’exécution d’un marché public (FF 2017 1695, p. 1806).

b. Le secrétariat général du Département des infrastructures (ci-après : DINF) du canton de Vaud a rendu un avis de droit sur la question de savoir comment appréhender, dans le cadre d'une procédure de marchés publics, le cas d'un soumissionnaire en sursis concordataire, que le sursis ait été octroyé avant ou après l'adjudication. Il a estimé que l'art. 32 al. 1 let. g RMLP/VD ne pouvait pas être appliqué, par analogie, à un soumissionnaire en sursis concordataire. À son sens, le caractère « automatique » de l'exclusion de l'offre ou de la révocation de l'adjudication en cas de faillite n'était manifestement pas adapté à la diversité des situations pouvant se présenter en matière de procédure concordataire. Dès lors, il convenait de traiter le soumissionnaire au bénéfice d’un sursis concordataire de la même façon que celui faisant l'objet de poursuites susceptibles d’entraîner son insolvabilité : l’adjudicateur ne pouvait prononcer l’exclusion du soumissionnaire ou la révocation de l’adjudication qu’après avoir constaté que le soumissionnaire ne satisfaisait effectivement pas ou plus aux critères d’aptitude exigés pour le marché en cause, notamment s'agissant de sa capacité financière. Lorsque l’adjudicateur était informé du fait qu’un soumissionnaire se trouvait en sursis concordataire, il devait exiger de ce dernier des explications documentées sur sa situation financière, s'assurer qu’il satisfaisait toujours aux critères d'aptitude demandés pour l'exécution du marché en question et, le cas échéant, exiger la fourniture de garanties (Secrétariat général du DINF, Avis de droit - Marchés publics, 16 novembre 2007).

c. Selon l'art. 22 let. k de la loi grisonne sur les marchés publics du 10 février 2004 (SubG/GR - 803.300), une offre est exclue de la prise en considération si le soumissionnaire fait l'objet d'une procédure de faillite ou a fait l'objet d'une saisie au cours des douze derniers mois. Il ressort notamment d'un arrêt du Tribunal fédéral que, sur la base de cette disposition, le Tribunal administratif des Grisons a jugé qu'il convenait de ne pas exclure catégoriquement de la procédure d'adjudication les soumissionnaires en procédure de concordat, contrairement à ceux en procédure de faillite (2C_233/2016 du 17 novembre 2016, consid. 4 ; voir aussi arrêt du Tribunal administratif des Grisons, U 13 27 du 28 mai 2013, cité in DC 1/2014 p. 44 n. 36 ; Jacques DUBEY/Franziska WASER/Domenico DI CICCO, La jurisprudence en marchés publics entre 2014 et 2016 in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Martin BEYELER/Stefan SCHERLER [éd.], Marchés publics 2016, 2016, p. 161).

6) En l'espèce, il convient au préalable de déterminer si un soumissionnaire au bénéfice d'un sursis concordataire doit être exclu de la procédure de ce simple fait. Autrement dit, il s'agit de répondre à la question de savoir si un soumissionnaire au bénéfice d'un sursis concordataire peut être en mesure de présenter des garanties de pérennité et de solvabilité relatives à son entreprise.

Il ressort des bases légales, de la jurisprudence et de la doctrine précitées qu'une procédure de sursis concordataire ne fait en elle-même pas obstacle à ce qu'un soumissionnaire au bénéfice d'une telle procédure participe à un appel d'offres. En effet, le sursis concordataire ayant pour but de laisser une chance au débiteur d'assainir sa société, toutes les circonstances concrètes du cas d'espèce doivent être prises en considération afin d'évaluer si le soumissionnaire au bénéfice d'un tel sursis présente des garanties de pérennité et de solvabilité relative à son entreprise. C'est donc à bon droit que l'autorité adjudicatrice a jugé que l'offre de l'adjudicataire – alors en procédure de sursis concordataire – ne devait pas être exclue de la procédure de ce simple fait.

Il convient encore de déterminer si l'autorité adjutatrice a mésusé de son pouvoir d'appréciation en retenant que l'adjudicataire remplissait les conditions de solvabilité et de pérennité.

L'adjudicataire a présenté les bilans des trois dernières années ainsi que son compte de résultat au 31 décembre 2020, répondant ainsi aux conditions minimales fixées dans l'appel d'offres.

Néanmoins, la présentation de garanties de pérennité et de solvabilité étant le premier critère d'aptitude énoncé dans l'appel d'offre, l'autorité adjudicatrice se devait de vérifier avec toute la diligence nécessaire si l'adjudicataire, du fait qu'il se trouvait en procédure de sursis concordataire, satisfaisait à cette exigence. Or, les explications de ce dernier sur l'évolution de sa situation financière en 2021 ne sont ni signées ni datées ; on ignore si elles émanent du commissaire ou d'un représentant de la société. Le nombre limité de documents remis par l'adjudicataire à l'appui de ses explications – un courrier succinct et une projection du bilan d’assainissement au 30 juin 2021 – ne permettaient pas au pouvoir adjudicateur de retenir, sans autre vérification que la société présentait des garanties de solvabilité et de pérennité suffisantes. Le jugement du TPI du 25 février 2021, dont l’adjudicataire disposait lorsqu'il a déposé son offre, contenait des détails supplémentaires sur les mesures prises par la société et mentionnait, notamment, l'objectif « raisonnablement atteignable » d'un versement aux créanciers d'un dividende de 20 %. Or, il n'a pas transmis cette information à l'autorité adjudicataire, qui ne l’a pas non plus requise. De plus, les mesures d'assainissement annoncées ne sont pas toutes étayées par pièces, en particulier la déclaration de postposition de créances d'un montant de CHF 4'500'000.- signée par l'actionnaire « 5 à sec » le 16 avril 2020. Dans ces circonstances, l'autorité adjudicatrice aurait dû lui demander des explications supplémentaires sur ses capacités financières. En effet, une simulation de sortie de concordat, au demeurant non datée, ne suffit pas à considérer que la garantie de la pérennité et la solvabilité d'une entreprise est suffisamment rendue vraisemblable. À défaut d’avoir demandé à l’adjudicataire des explications supplémentaires relatives à sa situation financière, le pouvoir adjudicateur a mésusé de son pouvoir d’appréciation en retenant que le critère d'aptitude lié à la pérennité et la solvabilité de l'adjudicataire était rempli.

Le recours sera ainsi admis et la décision d’adjudication annulée.

7) Il convient encore d’examiner si la chambre de céans peut, comme le demande la recourante, adjuger le marché.

a. En régime ordinaire, l'autorité de recours qui accueille le pourvoi a le pouvoir, d'une part, d'annuler la décision attaquée et de renvoyer le dossier à l'autorité de première instance ou, d'autre part, de la réformer. Compte tenu de la grande marge de manœuvre dont bénéficient les pouvoirs adjudicateurs en matière de marchés publics et de l'absence de contrôle de l'opportunité de la décision attaquée, le juge qui annule une décision renvoie en règle générale l'affaire au pouvoir adjudicateur pour qu'il statue à nouveau. Certes, il dispose d'un pouvoir de réforme, mais il ne statue dans ce domaine directement que lorsque les faits sont entièrement élucidés et que la décision peut être prise directement (Étienne POLTIER, op.cit., n. 431 et 432 pp. 275 et 276).

b. En l'espèce, il ressort des précédents considérants que la décision doit être annulée du fait notamment de sa motivation insuffisante. La chambre administrative ignore comment l'autorité adjudicatrice a, d'une part, apprécié les différents critères d'adjudication et, d'autre part, évalué les offres au regard de ces critères. Dès lors, les faits ne sauraient être considérés comme étant entièrement élucidés. L'une des deux conditions cumulatives permettant à la chambre administrative de réformer la décision et d'attribuer le marché au soumissionnaire dont l'offre n'a pas été retenue faisant ainsi défaut, le dossier sera renvoyé à l'autorité adjudicatrice pour organiser un appel d'offres conforme au droit.

8) La recourante a conclu à ce que l'autorité adjudicatrice lui verse les frais relatifs à la procédure de recours, lesquels seraient chiffrés à première réquisition de la Cour de céans, plus intérêt à 5 % l'an à compter du 6 août 2021.

a. L'art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), intitulé « indemnité », prévoit que la juridiction peut allouer à une partie, pour les frais indispensables occasionnés par la procédure, y compris les honoraires éventuels d'un mandataire, une indemnité de CHF 200.- à CHF 10'000.-.

Il n'incombe pas à la chambre administrative de requérir de la recourante qu'elle chiffre ses frais relatifs à la procédure de recours, mais bien à celle-ci de les indiquer en cours de procédure, ce qu'elle n'a, en l'occurrence, pas fait. En outre, la juridiction saisie dispose d'un large pouvoir d'appréciation quant à la quotité de l'indemnité allouée et, de jurisprudence constante, celle-ci ne constitue qu'une participation aux honoraires d'avocat (ATA/1484/2017 précité ; ATA/837/2013 du 19 décembre 2013), ce qui résulte aussi, implicitement, de l'art. 6 RFPA dès lors que ce dernier plafonne l'indemnité à CHF 10'000.-.

b. En l’espèce, vu l’issue du litige et compte tenu de ce qui précède, un émolument de CHF 1'300.- sera mis à la charge de B______, qui succombe, tandis qu’aucun émolument ne sera mis à la charge de la direction générale des finances de l'État, au motif qu’il s’agit d’un service étatique défendant ses propres décisions (art. 87 al. 1 LPA). En outre, une indemnité de procédure de CHF 2'500.- sera allouée à la recourante, à la charge solidaire des intimés (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 août 2021 par A______ SA contre la décision de la direction générale des finances de l'État du 6 août 2021 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision de la direction générale des finances de l'État du 6 août 2021 ;

renvoie la cause à la direction générale des finances de l'État pour organisation d'un nouvel appel d'offres ;

met un émolument de CHF 1'300.- à la charge de B______ SA ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'500.- à A______ SA, à la charge solidaire de la direction générale des finances de l'État et de B______ SA ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Killian Sudan, avocat de la recourante, à Me Guy Stanislas, avocat de B______ SA, à la direction générale des finances de l'État ainsi qu’à la Commission de la concurrence.

Siégeant : M. Mascotto président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :