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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2428/2021

ATA/1070/2021 du 12.10.2021 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2428/2021-PRISON ATA/1070/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 octobre 2021

2ème section

 

dans la cause

 

M. A______

contre

PRISON B______



EN FAIT

1) M. A______, né le ______ 1986, de nationalité C______, est détenu à la prison B______ depuis le 9 mai 2021.

2) Il a fait l’objet le 5 juillet 2021 d’une sanction disciplinaire de trois jours de cellule forte, pour trouble à l’ordre de l’établissement.

3) Il ressort du rapport établi le même jour par le gardien-chef adjoint opérationnel (ci-après : GCA OP) que, le 5 juillet 2021 à 18h10, l’infirmière du jour l’avait informé que M. A______ avait perdu sa seringue, qui était tombée par la fenêtre de sa cellule, selon ses dires.

Le GCA OP avait décidé de placer M. A______ en cellule forte.

Le transfert s’était effectué sous la contrainte des menottes et d’une clé de verrouillage des poignets. La fouille s’était déroulée sans l’usage de la contrainte.

M. A______ avait été entendu par le GCA OP à 18h35, avait pu s’exprimer, puis s’était vu signifier, à 18h40, trois jours de cellule forte pour trouble à l’ordre de l’établissement.

4) La sanction a été exécutée du 5 juillet 2021 à 18h20 au 8 juillet 2021 à 18h20.

5) Par courrier remis à la poste le 9 juillet 2021, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision.

Il avait été mis en cellule forte « pour rien du tout, juste car [il avait] signalé au médical [qu’il avait] perdu le bout de [sa] seringue car elle était bouchée. [Il leur avait] dit de regarder en bas [il y avait] un bouchon donc pas de risque de se piquer. Ça [lui était] déjà arrivé et ils ne [l’avaient] pas ramené au cachot. Il [avaient] une dent contre [lui] pour X raisons avec les gardiens, [il trouvait] ça inacceptable en plus sur [sa] feuille de punition il [n’était] rien marqué. Surtout qu’ils [lui avaient] tordu le bras [il] croyait qu’ils allaient arrêter mais ils ont insisté. [Il] n’avait pas signé la feuille de sanction. Ça [voulait] dire pour rien ça [faisait] la 2eme fois qu’[il allait] pour rien ».

6) Le 9 août 2021, la prison B______ a conclu au rejet du recours.

M. A______ figurait parmi les bénéficiaires d’un programme d’échange de seringues, consistant à donner accès aux détenus, selon les besoins et la situation, à du matériel d’injection stérile afin de prévenir les maladies transmissibles par le sang.

Les bénéficiaires étaient avertis oralement qu’ils pouvaient faire l’objet d’une sanction disciplinaire en cas de non-respect des consignes, en particulier celle de ne pas conserver le matériel dans l’emballage d’origine ou dans le tube d’échange, ou encore en cas de perte de la seringue.

M. A______ avait été sanctionné le 21 mai 2021 d’un placement de trois jours en cellule forte pour trouble à l’ordre de l’établissement. Le 21 juillet 2021, il avait été sanctionné d’un placement de quatre jours en cellule forte pour trouble à l’ordre de l’établissement en récidive, menaces envers le personnel et refus d’obtempérer. Il avait à nouveau omis de rendre une aiguille de seringue.

M. A______ avait admis dans son recours avoir perdu le bout de sa seringue et confirmé qu’il n’avait pas respecté les consignes du programme.

La sanction était fondée sur le règlement, justifiée par un intérêt public au maintien des conditions d’intégrité et de bon ordre dans le fonctionnement de l’établissement et elle était proportionnée.

Le programme d’échange de seringues avait été mis en place à la prison depuis de nombreuses années et avait connu un franc succès, car les consignes étaient respectées par les détenus. Le programme avait notamment pour but de prévenir la transmission des maladies. Il permettait également au personnel pénitentiaire de se sentir plus en sécurité, car il avait moins de risque de se piquer lors de la fouille de la cellule. Il était donc important que toutes les personnes détenues respectent les consignes. En cas de manquement, même par omission comme semblait l’avancer M. A______, la personne détenue devait être sanctionnée. Le comportement avait été réitéré le 12 juillet 2021.

7) M. A______ n’a pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti au 15 septembre 2021.

8) Le 1er octobre 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/284/2020 du 10 mars 2020 consid. 2a et la référence citée).

b. En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la sanction disciplinaire à laquelle il a été condamné. L'on comprend toutefois de son recours qu'il la conteste, car elle serait injustifiée, et conclut implicitement à son annulation, de sorte que le recours est également recevable de ce point de vue.

3) Est litigieuse la sanction de trois jours de cellule forte.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04) régit le statut des personnes incarcérées à la prison.

Les détenus doivent respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l'office pénitentiaire et les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire (art. 42 RRIP). Ils doivent en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Selon l'art. 45 RRIP, il est interdit notamment aux détenus, et d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (let. h).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, la privation de travail (let. f) ainsi que le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Il peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions pour le placement en cellule forte de un à cinq jours à d'autres membres du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

d. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports qu'ils établissent.

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b).

4) Le recourant fait valoir que sa mise au cachot serait infondée, n’ayant commis aucune faute.

Il ne conteste toutefois pas avoir perdu l’aiguille de sa seringue.

Il ne conteste pas non plus avoir été averti des conditions de participation au programme de remise et d’échange de seringues, ni des sanctions prévues en cas de violation de celles-ci.

Le recourant fait valoir qu’il aurait perdu l’aiguille par la fenêtre, par inadvertance. La chambre de céans observera qu’il s’agit là à tout le moins d’une négligence coupable, la manipulation du matériel d’injection ne pouvant notoirement se faire sans risque au bord d’une fenêtre.

Le recourant soutient que le risque de blesser un tiers était inexistant, car l’aiguille était munie de son bouchon. Il ne saurait être suivi, le bouchon pouvant s’ouvrir, y compris au cours d’une manipulation, et la contamination pouvant également se faire sans piqûre par les fluides. Il y a lieu de rappeler à ce propos que le recyclage du matériel d’injection comme de tout matériel contaminé est, pour ce motif, soumis à une procédure très stricte.

Le comportement adopté par le recourant justifiait donc une sanction.

5) Le recourant se plaint que les surveillants lui auraient tordu le bras.

Il ne conteste toutefois pas que son placement en cellule forte se soit heurté à sa résistance, ainsi que le décrit le rapport établi par un gardien assermenté, et ait nécessité une manœuvre d’immobilisation. Il n’allègue pas avoir subi de lésion du fait de celle-ci.

Le grief sera écarté.

6) Reste à examiner si la sanction consistant en trois jours de cellule forte était proportionnée.

Le placement en cellule forte est la sanction la plus sévère parmi le catalogue des sept sanctions mentionnées par l'art. 47 RRIP. (art. 47 al. 3 let. g RRIP). En l'occurrence, la durée de celle infligée au recourant est de trois jours, soit moins du tiers du maximum réglementaire.

L'autorité intimée jouit toutefois d'un large pouvoir d'appréciation que la chambre de céans ne revoit qu'avec retenue.

La perte de l’aiguille d’une seringue crée un risque de blessure ou de contagion pour les tiers (personnel pénitentiaire, autres détenus) et partant d’infection par des maladies graves, tels le VIH ou l’hépatite.

Le recourant avait un antécédent disciplinaire de trois jours de cellule forte prononcé le 21 mai 2021 pour trouble à l’ordre de l’établissement.

Dans ces conditions, tant le choix de la sanction, sous forme de jours de cellule forte, que sa quotité étaient aptes et nécessaires pour garantir la sécurité et la tranquillité de l'établissement et s'avèrent conformes au droit.

Au vu de ce qui précède, le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

7) Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 juillet 2021 par M. A______ contre la décision de la prison B______ du 5 juillet 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à M. A______ ainsi qu'à la prison B______.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. Specker

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :