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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2447/2021

ATA/1073/2021 du 12.10.2021 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2447/2021-PRISON ATA/1073/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 octobre 2021

2ème section

 

dans la cause

 

M. A______

contre

PRISON B______



EN FAIT

1) M. A______, né le ______ 1986, de nationalité C______, est détenu à la prison B______ depuis le 9 mai 2021, en exécution d’une peine privative de liberté.

2) Il a fait l’objet le 12 juillet 2021 d’une sanction disciplinaire de quatre jours de cellule forte, pour trouble à l’ordre de l’établissement en récidive, menaces envers le personnel et refus d’obtempérer.

3) Il ressort du rapport établi le même jour par le gardien-chef adjoint opérationnel (ci-après : GCA OP) que, le 12 juillet 2021 à 08h20, la médecin cheffe de clinique l’avait appelé pour l’informer que M. A______, qui faisait partie du programme d’échange de seringues, n’avait pas rendu une aiguille de seringue.

Le GCA OP avait décidé de placer M. A______ en cellule forte.

Entendu à 10h15, M. A______ lui avait affirmé qu’il s’agissait de la même seringue que la semaine précédente et qu’il avait déjà été puni pour cela.

Le GCA OP avait placé M. A______ en attente dans les douches afin d’éclaircir l’affaire et avait rappelé le médecin, qui lui avait confirmé qu’il s’agissait bien d’une deuxième aiguille de seringue manquante.

M. A______ avait refusé son placement en cellule forte et il avait été décidé de le menotter car il était récalcitrant. La fouille avait également été effectuée sous la contrainte.

Dans l’ascenseur, M. A______ avait dit au gardien et à l’appointé qui le maintenaient qu’il allait leur « mettre un coup de tête ».

4) La sanction a été exécutée du 12 juillet 2021 à 09h30 au 16 juillet 2021 à 09h30.

5) Par courrier remis au courrier interne de la prison B______ le 17 août 2021, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision.

Il voulait faire appel « car le chef d’étage [le ramenait] au cachot pour un oui ou un non, comme bon lui [semblait] ». Il l’avait puni du 3 au 6 puis du 12 au 16 du mois car il avait déposé plainte contre l’établissement. Il voulait également déposer plainte contre le chef d’étage. De plus, il avait été mis par terre et déshabillé « tout nu ».

6) Le 10 août 2021, la direction de la prison B______ a conclu au rejet du recours.

M. A______ figurait parmi les bénéficiaires d’un programme d’échange de seringues, consistant à donner accès aux détenus, selon les besoins et la situation, à du matériel d’injection stérile afin de prévenir les maladies transmissibles par le sang.

Les bénéficiaires étaient avertis oralement qu’ils pouvaient faire l’objet d’une sanction disciplinaire en cas de non-respect des consignes, en particulier celle de ne pas conserver le matériel dans l’emballage d’origine ou dans le tube d’échange ou encore en cas de perte de la seringue.

M. A______ avait déjà été sanctionné le 5 juillet 2021 pour avoir perdu une aiguille de seringue. Il avait tenté en vain de faire croire qu’il s’agissait le 12 juillet 2021 de la même aiguille. Il avait en outre menacé les agents lors de son transfert de les frapper à la tête.

La sanction était fondée sur le règlement, justifiée par un intérêt public au maintien des conditions d’intégrité et de bon ordre dans le fonctionnement de l’établissement et elle était proportionnée.

Le programme d’échange de seringues avait été mis en place à la prison depuis de nombreuses années et avait connu un franc succès, car les consignes étaient respectées par les détenus. Le programme avait notamment pour but de prévenir la transmission des maladies. Il permettait également au personnel pénitentiaire de se sentir plus en sécurité, car il avait moins de risque de se piquer lors de la fouille de la cellule. Il était donc important que toutes les personnes détenues respectent les consignes. En cas de manquement, même par omission comme semblait l’avancer M. A______, la personne détenue devait être sanctionnée.

Dans le cas d’espèce, M. A______ avait récidivé dans la violation des conditions du programme.

7) M. A______ n’a pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti au 15 septembre 2021.

8) Le 11 septembre 2021, il a fait acheminer à la chambre administrative un courrier adressé à un procureur par lequel il se plaignait que la police l’avait frappé du quartier D______ à Genève à coup de pieds, de matraque et de poings. Les gardiens l’avaient également frappé « à coups de poings coup de pied etcétéra trauma facial hernie discale etcétéra [c’était pour cela qu’il était] venu à Genève ».

Le courrier, reçu le 20 septembre 2021, a été réacheminé le même jour au Ministère public, pour raisons de compétence.

9) Le 1er octobre 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/284/2020 du 10 mars 2020 consid. 2a et la référence citée).

b. En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la sanction disciplinaire à laquelle il a été condamné. L'on comprend toutefois de son recours qu'il la conteste, car elle serait injustifiée, et conclut implicitement à son annulation, de sorte que le recours est également recevable de ce point de vue.

3) Est litigieuse la sanction de quatre jours de cellule forte.

La plainte que le recourant dit vouloir former contre le gardien chef d’étage pour l’avoir puni deux fois de cellule forte sans motif excède le cadre du présent litige.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04) régit le statut des personnes incarcérées à la prison.

Les détenus doivent respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l'office pénitentiaire et les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire (art. 42 RRIP). Ils doivent en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Selon l'art. 45 RRIP, il est interdit notamment aux détenus, et d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (let. h).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, la privation de travail (let. f) ainsi que le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Il peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions pour le placement en cellule forte de un à cinq jours à d'autres membres du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

d. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports qu'ils établissent.

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b).

4) Le recourant fait valoir que sa mise en cellule forte serait infondée.

Il se contente de reprocher au gardien-chef de le placer en cellule forte « pour un oui ou un non », mais ne conteste pas qu’il a une nouvelle fois perdu l’aiguille de sa seringue, ni qu’il a menti à ce propos, ni qu’il s’est opposé physiquement à son transfert et a menacé les surveillants dans l’ascenseur.

Il ne conteste pas non plus avoir été averti des conditions de participation au programme de remise et d’échange de seringues, ni des sanctions prévues en cas de violation de celles-ci. Il avait d’ailleurs été sanctionné pour les mêmes motifs une semaine environ avant le 12 juillet 2021.

Les déclarations d’un gardien assermenté, comme le rapport fondant la sanction, revêtent dans la règle une force probante accrue. Faute pour le recourant de critiquer, ne serait-ce que sommairement, l’établissement des faits par la prison B______ ou de décrire les événements tels qu’ils se seraient en réalité déroulés, celui-ci sera tenu pour établi, aucun autre élément ne permettant par ailleurs de s’en écarter.

5) Le recourant se plaint que les surveillants l’auraient mis à terre et dénudé.

Il ne conteste cependant pas que le placement en cellule forte ainsi que la fouille corporelle ont rencontré sa résistance physique, de sorte que la contrainte a dû être mise en œuvre par les surveillants.

Le recourant ne soutient pas qu’il aurait subi des séquelles physiques et n’indique par ailleurs pas en quoi les modalités de la mise en œuvre de la contrainte pour le déplacement et la fouille auraient été « inhumaines ».

Le grief, pour autant qu’il soit recevable dans le cadre de la présente procédure, sera écarté.

6) Reste à examiner si la sanction consistant en quatre jours de cellule forte était proportionnée.

Le placement en cellule forte est la sanction la plus sévère parmi le catalogue des sept sanctions mentionnées par l'art. 47 RRIP. (art. 47 al. 3 let. g RRIP). En l'occurrence, la durée de celle infligée au recourant est de quatre jours, soit un peu plus du tiers du maximum réglementaire.

L'autorité intimée jouit toutefois d'un large pouvoir d'appréciation que la chambre de céans ne revoit qu'avec retenue.

La perte de l’aiguille d’une seringue crée un risque de blessure ou de contagion pour les tiers (personnel pénitentiaire, autres détenus) et partant d’infection par des maladies graves, tels le VIH ou l’hépatite.

Le recourant avait un premier antécédent disciplinaire de trois jours de cellule forte prononcé le 21 mai 2021 pour trouble à l’ordre de l’établissement. Le 5 juillet 2021, il avait par ailleurs été sanctionné déjà pour avoir perdu l’aiguille de sa seringue par un placement en cellule forte d’une durée de trois jours.

La récidive à bref délai porte à considérer que le recourant fait peu de cas des règles propres au programme sanitaire dont il est pourtant le bénéficiaire.

Enfin, les menaces d’agression physique proférées à l’endroit des surveillants qui recouraient à la contrainte vu sa résistance ont alourdi la faute du recourant.

Dans ces conditions, tant le choix de la sanction, sous forme de jours de cellule forte, que sa quotité, étaient aptes et nécessaires pour garantir la sécurité et la tranquillité de l'établissement et s'avèrent conformes au droit.

Au vu de ce qui précède, le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

7) Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 juillet 2021 par M. A______ contre la décision de la prison B______ du 12 juillet 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à M. A______ ainsi qu'à la prison B______.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. Specker

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :