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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4524/2019

ATA/571/2021 du 01.06.2021 ( EXPLOI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4524/2019-EXPLOI ATA/571/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er juin 2021

 

dans la cause

 

Madame A______

B______ Sàrl

C______ SA
représentées par Me Nadia Isabel Clerigo, avocate

 

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR

 



EN FAIT

1) C______ SA, dont Monsieur D______ est l'administrateur, est propriétaire du fonds de commerce du cabaret-dancing « E______ ».

B______ Sàrl, dont M. D______ est associé-gérant, a racheté l'intégralité des actions de C______ SA le 20 janvier 2017. Cette dernière avait confié la gestion du cabaret-dancing à M. D______ par contrat du 7 mai 2014 et la responsable de l'établissement était, dès le 1er juin 2014, Madame A______, titulaire du certificat de cafetier.

2) Le 29 juillet 2015, Mme A______ a été autorisée à exploiter le « E______ » par le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN).

3) Le 27 juin 2016, Mme A______ et M. D______ ont déposé auprès du PCTN un formulaire de « mise en conformité LRDBHD des établissements autorisés en vertu de la LRDBH » en vue de l'obtention d'une autorisation d'exploiter un établissement soumis à la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22), entrée en vigueur le 1er janvier 2016.

À la suite du changement de loi en la matière, les établissements disposant d'une autorisation d'exploiter délivrée par le PCTN et continuant à être exploités aux mêmes conditions après le 1er janvier 2016 devaient requérir, avant l'expiration d'une période de six mois, une mise en conformité. La continuation de l'activité était autorisée à condition d'obtenir, au plus tard le 31 décembre 2016, une autorisation d'exploiter en application de la nouvelle loi.

Selon le formulaire 1 annexé, le propriétaire de l'établissement, la société C______ SA, avait confié à M. D______ la gérance de l'établissement. Les conditions contractuelles étaient restées les mêmes depuis la délivrance de la dernière autorisation d'exploiter. Le contrat de bail n'avait pas été résilié et la destination des locaux n'avait pas été modifiée. L'exploitante et le gérant avaient confirmé l'exploitation de l'établissement dans la catégorie de cabaret-dancing. L'exploitante s'engageait à gérer de manière personnelle et effective l'établissement pour lequel elle sollicitait l'autorisation.

4) Le refus du PCTN, le 5 décembre 2016, de donner une suite favorable à cette requête de mise en conformité à la nouvelle loi a entraîné une première procédure administrative (A/4417/2016), laquelle s'est soldée par l'admission du recours de Mme A______ et M. D______ (ATA/1567/2017 du 5 décembre 2017).

5) Dans le cadre de la poursuite, par les intéressés, des démarches visant à la mise en conformité de l'établissement à la nouvelle loi, Mme A______ a sollicité, le 19 novembre 2018, une autorisation d'exploiter le « E______ ».

À cette demande était jointe une copie d'un « Avenant n° 2 au contrat de gérance du 7 mai 2014 relatif à l'établissement à l'enseigne le E______ » du 5 novembre 2018, à teneur duquel C______ SA autorisait M. D______ à mettre en gérance l'établissement en faveur de la société B______ Sàrl.

6) Le 6 février 2019, le service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA) a rendu un préavis concernant la requête en autorisation d'exploiter le « E______ ».

Ce préavis se référait à un préavis précédent du 27 juin 2018, qui était réservé à l'étude d'un rapport d'expertise acoustique et du certificat d'installation d'un limiteur de son. Il ressortait du rapport acoustique réalisé le 8 novembre 2017 que les exigences minimales de la norme SIA 181:2006 étaient respectées avec un niveau sonore maximal de 90 dB(A) (Leq 15 min) dans les locaux du « E______ ».

Le préavis du 6 février 2019 était réservé à l'étude des documents complémentaires qui devaient encore être transmis au SABRA, à savoir un certificat d'installation du limiteur-enregistreur et une photographie de l'emplacement du micro ainsi que les données du limiteur relevées au cours des deux derniers mois et démontrant que l'établissement fonctionnait avec un niveau sonore de 90 dB(A) (Leq 15 min).

7) Le 28 mars 2019, à la suite de la réception des documents requis, le SABRA a rendu un préavis défavorable concernant l'autorisation d'exploiter le « E______ ».

Le relevé du limiteur pour la période du 20 janvier au 19 février 2019 faisait état de dépassements répétés et importants du niveau sonore maximal autorisé ; il atteignait régulièrement les 96 dB(A), avec un maximum de 100 dB(A) (Leq 15 min). Cela démontrait que l'offre d'animation dans le cabaret-dancing (clubbing et concerts) ne pouvait pas être réalisée avec le niveau sonore maximal fixé à 90 dB(A) (Leq 15 min) permettant de respecter les exigences minimales.

8) Le 12 avril 2019, le PCTN a informé Mme A______ et B______ Sàrl qu'il envisageait de rejeter la demande du 19 novembre 2018.

9) Le 9 mai 2019, Mme A______ et B______ Sàrl ont fait valoir leur droit d'être entendues.

Les dépassements sonores constatés étaient dus, d'une part, à une erreur de calibrage de la part de la société qui avait installé le limiteur et l'avait réglé sur 93 dB(A) au lieu de 90 dB(A) et, d'autre part, à la difficulté de contrôler le volume lors de concerts live. Le limiteur était désormais correctement réglé et des mesures supplémentaires avaient été mises en place pour limiter le bruit. L'établissement ne proposait plus que des concerts « unplugged », soit avec peu d'électronique. L'installation de haut-parleurs supplémentaires pour abaisser le niveau sonore général était à l'étude. Il convenait ainsi soit de délivrer l'autorisation requise, soit d'étudier l'impact des mesures correctives mises en place avant de se prononcer.

10) Dans ce contexte, le PCTN a requis un nouveau préavis du SABRA, afin de vérifier si les mesures correctives mises en place permettaient une exploitation conforme au niveau sonore maximal de 90 dB(A).

11) Le 18 juillet 2019, le SABRA a maintenu son précédent préavis défavorable et informé le PCTN avoir analysé les données du limiteur-enregistreur du E______ pour la période du 24 avril au 23 juin 2019. Le limiteur était bien calibré et fonctionnait correctement. Toutefois, le niveau limite d'émission de 90 dB(A) (Leq 15 min) avait été dépassé à de nombreuses reprises, le niveau enregistré atteignant jusqu'à 104 dB(A). Le niveau limite d'émission de 93 dB(A) (Leq 1 heure) fixé pour les manifestations n'ayant pas fait l'objet d'une annonce à la police cantonale avait été dépassé lors de douze soirées sur trente contrôlées et le niveau enregistré avait atteint jusqu'à 12 dB(A).

12) Le 16 septembre 2019, le PCTN a fait savoir à Mme A______ et B______ Sàrl que les conditions de délivrance de l'autorisation d'exploiter l'établissement n'étaient pas réalisées au regard du bruit. Les intéressées disposaient néanmoins d'un délai au 30 septembre 2019 pour démontrer que les dépassements des 90 dB(A) enregistrés entre les 24 avril et 23 juin 2019 étaient uniquement le fait de concerts live. Elles étaient notamment invitées à produire la programmation des concerts du « E______ » avec dates et horaires, une analyse détaillée des données du limiteur-enregistreur indiquant les jours et heures des dépassements ainsi que tout autre document utile. Si cet élément était prouvé, une autorisation d'exploiter soumise à la condition de ne pas proposer de concerts live pouvait être délivrée. Dans le cas contraire, la requête du 19 novembre 2018 serait rejetée. Le PCTN n'entendait pas requérir un nouveau préavis du SABRA.

13) Le 30 septembre 2019, Mme A______ et B______ Sàrl ont indiqué n'avoir pas accès aux relevés du limiteur-enregistreur, auxquels seules les sociétés habilitées avaient accès. Elles ne pouvaient dès lors pas indiquer si les dépassements relevés coïncidaient avec des concerts live. Toutefois, une société avait récemment été mandatée pour analyser les relevés de l'appareil toutes les deux semaines dès le 1er septembre 2019 et prendre des mesures immédiates si de nouveaux dépassements étaient constatés. Il convenait d'interpeller le SABRA afin qu'il transmette un tableau indiquant le résultat des enregistrements par dates et heures.

14) Par une première décision du 4 novembre 2019, le PCTN a constaté la caducité de l'autorisation l'exploiter de Mme A______ du 29 juillet 2015, de sorte que l'exploitation du « E______ » devait cesser dès l'entrée en force de cette décision.

Un changement de propriétaire de l'établissement était survenu depuis la délivrance de l'autorisation précitée, C______ SA ayant confié la gérance du « E______ » à B______ Sàrl à compter du 5 novembre 2018. Aucune démarche visant à le signaler et à confirmer l'exploitant n'avait été entreprise dans le délai imposé par la loi. Par ailleurs, la nouvelle demande d'autorisation d'exploiter qui avait été requise le 19 novembre 2018 faisait l'objet d'une décision de rejet, pour d'autres motifs. Il ne se justifiait pas d'accorder un délai supplémentaire dès lors que l'autorisation d'exploiter du 29 juillet 2015 devait dans tous les cas être considérée comme caduque.

15) Par une seconde décision du 4 novembre 2019 également, le PCTN a rejeté la requête d'autorisation d'exploiter le « E______ » du 19 novembre 2018.

Comme l'avait constaté le SABRA, les données du limiteur-enregistreur pour la période du 24 avril au 23 juin 2019 montraient un dépassement des limites d'émission de 90 dB(A), respectivement de 93 dB(A) à de nombreuses reprises ; il n'y avait pas lieu d'attendre le résultat des études en cours à la suite des mesures prises par B______ Sàrl depuis le 1er septembre 2019 (analyse des relevés du limiteur-enregistreur toutes les deux semaines, réduction des haut-parleurs sur la piste à deux paires au lieu de quatre, installation de haut-parleurs de meilleure qualité permettant la diffusion par zone et le réglage de manière optimale du volume), puis de la commande, le 25 septembre 2019, de deux nouveaux « subwoofers » ; les intéressées avaient bénéficié de suffisamment de temps pour prendre ces mesures plus tôt. Bien que les mesures effectuées par le SABRA n'étaient pas accessibles, les intéressées auraient pu obtenir celles-ci en s'adressant à des sociétés habilitées à en demander la communication. La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

16) Par acte du 5 décembre 2019, Mme A______ et C______ SA ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre la décision du PCTN constatant la caducité de l'autorisation d'exploiter de Mme A______ du 29 juillet 2015, concluant principalement à son annulation et au maintien de l'autorisation d'exploiter précitée jusqu'à droit jugé sur le recours dirigé contre le rejet de la requête en autorisation d'exploiter déposée le 19 novembre 2018. Elles concluaient subsidiairement au renvoi de la cause au PCTN pour nouvelle décision.

Ce recours a été enregistré sous le numéro de cause A/4525/2019.

17) Par un autre acte du même jour, Mme A______, B______ Sàrl et C______ SA ont recouru auprès de la chambre administrative contre la décision du PCTN refusant de délivrer l'autorisation d'exploiter requise le 19 novembre 2018, concluant principalement à son annulation et à la délivrance de l'autorisation d'exploiter le E______. Elles demandaient préalablement la restitution de l'effet suspensif et, à défaut de celui-ci, à l'autorisation de pouvoir continuer d'exploiter leur établissement jusqu'à droit jugé sur leur recours. Elles sollicitaient également la comparution personnelle des parties et l'audition de témoins. Subsidiairement, elles concluaient au renvoi de la cause au PCTN pour nouvelle décision.

Le PCTN n'avait pas tenu compte des nombreuses mesures prises pour limiter le bruit. La seule lecture du courrier du SABRA du 18 juillet 2019 ne permettait pas de déterminer la date et l'heure des dépassements. Il avait ainsi été impossible pour les recourantes de distinguer ceux qui étaient dus à des animations live de ceux dus à du « clubbing » avec un « DJ ». Elles avaient néanmoins produit le détail de la programmation pour la période du 24 avril 2019 au 23 juin 2019. Elles avaient aussi pris d'autres mesures, telles que le changement des « subwoofers » et la modification de la diffusion du son. Il convenait donc d'interpeller à nouveau le SABRA avant de se prononcer. Le PCTN avait toutefois statué sans procéder à cette mesure. L'établissement, soutenu notamment par différents organismes, tels la Fondation d'aide aux entreprises, rencontrait du succès et n'avait fait l'objet d'aucune plainte de voisins.

La chambre administrative avait déjà retenu que le PCTN ne pouvait refuser l'autorisation d'exploiter un établissement public lorsqu'il n'y avait pas de menace concrète de trouble à l'ordre public. En 2015, la bailleresse et C______ SA avait convenu de travaux dans les appartements sis au-dessus du dancing, dont le coût avait été assumé par cette dernière, permettant d'augmenter de 10 dB l'isolement au son. En rendant un refus sans condition, le PCTN avait violé le principe de la proportionnalité. En outre, il avait agi de manière contraire à la bonne foi en ayant depuis des décennies accordé des autorisations, alors que l'insonorisation était moins bonne.

Ce recours a été enregistré sous le numéro de cause A/4524/2019.

18) Par décision du 23 décembre 2019, la jonction des causes A/4524/2019 et A/4525/2019 a été ordonnée sous le n° A/4524/2019 et la requête de mesures provisionnelles rejetée.

19) Le 7 février 2020, le PCTN a conclu au rejet des recours.

Les recourantes avaient bénéficié d'une période de mise en conformité allant au-delà de ce que les art. 70 al. 3 et 9 LRDBHD prévoyaient. Les nouvelles mesures prises par les recourantes n'avaient ainsi pas à être prises en compte. L'absence de plaintes des voisins n'était pas pertinente. Il appartenait au PCTN de vérifier que les conditions légales à l'octroi de l'autorisation soient remplies. Si une condition légale n'était pas remplie, il n'y avait pas lieu d'examiner si la décision respectait le principe de la proportionnalité. Par ailleurs, la nouvelle loi avait introduit la mention des préavis des autorités à l'art. 11 let. a LRDBHD, ce qui n'existait pas encore sous l'ancien droit ayant donné lieu à l'arrêt auquel se référaient les recourantes. Le SABRA était compétent pour émettre un préavis et celui-ci avait été négatif ; aucun élément ne permettait de s'en écarter.

En outre, un changement de propriétaire était survenu et la requête en autorisation d'exploiter était rejetée. Partant, la caducité de l'autorisation accordée le 29 juillet 2015 avait, à juste titre, été constatée.

20) Dans leur réplique, les recourantes ont relevé que l'installation des « subwoofers » récemment acquis, d'autres travaux, terminés le 27 janvier 2020, et les instructions données au « DJ » avaient permis de s'assurer que la valeur de 90 dB ne soit pas dépassée.

21) Dans sa duplique, le PCTN a insisté sur les retards systématiques pris par les recourantes pour donner suite à ses demandes. Si, comme elles le soutenaient, elles avaient transmis au SABRA le rapport du 8 novembre 2017 bien avant le 1er février 2019, elles auraient dû réagir lorsque le SABRA le leur avait demandé le 27 juin 2018. Elles ne pouvaient ainsi soutenir qu'elles avaient cru que le processus suivait son cours.

Si les nouvelles mesures prises permettaient de respecter le niveau sonore maximal, le recourantes seraient en mesure de le prouver, en produisant les relevés du limiteur, ce qui n'était pas le cas.

22) Le 3 avril 2020, les recourantes ont, notamment, relevé que Monsieur F______, qui avait mis en place les différentes mesures prises au « E______ », devait être entendu comme témoin. Il pouvait expliquer celles-ci et également préciser les données enregistrées en janvier et février 2020 par le limiteur. Si a priori quelques dépassements avaient eu lieu, ceux-ci n'avaient duré que quelques secondes.

Les recourantes ont produit, avec leurs différentes écritures, nombre de pièces, notamment des relevés du limiteur-enregistreur.

23) Lors de l'audience, qui s'est tenue le 18 septembre 2020 devant la chambre de céans, les parties ont donné leur accord à ce que les relevés du limiteur-enregistreur de l'été 2020 soient soumis au SABRA, avec les questions des parties.

a. Le PCTN a relevé qu'il avait soumis les relevés pour la période de janvier et février 2020 au SABRA, qui avait conclu à de nombreux et importants dépassements sonores.

b. Le témoin M. F______, qui travaillait depuis environ trente ans dans le domaine de l'audiovisuel, a indiqué que le travail acoustique dans les locaux du « E______ » avait été très complexe compte tenu de la vétusté de l'immeuble. M. D______ avait proposé aux voisins de procéder à des relevés acoustiques afin de s'assurer qu'ils ne soient pas dérangés par le bruit et avait fait effectuer des travaux à ses frais chez ceux-ci et payé leurs vacances pendant la durée de travaux. Dans un premier temps, le respect de la valeur de 93,5 dB, qui était la valeur alors tolérée par le SABRA, avait été visée. Lors d'un contrôle, celui-ci avait dit que la valeur limite était de 90 dB. Ce chiffre lui paraissait utopique ; il était irréaliste pour une boîte de nuit. Le respect de 93 dB était déjà compliqué.

Ils avaient donc oeuvré pour respecter la limite en visant 89.5 dB, en répartissant la musique de la manière la plus large possible par zone. Les clients s'étaient plaints du fait qu'ils ne se sentaient plus enveloppés par la musique. Début 2020 et jusqu'à la réouverture en juin 2020, ils avaient encore procédé à d'autres modifications. Ainsi, un afficheur permettait au « DJ » de savoir à combien de décibels il travaillait. Ils avaient également ajouté des zones de diffusion dans la salle, de manière à mieux répartir le son. Lors de la réouverture, il avait procédé à des tests dans ces nouvelles zones afin de procéder aux adaptations nécessaires. En outre, il avait « tapé sur les doigts » des « DJ » qui ne respectaient pas la valeur limite de 89,5 dB. Les « DJ » étrangers étaient plus respectueux de leurs consignes que les « DJ » locaux.

Il était compliqué de trouver des solutions permettant de diminuer davantage les décibels. Ceux-ci dépendaient également du nombre de personnes présentes. Il avait procédé à des mesures sur des enregistrements faits lors de concerts au Victoria-Hall et constaté des dépassements réguliers allant jusqu'à 107 dB. Le monde de la nuit était stigmatisé. S'il installait l'Orchestre de chambre de Genève au « E______ », sans amplification, les 90 dB seraient dépassés. Il avait récemment enregistré le concert de Madame G______ au « E______ » ; sa seule voix sans amplification dépassait les 90 dB. Il était donc quasiment impossible de se conformer aux 90 dB.

Une valeur limite à 100 dB lui paraîtrait beaucoup plus adéquate. Celle-ci permettrait d'avoir des pics à 93 ou 97 dB. D'ailleurs, les dérogations octroyées par la Ville de Lausanne allaient jusqu'à 100 dB. En-deça de 90 dB, la qualité du son, en particulier la satisfaction tant des artistes que du public, ne pouvait pas être assurée. Dans une pièce de théâtre dans laquelle des images vidéo et de la musique étaient diffusées, le son montait aisément à 95 ou 97 dB. Lors de ses interventions dans d'autres clubs de nuit, il avait constaté que les limites étaient largement dépassées.

Durant une soirée, il pouvait y avoir un concert live et du « clubbing » (« DJ »). Le travail du son était très différent pour l'un et pour l'autre. Tout avait été mis en oeuvre pour respecter la limite de 90 dB. Il ne voyait pas quels autres moyens pourraient être utilisés.

Les dépassements constatés en janvier et février 2020 étaient très importants. Ils étaient dus au fait que le limiteur écrasait automatiquement le son à 90 dB lorsque cette valeur était dépassée, mais le « DJ » réagissait aux plaintes du public et forçait ensuite le son. Celui-ci était alors saturé, ce qui donnait une mauvaise qualité du son et des dépassements importants. Les dépassements constatés étaient clairement dus au comportement du « DJ ».

24) Les recourantes ont produit la programmation du 6 juin au 30 juillet 2020 ainsi que, dans un second temps, les relevés du limiteur-enregistreur pour la même période.

25) Les parties étant convenues de poser des questions écrites au SABRA, la chambre de céans, après avoir soumis les questions à poser au SABRA aux parties, a interpellé ce service, qui lui a indiqué, par courrier du 28 janvier 2021, que les données du limiteur montraient des dépassements du niveau sonore de 90 dB pendant 20 soirées, soit tous les week-ends entre le 6 juin et le 30 juillet 2020. Ces dépassements avaient lieu pendant les concerts et lors d'activités de « clubbing ». La durée totale de dépassement était de 67 heures. Il n'était pas possible de distinguer ce qui était dû à la voix humaine ou à la musique. Dès lors que les niveaux sonores étaient au-dessus de 90 dB pendant des heures, ce résultat ne serait dû à la voix humaine que si de nombreuses personnes criaient jusqu'à très fort (98 dB) pendant plusieurs heures, ce qui était peu probable.

Le limiteur mesurait le niveau à l'émission et soustrayait la valeur de l'isolation entre la piste de danse et l'appartement le plus exposé. Lors que le résultat était inférieur à zéro, le relevé indiquait « ---dBA ». La consigne concernant le niveau sonore à ne pas dépasser dans le local de réception était de 24 dB(A). Si la valeur de 90 dB(A) était respectée dans le local d'émission, la consigne de 24 dB(A) dans le local de réception était respectée. Cette consigne était fixée d'après la directive du « Cercle Bruit » du 10 mars 1999.

26) Lors de son audition par la chambre de céans le 10 mars 2021, Madame H______, cheffe de secteur auprès du SABRA, a confirmé les analyses effectuées par ce service.

Les 24 dB(A) figurant dans son rapport du 28 janvier 2021 étaient issus des directives du « Cercle bruit ». Les 90 dB étaient une mesure d'isolation acoustique entre l'établissement public et l'appartement le plus exposé, additionnée de 20  dB(A) conformément à la norme SIA 181.

L'ordonnance fédérale sur la loi sur les rayonnements non ionisants et le son fixait le niveau sonore admissible pour les clients à 93 dB. Par dérogation et en observant certaines contraintes, cette limite pouvait être augmentée à 100 dB. En revanche, les voisins étaient protégés par les normes issues de l'ordonnance sur la protection contre le bruit. C'était ce point qui posait problème en l'espèce. Pour déterminer les décibels admissibles pour les voisins, le SABRA appliquait les directives du « Cercle bruit » ainsi que la norme SIA 181. L'application des directives et de la norme aboutissait à un chiffre précis et non à une fourchette, soit en l'espèce 90 dB. La qualité de l'isolation de l'appartement le plus exposé avait une influence sur la détermination des décibels admissibles dans l'établissement public.

La seule condition à laquelle les dérogations autorisant 100 dB seraient admissibles était que la valeur de protection du bruit pour les voisins soit respectée. On pouvait imaginer que l'appartement le plus exposé au bruit constitue une unité avec l'établissement public si par exemple celui-ci était pris à bail par ce dernier qui ne l'utilisait qu'à des fins de bureau, sans utilisation la nuit, de sorte que la norme de protection s'appliquerait aux voisins situés au-dessus de cet appartement. Toutefois, le bail devrait être conditionné à celui relatif à l'établissement public tout en respectant les dispositions impératives du droit du bail. Cela étant, le SABRA ne préconisait pas ce type de solution, notamment du fait que sa pérennité n'était pas garantie.

Il existait des mesures constructives susceptibles de réduire l'impact sonore pour les voisins, telles que la construction d'une « boîte dans la boîte », à savoir d'entourer l'établissement public d'un cadre qui empêchait la transmission du son. Il s'agissait d'une solution très coûteuse.

Elle ne connaissait pas le bâtiment ni l'établissement qui s'y trouvait. Elle s'était fondée sur les rapports acoustiques figurant au dossier. Ces rapports se fondaient eux-mêmes sur des valeurs ressortant de normes. L'analyse dépendait du bâtiment dans lequel se situait l'établissement. Les normes appliquées ainsi que les calculs effectués étaient toujours les mêmes.

Le SABRA s'était fondé sur les rapports acoustiques établis par J______ SA produits par les recourantes. Le fait que ces rapports aient pour certains plus de trois ans ne changeait pas son analyse. Tant que le SABRA n'était pas informé que des travaux d'isolation avaient été réalisés dans le bâtiment ou dans l'établissement, les rapports acoustiques conservaient toute leur valeur. Si de tels travaux étaient entrepris, une autorisation accélérée de construire devait être demandée et le SABRA était consulté. Ce dernier n'avait pas connaissance d'une APA relative à ce bâtiment. Il n'y avait donc pas de raison de solliciter des rapports acoustiques plus récents.

Lorsque le PCTN interpellait le SABRA pour obtenir un préavis, celui-ci examinait l'état du dossier, émettait un préavis sous réserve de la production de pièces complémentaires par l'exploitant. Ce préavis était adressé également à l'exploitant. Dès réception des pièces complémentaires, le SABRA établissait le préavis adressé au PCTN et à l'exploitant. En l'espèce, cette procédure avait été suivie.

Au départ, soit en 2015, le SABRA avait été saisi d'une plainte d'un voisin. Il n'y avait pas eu de changement de normes relatives aux décibels entre 2015 et 2020/2021. Les calculs avaient été effectués en tenant compte des travaux d'isolation qui avaient été exécutés.

Le « Cercle bruit » faisait des distinctions entre les bâtiments dans lesquels un établissement avait été exploité avant 1985 et tolérait alors un écart de 5 dB. Toutefois, en cas de modification notable de l'établissement au sens de la loi sur la protection contre le bruit, cette exception n'était plus applicable. En l'espèce, le SABRA avait considéré que l'établissement avait subi une telle modification dans la composante tonale. En particulier, le type de discothèque exploité en 1985 n'était plus le même aujourd'hui au regard des émissions sonores. Les situations dans lesquelles l'exception précitée s'appliquait étaient par exemple des établissements publics datant d'avant 1985 qui ne diffusaient pas de musique. Pour des établissements publics diffusant du son, elle n'avait pas souvenir que l'exception susmentionnée ait été appliquée. Cette modification notable à laquelle elle faisait référence figurait dans la loi sur la protection contre le bruit. Il y a 35 ans, les basses fréquences n'étaient par exemple pas émises comme aujourd'hui. Ce seul élément entraînait déjà une modification notable telle qu'évoquée.

Le SABRA avait beaucoup collaboré avec l'exploitant et l'acousticien de celui-ci pour l'aider à respecter les normes. Il n'était pas opposé à la discussion. Toutefois en l'état, les normes applicables n'étaient pas respectées.

Il n'était pas possible d'exploiter une discothèque en respectant les 90 dB. Elle entendait par là que tant le public que l'exploitant ne seraient pas satisfaits. Il était possible de le faire en respectant la limite de 93 dB. La seule manière de respecter les limites actuelles était de baisser le volume sonore.

Le niveau sonore était mesuré en tenant compte de la totalité du bruit émis, soit également celui du public. Si les valeurs étaient dépassées pendant 15 minutes au total durant une soirée, il était possible que ce dépassement soit dû au bruit émis par le public. Si le dépassement s'étendait sur toute la soirée, il était probable qu'il soit dû à la musique. La constance du dépassement dans le cas d'espèce, y compris pendant tous les weekends, permettait selon ses connaissances professionnelles et son expérience de retenir qu'il était dû au niveau sonore de la musique.

Entre 90 dB et 93 dB, on doublait le niveau sonore. Entre 90 dB et 98 dB, on le multipliait presque par huit. Il était exact que si la limite de décibels tolérés dans d'autres établissements diffusant de la musique était de 93 dB ou 98 dB, cela était lié à la structure du bâtiment dans lequel ceux-ci se situaient. La voix humaine ne pouvait pas à elle seule soutenir un niveau sonore dépassant pendant cinq heures 90 dB, même si le public était particulièrement jeune et vigoureux. Il n'y avait pas de spécificité liée au « E______ » en relation avec l'émission sonore émanant du public.

La situation examinée en janvier 2021 était comparable à celle qui prévalait en mars 2019.

27) Dans le délai imparti aux parties pour indiquer à la chambre de céans si elles souhaitaient encore se déterminer par écrit, le PCTN a répondu par la négative, alors que les recourantes y ont répondu par l'affirmative.

28) Dans leurs observations finales, les recourantes ont relevé que le « E______ » existait déjà en 1985. Le SABRA n'avait toutefois pas examiné si, de ce fait, cet établissement pouvait bénéficier de dérogations applicables aux anciennes installations. Ni le PCTN ni le SABRA n'avait examiné l'existence de nuisances sonores pour les voisins du « E______ ».

29) Par courrier du 21 avril 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

30) Par écriture spontanée du 4 mai 2021, le PCTN, se fondant sur l'avis du SABRA auquel il avait soumis la dernière écriture des recourantes, a relevé qu'il ignorait si un établissement existait à l'adresse du « E______ » avant 1985, la première requête datant de 1989. Des nuisances sonores avaient été constatées par le SABRA, qui s'était rendu sur place le 2 décembre 2014.

31) Se déterminant sur ces écritures, les recourantes se sont opposées à la recevabilité de l'avis du SABRA relatif à leurs écritures après enquêtes. Le SABRA n'était pas partie à la procédure et sa directrice avait été entendue en qualité de témoin. Or, un témoin n'était pas habilité à se prononcer sur les écritures d'une partie.

Le « E______ » était le plus vieux club de la ville. Il avait été qualifié lors d'un reportage télévisé de la RTS d'« institution ». L'établissement existait depuis 1900. Il avait d'abord été exploité au rez-de-chaussée d'un chalet situé à l'avenue ______ à Genève. En 1955, le chalet avait été détruit et le bâtiment actuel érigé. Il était notoire que dès sa reconstruction, il avait été exploité comme cabaret-dancing et avait accueilli, par moments, les plus grands noms de la chanson française. Au vu de cette ancienneté, le « E______ » devait bénéficier de la tolérance de 5 dB applicable aux établissements exploités avant le 1er janvier 1985. L'exigence posée par le PCTN d'une limitation à 90 dB n'était donc pas conforme aux normes techniques. En outre, la spécialiste du SABRA avait indiqué qu'il était possible d'exploiter une discothèque avec une limite de décibels à 93, mais pas à 90, comme cela était exigé par le PCTN. Enfin ce service se prévalait à tort d'une plainte ancienne datant de 2014 pour refuser son autorisation.

32) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 66 al. 1 LRDBHD ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

La question de savoir si l'avis du SABRA sur les écritures après enquêtes des recourantes est recevable peut demeurer indécise au vu de ce qui suit.

2) Les recourantes sollicitent des actes d'instruction complémentaires, en particulier l'audition de Monsieur I______, qui avait procédé à l'étude acoustique des relevés du limiteur-enregistreur.

a. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 135 I 279 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_585/2014 du 13 février 2015 consid. 4.1).

b. En l'occurrence, il a été donné suite à la demande d'auditionner les parties et M. F______. L'audition de M. I______ ne s'avère pas pertinente. En effet, les questions à trancher, à savoir si les recourantes remplissent les conditions permettant l'autorisation d'exploiter le « E______ », ne nécessitent pas d'interroger M. I______ sur les interventions auxquelles il a procédé. En outre, la situation a évolué depuis lors, d'une part, et, d'autre part, les éléments pertinents pour se prononcer sur les points litigieux figurent déjà au dossier.

Il ne sera donc pas procédé à d'autres actes d'instruction.

3) Le présent litige porte sur la conformité au droit du refus du PCTN de donner suite à la demande des recourantes de maintenir, le cas échéant, renouveler l'autorisation déjà existante d'exploiter le « E______ » ainsi que du constat de la caducité de l'autorisation d'exploiter délivrée précédemment.

a. Le 1er janvier 2016, sont entrés en vigueur la LRDBHD et le règlement d'exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 28 octobre 2015 (RRDBHD - I 2 22.01), abrogeant respectivement l'LRDBH et son règlement d'exécution du 31 août 1988 (RRDBH).

b. L'autorisation d'exploitation délivrée sous l'ancien droit n'a pas cessé de déployer ses effets à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, comme cela ressort a contrario de l'art. 65 al. 4 RRDBHD. Toutefois, en vertu de l'art. 70 al. 3 LRDBHD, les personnes au bénéfice d'une autorisation d'exploiter délivrée sur la base de l'ancienne législation peuvent poursuivre l'exploitation de leur établissement et offrir les mêmes prestations, à condition qu'elles obtiennent dans les douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la LRDBHD - à savoir jusqu'au 31 décembre 2016 - les éventuelles autorisations complémentaires ou de remplacement nécessaires, leur permettant d'offrir lesdites prestations. Si le département constate que les conditions d'octroi de l'autorisation d'exploiter prévues par la LRDBHD ne sont pas remplies par un établissement autorisé en application de l'ancienne législation, il impartit un délai raisonnable à l'exploitant et, au besoin, au propriétaire de l'établissement, pour qu'il soit remédié à cette situation. Il statue à l'expiration du délai fixé, qui peut toutefois être prolongé si les circonstances le justifient. Les délais cumulés ne peuvent pas dépasser douze mois (art. 70 al. 9 LRDBHD).

c. L'exploitation de toute entreprise vouée à la restauration, au débit de boissons et à l'hébergement est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter délivrée par le département (art. 8 al. 1 LRDBHD). Cette autorisation doit être requise lors de chaque création, changement de catégorie ou de lieu, agrandissement et transformation, changement d'exploitant ou de propriétaire de l'entreprise, ou modification des conditions de l'autorisation antérieure (art. 8 al. 2 LRDBHD).

Selon l'art. 11 al. 1 LRDBHD, l'autorisation d'exploiter est délivrée à condition que les locaux de l'entreprise, notamment, ne soient pas susceptibles de troubler l'ordre public, la sécurité, l'environnement et la tranquillité publique, du fait notamment de leur construction, de leur aménagement et de leur implantation manifestement inappropriés, à teneur des préavis des autorités compétentes dans les domaines visés à l'art. 1 al. 4 LRDBHD (let. a) et répondent, le cas échéant, aux dispositions minimales en matière d'équipement des dancings et cabarets-dancings, telles qu'un dispositif de lutte contre le bruit et/ou un fumoir ; les exigences peuvent également porter sur la configuration des lieux, la proximité et le type de voisinage ainsi que sur tout autre élément pertinent (let. c). Aux termes de l'art. 1 al. 4 LRDBHD, les dispositions en matière, notamment, de construction, de tranquillité publique, d'utilisation du domaine public, de protection du public contre les niveaux sonores élevés et les rayons laser, de protection contre la fumée et l'alcool, de denrées alimentaires et d'objets usuels, d'hygiène, de santé ainsi que de conditions de travail prévues par d'autres lois ou règlements sont réservées. Leur application ressortit aux autorités compétentes.

En sa qualité d'autorité de décision, le département soumet, à titre consultatif, la requête et les pièces l'accompagnant aux autres autorités intéressées, pour préavis. Celles-ci instruisent les dossiers et établissent un préavis dans leurs domaines de compétences respectifs et en vertu de la législation applicable. Les préavis favorables ne doivent pas comporter des conditions ou des charges préalables à l'exploitation. Les autres autorités délivrent leur préavis dans un délai fixé par le règlement d'exécution (art. 20 al. 2 LRDBHD). Le département, en sa qualité d'autorité de décision, tranche les éventuels désaccords entre autorités (art. 20 al. 4 LRDBHD). Le préavis des autorités et de la commune consultée ne lient pas le service (art. 31 al. 9 du règlement d'exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 28 octobre 2015 - RRDBHD - I 2 22.01).

d. L'art. 9 LRDBHD fixe les conditions requises relatives à l'exploitant. L'autorisation d'exploiter est délivrée à condition que l'exploitant soit de nationalité suisse ou ressortissant au bénéfice d'un titre de présence en Suisse d'un État de l'Union européenne (let. a), ait l'exercice des droits civils (let. b), soit titulaire du titre de formation requis attestant de son aptitude à gérer un établissement soumis à la loi (let. c), offre, par ses antécédents et son comportement, toute garantie que l'établissement soit exploité conformément aux dispositions de la loi et aux prescriptions en matière de police des étrangers, de sécurité sociale et de droit du travail (let. d), offre toute garantie d'une exploitation personnelle et effective de l'établissement (let. e), soit désigné par le propriétaire de l'établissement, s'il n'a lui-même cette qualité (let. f), produise l'accord du bailleur des locaux de l'établissement, s'il n'en est lui-même propriétaire (let. g) ainsi qu'un extrait du registre du commerce attestant qu'il est doté d'un pouvoir de signature (let. h).

L'art. 10 LRDBHD a trait au propriétaire de l'établissement. L'autorisation d'exploiter est délivrée à condition que son propriétaire offre, par ses antécédents et son comportement, toute garantie que l'entreprise est exploitée conformément aux dispositions de la présente loi et aux prescriptions en matière de police des étrangers, de sécurité sociale et de droit du travail, ainsi qu'aux dispositions pénales prohibant les crimes ou délits dans la faillite et la poursuite pour dettes. S'il est l'employeur des personnes qui travaillent au sein de l'entreprise, le propriétaire doit en outre démontrer au moyen d'une attestation officielle ne pas avoir de retard dans le paiement des cotisations sociales. Lorsque le département est en possession d'indices factuels permettant de présumer le non-respect des conditions de travail en usage, le département demande au propriétaire employeur de signer auprès de l'office l'engagement de respecter les conditions de travail en usage à Genève et fait dépendre sa décision de la signature dudit engagement.

Le 19 mars 2015, le Grand Conseil a adopté l'art. 11 al. 1 let. a LRDBHD, qui prévoit que l'autorisation d'exploiter est délivrée à conditions que les locaux de l'entreprise ne soient pas susceptibles de troubler l'ordre public, la sécurité, l'environnement et la tranquillité publique, du fait notamment de leur construction, de leur aménagement et de leur implantation manifestement inappropriés, à teneur des préavis des autorités compétentes dans les domaines visés à l'art. 1 al. 4 LRDBHD. Selon l'exposé des motifs relatif à cette loi, l'art. 1 al. 4 LRDBHD rappelait que cette dernière ne réglait pas tous les aspects liés à l'exploitation d'une entreprise tombant dans son champ d'application, dès lors que d'autres textes législatifs et réglementaires s'appliquaient au domaine visé et relevaient de la compétence de diverses autorités, indépendamment des dispositions spécifiques à l'exploitation proprement dite des entreprises. Ainsi, l'art. 11 LRDBHD qui portait sur les conditions relatives aux locaux, à la vocation et aux équipements des entreprises, se référait, à l'al. 1, aux domaines énumérés à l'art. 1 al. 4 afin de rappeler l'ensemble des législations à observer avant l'ouverture d'une entreprise, certaines autorités n'intervenant, en application des législations dont elles étaient chargées, qu'après le commencement de l'exploitation de l'entreprise, et non pas avant le début de celle-ci.

Dans sa teneur précédente, l'art. 6 al. 1 let. a LRDBH - devenu l'art. 11 al. 1 let. a LRDBHD - avait été introduit par la loi 6'765, entrée en vigueur en 1994. Il ressort des travaux préparatoires relatifs à cette disposition que deux avis contraires s'opposaient en commission. D'un côté, le département en charge du service souhaitait, dans le but de préserver la tranquillité publique, avoir la possibilité de refuser l'autorisation d'exploiter s'il apparaissait que l'établissement projeté était de nature à la troubler. De l'autre côté, certains membres de la commission, estimant que la panoplie des sanctions prévues par la loi en vue de réprimer les perturbateurs était suffisante, s'opposaient à toute forme de censure préalable, dès lors qu'il ne pouvait être présumé d'un exploitant qu'il puisse troubler l'ordre public. Une solution intermédiaire a finalement été trouvée, sous la forme de l'actuel art. 6 al. 1 let. a LRDBH, dont le but n'était pas d'introduire une « clause du besoin fondée sur le bruit », en octroyant au département la compétence de refuser l'autorisation, une telle mesure, constitutive d'une restriction à la liberté économique, ne pouvant intervenir que dans des cas exceptionnels, précis et concrets, limitativement énumérés. Sur cette base, le département pouvait par exemple interdire les implantations d'établissements publics dans les locaux d'un hôpital, mais pas dans un quartier résidentiel pour la simple raison qu'ils étaient susceptibles de troubler la tranquillité publique. Ainsi, seuls des motifs graves, intervenant dans des cas concrets, pouvaient amener le département à refuser l'autorisation d'exploiter (MGC1993 VI 7600 s).

e. La loi fédérale sur la protection de l'environnement du 7 octobre 1983 (loi sur la protection de l'environnement - LPE - RS 814.01) a notamment pour but de protéger les hommes des atteintes nuisibles ou incommodantes (art. 1 al. 1 LPE). Par atteintes, il faut comprendre notamment, selon l'art. 7 al. 1 LPE, les pollutions atmosphériques et le bruit qui sont dus à l'exploitation d'installations. L'ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41) a pour but de protéger la population contre le bruit nuisible ou incommodant que produit l'exploitation d'installations nouvelles ou existantes (art. 1 al. 1 et 2 let. a OPB). La protection des personnes contre le bruit est également réglée par la loi d'application de la loi fédérale sur la protection de l'environnement du 2 octobre 1997 (LaLPE - K 1 70) et le règlement genevois sur la protection contre le bruit et les vibrations du 12 février 2003 (RPBV - K 1 70.10).

Un établissement public est une installation fixe dont l'exploitation produit du bruit extérieur (ATF 130 II 32 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.109/2005 du 6 décembre 2005 consid. 3.2). Il est dès lors soumis aux règles du droit fédéral sur la protection contre le bruit (art. 2 al. 1 OPB) en relation avec l'art. 7 al. 7 LPE.

f. Le « Cercle bruit » du Groupement des responsables cantonaux de la protection contre le bruit a édité un document intitulé « Détermination et évaluation des nuisances sonores liées à l'exploitation des établissements publics - Directive du 10 mars 1999 (modification du 30 mars 2007) » (ci-après : directive), constituant un instrument à disposition des autorités et des personnes concernées permettant d'évaluer les nuisances sonores liées a l'exploitation des établissements publics. Selon l'annexe 2, intitulée « méthodes de calcul », le spectre est généralement ajusté au volume sonore désiré ; en général entre 93 et 100 dB (A) conformément à l'ordonnance relative à la loi sur la protection contre les dangers liés au rayonnement non-ionisant et au son du 23 décembre 1999 (ORNI - RS 814.710).

Selon le chiffre 3.2 de la directive, sont considérées comme des installations existantes les installations ayant obtenu une autorisation d'exploitation avant le 1er janvier 1985 ou dont la construction et l'utilisation ont été modifiées avant cette date, à condition qu'aucune modification importante (« übergewichtige Änderung ») n'ait été apportée à l'exploitation. Est considérée comme modification notable toute transformation (agrandissement ou modification d'exploitation de la part de l'exploitant) susceptible d'entraîner une augmentation perceptible des nuisances sonores pour le voisinage. Est considérée comme installation nouvelle, toute installation dont l'exploitation a été autorisée après le 1er janvier 1985 ou toute installation dont la construction ou l'utilisation a été modifiée de façon importante (« übergewichtig ») après cette date. Pour des établissements existant autorisés avant le 1er janvier 1985, une tolérance de 5 dB(A) est admise par rapport aux valeurs limites.

4) En l'espèce, l'autorité intimée a refusé d'accorder aux recourantes l'autorisation sollicitée en raison des troubles à la tranquillité publique que l'exploitation du « E______ » pouvait engendrer.

La sauvegarde de l'ordre et de la tranquillité publics constitue un but d'intérêt public important au regard des nuisances que peut engendrer l'exploitation d'un dancing. Comme la chambre de céans l'a cependant déjà constaté, l'art. 11 al. 1 let. a LRDBHD ne peut pas être interprété par le PCTN comme lui octroyant la compétence d'intervenir, dans ce but, de manière préventive, en refusant l'autorisation d'exploiter à tout établissement susceptible de troubler l'ordre public, indépendamment d'une menace concrète. Une telle interprétation revient, en effet, à conférer à ce service des pouvoirs que le législateur n'a précisément pas voulu lui octroyer, lequel avait pour préoccupation d'éviter la création d'une « clause du besoin fondée sur le bruit », matérialisée par l'exigence de troubles concrets de l'ordre public (ATA/573/2015 du 2 juin 2015 consid. 8). Seule l'indication d'une menace concrète d'atteinte importante à la tranquillité publique permettait au PCTN de refuser l'autorisation d'exploiter.

Dans le cas d'espèce, le SABRA est intervenu en 2014 à la suite d'une plainte d'un voisin du « E______ ». À la demande du PCTN, le SABRA avait alors procédé à des mesures dans un appartement sis au 3ème étage de l'immeuble dans lequel le dancing est situé. Selon la directive du « Cercle bruit », la valeur limite était de 24 dB(A). Cette valeur avait été dépassée, selon le rapport du SABRA du 2 décembre 2014, de manière importante et régulière pendant la période de mesurage, qui avait durée du 23 au 25 octobre 2014. Lorsqu'il a été saisi de la requête de mise en conformité à la suite de l'entrée en vigueur de la LRDBHD, le 27 juin 2016, le PCTN se trouvait ainsi dans une situation lui permettant de retenir l'existence d'une menace concrète d'un trouble à la tranquillité publique, un tel trouble ayant été constaté par le SABRA, service spécialisé en la matière.

À la suite du rapport de décembre 2014, la propriétaire du « E______ » a entrepris d'importants travaux. Ceux-ci avaient pour vocation de procéder aux aménagements nécessaires en vue de préserver au mieux la tranquillité des voisins. Au vu des nuisances précédemment constatées par le SABRA, le PCTN était fondé à requérir l'avis de ce service, après la réalisation des travaux entrepris en vue de réduire les nuisances sonores émanant du « E______ ».

Entendue en audience, la spécialiste du SABRA a exposé qu'après les travaux, une nouvelle évaluation avait été faite. Celle-ci était fondée sur les relevés effectuées par J______ SA. L'analyse de ces relevés avait conclu à un dépassement du bruit pour les locataires de l'immeuble dans lequel est situé le dancing. Les recourantes ont ainsi pris encore d'autres mesures, à savoir notamment l'installation de « subwoofers », les instructions données aux « DJ », l'installation d'un afficheur permettant au « DJ » de savoir à combien de décibels il travaillait ainsi que la diffusion du son répartissant la musique de la manière la plus large possible par zone. La spécialiste du SABRA a cependant indiqué que même après les travaux et les mesures complémentaires prises en 2020, la valeur limite de 90 dB, déterminée selon la méthode préconisée par la directive précitée, demeurait dépassée. La structure même de l'immeuble induisait le dépassement en question. Celui-ci ne pouvait être contenu que si le volume sonore était baissé, si « une boîte dans la boîte » était construite - solution extrêmement coûteuse - ou si l'appartement le plus proche du dancing n'était utilisé que de jour.

La représentante du SABRA a, cependant, également indiqué que pour les établissements exploités avant 1985, un écart de 5 dB avec la quantité de décibels admise selon la directive était toléré, pour autant que l'établissement en question n'ait pas subi de modification notable, soit de transformation susceptible d'entraîner une augmentation perceptible des nuisances sonores pour le voisinage. Il est notoire que le cabaret-dancing exploité à l'adresse du « E______ » existait déjà avant le 1er janvier 1985. Se pose donc la question - juridique - de savoir si la tolérance de 5 dB du volume sonore admissible lui est applicable. Selon les directives, tel est le cas lorsqu'aucune modification importante n'a été apportée à la construction et l'utilisation de l'exploitation ; constitue une modification notable toute transformation (agrandissement ou modification d'exploitation de la part de l'exploitant) susceptible d'entraîner une augmentation perceptible des nuisances sonores pour le voisinage.

Il n'est pas allégué et ne ressort pas du dossier que le « E______ » aurait subi un agrandissement ou un changement dans son exploitation après le 1er janvier 1985. Les travaux entrepris ces dernières années par les propriétaires successifs du « E______ » ont tous visé la diminution de l'impact sonore sur les voisins, en particulier les locataires de l'immeuble dans lequel se trouve l'établissement. Le renouvellement des appareils diffusant le son ne saurait, contrairement à ce que laisse entendre l'autorité intimée, constituer une modification notable de l'utilisation de l'exploitation. En effet, il est manifeste que ces appareils subissent l'usage du temps et doivent être remplacés. Leur seul remplacement ne saurait, partant, constituer une modification notable, sauf à vider la directive de sa portée. En outre, si le seul remplacement de ces appareils ou du type de matériel de diffusion du son devait être considéré comme une modification notable de l'utilisation de l'exploitation, la directive l'aurait mentionné. Celle-ci se consacrant précisément à la détermination et l'évaluation des nuisances sonores liées à l'exploitation des établissements publics, elle aurait, dans les exemples cités à titre de modification notable, retenu celui se rapportant aux appareils de diffusion du son. Or, tel n'est pas le cas, seuls l'agrandissement ou la modification de l'exploitation même étant cités comme exemple. Partant, l'établissement exploité par les recourantes doit bénéficier de la tolérance de 5 dB prévue par la directive.

Enfin, il est exact, au regard des pièces produites par les recourantes, que la propriétaire du fonds de commerce du « E______ » est C______ SA. À la suite de l'avenant du 5 novembre 2018, la gérance de l'établissement a été confiée à B______ Sàrl. Au vu de ce contrat de gérance, B______ Sàrl est devenue propriétaire au sens de la LRDBHD (art. 39 al. 2 RRDBHD). Il convient toutefois de relever que cette modification est survenue après le dépôt de la requête de mise en conformité, rejetée le 5 décembre 2016 au motif que M. D______ ne répondait pas au critère de l'honorabilité. Ce refus a cependant été annulé par la chambre de céans le 5 décembre 2017 et la procédure de mise en conformité s'est poursuivie. À la demande du PCTN, les recourantes ont alors produit les documents relatifs au contrat de gérance conclu en novembre 2018. En outre, avec l'introduction de la nouvelle loi, le gérant était nouvellement considéré comme propriétaire au sens de la loi. Dans ces circonstances particulières, le changement de propriétaire survenu après le dépôt de la requête de mise en conformité ne pouvait justifier un refus d'accorder l'autorisation requise au motif que ce changement n'avait pas d'emblée été indiqué.

Au vu de ce qui précède, il convient d'annuler les décisions attaquées. Il n'est pas allégué que les autres conditions d'octroi de l'autorisation d'exploiter ne seraient pas remplies. Partant, le recours sera admis et la cause renvoyée au PCTN afin qu'il délivre l'autorisation d'exploiter le « E______ », la propriétaire et l'exploitante devant respecter la limite du volume sonore de 95 dB.

5) Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée aux recourantes, solidairement entre elles, à la charge de l'État (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 5 décembre 2019 par Madame A______, B______ Sàrl et C______ SA contre les deux décisions du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 4 novembre 2019 ;

au fond :

les admet ;

annule les deux décisions précitées ;

renvoie la cause au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame A______, B______ Sàrl et C______ SA, solidairement entre elles, une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nadia Isabel Clerigo, avocate des recourantes, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Michel, Mmes Payot Zen-Ruffinen et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :