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Décisions | Chambre civile

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C/17365/2024

ACJC/959/2024 du 26.07.2024 ( IUS ) , REJETE

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17365/2024 ACJC/959/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 26 JUILLET 2024

 

Entre

A______ SA, sise c/o B______ SA, ______ [GE], requérante sur mesures superprovisionnelles, représentée par Me Julien WAEBER, avocat, WAEBER PENET, quai Gustave-Ador 2, case postale 3021, 1211 Genève 3,

et

C______ SA, sise ______, Luxembourg, citée.

 


Attendu qu’ EN FAIT A______ SA est une société anonyme ayant son siège à Genève, aujourd'hui entièrement détenue par D______, lequel est à la tête du groupe de sociétés communément appelé "B______";

Que C______ SA est une société anonyme de droit luxembourgeois ayant son siège au Luxembourg, titulaire et seule propriétaire de plusieurs marques semi-figuratives comprenant le nom "E______"; qu'elle exploite un réseau d'agences immobilières en direct ou par l'intermédiaire de licenciés, exerçant leur activité sous l'enseigne E______, dont elle est également seule propriétaire;

Qu'un contrat de licence de marque et d'enseigne a été conclu le 7 septembre 2010 entre C______ SA, concédante, et A______ SA, licenciée;

Qu'à teneur de ce contrat, C______ SA a concédé à A______ SA, à titre exclusif pour les cantons de Genève et Vaud, les produits et services couverts par la marque concernant des produits haut de gamme et à caractère exceptionnel dans le secteur de l'immobilier, soit des biens d'une valeur supérieure à 2'500'000 fr., moyennant notamment paiement d'une redevance annuelle de 7% HT du chiffre d'affaires annuel global;

Que l'art. 3 du contrat de licence prévoyait une licence d'utilisation du logiciel F______ (devenu G______) et l'art. 7 l'interdiction de concéder des sous-licences;

Que le contrat était conclu pour une durée de cinq ans, un renouvellement unique pour une période supplémentaire de cinq ans étant prévu;

Que selon l'art. 7.1, le contrat était conclu "intuitu personae", c'est-à-dire en fonction de la personnalité et de l'expérience de D______ et de H______ SA;

Que l'art. 7.4.1 prévoyait un droit de résiliation anticipé en faveur de C______ SA en cas de violation contractuelle demeurée non "corrigée" dans un délai de trente jours;

Que le contrat était soumis au droit français et comprenait une clause compromissoire;

Que I______ SA et J______ SA sont des sociétés anonymes, majoritairement, respectivement entièrement détenues par D______;

Que le 15 février 2016, C______ SA, concédante, et I______ SA, licenciée, ont conclu un contrat intitulé "Master licence de marque et d'enseigne", (ci-après: le Master contrat) ayant pour objet d'une part la reconduction du contrat de licence du 7 septembre 2010 susmentionné et d'autre part la concession faite à I______ SA de pouvoir accorder des sous-licences en Suisse;

Que ce contrat est quasiment identique à celui du 7 septembre 2010, le territoire d'exclusivité ayant été étendu à toute la Suisse et la redevance fixée à 3,5% HT du chiffre d'affaires global annuel (celle des agences sous-licenciées étant de 7%);

Que l'art. 3 du Master contrat prévoyait une licence d'utilisation du logiciel G______;

Que selon l'art. 7.1, le contrat était conclu "intuitu personae", c'est-à-dire notamment sur la base du fait que D______ déclarait et garantissait qu'il était majoritaire à plus de 50% des droits de vote directs ou indirects, et contrôlait le Master licencié dont il s'engageait à superviser personnellement la direction et l'animation;

Que le Master contrat a été conclu pour une durée de dix ans, un renouvellement unique pour une période supplémentaire de cinq ans étant prévu;

Que l'art. 7.3.1 stipulait un droit de résiliation anticipée en faveur de C______ SA en cas de violation contractuelle demeurée non "corrigée" dans un délai de 30 jours;

Que le Master contrat était soumis au droit français et comprenait une clause compromissoire;

Que l'annexe 3 du Master contrat imposait à I______ SA de respecter les conditions et caractéristiques d'exploitation fixées dans le guide C______ SA, et imposait à I______ SA de louer des locaux d'une surface supérieure à 100m2, que C______ SA devait préalablement accepter, et de les décorer selon la charte architecturale de C______ SA;

Que par avenant non daté, J______ SA a remplacé I______ SA comme partie au Master contrat;

Que le Master contrat a été résilié à la demande de J______ SA, avec l'accord de C______ SA, par "avenant du 27 février 2019, avec effet au 31 décembre 2018;

Que selon l'art. 2.4 de cet avenant, A______ SA s'engageait à poursuivre l'exploitation de son agence de Genève sous l'enseigne E______ et à formaliser un contrat de licence de marque/avenant pour le territoire de Genève; qu'il était prévu que dans ce cadre les parties formalisent par acte séparé un contrat de licence de la marque E______ pour le territoire de Genève, entrant en vigueur le 1er janvier 2019, et prévoyant notamment le versement d'une redevance de 300 euros par mois pour l'utilisation du logiciel et d'une redevance annuelle de 7% HT du chiffre d'affaires global annuel;

Que ce contrat prévu à l'art. 2.4 n'a jamais été formalisé;

Que A______ SA a continué d'exploiter les marques et l'enseigne E______, avec l'accord de C______ SA;

Que par courrier du 15 juillet 2024 à A______ SA, C______ SA s'est plainte "d'agissements pernicieux et extrêmement graves portant atteinte aux intérêts les plus élémentaires de la société C______ SA"; qu'elle lui reprochait en particulier "d'attirer des clients, acquéreurs ou vendeurs, via la marque E______, pour ensuite les faire traiter par une société tierce, faisant ainsi échapper au champ de la redevance de licence, une partie extrêmement importante du chiffre d'affaires (…); qu'elle lui a également reproché de ne plus avoir d'enseigne à Genève, ayant appris qu'elle aurait été expulsée des locaux qu'elle louait à la rue 1______ sans l'en avoir informée; que le courrier valait résiliation immédiate du contrat de licence; que C______ SA a conclu son courrier en mettant A______ SA en demeure de "régulariser la situation sous huitaine, à défaut de quoi elle envisagerait toute suite pertinente à mettre en œuvre pour préserver ses droits et, notamment, toute action judiciaire à initier";

Que A______ SA a contesté tous les reproches formulés par C______ SA dans son courrier du 15 juillet 2024; que par courrier du 19 juillet 2024 à C______ SA, elle l'a mise en demeure de lui confirmer le même jour l'abandon de son projet de résiliation et l'absence de conclusion d'un contrat de licence avec un tiers concernant le territoire genevois, l'absence d'intention de conclure un tel contrat et l'absence d'atteinte à son image et à ses affaires ainsi qu'à celle du groupe B______;

Qu'aucune réponse n'a été donnée à ce courrier;

Que par requête de mesures provisionnelles déposée le 24 juillet 2024 à la Cour de justice à l'encontre de C______ SA, A______ SA a conclu, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP ainsi que d’une peine conventionnelle en faveur de A______ SA de 500'000 fr., à ce qu'il soit fait interdiction à C______ SA de conclure tout contrat autorisant l’utilisation de la marque et/ou de l’enseigne « E______ » sur le territoire du canton de Genève; qu’il soit ordonné à C______ SA d’indiquer si elle était en discussion avec un tiers pour conclure un contrat autorisant l’utilisation de la marque et/ou de l’enseigne « E______ » sur le territoire du canton de Genève; qu’il soit ordonné à C______ SA de fournir le projet de contrat complet et non caviardé et de révéler le nom de ce tiers; qu’il soit ordonné à C______ SA d’indiquer si elle a conclu un contrat avec un tiers autorisant l’utilisation de la marque et/ou de l’enseigne « E______ » sur le territoire du canton de Genève; qu’il soit ordonné à C______ SA de fournir le contrat complet et non caviardé et de révéler le nom de ce tiers; qu’il soit ordonné à C______ SA de maintenir les accès de A______ SA au logiciel G______; qu’il soit ordonné à l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle d’inscrire la licence pour le territoire de Genève en faveur de A______ SA sur les marques E______ n° 2______ et n° 3______; que C______ SA soit condamnée en tous les frais;

Qu’elle formule les mêmes conclusions à titre superprovisionnel;

Qu'elle soutient que la Cour serait compétente ratione loci en application des art. 31 Convention de Lugano (CL) et 10 LDIP, et ratione materiae selon les art. 5 CPC et 59 LPM;

Que le droit applicable serait non pas le droit luxembourgeois (art. 122 al. 1 LDIP), ni le droit français tel que mentionné dans les contrats des 7 février 2010 et 15 février 2016 (en l'absence de contrat écrit entre les parties), mais le droit suisse, le contrat conclu étant en réalité un contrat de franchise (art. 117 al 1 LDIP); qu'en tout état, le Tribunal fédéral admettrait qu'il est concevable que le droit suisse s'applique lorsque des mesures superprovisionnelles sont exigées et que l'on ne dispose pas d'assez de temps pour déterminer le droit applicable (arrêt du Tribunal fédéral 5C_598/2000 du 12 mars 2001, consid. 2c);

Que sur le fond, elle soutient qu'elle aurait un droit à l'utilisation de la marque (art. 18 et 52 LPM), dont elle pourrait faire constater l'existence, aussi par mesures provisionnelles; que les conditions d'une résiliation pour justes motifs ne sont pas réalisées; que la mise en demeure préalable de 30 jours n'a pas été respectée; que le maintien du contrat est essentiel pour qu'elle poursuive ses activités; qu'elle ignore si une atteinte à ses droits à déjà eu lieu ou est sur le point de l'être;

Considérant EN DROIT que la requérante fonde son action sur la loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM);

Que selon les art. 5 al. 1 let. a, c et d CPC et 120 al. 1 let. a LOJ, la Chambre civile de la Cour de justice connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, y compris en matière de nullité, de titularité et de licences d'exploitation ainsi que de tansfert et de violation de tels droits;

Que cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC);

Qu'au vu des conclusions prises par la requérante, il sera admis que la Cour de céans est compétente à raison de la matière;

Qu'il sera également admis, à ce stade, que la Cour est compétente à raison du lieu, vu notamment le siège de la requérante et le lieu d'exécution des mesures sollicitées;

Qu'en application de l'art. 261 al. 1 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b);

Que l'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite;

Que l'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit matériel invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, 6961; arrêts du Tribunal fédéral 5A_931/2014 du 1er mai 2015 consid. 4; 5A_791/2008 du 10 juin 2009 consid. 3.1; BOHNET, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC). Que la preuve est (simplement) vraisemblable lorsque le juge, en se fondant sur des éléments objectifs, a l'impression que les faits pertinents se sont produits, sans pour autant qu'il doive exclure la possibilité que les faits aient pu se dérouler autrement (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 130 III 321 consid. 3.3, JdT 2005 I 618);

Que le dommage difficilement réparable de l'art. 261 al. 1 let. b CPC est principalement de nature factuelle; qu'il concerne tout préjudice, patrimonial ou immatériel, et peut même résulter du seul écoulement du temps pendant le procès (HOHL, op. cit., n. 1763);

Que la condition de l'urgence doit être considérée comme remplie lorsque sans mesures provisionnelles, le requérant risquerait de subir un dommage difficile à réparer au point que l'efficacité du jugement rendu à l'issue de la procédure ordinaire au fond en serait compromise (arrêt du Tribunal fédéral 5A_629/2009 du 25 février 2010 consid. 4.2). Qu'en d'autres termes, l'urgence n'est donnée que s'il apparaît que la procédure provisionnelle sera terminée avant le moment où le procès ordinaire, introduit en temps utile, aurait pris fin (Schlosser, Les conditions d'octroi des mesures provisionnelles en matière de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale, in sic! 2005, p. 354 ss);

Que la mesure doit respecter le principe de la proportionnalité, par quoi on entend qu'elle doit être adaptée aux circonstances de l'espèce et ne pas aller au-delà de ce qu'exige le but poursuivi. Que les mesures les moins incisives doivent avoir la préférence. Que la mesure doit également se révéler nécessaire, soit indispensable pour atteindre le but recherché, toute autre mesure ou action judiciaire ne permettant pas de sauvegarder les droits du requérant (Message du Conseil fédéral, FF 2006 p. 6962);

Qu'en cas d'urgence particulière, notamment s'il y a un risque d'entrave à leur exécution, le tribunal peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre la partie adverse (art. 265 al. 1 CPC);

Qu'une urgence particulière suppose que le but recherché ne pourrait pas être atteint s'il fallait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur mesures provisionnelles;

Que la mesure doit être proportionnée au risque d'atteinte (arrêt du Tribunal fédéral 4_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1);

Qu'a qualité pour intenter une action en constatation d’un droit ou d’un rapport juridique prévu par la présente loi [LPM] toute personne qui établit qu’elle a un intérêt juridique à une telle constatation (art. 52 LPM);

Qu'au lieu de faire constater la nullité de l’enregistrement, le demandeur peut intenter une action en cession du droit à la marque que le défendeur a usurpée (art. 53 al. 1 LPM);

Que la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit à la marque ou à une indication de provenance peut demander au juge de l'interdire, si elle est imminente, de la faire cesser, si elle dure encore ou d’exiger du défendeur qu’il indique la provenance et la quantité des objets sur lesquels la marque ou l’indication de provenance ont été illicitement apposées et qui se trouvent en sa possession et qu’il désigne les destinataires et la quantité des objets qui ont été remis à des acheteurs commerciaux (art. 55 LPM);

Qu'en l'espèce, la requérante admet ignorer si une atteinte a déjà eu lieu ou si elle est sur le point d’avoir lieu; qu'elle ne formule que des suppositions à cet égard, sans élément concret pour étayer ses soupçons; que le seul fait que la citée n'ait pas répondu à son courrier du 19 juillet 2024 est insuffisant à cet égard;

Que pour cette raison déjà, la condition de l'urgence ne paraît à ce point donnée qu'il se justifierait d'ordonner les mesures sollicitées avant d'entendre la citée;

Que la requérante ne conteste pas ne plus disposer de locaux à la rue 1______, de sorte qu'il n'est pas évident que sans les mesures sollicitées elle ne pourrait plus exercer son activité; que le dommage qu'elle pourrait subir si les mesures demandées n'étaient pas octroyées n'est pas manifeste non plus; qu'elle ne fournit que peu d'éléments concrets sur ce point, se limitant à mentionner son chiffre d'affaires;

Qu'enfin, il n'est pas non plus évident que la requérante disposerait d'un droit à obtenir de la citée qu'elle indique si elle est en contact avec des tiers pour conclure un contrat de licence ou si elle a déjà conclu un tel contrat ou qu'elle fournisse copie dudit contrat;

Qu'au vu des considérants qui précèdent, la requête de mesures superprovisionnelles sera rejetée;

Qu'un délai de dix jours dès la notification de la présente ordonnance sera imparti à la citée pour répondre à la requête de mesures provisionnelles (art. 265 al. 2 CPC);

Que la suite de la procédure sera réservée;

Que le sort des frais sera renvoyé à la décision finale (art. 104 al. 3 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur mesures superprovisionnelles:

Rejette la requête de mesures superprovisionnelles formée par A______ SA à l'encontre de C______ SA le 24 juillet 2024.

Réserve le sort des frais de la présente décision.

Statuant préparatoirement :

Impartit à C______ SA un délai de 10 jours dès réception de la présente ordonnance pour répondre par écrit à la requête de mesures provisionnelles et produire ses pièces.

Réserve la suite de la procédure.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente ad interim; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

S'agissant de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 417 consid. 1.3.)