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Décisions | Chambre civile

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C/18273/2023

ACJC/280/2024 du 29.02.2024 ( IUS ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18273/2023 ACJC/280/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 29 FEVRIER 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______, requérante en mesures provisionnelles, représentée par
Me Christian JOUBY, avocat, PBM Avocats SA, avenue de Champel 29, case postale, 1211 Genève 12,

et

B______ Sàrl, sise ______, citée, représentée par Me Anne-Virginie LA SPADA-GAIDE, avocate, BMG Avocats, avenue de Champel 8C, case postale 385,
1211 Genève 12.

 


EN FAIT

A.           a. A______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois (sous la raison sociale C______ SA jusqu'en février 2022) depuis le ______ 2014.

Elle a notamment pour but la gestion et l'administration de sociétés et d'établissements publics et leurs exploitations sous toutes formes, en nom ou en franchise.

Elle exploite deux établissements publics situés respectivement no. ______ rue 1______ et no. ______ rue 2______ à Genève.

Depuis janvier 2022, ses administrateurs et ayant droit économiques sont D______ et E______.

Ce dernier exploite également, sous la forme d'une entreprise individuelle inscrite au Registre du commerce le ______ 2007, un fast food à l'enseigne "F______" (acquis - en tant qu'établissement de la chaine de restaurants G______ - d'une société tierce) et "H______", ainsi qu'un établissement à l'enseigne "I______".

b. B______ Sàrl (J______ Sàrl jusqu'en novembre 2023) est une société à responsabilité limitée inscrite au Registre du commerce genevois le ______ 2020, qui a pour associés K______ et L______.

Ceux-ci ont été employés de E______, le premier au bénéfice d'un contrat d'aide de cuisine, le second (qui était auparavant au service de la société tierce dans l'établissement de la chaine de restaurants G______) au bénéfice d'un contrat de cuisinier.

B______ Sàrl exploite un restaurant no. ______ route 3______ à M______ [GE].

c. A______ SA est propriétaire de la marque verbale F______, enregistrée auprès de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) sous n° 4______, pour la classe de produits et services N43 (Services de restauration, alimentation), N. 29 et N30 de la classification de Nice, ainsi que des marques verbales et figuratives 5______ en force pour la classe de produits et services N43 dont l'élément verbal est "F______ E______, rue 1______ no. ______ – [code postal] Genève" et le logo, et 6______ en force pour les classes de produits et services N29, 30 et 43 dont l'élément verbal est "______ [première lettre de F______]" et le logo".

Les droits relatifs aux marques précitées font l'objet d'un contrat de cession conclu entre E______ et A______ SA.

d. Le 22 décembre 2021, A______ SA et B______ Sàrl ont conclu un contrat de franchise, pour neuf ans, par lequel la première a accordé à la seconde notamment le droit exclusif d'utiliser le savoir-faire ("ainsi que les éléments protégés par les droits de propriété intellectuelle mis au point et perfectionnés […] consistant en un système de gestion, d'organisation, de formation et de décoration du restaurant F______, des présentations en vitrine, ainsi que des accessoires qui, de par leur style, permettent à la clientèle d'identifier la qualité spécifique des services offerts dans l'ensemble des futurs restaurants F______; le savoir-faire comprend les ingrédients, les méthodes et les menus; les ventes emporter; le drive […], l'organisation et la disposition de l'équipement des cuisines et des éléments d'architecture intérieure du restaurant F______; les méthodes de contrôle quantitatif et qualitatif ainsi que les autres méthodes d'exploitation et de gestion de la chaîne de restaurants F______; les méthodes de préparation et de cuisson des aliments et des boissons ainsi que les méthodes de prestation des services; la conception et la décoration extérieure et intérieure du restaurant F______; la méthode de promotion des ventes et de publicité") et le concept ("mode de préparation, de présentation et de commercialisation des produits alimentaires ainsi que le style d'aménagement et de décoration des restaurants F______ […] ainsi que le savoir-faire [… soit] offrir aux clients des repas de qualité de type fast-food à base de poulet frais, à des prix compétitifs, sous la marque F______ dans un environnement attrayant spécifique") uniquement en vue d'exploiter des restaurants F______ dans la commune de M______, et d'utiliser à titre d'enseigne et de nom commercial ainsi que pour ses publicités les marques F______.

Ce contrat prévoit notamment, à son article 2, que devaient être remis à B______ Sàrl avant la signature du contrat le "document d'information précontractuel", et le jour de la signature du contrat le "guide de décoration", le "guide d'identité visuelle" et le "manuel du savoir-faire".

B______ Sàrl affirme ne pas avoir reçu les documents précités, ce que A______ SA conteste.

e. Par courrier de son avocat du 8 août 2023, B______ Sàrl s'est adressée à A______ SA. Elle a fait valoir diverses doléances, considéré que les circonstances ne permettaient pas la poursuite du contrat de franchise, se réservant de résilier ledit contrat à défaut d'accord de principe rapide.

f. Par lettre de son conseil du 30 août 2023, B______ Sàrl a déclaré résilier le contrat précité "pour justes motifs, avec effet immédiat", ajoutant notamment que "dans des délais aussi brefs que possible", elle "effectuera[it] le retrait de l'enseigne de la marque F______ et mettra[it] un terme à toute utilisation de cette marque sur tout support" et qu'elle considérait la clause de non-concurrence comme non valable.

g. Par courrier du 31 août 2023, un avocat s'est constitué pour A______ SA; il a contesté le contenu de la lettre du 8 août précédent.

Ce courrier ayant été anticipé par courriel, le conseil de B______ Sàrl a, ce même 31 août 2023, fait parvenir à l'avocat de A______ SA une copie de sa lettre du 30 août 2023. Par retour de courriel, celui-ci en a contesté la teneur et a notamment rappelé qu'une résiliation effectuée de manière contraire au droit ne déployait pas d'effets de sorte que les obligations contractuelles demeuraient, la partie victime de la résiliation injustifiée pouvant exiger l'exécution en nature de la prestation promise et faire usage des voies de droit en cas d'inexécution; il a ajouté ce qui suit : "Ma mandante réserve l'ensemble de ses droits concernant toute violation du contrat, notamment en termes de savoir-faire et de concurrence".

h. Par courriel du 8 septembre 2023 (anticipé par courriel du même jour à 12h14), B______ Sàrl a informé l'avocat de A______ SA que "tout usage de l'enseigne F______ et de tout support revêtu des marques de votre mandante" serait terminé au plus tard le 10 septembre 2023.

Elle allègue avoir tenté de cesser tout usage des marques et logos de A______ SA dès l'envoi de la lettre de résiliation du 30 août 2023, et y être parvenue le 8 septembre 2023 au soir (ce qu'elle avait communiqué à son conseil par courriel du 9 septembre 2023). Dès lors, le nom de l'établissement était devenu "B______", les enseignes et supports comportant les marques de A______ SA, ainsi que les visuels de menu figurant au-dessus du comptoir, avaient été retirés; elle ne disposait plus de stock du mélange d'épices que lui avait fourni A______ SA.

B. a. Le 8 septembre 2023, A______ SA a formé une requête en cessation du trouble (parvenue au greffe de la Cour de justice à 9h20). Elle a conclu à ce qu'il soit ordonné à B______ Sàrl de cesser immédiatement d'utiliser la marque "F______" et notamment les marques verbales et figuratives 4______, 6______ et 5______, sous quelque forme que ce soit et dans quelque graphisme que ce soit seul ou accompagné d'autres termes dans le domaine de l'alimentation et de la restauration, soit dans toute activité relative aux classes de produits et services N29, 30 et 43 selon la classification de Nice, de cesser immédiatement de faire usage des menus confectionnés par "F______" sous quelque forme que ce soit et dans quelque graphisme que ce soit, seuls ou accompagnés d'autres termes, de cesser immédiatement de faire usage de son savoir-faire et de ses secrets commerciaux au sens de l'art. 13.2 let. iiii [recte : iii] du contrat, de cesser immédiatement tout acte de concurrence déloyale à son encontre, sous la menace de la peine de l'art. 292 CP, à ce qu'il soit dit que faute d'exécution B______ Sàrl sera condamnée à une amende d'ordre de 1'000 fr. par jour d'inexécution, à ce qu'il lui soit octroyé un délai de soixante jours en vue d'introduire action au fond, avec suite de frais et dépens.

Elle a formulé ces conclusions à titre provisionnel ainsi que superprovisionnel.

b. Par ordonnance du 11 septembre 2023, la Cour a ordonné à B______ Sàrl de cesser, avec effet immédiat, d'utiliser la marque "F______" et notamment les marques verbales et figuratives 4______, 6______ et 5______, sous quelque forme que ce soit et dans quelque graphisme que ce soit seul ou accompagné d'autres termes dans le domaine de l'alimentation et de la restauration, soit dans toute activité relative aux classes de produits et services N29, 30 et 43 selon la classification de Nice, de faire usage des menus confectionnés par "F______" sous quelque forme que ce soit et dans quelque graphisme que ce soit, seuls ou accompagnés d'autres termes, et de faire usage du savoir-faire et des secrets commerciaux de A______ SA au sens de l'art. 13.2 let. iii du contrat conclu avec la précitée, et rejeté pour le surplus les conclusions prises à titre superprovisionnel par A______ SA.

c. Par réponse du 22 septembre 2023, B______ Sàrl a conclu au déboutement de A______ SA, sous suite de frais judiciaires et dépens.

d. Le 6 octobre 2023, A______ SA a déposé une détermination comportant pour partie une réplique et pour partie l'allégation de faits nouveaux (renvoi du site internet de B______ Sàrl à son propre site, but social non modifié au Registre du commerce, agencement et organisation de l'établissement non modifiés, écrans des menus non modifiés, horaires et tenue du personnel identiques aux siens, non restitution de machines). Elle a persisté dans ses conclusions.

B______ Sàrl s'est déterminée sur les faits nouveaux. Elle a allégué avoir engagé les démarches nécessaires pour modifier son but social le 21 septembre 2023, avoir procédé au retrait du lien en question le 10 octobre 2023 (démarche qu'elle avait négligée avant de se souvenir qu'elle avait à y procéder), disposer de mobilier et de gobelets et emballages en carton "communs à une majorité de restaurants de type fast-food américain". Elle a contesté détenir des machines appartenant à A______ SA.

Les parties ont encore déposé des déterminations spontanées. A______ SA a admis que le changement de but social avait été effectué le 6 novembre 2023. Elle a fait valoir, le 29 novembre 2023, un fait nouveau (signature par le gérant président de B______ Sàrl d'une lettre, datée du 27 septembre 2023, à l'entête A______ SA) dont elle avait eu connaissance le 27 novembre précédent. B______ Sàrl a reconnu avoir envoyé un tel courrier (résiliation d'un contrat de travail), exposant avoir procédé de la sorte par erreur en se basant sur l'énoncé du contrat de travail en question conclu en juin 2023.

e. Par avis du 4 janvier 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. La requérante fonde son action sur la loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM), sur l'art. 2 al. 1 de la loi sur le droit d'auteur et les droits voisins du 9 octobre 1992 (LDA) ainsi que sur la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD).

1.1 Selon les art. 5 al. 1 let. a, c et d CPC et 120 al. 1 let. a LOJ, la Chambre civile de la Cour de justice connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, de ceux portant sur l'usage d'une raison de commerce et, lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr., de ceux relevant de la LCD.

Cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC).

1.2 Au vu des conclusions prises par la requérante, il sera admis que la Cour de céans est compétente à raison de la matière, et que la valeur litigieuse des prétentions relevant de la LCD est supérieure à 30'000 fr., ce qui n'est pas contesté.

1.3 Dans le cadre de mesures provisionnelles, la procédure sommaire est applicable (art. 248 let. d CPC) et la cognition du juge est circonscrite à la vraisemblance des faits allégués, ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5). Les moyens de preuve sont, en principe, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (art. 254 CPC; HOHL, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, p. 283 n. 1556), soit en général des titres au sens de l'art. 177 CPC (art. 254 al. 1 CPC). Sauf exception, la maxime des débats s'applique (art. 55 al. 1 CPC; BOHNET, in Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, 2010, p. 201 s.).

1.4 La citée a modifié sa raison sociale en novembre 2023. Il s'impose dès lors, à titre préalable, de rectifier la qualité de celle-ci de J______ Sàrl en B______ Sàrl

1.5 Les parties se reprochent mutuellement la production de pièces (12 de la citée, soit le courrier du 8 août 2023 en tant que comportant une offre transactionnelle, et 16 de la requérante, soit des vidéos captées dans un établissement public montrant notamment de la clientèle et des employés). Dans la mesure où la pièce 12 de la citée sur l'aspect controversé, et la pièce 16 de la requérante ne sont à elles seules pas décisives pour l'issue de la présente procédure de mesures provisionnelles, fondée sur la vraisemblance, la question de la recevabilité de ces titres sera laissée indécise.

2. La requérante sollicite, à titre provisionnel, la cessation de l'atteinte à ses droits découlant de la protection de la marque et du droit d'auteur. Elle réclame également que la cessation de l'utilisation de méthodes "trompeuses et déloyales" de détournement de sa clientèle, compte tenu du risque de confusion en raison du caractère identique des services offerts par les deux parties, mettant à mal sa réputation et son assise commerciale. Elle sollicite enfin la cessation de l'exploitation de son savoir-faire, qui entraînerait une perte de sa clientèle et une dilution de sa marque, et compromettrait la valeur de son expertise et des méthodes, portant de la sorte atteinte à sa réputation commerciale et créant un déséquilibre du marché.

2.1 En application de l'art. 261 al. 1 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

L'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite.

L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit matériel invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, 6961; arrêts du Tribunal fédéral 5A_931/2014 du 1er mai 2015 consid. 4; 5A_791/2008 du 10 juin 2009 consid. 3.1; BOHNET, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC). La preuve est (simplement) vraisemblable lorsque le juge, en se fondant sur des éléments objectifs, a l'impression que les faits pertinents se sont produits, sans pour autant qu'il doive exclure la possibilité que les faits aient pu se dérouler autrement (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 130 III 321 consid. 3.3, JdT 2005 I 618).

Le dommage difficilement réparable de l'art. 261 al. 1 let. b CPC est principalement de nature factuelle; il concerne tout préjudice, patrimonial ou immatériel, et peut même résulter du seul écoulement du temps pendant le procès (HOHL, op. cit., n. 1763). En droit des marques ou en matière de concurrence déloyale, il est admis qu'un risque de confusion est en règle générale de nature à engendrer une perturbation du marché ainsi que d'autres dommages de nature immatérielle; en pareil cas, la condition de menace d'un dommage difficile à réparer est en principe considérée comme remplie (Schlosser, Les conditions d'octroi des mesures provisionnelles en matière de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale, in sic! 2005, p. 349; BOHNET, op. cit., n. 13 ad art. 261 CPC; ACJC/335/2015 du 26 mars 2015 consid. 4.1).

La condition de l'urgence doit être considérée comme remplie lorsque sans mesures provisionnelles, le requérant risquerait de subir un dommage difficile à réparer au point que l'efficacité du jugement rendu à l'issue de la procédure ordinaire au fond en serait compromise (arrêt du Tribunal fédéral 5A_629/2009 du 25 février 2010 consid. 4.2). En d'autres termes, l'urgence n'est donnée que s'il apparaît que la procédure provisionnelle sera terminée avant le moment où le procès ordinaire, introduit en temps utile, aurait pris fin (SCHLOSSER, op. cit., p. 354 ss);

La mesure doit respecter le principe de la proportionnalité, par quoi on entend qu'elle doit être adaptée aux circonstances de l'espèce et ne pas aller au-delà de ce qu'exige le but poursuivi. Les mesures les moins incisives doivent avoir la préférence. La mesure doit également se révéler nécessaire, soit indispensable pour atteindre le but recherché, toute autre mesure ou action judiciaire ne permettant pas de sauvegarder les droits du requérant (Message du Conseil fédéral, FF 2006 p. 6962).

2.2 A teneur de l'art. 55 al. 1 let. a et b LPM, la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit à la marque peut demander au juge civil de l'interdire si elle est imminente ou de la faire cesser si elle dure encore, y compris par la voie provisionnelle (art. 59 let. d LPM).

Selon l'art. 62 al. 1 let. a et b LDA, la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit d’auteur ou d’un droit voisin peut demander au tribunal de l’interdire, si elle est imminente et de la faire cesser, si elle dure encore, y compris par la voie provisionnelle (art. 65 let. d LDA).

L'art. 3 al. 1 let. c LCD prévoit qu'agit de manière déloyale celui qui prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d'autrui. Selon l'art. 9 al. 1 LCD, celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général ou celui qui en est menacé, peut demander au juge de l'interdire, si elle est imminente (let. a), et de la faire cesser, si elle dure encore (let. b).

A teneur de l'art. 2 LCD, est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commerciale qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients.

Pour être déloyal au sens de l'art. 2 LCD, le comportement doit aussi avoir un impact sur la concurrence, à savoir affecter sensiblement, de manière tangible, le marché. Cette exigence vise à exclure les cas bagatelles qui n'auraient qu'un impact théorique de peu d'importance, sur la base d'un examen des intérêts touchés, du nombre de personnes concernées et du danger qu'un tel comportement soit imité par d'autres personnes ou entreprises (PICHONNAZ, CR-LCD, n. 54 et 55 ad art. 2 LCD).

2.3 La notion de risque de confusion est identique dans l'ensemble du droit des biens immatériels (ATF 131 III 572 consid. 3; 128 III 353 consid. 3). Le risque de confusion (directe) signifie qu'un signe distinctif est mis en danger par des signes identiques ou semblables dans sa fonction d'individualisation d'objets déterminés. On admettra aussi le risque de confusion (indirecte) lorsque le public arrive à distinguer les signes, mais présume de relations en réalité inexistantes, par exemple en y voyant des familles de marques qui caractérisent différentes lignes de produits de la même entreprise ou des produits d'entreprises liées entre elles (ATF 131 III 572 consid. 3; 128 III 96 consid. 2a; 127 III 160 consid. 2).

L'analyse du risque de confusion implique que l'on examine l'impression d'ensemble qui se dégage de la marque pour l'usager moyen, en Suisse, du produit ou du service (ATF 122 III 382 consid. 2a et 5a). Il convient surtout de prendre en compte les éléments frappants que leur signification ou leur sonorité met particulièrement en évidence, si bien qu'ils ont une importance accrue pour l'appréciation du risque de confusion. Cela vaut en particulier pour les désignations de pure fantaisie; à l'inverse, des éléments génériques appartenant au domaine public n'ont qu'une faible force distinctive (ATF 131 III 572 consid. 3; 127 III 160 consid. 2b/bb; 122 III 369 consid. 1).

2.4 Lorsqu'une atteinte a eu lieu et qu'elle perdure, l'ayant-droit a un intérêt évident à en demander la cessation (SCHLOSSER, CR, Propriété intellectuelle, 2013, ad art. 62 LDA n. 20 et ad art. 55 LPM n. 9).

Les critères sont les mêmes en matière de mesure provisionnelles, si ce n'est que la vraisemblance suffit (SCHLOSSER, op. cit, ad art. 65 LDA n. 19 et ad art. 59 LPM n. 19).

2.5.1 En l'espèce, il est constant que la requérante est titulaire des enregistrements de marques objets de ses conclusions et que la citée en a fait usage, en application du contrat de franchise du 22 décembre 2021 liant les parties.

La citée soutient avoir résilié le contrat pour de justes motifs au 31 août 2023, tandis que la requérante, à en croire son courriel du même jour, a contesté l'existence de justes motifs partant la validité de la résiliation.

Selon la citée, toute utilisation de marque s'est terminée le 8 septembre 2023 au soir, soit un délai raisonnable à son sens pour prendre les mesures nécessaires consécutives à la fin du contrat intervenue sans préavis. Elle relève à ce propos que l'art. 16 du contrat liant les parties est muet quant au délai dans lequel l'usage doit cesser; elle pointe également l'absence de toute mise en demeure de la part de la requérante. Ainsi, sans nier qu'elle a fait usage de la marque entre le 1er et le 8 septembre 2023, elle soutient que cet usage ne serait pas constitutif d'une violation du droit des marques.

En ce qui concerne la protection du droit d'auteur portant sur les menus et le graphisme, ainsi que les logos, la citée ne conteste pas qu'ils pourraient, sur le principe, en faire l'objet, contrairement aux plats servis et à leurs recettes. Elle relève que la personne de l'auteur des créations qui précèdent demeure inconnue, faute d'allégués en ce sens de la part de la requérante, tout en admettant que, à l'instar des marques, une utilisation de sa part a perduré pour les mêmes motifs jusqu'au 8 septembre 2023.

Elle conteste tout savoir-faire réel et susceptible de protection de la part de la requérante, relevant en particulier que l'aménagement des établissements publics et l'assortiment des plats sont accessibles à tous et donc ne sont pas secrets. Si elle admet que l'art. 1 du contrat liant les parties évoque un tel savoir-faire, elle affirme qu'elle n'en a pas bénéficié, faute en particulier d'avoir reçu le manuel de savoir-faire évoqué dans le contrat, et relève que la requérante n'a formé aucun allégué à ce propos. Selon, elle la friture de poulet pané n'est pas non plus constitutive d'un savoir-faire, et relève que l'un de ses associés-gérants a lui-même acquis une expérience dans un établissement de la chaîne G______ et en avait fait bénéficier E______. Elle admet en revanche, qu'une recette de mélange d'épices a été élaborée par E______ pour la requérante, qu'elle en était régulièrement livrée jusqu'à la résiliation du contrat, et que désormais, n'ayant plus eu de livraisons et ignorant la composition dudit mélange, elle ne l'utilise plus, de sorte que la conclusion de la requérante sur ce point serait sans objet. Elle soutient pour le surplus que la requérante n'a formé aucun allégué au sujet des secrets commerciaux dont la violation est prétendue.

Dans sa réplique à la réponse, la requérante a fait valoir que le mobilier (chaises, tables, comptoir), la vaisselle (sets, gobelets, emballages, verres portant la marque "N______"), les menus, les tenues des employés de l'établissement exploité par la citée était les mêmes que les siens. Elle y voit la démonstration que les consommateurs seraient trompés. Elle soutient que son savoir-faire engloberait l'agencement et l'organisation de ses restaurants.

2.5.2 Au vu de ce qui précède, quoi qu'il en soit des dénégations de la citée fondées sur son interprétation du contrat liant les parties, il est rendu vraisemblable que la précitée a commis une atteinte aux droits à la marque de la requérante entre le 1er et le 8 septembre 2023 au soir, de sorte qu'au moment du dépôt de la requête en cessation de l'atteinte le 8 septembre 2023 dans la matinée, la requérante disposait d'un intérêt à agir.

Cet intérêt a toutefois disparu quasi immédiatement, et en tout état, dès la reddition de l'ordonnance sur mesures superprovisionnelles du 11 septembre 2023, en ce qui concerne les faits exposés dans la requête. En particulier, l'utilisation, au-delà de cette date, de la dénomination "B______" n'apparaît pas de nature à causer une atteinte aux droits de la requérante, le terme commun de "______" étant descriptif des activités communes et les termes "______" et "______", placés de surcroît l'un avant et l'autre après le terme [commun] "______" suffisamment différents en caractères visuels et auditifs, contrairement à ce que soutient la requérante.

Par la suite, à deux reprises, en octobre et en novembre 2023, la requérante a allégué des faits nouveaux. Les premiers tenaient à un renvoi internet, aux données du Registre du commerce et au maintien de l'agencement et des menus de l'établissement exploité par la citée. La seconde allégation d'un fait nouveau concerne un courrier daté du 27 septembre 2023. La citée a admis qu'elle avait laissé subsister des données au Registre du commerce, ayant entrepris des démarches à ce sujet dès le 21 septembre 2023, qu'elle avait, selon ses affirmations, oublié l'existence d'un lien internet jusqu'au 10 octobre 2023, et a contesté que le mobilier qu'elle utilisait soit spécifiquement celui de la requérante, de même que les plats servis, observant qu'ils étaient largement communs dans le type d'établissements publics considérés. Elle a également admis qu'elle avait commis une erreur, de bonne foi, dans le libellé de sa lettre du 27 septembre 2023, incident isolé dont il ne pouvait être déduit une intention délibérée de sa part de poursuivre l'exploitation de la marque.

En ce qui concerne les violations alléguées de la LCD, la requérante n'est pas parvenue à rendre vraisemblable l'existence d'un savoir-faire particulier, et secret, qui ne serait pas propre à tout établissement public de type fast-food spécialisé dans la vente de poulets frits, ni un comportement déloyal de la citée.

Elle n'a apporté aucun élément, sous l'angle de la vraisemblance, dont résulterait qu'elle aurait subi une perte de sa clientèle, une dilution de sa marque, et une atteinte à sa réputation commerciale.

Il découle des éléments précités qu'à supposer que les atteintes ainsi allégués aient été rendues vraisemblables, celles-ci ne perdurent en tout état plus. Sous l'angle de la vraisemblance, il apparaît qu'elles ont été portées par erreur, par mégarde ou par négligence, et qu'il y a été remédié généralement spontanément dans des délais apparemment proportionnés à la situation consécutive à la résiliation immédiate de fin août 2023; elles ne révèlent pas, comme le soutient la requérante, la vraisemblance de violations continues et graves auxquelles il n'aurait été mis fin qu'après démarches de la précitée.

En définitive, la condition matérielle d'une atteinte qui a eu lieu et qui perdure, n'est pas réalisée, à tout le moins sous l'angle de la vraisemblance. La requête sera dès lors rejetée.

3. Les frais de la procédure seront arrêtés à 1'500 fr. (art. 17 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Compte tenu de ce que la requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles n'était pas dépourvue de tout fondement lorsqu'elle a été déposée, ce qui a au demeurant conduit à l'admission partielle des conclusions formulées ex parte, il se justifie de considérer que les frais doivent être répartis entre les parties à raison d'un tiers à charge de la citée, et de deux tiers à celle de la requérante (art. 106 al. 2 CPC).

Pour les mêmes raisons, il se justifie que les parties supportent chacune leurs propres dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Préalablement
:

Rectifie la qualité de J______ Sàrl en B______ Sàrl.

Sur le fond :

Déboute A______ SA des fins de ses conclusions sur mesures provisionnelles déposées contre B______ Sàrl.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 1'500 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'ETAT DE GENEVE.

Les met à la charge de A______ SA à raison de 1'000 fr. et à celle de B______ Sàrl à raison de 500 fr.

Condamne en conséquence B______ Sàrl à verser 500 fr. à A______ SA.

Dit que chacune des parties supporte ses propres dépens.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Pauline ERARD, Monsieur
Cédric-Laurent MICHEL, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.