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Décisions | Chambre civile

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C/8763/2020

ACJC/1186/2023 du 12.09.2023 sur JTPI/15293/2022 ( OO ) , CONFIRME

Normes : LDIP.64.al1; LDIP.64.al1bis
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8763/2020 ACJC/1186/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 12 SEPTEMBRE 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, Portugal, appelant d'un jugement rendu par la 17ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 22 décembre 2022, représenté par Me Damien BONVALLAT, avocat, MBLD ASSOCIES, rue Joseph-Girard 20, case postale 1611, 1227 Carouge,

et

Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par
Me Michel CELI VEGAS, avocat, rue du Cendrier 12-14, case postale 1207,
1211 Genève 1.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/15293/2022 du 22 décembre 2022, reçu par les parties le 9 janvier 2023, le Tribunal de première instance a complété, sur la question du partage des avoirs de prévoyance professionnelle de celles-ci, le jugement de divorce rendu le 7 mars 2018 par le Juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de G______, France, dans la cause opposant A______ à B______, née B______ [nom de jeune fille] (minute n° 18/2______, dossier 12/3______) (chiffre 1 du dispositif), condamné A______ à verser à B______, par mois et d'avance, 1'650 fr. durant dix ans à compter du mois suivant l'entrée en force du jugement (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 3'000 fr., mis à la charge de chacune des parties par moitié et compensés avec l'avance fournie, condamné A______ à verser à B______ 1'500 fr. (ch. 3), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

B. a. Par acte expédié le 8 février 2023 à la Cour de justice, A______ a formé appel contre le jugement précité, dont il a requis l'annulation. Il a conclu, avec suite de frais des deux instances, à ce que la demande en complément du jugement de divorce français formée par B______ soit déclarée irrecevable.

b. Dans sa réponse du 22 mars 2023, B______ a conclu, avec suite de frais des deux instances, à la confirmation du jugement attaqué.

Elle a produit des pièces nouvelles, postérieures à la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger.

c. A______ a répliqué, en persistant dans ses conclusions.

Il a produit une pièce nouvelle, soit un acte de la procédure française de divorce 12/3______ ayant opposé les parties.

d. B______ a dupliqué, en persistant dans ses conclusions.

e. Les parties ont été informées le 17 juillet 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour :

a. A______, né le ______ 1958 à C______, Chili, de nationalité chilienne, et B______, née B______ le ______ 1958 à C______, Chili, de nationalité suisse, se sont mariés le ______ 1987.

Ils sont les parents de trois enfants aujourd'hui majeurs.

b. Par acte d'huissier de justice du 6 juillet 2015, A______ a fait assigner B______ en divorce devant le Juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de G______, France.

Ce juge a prononcé le divorce des précités par jugement du 7 mars 2018 (minute N° 18/2______; dossier 12/3______).

A______ a notamment été condamné à verser à B______ la somme en capital de 70'200 euros à titre de prestation compensatoire. Le juge français a considéré que le principe de la disparité que la rupture du mariage allait créer dans les conditions de vie respectives des époux n'était pas contesté : le mariage des précités, parents de trois enfants nés entre 1981 et 1999, avait duré 30 ans; âgé de 59 ans, A______, fonctionnaire international, admettait avoir perçu au cours de l'année 2015 un salaire moyen de 7'522 euros par mois; âgée pour sa part de 60 ans, B______ contestait percevoir "la somme de 3'400 euros", mais n'avait fourni "aucun détail précis sur ses revenus actuels et futurs". Les éléments ainsi recueillis justifiaient de fixer à 70'200 euros la prestation compensatoire due à l'épouse, étant précisé que celle-ci réclamait 260'000 euros à ce titre, alors que l'époux proposait 23'400 euros à verser en 26 mensualités de 900 euros.

c. Par acte du 30 avril 2020, B______, domiciliée à Genève, a déposé au Tribunal une action en complément du jugement de divorce français, dirigée contre A______.

Elle a conclu principalement, avec suite de frais et dépens, à ce que le Tribunal complète le jugement de divorce du 7 mars 2018 en ordonnant le partage des avoirs de prévoyance professionnelle de A______.

Elle a fait valoir que les tribunaux suisses étaient compétents pour compléter le jugement de divorce étranger sur la question du partage de la prévoyance professionnelle, en application de l'art. 64 al. 1 LDIP. Un partage par moitié de la prévoyance professionnelle n'était pas possible, A______ ayant cotisé auprès de la Caisse de pensions D______, laquelle n'est pas soumise à la LFLP. Elle avait par conséquent droit à une indemnité équitable en application de l'article 124e CC. L'avoir de prévoyance accumulé par A______ devait être déterminé sur la base du montant du versement de départ au titre de la liquidation des droits ("withdrawal settlement"). Ce montant incluant des prestations couvrant la prévoyance visée par les deux piliers des assurances sociales suisses (AVS et LPP), seule une partie, correspondant à un avoir LPP, devait être prise en considération.

d. Dans sa réponse du 7 décembre 2020 au Tribunal, A______ a conclu au déboutement de B______ de toutes ses conclusions.

Il a soutenu que le Tribunal aurait été compétent pour effectuer le partage des avoirs de prévoyance professionnelle des parties si de tels avoirs avait existé. Cela n'était toutefois pas le cas, à tout le moins pour ce qui le concernait. Ses avoirs accumulés auprès de la Caisse de pensions D______ ne constituaient pas des avoirs de prévoyance professionnelle auprès d'une "institution suisse de prévoyance professionnelle" et n'entraient dès lors pas dans le champ d'application de l'art. 64 al. 1bis LDIP. Ces avoirs avaient été pris en compte par le juge français dans le cadre de la répartition des biens de époux, ou auraient dû l'être. A titre subsidiaire, même si le jugement français n'était pas explicite à cet égard, tout portait à croire que le juge du divorce avait pris en considération lesdits avoirs. En effet, celui-ci avait relevé que l'époux travaillait comme fonctionnaire international. De plus, il appartenait à B______ d'alléguer l'existence de ces avoirs devant le juge du divorce. Elle ne pouvait pas se prévaloir d'un oubli de sa part pour demander un complément du jugement de divorce.

e. B______ a déclaré au Tribunal qu'elle vivait avec ses deux filles majeures et était à la charge de l'une d'elles, qui gagnait 2'400 fr. par mois, en travaillant à côté de ses études. Elle avait fait une demande d'aide auprès de l'Hospice général. Elle était copropriétaire avec A______ d'une maison en France, d'une valeur d'environ 500'000 euros.

Elle était titulaire d'un compte de libre passage auprès de la Fondation de libre passage de E______ SA, dont le solde s'élevait à 22'814 fr. 22 au 6 juillet 2015, date de l'assignation en justice dans le cadre de la procédure de divorce, et à 22'930 fr. au 1er janvier 2021, le montant à la date du mariage étant inconnu.

f. Durant le mariage, A______ a travaillé en tant que fonctionnaire de F______. Il est à la retraite depuis le 31 décembre 2019. Il s'est remarié et réside au Portugal.

Selon une attestation établie par la Caisse de pensions D______ le 5 juillet 2021, il a accumulé auprès de cette caisse un montant de cotisations de 206'876 fr. 55 entre le 1er janvier 1987 et le 31 décembre 2015 et de 241'953 fr. 85 entre le 1er janvier 1987 et le 31 décembre 2018.

Par ailleurs, selon cette attestation, le montant mensuel brut (avant déduction de la prime d'assurance maladie de USD 366.03) de la pension de A______ s'élevait à USD 8'170.06.

Il ressort par ailleurs d'un courrier de la Caisse de pensions D______ du 27 février 2020 que A______ a cotisé, entre le 14 janvier 1985 et le 31 décembre 2019, à concurrence de USD 256'855.16. Selon ce courrier, ce montant correspond uniquement aux cotisations versées par A______, l'employeur ayant versé le double de ce montant.

Le Tribunal a ainsi retenu, sans être contredit sur ce point, que A______ avait accumulé les avoirs de prévoyance suivants auprès de la Caisse de pensions D______ : USD 620'629.65 entre le 1er janvier 1987 et le 31 décembre 2015, USD 725'861.55 entre 1er janvier 1987 et le 31 décembre 2018 et USD 770'565.48 entre le 14 janvier 1985 et le 31 décembre 2019.

g. Lors de l'audience du Tribunal du 16 mars 2022, les parties ont plaidé, en persistant dans leurs argumentations et conclusions.

Par la suite, le Tribunal a obtenu de la Fondation de libre passage de E______ SA une attestation, qu'elle a transmise par ordonnance du 11 juillet 2022 aux parties, en les informant que la cause serait gardée à juger dix jours après notification de l'ordonnance.

Les parties se sont encore déterminées au sujet de ladite attestation, par courriers des 22 et 27 juillet 2022.

h. Le Tribunal a retenu, dans la partie "En fait" du jugement attaqué, qu'il ne ressortait pas des considérants du jugement de divorce français que les avoirs de prévoyance professionnelle de l'une ou l'autre des parties avaient été pris en compte afin de fixer le montant de la prestation compensatoire (p. 2, ch. 4).

h.a B______ avait cotisé auprès d'une institution de prévoyance professionnelle suisse. Les tribunaux suisses étaient par conséquent exclusivement compétents pour statuer sur la question du partage de cette prévoyance professionnelle, en application de l'article 64 al. 1bis LDIP et en complément du jugement de divorce rendu par les juridictions françaises.

A______ avait été fonctionnaire international, employé par F______, et avait cotisé auprès de la Caisse de pensions D______. Les tribunaux suisses étaient également compétents pour statuer sur le partage de la prévoyance professionnelle qu'il avait accumulée auprès de la Caisse de pensions D______, en application de l'article 124e CC. La question de savoir si les tribunaux suisses étaient exclusivement compétents pour traiter du partage de cette prévoyance professionnelle n'était en l'occurrence pas pertinente. En effet, le juge français du divorce n'avait pas statué sur le partage de ces avoirs, de sorte que cette question n'avait encore été soumise à aucun juge. Exclusive ou non, la compétence du Tribunal existait, en application des art. 64 al. 1bis LDIP ou 64 al. 1 LDIP. Rien ne permettait de considérer que le fait que l'ex-épouse n'avait pas demandé au juge français du divorce de statuer sur cette question la priverait aujourd'hui du droit de demander au juge suisse de tenir compte des avoirs cotisés auprès de la Caisse de pensions D______ dans l'examen du partage des avoirs de prévoyance professionnelle des parties. En particulier, l'ex-mari n'avait ni allégué ni prouvé que le droit applicable au divorce français aurait contraint B______ à élever des prétentions à cet égard dans la procédure française sous peine d'être forclose à l'avenir.

Le Tribunal pouvait par conséquent procéder au partage des avoirs de prévoyance des parties en application des art. 122 ss CC, notamment 124e al.1 CC s'agissant des avoirs de A______.

h.b B______ avait accumulé un avoir de 22'930 fr., dont on pouvait considérer sur la base des pièces produites et obtenues par le Tribunal qu'il avait été entièrement acquis pendant le mariage.

A______, de la date du mariage à la date du dépôt de la procédure de divorce française, avait accumulé un avoir de 620'000 USD, soit environ 575'000 fr. au taux de change de 0 fr. 92672 pour 1 USD. A l'issue d'un calcul non contesté en appel, le Tribunal est parvenu à la conclusion que le montant correspondant à l'avoir de prévoyance à partager correspondait aux 74.89% du montant de l'avoir total accumulé de 575'000 fr., soit à 430'617 fr. 50.

Sur la base du principe d'un partage par moitié des avoirs accumulés par les parties durant le mariage, c'était ainsi, après compensation, un montant d'environ 200'000 fr. qui était dû par A______.

Rien ne justifiait de s'écarter du principe d'un tel partage par moitié. La situation financière de B______ était précaire, alors que celle de A______ apparaissait manifestement meilleure. Mis à part le bien immobilier dont elle était copropriétaire avec ce dernier, elle ne disposait d'aucune fortune lui permettant d'assurer sa prévoyance.

Puisque le partage n'était pas possible, il convenait, en application de l'art. 124e al. 1 CC, de condamner A______ au paiement d'une indemnité équitable, sous la forme d’une prestation en capital ou d’une rente. La procédure n'ayant pas démontré qu'il disposait d'une fortune lui permettant de s'acquitter d'une prestation en capital, il était justifié de le condamner au versement d'une rente. Il convenait d'arrêter un montant qui, d'une part, correspondrait en définitive à une somme totale d'environ 200'000 fr. et, d'autre part, ne dépasserait pas le montant que l'ex-mari pouvait raisonnablement payer.

Ainsi, il était équitable de condamner A______ à verser à B______ une rente de 1'650 fr. par mois durant dix ans. Cela correspondait à un montant total de 198'000 fr. et représentait une indemnité équitable au sens de l'article 124e al. 1 CC. Il s'agissait par ailleurs d'une somme que A______ était en mesure de payer, au vu de sa rente de vieillesse d'environ 8'000 fr. par mois, du fait qu'il vivait au Portugal où le coût de la vie était notoirement inférieur à celui prévalant en Suisse, qu'il ne vivait pas seul et qu'il n'avait pas démontré devoir supporter de frais particuliers.


 

EN DROIT

1. 1.1 Le jugement attaqué constitue une décision finale de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). La valeur litigieuse étant supérieure à 10'000 fr., la voie de l'appel est ouverte (art. 308 al. 2 CPC).

1.2 Interjeté dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131 et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

2. La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs qui sont formulés (ATF
142 III 413 consid. 2.2.4).

Le juge établit les faits d'office pour toutes les questions qui touchent à la prévoyance professionnelle (art. 277 al. 3 CPC), étant précisé que la maxime d'office et la maxime inquisitoire ne s'imposent cependant que devant le premier juge (arrêts du Tribunal fédéral 5A_18/2018 du 16 mars 2018 consid. 6 et 5A_862/2012 du 30 mai 2013 consid. 5.3.2 et 5.3.3). En seconde instance, les maximes des débats et de disposition, ainsi que l'interdiction de la reformatio in pejus, sont applicables (ATF 129 III 481 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_478/2016 du 10 mars 2017 consid. 10.1).

3. Les parties ont déposé des pièces nouvelles en appel.

3.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

Les faits et moyens de preuve nouveaux doivent être invoqués « sans retard », donc en principe dans le mémoire d'appel ou dans la réponse (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4).

Il faut distinguer les vrais nova des faux nova. S'agissant des vrais nova, soit les faits qui se sont produits après le jugement de première instance - ou plus précisément après les débats principaux de première instance (art. 229 al. 1 CPC) -, la condition de nouveauté posée par l'art. 317 al. 1 let. b CPC est sans autre réalisée et seule celle d'allégation immédiate (art. 317 al. 1 let. a CPC) doit être examinée (arrêt du Tribunal fédéral 5A_621/2012 du 20 mars 2013 consid. 5.1).

3.2 En l'espèce, l'appelant a produit une pièce nouvelle à l'appui de sa réplique. Celle-ci non seulement est antérieure à la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger, sans que l'appelant n'expose les raisons pour lesquelles il ne l'a pas produite en première instance, mais en plus a été déposée après l'échéance du délai d'appel. Elle est donc irrecevable à un double titre, comme les faits qu'elle vise.

Les pièces nouvelles de l'intimée, produites avec la réponse, sont en revanche postérieures à la date à laquelle la cause a été gardée à juger par le Tribunal. Elles sont donc recevables, même si elles ne sont pas déterminantes pour la solution du litige.

4. L'appelant fait grief au Tribunal d'avoir considéré que le jugement de divorce français était lacunaire et de l'avoir ainsi complété, alors que l'intimée n'avait pas établi que la prestation compensatoire fixée ne tenait pas compte des avoirs de prévoyance des parties.

4.1 Selon l'art. 64 al. 1 de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (ci-après : LDIP) les tribunaux suisses sont compétents pour connaître d’une action en complément ou en modification d’un jugement de divorce ou de séparation de corps s’ils ont prononcé ce jugement ou s’ils sont compétents en vertu des art. 59 ou 60 LDIP.

Ces règles l'emportent sur le principe de l'unité du jugement de divorce et ne s'opposent par conséquent pas à ce que les tribunaux suisses complètent un jugement de divorce étranger qui n'aurait pas statué sur l'ensemble des effets accessoires (LEUBA/MEIER/PAPAUX VAN DELDEN, Droit du divorce, 2021, p. 909, n. 2393 et les références citées sous note 4756).

Lorsque, à la suite d'une inadvertance, d'une erreur de droit ou de l'ignorance d'un fait, le juge a omis de régler une question qui devait l'être nécessairement en cas de divorce, son jugement présente une lacune et doit être complété par une nouvelle décision. Cette procédure subséquente n'est pas uniquement ouverte lorsque cette lacune se rapporte à un point que le juge du divorce aurait dû trancher d'office, sans égard aux conclusions des parties, mais aussi lorsque les prétentions qui dépendent de l'autonomie des parties n'ont pas fait l'objet d'une décision, que ce soit dans le jugement lui-même ou dans une convention homologuée (ATF 108 II 381 consid. 4; 104 II 289 consid. 3; 81 II 313 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_227/2015 du 16 novembre 2015 consid. 2.2.1; 5A_549/2011 du 31 mai 2012 consid. 3.1; 5C.175/1991 du 22 mai 1992 consid. 2a; BOHNET, Actions civiles, 2019, § 17 nos 1 ss).

Il n'y a pas lacune s'il est établi que la partie réclamant le complément a renoncé à ses droits. C'est au demandeur d'établir que le jugement est incomplet (LEUBA, Le partage de la prévoyance professionnelle dans le cadre d'un divorce comportant des éléments d'extranéité, in Le droit civil dans le contexte international : Journée de droit civil 2011, 2012, p.123).

Le droit suisse régit l’action en complément ou en modification du divorce ou de la séparation de corps (art. 64 al. 2 LDIP).

Au 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la révision du Code civil concernant, notamment, le partage de la prévoyance professionnelle après divorce. Cette révision a entraîné l'introduction, dans la LDIP, de l'art. 64 al. 1bis, qui consacre la compétence exclusive des tribunaux suisses pour connaître du partage de prétentions de prévoyance professionnelle envers une institution suisse de prévoyance professionnelle.

4.1.1 Depuis le 1er janvier 2017, le jugement de divorce étranger est toujours lacunaire en ce qui concerne l'entretien au titre de la prévoyance professionnelle, indépendamment du fait que le tribunal ait ou non tenu compte des avoirs de la prévoyance professionnelle suisse (ATF 145 III 109 consid.4.3 - JdT 2019 II 211, p. 214; arrêt du Tribunal fédéral 5A_819/2019 du 13 octobre 2020 consid. 3.3.1).

4.1.2 Avant le 1er janvier 2017, la LDIP ne comportait pas de dispositions spécifiques sur le partage de la prévoyance professionnelle. Le Tribunal fédéral a, durant de nombreuses années, comblé cette lacune en classant la prévoyance dans les effets accessoires du divorce (LEUBA/MEIER/PAPAUX VAN DELDEN, op. cit., p. 911, n. 2397). Doctrine et jurisprudence ont eu l'occasion de se pencher sur la prestation compensatoire de droit français et de dégager les principes suivants :

- Aux termes de l'art. 270 du Code civil français (ci-après : CCF), l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation correspond autant à un dédommagement qu'à une indemnité d'entretien (ATF 131 III 289 consid. 2.8). La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux qui y prétend et les ressources de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. La situation respective des parties en matière de pensions de retraite est ainsi prise en considération (art. 271 CCF) (arrêt du Tribunal fédéral 5A_835/2010 du 1er juin 2011 consid.2.4.3)

- Il existe une différence de nature entre la prestation compensatoire du droit civil français et le partage des avoirs de prévoyance prévu par les art. 122 ss aCC, institution que la législation française ne connaît pas comme telle (ATF
134 III 661 consid. 3.3; 131 III 289 consid. 2.8). La comparaison entre ces deux institutions juridiques montre en effet des différences fondamentales en ce qui concerne le but politico-juridique, la justification de la prétention et l'aménagement de détail (ATF 131 III 289 consid. 2.8 s.). Il s'ensuit que, dans la mesure où la prestation compensatoire n'a pas été fixée en tenant compte des avoirs de libre passage de l'époux débiteur (ATF 134 III 661 consid. 3.3), l'époux créancier doit pouvoir prétendre à l'une comme à l'autre : l'octroi d'une prestation compensatoire n'exclut pas le droit au partage des avoirs de prévoyance (arrêts du Tribunal fédéral 5A_819/2019 du 13 octobre 2020 consid. 3.3.1; 5A_419/2013 du 24 octobre 2013 consid. 3.1; 5A_835/2010 précité consid. 2.4.3).

A la différence d’une contribution d’entretien et en particulier de la prestation compensatoire du droit français, le partage du droit suisse n’a pas pour fondement une solidarité post-mariage et ne vise pas à pallier les conséquences économiques du divorce. Il vise à un partage en principe par moitié de ce qui a été accumulé au titre de prévoyance professionnelle durant le mariage (LEUBA, op. cit., p.125 et les références citées).

Ces traits caractéristiques ne sont pas réservés au partage de l’art. 122 aCC. Ils sont tout aussi pertinents pour l’indemnité équitable (art. 124 aCC). Le législateur a conçu cette institution comme un tout, distinct de la contribution d’entretien, comme le montrent les notes marginales. Dans les deux cas, il s’agit bien d’un partage de la prévoyance; l’indemnité équitable n’est qu’une modalité de partage, différente de celle de l’art. 122 aCC; elle a les mêmes fondements et vise le même objectif. Dans les deux situations, le partage par moitié des avoirs accumulés durant le mariage est le point de départ du raisonnement du juge et l’on ne peut s’en écarter qu’à des conditions strictes (LEUBA, op. cit., p.126 et les références citées).

- Pour savoir s’il y a lacune dans le cas d’espèce, il faut examiner le contenu du jugement étranger. La situation est claire lorsqu’il n’est fait aucune mention des avoirs de prévoyance. Elle est plus délicate lorsque le jugement étranger y fait référence, sans procéder toutefois à un partage au sens du droit suisse. Une attestation des institutions de prévoyance concernées doit avoir été produite dans le cadre de la procédure; une simulation des pensions de retraite des époux effectuée sur la base d’une fiche de salaire ne suffit pas (LEUBA, op. cit., p.124 et les références citées, notamment à l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_835/2010 précité).

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral était confronté à un jugement de divorce prononcé par le Tribunal de Grande Instance de Thonon-les-Bains (France), lequel ne contenait aucune référence expresse à la prestation de prévoyance de l'ex-mari. Certes, le montant de la prestation compensatoire alloué par ce Tribunal à l'épouse (60'000 euros) avait été déterminé en tenant compte, entre autres critères, de la retraite des parties, sur la base d'une simulation de leur pension. Il n'empêchait qu'aucune attestation de la caisse de prévoyance de l'ex-mari relative aux montants des avoirs accumulés auprès d'elle n'avait été produite devant le juge français. Il fallait par conséquent en conclure, selon le Tribunal fédéral, que ladite simulation avait été effectuée sans disposer de cet élément essentiel, la production de fiches de salaires, de surcroît devant un juge ne connaissant pas l'institution de la prévoyance, ne suffisant pas à elle seule à déterminer le montant de ces avoirs. Dès lors, le juge suisse saisi de l'action en complément ne pouvait sans arbitraire en déduire que le juge du divorce les aurait indirectement pris en considération dans la mesure où il ne disposait pas des éléments propres à en déterminer le montant. L'action en complément devait donc être admise dans son principe (arrêt du Tribunal fédéral 5A_835/2010 du 1er juin 2011 consid. 2.4.3 et 2.5).

4.2 Selon l'art. 122 CC, les prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage et jusqu'à l'introduction de la procédure de divorce sont partagées entre les époux. Les prestations de sortie acquises, y compris les avoirs de libre passage et les versements anticipés pour la propriété du logement, sont partagées par moitié entre les époux (art. 123 al. 1 CC). Selon l'art. 124e al. 1 CC, si l'exécution du partage au moyen de la prévoyance professionnelle s'avère impossible, le conjoint débiteur est redevable au conjoint créancier d'une indemnité équitable sous la forme d'une prestation en capital ou d'une rente.

Un tel cas se présente, notamment, lorsque l'un des époux est affilié auprès d'une institution de prévoyance non soumise à la LPP, ce qui est le cas des fonctionnaires internationaux; aussi cette disposition est applicable à la compensation de la prévoyance professionnelle quand l'un des époux est affilié à la Caisse de pensions D______ (arrêt du Tribunal fédéral 5A_691/2009 du 5 mars 2012 consid. 2).

Les art. 122 ss. ne concernent que la prévoyance professionnelle, c'est-à-dire le deuxième pilier, et non les premier et troisième piliers; or, la Caisse de pensions D______ sert des prestations couvrant la prévoyance visée par les deux piliers des assurances sociales suisses (i.c. AVS et LPP). Pour fixer la part du capital assimilable au deuxième pilier, il faut établir le rapport entre le montant de la pension annuelle de retraite que le recourant obtiendrait si les rapports de travail se poursuivaient jusqu'à l'âge de la retraite et une rente annuelle AVS, calculée d'après un revenu et des années de cotisations identiques (arrêt du Tribunal fédéral 5A_691/2009 précité consid. 2).

Le principe d'un partage par moitié vaut également pour la fixation de l'indemnité équitable. Cela étant, le juge peut refuser en tout ou partie l'octroi d'une indemnité équitable et même attribuer au créancier une indemnité correspondant à une part plus importante que la moitié des éléments de prévoyance accumulés durant le mariage. Cela entre dans son pouvoir d'appréciation; il s'inspirera, pour ce faire, des principes posés aux art. 124a et 124b al. 2 et 3 CC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_443/2018 du 6 novembre 2018 consid. 5.1).

4.3 En l'espèce, la compétence des juridictions suisses pour juger de la question litigieuse est acquise (art. 59 et 64 LDIP). Elle n'est par ailleurs pas contestée par les parties, qui ne discutent que de la question de savoir si cette compétence est exclusive (selon l'art. 64 al. 1bis LDIP) ou non (art. 64 al. 1 LDIP), question qui peut demeurer indécise, au vu des développements qui suivent.

L'application du droit suisse en vigueur après le 1er janvier 2017, dans la mesure où le jugement étranger est entré en force après cette date, n'est à juste titre pas critiquée (ATF 145 III 109 consid. 5.9 - JdT 2019 II 211, p. 221).

Cela étant, il n'est ni contesté ni contestable que lors de l'introduction de la procédure de divorce, les parties étaient toutes deux titulaires de prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage, celles du mari étant dirigées contre une institution de prévoyance non soumise à la LPP.

Il est admis que le jugement de divorce français ne fait aucune mention de l'avoir de l'ex-mari auprès de la Caisse de pensions D______, ni d'ailleurs de la prestation de sortie de l'épouse auprès de Fondation de libre passage de E______ SA. L'appelant fait valoir que le jugement de divorce serait très succinct et ne mentionnerait pas les éléments de fait sur lesquels le juge français s'est fondé pour fixer la prestation compensatoire; il ne permettrait en tout cas pas d'exclure la prise en compte des expectatives des parties en matière de retraite. L'inverse serait à son avis "beaucoup plus vraisemblable": en effet, au moment du divorce, les parties étaient âgées de 59 et 60 ans "et l'on doute qu'en France, où la retraite se prend plus tôt qu'en Suisse, un juge ignore la prochaine retraite des parties lorsqu'il prend sa décision "en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible" (271 CCF)".

Cette argumentation ne résiste pas à l'examen. En effet, même en admettant que le montant de la prestation compensatoire ait été déterminé en tenant compte de la prochaine retraite des parties, notamment de l'appelant - ce qui ne résulte pas du jugement, lequel ne mentionne que le salaire que ce dernier réalisait en 2015 et non pas la rente de vieillesse à laquelle il pouvait prétendre - il faut relever qu'aucune attestation des caisses de prévoyance des ex-époux n'a été produite devant le juge français. Celui-ci ne pouvait donc pas déterminer le montant des avoirs de prévoyance des parties. Par ailleurs, il n'est pas établi que l'intimée aurait renoncé à ses droits devant le juge français. C'est ainsi à bon droit que le Tribunal a considéré que le jugement français était lacunaire et est entré en matière sur le complément sollicité par l'intimée.

L'appelant ne conteste ni le calcul ni l'appréciation en équité du Tribunal. Il se borne à reprocher au premier juge, dans un chapitre de son appel consacré à la compétence, de ne pas avoir diminué "les sommes allouées à l'intimée de la moitié de ses avoirs de prévoyance professionnelle", sans toutefois prendre une conclusion subsidiaire à ce sujet. Il n'y a donc pas lieu de s'attarder sur cette question.

Pour le reste et en tant que de besoin, la Cour fait sienne l'argumentation du Tribunal, qui a dûment exposé le droit applicable et en a fait une correcte application (ci-dessus, "En fait", let. C.h).

En définitive, le jugement attaqué sera entièrement confirmé.

5. 5.1 Le chiffre 3 du dispositif du jugement attaqué sera confirmé, dans la mesure où le déboutement de l'appelant est confirmé et que la quotité des frais judiciaires de première instance n'est pas contestée.

Il en ira de même du chiffre 4 du dispositif du jugement attaqué, la conclusion de l'intimée tendant à une condamnation de l'appelant aux dépens de première instance n'étant pas admissible dans le cadre d'une réponse à l'appel.

5.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 3'000 fr. (art. 30 et 35 RTFMC), mis à la charge de l'appelant, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance effectuée par celui-ci, qui demeure acquis à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelant versera à l'intimée 3'500 fr., débours et TVA compris, à titre de dépens d'appel (art. 84, 85 et 90 RTFMC; art. 20, 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 8 février 2023 par A______ contre le jugement JTPI/15293/2023 rendu le 22 décembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/8763/2020-17.

Au fond :

Confirme le jugement attaqué.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 3'000 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance effectuée, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ 3'500 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Monsieur
Jean REYMOND, juges; Madame Gladys REICHENBACH, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Gladys REICHENBACH

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.