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Décisions | Chambre civile

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C/27445/2019

ACJC/441/2023 du 28.03.2023 sur ORTPI/1138/2022 ( OO ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/27445/2019 ACJC/441/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 28 MARS 2023

 

Entre

1) A______ (SUISSE) SA, sise ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par la 8ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le
19 octobre 2022 et intimée, comparant par Me Marc BALAVOINE, avocat, Jacquemoud Stanislas, rue François-Bellot 2, 1206 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

2) Monsieur B______, domicilié ______ [VD], recourant et intimé, comparant par
Me Michel BERGMANN, avocat, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale,
1211 Genève 4, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

et

3) Le mineur C______, représenté par sa mère, Madame D______, domicilié ______ (VD), intimé, comparant par Mes Pierre GABUS et Lucile BONAZ, avocats, Gabus Avocats, boulevard des Tranchées 46, 1206 Genève, en l'Étude desquels il fait élection de domicile.


EN FAIT

A. Par ordonnance de preuve n° ORTPI/1138/2022 rendue le 19 octobre 2022, notifiée à A______ (SUISSE) SA et à C______ le 21 octobre 2022 et à B______ le 24 octobre 2022, le Tribunal de première instance a, notamment, admis l'audition des témoins suivants cités par C______ : E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______, N______, O______, P______ et Q______ (ci-après, ensemble : les "témoins-experts"; chiffre 2 du dispositif), réservé les expertises sollicitées par les parties (ch. 14) et mis à la charge de B______ une avance de frais s'élevant à 8'000 fr. et devant être payée le 7 novembre 2022 (ch. 19).

B. a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice (ci-après : la Cour) le 31 octobre 2022, A______ SA a formé recours contre les ch. 2 et 14 du dispositif de cette ordonnance et sollicité, préalablement, que la Cour octroie l'effet suspensif au recours et suspende la procédure jusqu'à droit jugé sur la requête en récusation visant E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______, N______, O______ et P______, qu'elle avait formée le 25 octobre 2022. Principalement, elle a conclu à ce que la Cour annule les ch. 2 - en ce qu'il visait les auditions des susnommés - et 14 du dispositif de l'ordonnance entreprise. Cela fait, elle a conclu à ce que la Cour admette l'expertise qu'elle avait requise au soutien de ses allégués, sous suite de frais judiciaires et dépens à la charge de C______.

Elle a produit deux pièces nouvelles.

b. Après avoir donné l'occasion aux autres parties de se déterminer sur la requête d'effet suspensif, la Cour l'a admise, par arrêt ACJC/1455/2022 du 8 novembre 2022, en tant qu'elle portait sur l'audition des "témoins-experts", et l'a rejetée pour le surplus.

c. B______ a adhéré aux conclusions de A______ SA et renoncé à répondre au recours.

d. C______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, respectivement à son rejet, sous suite de frais judiciaires et dépens.

e. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, et persisté dans leurs conclusions.

C______ a produit une pièce nouvelle.

f. Par avis du 12 janvier 2023, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

C. a. Par acte déposé au greffe de la Cour le 31 octobre 2022, B______ a formé recours contre l'ordonnance entreprise et sollicité, préalablement, que la Cour octroie l'effet suspensif au recours, "s'agissant de la qualité de "témoin-expert"", ainsi qu'en lien avec la requête en récusation formée par lui contre les "témoins-experts" et l'avance de frais de 8'000 fr. qui lui avait été demandée dans l'ordonnance entreprise. Principalement, il a conclu à ce que la Cour annule l'ordonnance entreprise en ce qu'elle ordonnait l'audition des "témoins-experts", dise que ceux-ci n'avaient pas qualité de "témoin-expert", écarte leur "témoignage", respectivement les récuse, et annule l'avance de frais mise à charge en 8'000 fr.

Il a produit deux pièces nouvelles.

b. Après avoir donné l'occasion aux autres parties de se déterminer sur la requête d'effet suspensif, la Cour l'a admise, par arrêt ACJC/1454/2022 du 8 novembre 2022, en tant qu'elle portait sur l'audition des "témoins-experts", et l'a rejetée pour le surplus.

c. A______ SA a partiellement adhéré aux conclusions de B______, se rapportant à justice pour le surplus, sous suite de frais judiciaires et dépens à la charge de C______.

d. C______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, respectivement à son rejet, sous suite de frais judiciaires et dépens.

e. Aucune des parties n'ayant répliqué, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger par avis du 12 janvier 2023

D. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. Par demande déposée le 28 novembre 2019, non conciliée le 2 juin 2020 et introduite le 1er octobre 2020 au Tribunal, C______ a assigné A______ SA et B______, pris conjointement et solidairement, en paiement de 3'500'000 fr., sous réserve d'amplification, avec intérêts moratoires à 5% dès le 2 décembre 2009.

En résumé, les faits tels qu'allégués dans la demande sont les suivants :

L'enfant C______ est né le ______ 2009. Sa mère, D______, souffrant d'épilepsie, est traitée au moyen du médicament R______ [ou "R______"] produit et mis sur le marché par A______ SA, que lui a prescrit le docteur B______.

C______ souffre depuis la naissance de très graves problèmes de santé physique et psychique, qui sont dus, selon lui, à la prise de R______ par sa mère durant la grossesse. Il reproche ainsi à A______ SA d'avoir mis en circulation, respectivement à B______ d'avoir prescrit à sa mère, ce médicament sans avoir averti celle-ci des conséquences qu'il pouvait avoir sur l'enfant à naître, respectivement sans avoir pris en compte le risque encouru. A______ SA et B______ étaient donc responsables, notamment au titre de la loi sur la responsabilité du fait des produits (LRFP), du dommage causé à sa santé et de ses conséquences.

Il a offert l'audition de témoins - non désignés nommément - comme moyen de preuve à l'appui de plusieurs de ses allégués.

b. Par réponse du 29 janvier 2021, B______ a conclu au déboutement de C______ de toutes ses conclusions.

Il a rejeté toute responsabilité et affirmé avoir agi conformément aux règles de l'art. Le lien de causalité entre ses actes et le dommage était contesté, de même que l'étendue de celui-ci. Il s'est prévalu de la prescription.

c. Par réponse du même jour, A______ SA a, elle aussi, conclu au rejet de la demande formée par C______.

Elle a contesté devoir endosser une quelconque responsabilité quant au prétendu manque d'informations de la patiente concernant les effets de son médicament. Elle a aussi remis en cause le lien de causalité entre la prise du médicament et la survenance du dommage, ainsi que l'étendue de celui-ci.

Elle a notamment requis une expertise à titre de preuve pour plusieurs de ses allégués.

d. Le Tribunal a ordonné un second échange d'écritures.

e. Par réplique du 14 mai 2021, C______ a persisté dans ses conclusions. Il a simultanément produit un bordereau de preuves dans lequel il requiert, notamment, l'audition comme "témoins" des "témoins-experts", lesquels ont les qualifications et domiciles suivants selon lui :

- E______ : pharmacologue et pédiatre, domicilié en France;

- F______ : neurologue, domicilié en France;

- G______ : gynécologue obstétricien, domicilié en France;

- H______ : généticien, domicilié en France;

- I______ : neurobiologiste, domicilié en France;

- J______ : pharmacologue, domicilié au Royaume-Uni;

- K______ : pharmacologue, domicilié au Royaume-Uni;

- L______ : neuropédiatre, domicilié en Suisse;

- M______ : biologiste, domicilié en France;

- N______ : médecin, domicilié en Suisse;

- O______ : neurologue, domicilié en Suisse;

- P______ : fonction indéterminée, domicilié en Suisse :

- Q______ : responsable certification des médicaments auprès de SWISSMEDIC.

S'agissant des allégués sur lesquels ces témoins devaient être entendus, il a mentionné en bloc des dizaines d'allégués de ses écritures.

f. A______ SA et B______ ont dupliqué les 20 août, respectivement 1er novembre 2021, et persisté dans leurs conclusions. Ils n'ont pas pris de conclusions concernant les offres de preuves de C______.

g. Lors de l'audience de débats d'instruction, de débats principaux et de premières plaidoiries du 4 octobre 2022, le Tribunal a recueilli les offres de preuve des parties, soit, notamment, la demande d'audition des "témoins-experts" formulée par C______, qualifiés de "témoins-experts" à cette occasion, et l'administration d'une ou de plusieurs expertises requises par toutes les parties.

A______ SA et B______ se sont opposés à l'audition des "témoins-experts", faute pour ces personnes de posséder la qualité de témoin ou de "témoin-expert", ainsi qu'en raison de leurs liens d'intérêts, notamment avec une association française de défenses des patients traités par la R______, et de la récusation de l'un d'eux, E______, dans une procédure en France. N______ n'était pas médecin, ni biologiste. En outre, les "témoins-experts" étrangers n'étaient pas soumis aux mêmes compendiums concernant les médicaments et leurs devoirs d'annonce étaient différents.

E. a. Dans l'ordonnance entreprise et s'agissant des points pertinents pour les présents recours, le Tribunal a retenu que les conditions de récusation des "témoins-experts" cités n'étaient pas démontrées, ni rendues suffisamment vraisemblables. A priori, il n'existait aucune raison de mettre en doute la bonne foi des témoins cités, en dépit de leurs éventuelles opinions sur l'objet du litige. Etant donné les auditions à venir des "témoins-experts", le Tribunal s'est réservé la possibilité d'ordonner des expertises après ces auditions, qui lui permettraient de se forger une opinion, puis de déterminer les expertises qui demeureraient encore nécessaires. Il s'est donc réservé la possibilité d'ordonner les expertises sollicitées. Il a ainsi réservé des auditions allant de 20 à 45 minutes pour chacun des "témoins-experts" cités comme témoins. S'agissant des allégués sur lesquels ils seraient auditionnés, il a renvoyé au bordereau de C______.

b. Les 25, respectivement 26, octobre 2022, A______ SA et B______ ont requis du Tribunal la récusation des "témoins-experts".

Les procédures de récusation, enregistrées sous les n° C/1______/2022, C/2______/2022, C/3______/2022, C/4______/2022, C/5______/2022, C/6______/2022, C/7______/2022, C/8______/2022, C/9______/2022, C/10_____/2022 et C/11_____/2022, sont pendantes devant le Tribunal.

c. Le 7 novembre 2022, B______ a payé l'avance de frais en 8'000 fr. requise par le Tribunal dans l'ordonnance entreprise.

EN DROIT

1. 1.1 Dirigés contre la même ordonnance et comportant des liens étroits, le recours de A______ SA (ci-après : la recourante) et de B______ (ci-après : le recourant) seront traités dans un seul arrêt (art. 125 let. c CPC).

1.2 En l'espèce, la recevabilité des deux recours doit être examinée en fonction des deux objets litigieux. Le premier, commun aux deux recours, est celui de la recevabilité des recours en ce qu'ils sont dirigés contre l'admission, respectivement le refus, de moyens de preuve par le premier juge, ainsi que la question de la récusation des témoins-experts (consid. 2. ci-après). Le second objet, abordé seulement dans le recours du recourant a trait à l'avance de frais qu'il a été condamné à payer (consid. 3. ci-après).

1.3 A titre préalable et s'agissant des pièces nouvelles produites par les recourants, ainsi que les faits qui s'y rapportent, il s'agit de rappeler que, selon l'art. 326 al. 1 CPC, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables dans un recours. Cela étant, les faits notoires ou notoirement connus du tribunal et les règles d'expérience généralement reconnues ne doivent pas être prouvés (art. 151 CPC). Les faits notoirement connus du tribunal sont, notamment, les faits résultant de procédures antérieures entre les mêmes parties et connus du juge (arrêt du Tribunal fédéral 5A_467/2020 du 7 septembre 2020 consid. 5.2 et les références citées). Les faits notoirement connus du tribunal sont soustraits à l'interdiction des nova en procédure de recours (arrêt du Tribunal fédéral 5A_719/2018 du 12 avril 2019 consid. 3.2.1).

Les pièces nouvelles des recourants, et les faits qui s'y rapportent, sont en lien avec les procédures de récusation des témoins-experts initiées par les recourants et connues des parties et du Tribunal. Ils doivent donc être considérés comme notoires et admis à la présente procédure.

2. La recevabilité des recours en ce qu'il vise l'ordonnance de preuve en tant que telle sera examinée en premier.

2.1 Il convient en premier lieu de rappeler les principes relatifs aux moyens de preuves que sont le témoignage, d'une part, l'expertise, d'autre part.

2.1.1 L'art. 168 al. 1 CPC prévoit, sous la section Admissibilité, les moyens de preuves, qui sont notamment le témoignage (let. a) et l'expertise (let. d).

Un témoin se définit comme une personne qui n'est pas une partie et qui peut témoigner sur des faits dont elle a eu une perception directe (cf. art. 169 CPC).

Lorsqu'un témoin possède des connaissances spéciales, le tribunal peut également l'interroger aux fins d'apprécier les faits de la cause ("témoignage-expertise"; art. 175 CPC).

L'expertise est régie aux art. 183 ss CPC. En particulier, le Tribunal donne aux parties l'occasion de s'exprimer sur les questions soumises à expertise et de proposer qu'elles soient modifiées ou complétées (cf. art. 185 al. 2 CPC). L'expert rend un rapport écrit ou le présente oralement (cf. art. 187 al. 1 CPC).

Selon le Message relatif au code de procédure civile suisse, les témoins ne sont en principe interrogés que sur les faits, dont l'appréciation appartient au tribunal. Le témoin-expert peut toutefois, en raison de ses connaissances particulières, émettre des appréciations techniques tenant lieu de première expertise et de premières conclusions (FF 2006 6841, p. 6930).

Le témoignage-expertise est un moyen de preuve hybride, à cheval entre le témoignage et l'expertise. L'intéressé possède une perception personnelle des faits et des connaissances techniques spéciales qui lui permettent d'émettre un avis sur des questions qui, par leur complexité, ne peuvent pas être résolues par l'expérience générale de la vie (Schweizer, Commentaire Romand - CPC, 2ème éd. 2019, n. 1 ad art. 175 CPC; Schmid / Baumgartner, KurzKommentar - ZPO, 3ème éd. 2021, n. 1 ad art. 175 CPC; Rüetschi, Berner Kommentar - ZPO, 2012, n. 1 ad art. 175 CPC; Reinert, Schweizerische Zivilprozessordnung - Baker & McKenzie, 2010, n. 2 ad art. 175 CPC; Guyan, Basler Kommentar - ZPO, 3ème éd. 2017, n. 1 ad art. 175 CPC). Il peut être utile lorsque la célérité nécessaire - par exemple dans le cadre de mesures provisionnelles - ne permet pas la mise en place d'une expertise (Vouilloz, Petit commentaire CPC, 2020, n. 3 ad art. 175 CPC). En d'autres termes, en pratique, le tribunal peut se contenter de l'audition de témoins-experts par souci de rapidité et de simplicité, mais seulement dans les cas les plus simples et les plus limités, car les garanties liées à la nomination d'un expert ne sont pas applicables (Weibel / Walz, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 3ème éd. 2016, n. 8 ad art. 175 CPC).

Le témoin-expert n'est pas un expert, qui rend un rapport d'expertise, mais un témoin, classé comme tel selon la systématique légale (Vouilloz, op. cit., n. 4 et 8 ad art. 175 CPC ; Reinert, op. cit., n. 3 ad art. 175 CPC; Müller, Schweizerische Zivilprozessordnung ZPO, 2ème éd. 2016, n. 10 ad art. 175 CPC). Ainsi, si l'expert est interchangeable, il n'en va pas de même du témoin-expert qui est lié aux faits de la cause (Rüetschi, op. cit, n. 1 ad art. 175 CPC; Weibel / Walz, op. cit., n. 3 ad art. 175 CPC). Les questions posées à un témoin et à un expert doivent ainsi être distinguées : le témoin-expert fournit des constatations techniques liées directement à sa perception des faits de la cause. Sa déposition reste un témoignage (Schmid / Baumgartner, op. cit., n. 2 ad art. 175 CPC; Rüetschi, op. cit., n. 6 ad art. 175 CPC). La partie qui requiert son audition doit donc exposer les points sur lesquels le témoin-expert doit s'exprimer et préciser ce qu'elle veut ainsi prouver : les règles procédurales relatives à l'audition du témoin lui sont applicables, puisque seules des questions sur les faits qu'il a constatés sont recevables (Vouilloz, op. cit., n. 6 ad art. 175 CPC; Rüetschi, op. cit., n. 6 ad art. 175 CPC; Guyan, op. cit., n. 2 ad art. 175 CPC). Plus particulièrement, une certaine retenue s'impose lorsque le témoin-expert se voit poser des questions destinées à apprécier les faits de la cause : il s'agit de limiter l'usage de cette institution facultative à des cas simples (Vouilloz, op. cit., n. 7 ad art. 175 CPC; Rüetschi, op. cit., n. 7 ad art. 175 CPC). En tous les cas, le juge peut choisir d'interroger le témoin-expert uniquement sur les faits dont il a eu connaissance, sans recourir à ses connaissances particulières (Weibel / Walz, op. cit., n. 2 ad art. 175 CPC). Le témoin-expert ne peut donc remplacer l'expert judiciaire, car les questions qui excèdent son champ de compétence ou qui sont essentielles à la résolution du litige doivent faire l'objet d'une véritable expertise - ordonnée selon les formes légales -, même s'il n'est pas exclu qu'un témoin-expert et un expert soient mis en œuvre dans une même cause (Vouilloz, op. cit., n. 9 ad art. 175 CPC; Rüetschi, op. cit., n. 7 ad art. 175 CPC; Weibel / Walz, op. cit., n. 8 ad art. 175 CPC). Les appréciations techniques du témoin-expert ne doivent être considérées que comme un "sous-produit" (Nebenprodukt) du témoignage au sens strict qu'il est amené à déposer et ne peuvent donc valoir que dans les cas simples et pour des raisons d'économie de procédure. Il serait abusif d'avoir recours à un témoin-expert pour s'éviter les contraintes liées à un expert judiciaire (Müller, op. cit., n. 5 ad art. 175 CPC). De façon quelque peu contradictoire, cet auteur estime cependant que le Tribunal, en conformité avec la notion de "premières conclusions" du Message, peut estimer intéressant d'entendre un témoin-expert avant d'ordonner une expertise (Müller, op. cit., n. 12 ad art. 175 CPC; dans le même ordre d'idée Guyan, op. cit., n. 1 ad art. 175 CPC). Ainsi, le médecin, entendu comme témoin, qui fournit des explications et tire des conclusions allant au-delà des faits qu'il a lui-même constatés et qui se place en contradiction avec une expertise judiciaire préalable, se substitue à l'expert et excède son rôle de témoin (ATF 94 I 417 consid. 1 et 2; cet arrêt ancien évoque déjà la circonstance que le témoin-expert peut être récusé comme un expert, s'agissant des questions techniques sur lesquelles il est appelé à répondre). Certains auteurs de doctrine distinguent entre le témoin-expert au sens étroit qui ne dépose que sur des faits dont il a connaissance en raison de ses connaissances spéciales et le témoin-expert au sens large qui tire des conclusions techniques à partir des faits connus de lui et se substitue ainsi à un expert (Rüetschi, op. cit., n. 3 ad art. 175 CPC et les références citées; Reinert, op. cit., n. 2 ad art. 175 CPC; Weibel / Walz, op. cit., n. 2 ad art. 175 CPC, pour lesquels l'art. 175 CPC se réfère clairement à une notion au sens large du témoin-expert; Müller, op. cit., n. 6 et suivante ad art. 175 CPC, de même opinion que Weibel / Walz). Pour Guyan, la distinction n'a pas lieu d'être : étant donné que la loi ne prévoit pas de soumettre un état de fait à un témoin, fût-il témoin-expert, il est inconcevable que celui-ci se prononce sur des faits dont il n'a pas eu une connaissance directe, sauf à perdre sa qualité de témoin (op. cit., n. 1 ad art. 175 CPC). Cela étant, l'expert privé mandaté par une partie peut être entendu comme témoin-expert, son témoignage étant soumis à la libre appréciation des preuves, mais apprécié avec retenue par le tribunal (Vouilloz, op. cit., n. 10 ad art. 175 CPC; Schmid / Baumgartner, op. cit., n. 3 ad art. 175 CPC) ; certains auteurs vont même jusqu'à admettre que, pour peu qu'il soit indépendant et impartial, le témoin-expert puisse fonctionner comme expert judiciaire dans la même cause (opinion qui semble en contradiction avec l'art. 47 al. 1 let. b CPC applicable par renvoi de l'art. 183 al. 2 CPC; Weibel / Walz, op. cit., n. 8a ad art. 175 CPC; contra Müller, op. cit., n. 9 ad art. 175 CPC; Guyan, op. cit., n. 2 ad art. 175 CPC). Selon le Tribunal fédéral, cependant, l'audition d'un expert-privé comme témoin, tout comme son rapport d'expertise, n'est pas un moyen de preuve valable, mais n'a que valeur d'allégué de partie (arrêt du Tribunal fédéral 4A_309/2017 du 26 mars 2018 consid. 2.3.6).

Lorsque le tribunal envisage de ne pas se borner à poser au témoin des questions relatives à ce qu'il a perçu par ses sens comme tout un chacun, mais au contraire de lui demander d'émettre un avis sur des points relevant de son savoir particulier, il doit préalablement en aviser les parties, afin que celles-ci puissent exercer leur droit de récusation (art. 183 CPC par analogie). Le témoin-expert doit être rendu attentif à ses droits et devoirs, qui vont plus loin que ceux d'un témoin (Schweizer, op. cit., n. 4 ad art. 175 CPC; Vouilloz, op. cit., n. 4 ad art. 175 CPC; Rüetschi, op. cit., n. 4 ad art. 175 CPC ; contra Weibel / Walz, op. cit., n. 5 ad art. 175 CPC). Ces derniers auteurs recommandent pourtant que les parties soient informées de l'intention du tribunal d'entendre un témoin en tant que témoin-expert, ce afin qu'elles puissent utilement préparer l'audience et contrer des conclusions erronées qui pourraient être tirées par le témoin-expert (Weibel / Walz, op. cit., n. 9 ad art. 175 CPC). En tout état, le témoin peut se muer en témoin-expert au cours de l'audience, selon l'appréciation du Tribunal et en fonction des questions que celui-ci lui pose (Müller, op. cit., n. 8 ad art. 175 CPC).

Selon la jurisprudence, étant donné que le témoin-expert dépose sur ses propres constatations, qu'il n'a pu faire qu'en raison de ses compétences particulières, la partie qui en requiert l'audition doit exposer quels faits sont connus du témoin-expert et qu'elle entend démontrer par ce moyen. Sinon, le tribunal ne peut pas apprécier l'utilité de ce témoignage. La possibilité que le témoin fasse des déclarations pertinentes est, à cet égard, insuffisante (arrêt du Tribunal fédéral 4A_309/2017 du 26 mars 2018 consid. 2.3.3).

La doctrine est divisée sur la question de savoir si les parties ont un droit de récusation à l'encontre des témoins-experts, l'art. 183 al. 2 CPC étant applicable par analogie à ce titre (Vouilloz, op. cit., n. 4 ad art. 175 CC ; Schweizer, op. cit., n. 4 ad art. 175 CC; Reinert, op. cit., n. 4 ad art. 175 CPC, pour qui le témoin peut déposer sur les faits dont il a eu connaissance, mais non formuler une appréciation technique; contra Weibel / Walz, op. cit., n. 6 ad art. 175 CPC; Müller, op. cit., n. 5 ad art. 175 CPC; Rüetschi, op. cit., n. 5 ad art. 175 CPC). Selon ce dernier auteur, lorsque le témoin-expert donne des informations qui ne convainquent pas le juge, notamment en raison d'une apparence de partialité, il s'agit alors de nommer un expert judiciaire pour résoudre la question (Rüetschi, op. cit., n. 6 ad art. 175 CPC). Même plus, il faudrait renoncer à citer un témoin-expert qui donne une apparence de partialité pour lui préférer l'expertise judiciaire (Weibel / Walz, op. cit., n. 8 ad art. 175 CPC, ces auteurs excluant pourtant l'application des règles sur la récusation cf. supra; idem et même remarque chez Müller, op. cit., n. 10 ad art. 175 CPC). Müller estime aussi, se référant à l'ATF 94 I 417 susévoqué, que le juge doit renoncer à entendre le témoin-expert donnant une apparence de partialité (op. cit., n. 12 ad art. 175 CPC).

2.1.2 Le recours est recevable contre les ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 1 et 2 CPC). Le délai pour interjeter recours est de dix jours pour les ordonnances d'instruction, à moins que la loi n'en dispose autrement (art. 321 al. 2 CPC).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, Commentaire Romand - CPC, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 319 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats. Elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps (Jeandin, op. cit., n. 14 ad art. 319 CPC).

2.1.3 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1458/2022 du 3 novembre 2022 consid. 2.1).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC). En principe, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC).

Selon la jurisprudence, la décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause en principe pas de préjudice difficilement réparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_58/2021 du 8 décembre 2021 consid. 1.2; 4A_248/2014 du 27 juin 2014; 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2; 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.1.4 Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable au sens de l'art. 29 Cst., le droit d'être entendu garantit au justiciable le droit d'être informé et de s'exprimer sur les éléments pertinents du litige avant qu'une décision touchant sa situation juridique ne soit prise, d'avoir accès au dossier, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, dans la mesure où il l'estime nécessaire, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 et les références). Le droit d'être entendu découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. comprend également pour le justiciable le droit d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influencer la décision (ATF 143 V 71 consid. 4.1; 142 II 218 consid. 2.3;
140 I 285 consid. 6.3.1 et les références).

2.2 En l'espèce, les recourants, sous l'angle du droit à la preuve, font grief au premier juge d'avoir admis l'audition des témoins-experts, alors que l'intimé n'avait pas requis leur audition selon les formes idoines et qu'ils ne revêtaient pas la qualité de témoin faute de connaissance directe des faits pertinents; ils se plaignent aussi de violation de leur droit d'être entendus. Ils demandent en outre la récusation desdits témoins-experts, qu'ils ont par ailleurs sollicitée dans une procédure spécifique parallèle.

L'ordonnance entreprise constitue une ordonnance d'instruction contre laquelle un recours n'est ouvert que si un préjudice difficilement réparable peut être causé. Au sujet de ce dernier point, la recourante invoque une perte de temps importante et des coûts liés à l'utilisation d'un interprète pour l'audition de deux témoins-experts anglophones, ainsi que pour l'indemnisation des témoins. S'agissant plus précisément de l'expertise qu'elle a requise, le Tribunal ne pouvait pas, selon elle, se contenter de l'audition des témoins-experts pour suppléer à dite expertise. Le recourant soutient lui aussi que la procédure se trouverait ralentie par l'audition des témoins-experts. Selon lui, le juge serait influencé par des personnes qui ne sont pas des experts judiciaires au sens strict et voudrait éviter une expertise en bonne et due forme. Les parties invoquent encore une série de circonstances faisant, selon elles, douter de l'impartialité des témoins-experts.

L'intimé a offert en preuve de certains de ses allégués l'audition de témoins, au nombre desquels les "témoins-experts". Lors de l'audience des débats d'instruction, la qualification de "témoin-expert" a été appliquée pour la première fois, le Tribunal donnant l'occasion aux parties de s'exprimer à ce sujet. Les deux recourants n'ont à cette occasion pas formellement demandé la récusation des intéressés, mais soulevé plusieurs éléments qui, selon eux, mettaient en cause leur impartialité.

Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal a rejeté l'éventualité d'une récusation, considérant les faits à la base de celle-ci comme ni démontrés, ni suffisamment rendus vraisemblables et a ordonné l'audition des "témoins-experts" (en qualité de témoins), réservant expressément le sort d'une expertise après s'être "forgé une opinion" en fonction des auditions des "témoins-experts". L'ordonnance entreprise ne comporte pas de précision sur les allégués au sujet desquels les "témoins-experts" seraient entendus, ni ne mentionne des faits que ceux-ci auraient pu constater personnellement, ce qui est pourtant nécessaire s'agissant de témoins.

La question de savoir si le premier juge était compétent pour statuer sur la récusation (cf. à ce sujet l'ATF 147 III 582 consid. 4.3, ainsi que l'art. 13 al. 2 LaCC) peut rester ouverte, car l'ordonnance entreprise entretient une confusion entre les qualités de témoin, de "témoin-expert" et d'expert.

En premier lieu, il n'apparaît pas évident à la lecture de l'ordonnance entreprise et des griefs formulés par les recourants que les témoins-experts, ou une partie d'entre eux, auraient réellement une connaissance directe des faits pertinents de la cause, condition sine qua non à leur audition en qualité de témoin. Il ne peut donc être affirmé à ce stade qu'ils revêtent la qualité de témoin.

En deuxième lieu, les conditions plus générales à une audition de "témoins-experts" ne paraissent pas réunies : la cause n'est pas simple et aucune exigence liée au principe de célérité n'existe. D'ailleurs, motivant son ordonnance sous l'angle du "témoin-expert", le Tribunal les a désignés comme témoins. De même qu'il est impossible à ce stade de déterminer les faits dont les "témoins-experts" auraient eu connaissance, il est impossible de circonscrire quelles questions techniques leurs seraient posées.

En troisième lieu, l'ordonnance entreprise ne distingue pas clairement les qualités respectives du "témoin-expert" et de l'expert : le juge peut, certes, selon certains auteurs cités ci-dessus choisir d'entendre à la fois un témoin-expert et un expert dans la même procédure, mais les formes et les exigences légales et jurisprudentielles relatives à l'administration de ces deux moyens de preuves divergent. En effet, il est de jurisprudence exclu que le "témoin-expert" soit entendu sur les questions réservées à l'expert judiciaire. De même, il est aussi de jurisprudence que l'audition du "témoin-expert" qui a fonctionné comme expert privé pour l'une des parties n'est pas un moyen de preuve valable. Or, ici, faute d'avoir désigné précisément sur quoi les "témoins-experts" seraient entendus que ce soit factuellement ou en relation avec leurs connaissances techniques particulières, le Tribunal n'a pas tranché la question de façon appropriée. Il a même laissé entendre que l'objet d'une expertise future serait fonction des auditions des "témoins-experts" et donc qu'il entendrait résoudre des questions d'expert par leur audition. Ainsi, l'influence potentielle des "témoins-experts" sur l'appréciation du Tribunal pourrait excéder leur rôle, étant encore rappelé qu'il serait abusif d'entendre des "témoins-experts" pour éviter les contraintes procédurales liées à la mise en œuvre d'une expertise judiciaire.

Il s'ensuit que l'ordonnance entreprise devra être complétée pour permettre aux parties et à la Cour cas échéant d'en apprécier la portée, notamment eu égard au préjudice difficilement réparable qui pourrait être causé aux parties par l'audition des "témoins-experts" ès qualités, plus particulièrement s'ils étaient amenés à déposer sur des faits dont ils n'ont pas de connaissance directe et / ou qui appartiennent à la sphère de l'expertise judiciaire. Insuffisamment motivée, l'ordonnance entreprise ne correspond ainsi pas aux réquisits minimaux posés par le droit d'être entendu.

Une ordonnance comportant expressément la mention des allégués à propos desquels l'offre de preuve par témoins-experts serait admise permettra ainsi de déterminer, éventuellement, que le Tribunal ne souhaite les entendre que sur les faits de la cause, dont ils ont pu potentiellement avoir connaissance en raison de leurs connaissances particulières, sans les laisser formuler une appréciation technique de ces faits et tirer des conclusions, assimilables à l'activité d'un expert judiciaire indépendant. A la lumière de ce qui précède, le Tribunal pourrait examiner la question d'une expertise judiciaire ordonnée en premier lieu et non réservée à un stade ultérieur. Cette issue aurait pour conséquence de laisser sans suite une éventuelle récusation des "témoins-experts". Ainsi, la question de la récusation ne peut pas être tranchée à ce stade.

Les chiffres 2, en ce qu'il ordonne l'audition des "témoins-experts" et réserve une expertise, et 14 du dispositif de l'ordonnance attaquée seront donc annulés.

3. 3.1
3.1.1
Le recours est ouvert contre les décisions relatives aux avances de frais (art. 103 CPC) qui constituent des ordonnances d'instruction au sens de l'art. 319 let. b ch. 1 CPC (Tappy, Commentaire romand - CPC, 2ème éd. 2019, n. 4 ad art. 103 CPC).

Même si le recours extraordinaire de l'art. 319 CPC déploie avant tout un effet cassatoire, le recourant ne peut se limiter à conclure à l'annulation de la décision attaquée; il devra prendre des conclusions au fond sous peine d'irrecevabilité du recours, de façon à permettre à l'autorité supérieure de statuer à nouveau dans le cas où les conditions de l'art. 327 al. 3 let. b CPC sont réunies (Jeandin, op. cit., n. 5 ad art. 321 CPC et la référence citée). Les conclusions réformatoires doivent en outre être déterminées et précises, c'est-à-dire indiquer exactement quelles modifications sont demandées. En principe, ces conclusions doivent être libellées de telle manière que l'autorité de recours puisse, s'il y a lieu, les incorporer sans modification au dispositif de sa propre décision (cf. ATF 137 III 617 consid. 4.2 et 4.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_587/2012 du 9 janvier 2013 consid. 2).

Par ailleurs, sous peine d'irrecevabilité, la personne qui attaque une décision doit disposer d'un intérêt digne de protection à recourir (art. 59 al. 2 let. a CPC; ATF 130 III 102 consid. 1.3; ATF 127 III 429 consid. 1b). Cet intérêt dépend du dispositif de la décision attaquée: seule la personne qui est encore lésée par celui-ci au moment du prononcé de la décision sur recours et qui en demande la modification est au bénéfice d'un tel intérêt (ATF 137 II 40 consid. 2.1; 136 II 101 consid. 1.1).

Le régime de l'art. 326 al. 1 CPC doit être calqué sur celui de l'art. 99 al. 1 LTF, afin d'empêcher que la présentation des faits et preuves nouveaux soit soumise à une réglementation plus rigoureuse devant l'autorité cantonale que devant le Tribunal fédéral (ATF 139 III 466 consid. 3.4). Or, le Tribunal fédéral peut tenir compte d'éléments nouveaux qui rendent sans objet le recours (ATF 137 III 614 consid. 3.2.1); ce principe vaut également en instance de recours cantonale (ATF 145 III 422 consid. 5.2).

Ainsi, est irrecevable le recours de la partie qui s'oppose à une décision d'avance de frais la concernant, puis la paie, ce sans actualiser ses conclusions pour en obtenir la restitution (ACJC/464/2015 du 24 avril 2015 consid. 3.3).

3.1.2 Selon un principe général de procédure, les conclusions en constatation de droit ne sont recevables que lorsque des conclusions condamnatoires ou formatrices sont exclues; sauf situations particulières, les conclusions constatatoires ont donc un caractère subsidiaire (ATF 141 II 113 consid. 1.7; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1060/2016 du 13 juin 2017 consid. 1.2).

3.2 En l'espèce, le recourant a recouru contre la décision du Tribunal lui intimant de verser 8'000 fr. à titre de frais judiciaires de première instance. Le Tribunal n'a pas motivé sa décision. Les conclusions du recourant sur ce point sont libellées comme suit : "Annuler l'ordonnance de preuve [ ] en tant qu'elle met à charge de M. B______ une avance de frais s'élevant à CHF 8'000.- [ ]. Dire et juger que M. B______ ne doit pas à titre d'avance de frais la somme de CHF 8'000.-". Le recourant a motivé son recours sur ce point par un grief de violation du droit d'être entendu, plus précisément par l'absence de motivation. En outre, le recourant a demandé l'octroi de l'effet suspensif qui lui a été refusé, dès lors qu'il ne subissait pas de dommage difficilement réparable, puisque le paiement de l'avance ne le plaçait pas dans une situation financière difficile et que l'avance versée à tort ou en trop lui serait, cas échéant, restituée, s'il devait obtenir gain de cause sur le fond de son recours.

Après avoir payé l'avance de frais dans le délai prescrit par le Tribunal, le recourant n'a cependant pas adapté ses conclusions pour demander la restitution de l'avance payée, lesquelles ne répondent plus à un intérêt juridiquement protégé.

En effet, à ce stade, constater, conformément aux conclusions formulées, que le recourant ne doit pas payer d'avance de frais est devenu inutile, puisque l'avance concernée a été payée. Le recourant s'est ainsi limité à prendre une conclusion constatatoire, alors qu'il aurait pu prendre une conclusion condamnatoire en remboursement de l'avance de frais. Ne le faisant pas, ses conclusions ne se conforment pas aux réquisits procéduraux qui imposent qu'elles puissent être reprises telles quelles dans le dispositif du présent arrêt.

Il s'ensuit que, faute d'intérêt actuel, le recours est irrecevable aussi en ce qui concerne la question de l'avance de frais.

4. Ainsi, les deux recours sont partiellement admis, dans la mesure de la recevabilité du recours du recourant et la décision attaquée annulée.

Au vu de l'issue du recours qui conduira à ce que le Tribunal rende nouvelle décision sur l'audition des "témoins-experts", il n'est pas nécessaire d'examiner plus avant la conclusion préalable en suspension de la procédure de recours jusqu'à droit jugé sur les procédures de récusation. Celles-ci ne conserveraient éventuellement de pertinence qu'en cas d'admission des auditions des "témoins-experts" ès qualités - pour peu que la récusation soit possible à leur encontre, ce qui n'a pas à être tranché ici - ou si l'un d'eux est désigné comme expert, ce qui n'est pas le cas à ce stade.

5. Les frais judiciaires de chacun des recours seront arrêtés à 1'200 fr. (art. 96 CPC; art. 41 RTFMC), y compris les frais relatifs aux arrêts sur effet suspensif. Etant donné qu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais judiciaires de chacun des recours seront mis à moitié à charge de leur auteur respectif et de l'intimé. Ainsi, la recourante supportera 600 fr. de frais judiciaires de recours, de même que le recourant. Etant donné que l'intimé plaide au bénéfice de l'assistance judiciaire, les avances de frais versées par les recourants leur seront restituées à concurrence de 600 fr. chacun (art. 122 al. 1 let. c CPC), les frais judiciaires mis à la charge de l'intimé seront provisoirement supportés par l'Etat de Genève (art. 122 al. 1 let. b CPC).

Compte tenu de l'issue du litige, l'intimé sera, après compensation des dépens, condamné à payer à chacun des recourants 1'000 fr., débours compris, à titre de dépens de recours (art. 106 al. 2 CPC; art. 20, 23 al. 1, 25 et 26 LaCC; art. 85, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevables les recours interjetés par A______ (SUISSE) SA et par B______ le 31 octobre 2022 contre l'ordonnance de preuve n° ORTPI/1138/2022 rendue le 19 octobre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/27445/2019, en tant qu'ils sont dirigés contre les chiffres 2 et 14 de son dispositif, le recours de B______ étant irrecevable pour le surplus.


Au fond
:

Annule les chiffres 2, en tant qu'il concerne E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______, N______, O______, P______ et Q______, et 14 du dispositif de l'ordonnance entreprise.

Déboute les parties de toutes autres conclusions de recours.


Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours de A______ (SUISSE) SA à 1'200 fr., les met à la charge de celle-ci et de C______ par moitié chacun et compense les frais à la charge de A______ (SUISSE) SA à raison de 600 fr. avec l'avance qu'elle a versée.

Arrête les frais judiciaires du recours de B______ à 1'200 fr., les met à la charge de celui-ci et de C______ par moitié chacun et compense les frais à la charge de B______ à raison de 600 fr. avec l'avance qu'il a versée.

Dit que les frais judiciaires à la charge de C______ sont provisoirement supportés par l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 600 fr. à A______ (SUISSE) SA.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 600 fr. à B______.


 

Condamne C______ à verser 1'000 fr. à A______ (SUISSE) SA à titre de dépens du recours.

Condamne C______ à verser à B______ 1'000 fr. à titre de dépens du recours.

 

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, aux conditions de l'art. 93 al. 1 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.