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ACJC/1119/2025 du 21.08.2025 sur OTPI/214/2025 ( SCC ) , IRRECEVABLE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/30386/2024 ACJC/1119/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU JEUDI 21 AOÛT 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______, appelant d'une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 25 mars 2025, représenté par
Me Saskia DITISHEIM, avocate, rue Pierre-Fatio 8, 1204 Genève,
et
COMMUNE DE B______, sise ______, intimée, représentée par
Me Stéphane GRODECKI, avocat, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4.
A. Par ordonnance OTPI/214/2025 du 25 mars 2025, expédiée pour notification aux parties le 1er avril 2025, le Tribunal de première instance a rejeté la requête formée par A______, C______ et D______ (ch. 1), révoqué l'ordonnance qu'il avait rendue à titre superprovisionnel le 26 décembre 2024 (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 1'200 fr., compensés avec l'avance opérée, mis à la charge des précités, condamnés en outre à verser à la COMMUNE DE B______ 2'000 fr. à titre de dépens (ch. 3 et 4) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 5).
Il s'est déclaré compétent pour connaître de la constatation d'une atteinte illicite à la personnalité quand bien même les parties étaient liées par un rapport de droit public, a considéré que l'intérêt des citoyens à être informés des problèmes liés à la sécurité publique de la commune et à avoir accès aux rapports l'emportait sur l'intérêt privé des personnes mises en cause dans le rapport, qu'en tout état, avant même la publication du communiqué et des rapports intervenue en décembre 2024, plusieurs articles de presse avaient fait mention de la fonction des intéressés visés par les décisions de suspension de sorte que le public avait les moyens de les identifier, que les intéressés avaient eux-mêmes alimenté le débat par voie de presse et l'avaient porté sur la place publique, de sorte que la requête devait être rejetée.
B. Par acte du 23 avril 2025 à la Cour de justice, A______ a formé appel contre cette ordonnance. Il a conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait à ce que soit ordonné à la COMMUNE DE B______ de supprimer de son site internet les "Rapport E______", "Rapport final de l'audit organisationnel", "Rapport du commandant ad interim" et de modifier le document "Information du 1______ 2024 concernant le service du feu" accessible sur son site internet, en précisant "que les décisions étaient sujettes à recours, et d'enlever la mention "annexes : rapports mentionnés", sous suite de frais et dépens.
A titre préalable, il a requis la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance du Tribunal.
Dans sa réponse sur ce dernier point, la COMMUNE DE B______, qui a conclu au rejet de la requête, a repris ses allégués de première instance.
Par arrêt du 14 mai 2025, la Cour a déclaré sans objet la conclusion sur suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance attaquée que comportait l'appel.
La COMMUNE DE B______ a conclu à l'irrecevabilité de l'appel, subsidiairement à son rejet, sous suite de frais et dépens.
Elle a notamment fait valoir que les documents visés par les conclusions de l'appel n'étaient plus accessibles sur son site internet, depuis qu'elle s'était conformée à l'ordonnance rendue par le Tribunal à titre superprovisionnel. Elle n'avait pas remis ceux-ci en ligne après la décision attaquée.
A______ a déposé des déterminations, persistant dans ses conclusions. Il n'a pas contesté l'affirmation de la COMMUNE DE B______ selon laquelle les documents visés par ses conclusions n'étaient plus accessibles sur le site internet de la précitée. Il a pris position sur les allégués présentés par la COMMUNE DE B______ dans sa réponse à la requête d'effet suspensif (et déjà exposés en première instance), dont le n° 18 portant sur le fait qu'il s'était exprimé "ouvertement dans les médias", qu'il a admis en ajoutant n'avoir pas eu d'autre choix que de s'exprimer dans les médias "après les attaques subies" (alors qu'en première instance, il avait contesté l'allégué).
Par avis du 17 juin 2025, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
C. Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants :
a. La COMMUNE DE B______ est dotée d'une compagnie de sapeurs-pompiers volontaires (Cp. J______).
Selon l'organigramme 2024, les officiers en étaient le capitaine A______, commandant, ainsi que les premier-lieutenant C______ et lieutenant H______, tandis que les sous-officiers supérieurs en étaient le sergent-major D______ et le fourrier I______.
b. Par décision du 24 juin 2024, la COMMUNE DE B______ a, à titre provisionnel, notamment ordonné la suspension immédiate de A______, C______ et D______, leur a fait interdiction de porter l'uniforme et les a informés de ce qu'une communication serait faite "à la Compagnie et aux autorités partenaires selon le communiqué joint". Elle a précisé que sa décision était exécutoire nonobstant recours et que la suspension serait valable pour "la durée des investigations et jusqu'à prise de décision finale sur le fond, mais au maximum 12 mois".
Dans le corps de sa décision, elle s'est notamment référée à "une investigation comptable des dépenses et des activités de la compagnie dont les précités [avaient] la charge", à laquelle elle avait fait procéder.
c. Le 27 juin 2024, elle a publié sur son site internet un communiqué intitulé "Organisation du corps de sapeurs-pompiers J______", faisant mention de la suspension de "plusieurs membres de l'état-major de la compagnie J______", sans autre précision, et de ce que le commandement ad interim de la compagnie était confié au lieutenant H______ pour douze mois.
d. Les 1er, 2 et 3 juillet 2024, des articles sont parus dans la presse (K______, L______, M______) évoquant les décisions de la COMMUNE DE B______ et relatant l'avis de "plusieurs sapeurs-pompiers".
Le 22 août 2024, un article est paru dans la K______, annonçant notamment la "levée de la sanction d'un pompier haut gradé".
A______ allègue ne pas avoir contacté la presse.
e. Saisie par A______, C______ et D______ de recours dirigés contre la décision du 24 juin 2024, la Chambre administrative de la Cour de justice a restitué l'effet suspensif à ces recours les 12 et 27 août ainsi que 25 septembre 2024.
f. Les 17 septembre et 9 octobre 2024, la COMMUNE DE B______ a transmis à A______, C______ et D______ les rapports qu'elle avait fait établir, soit une analyse financière, un "audit opérationnel" et un rapport du commandant ad intérim.
g. Par décisions du 24 septembre 2024, elle a réintégré C______ et D______.
Par décision du 4 octobre 2024, elle a réintégré A______, selon des conditions posées le 9 octobre 2024. Selon A______, ces conditions rendaient sa réintégration illusoire et ineffective.
h. Par décisions du 19 décembre 2024, la COMMUNE DE B______ a levé la suspension provisoire de A______, C______ et D______, et prononcé l'exclusion des deux premiers, tandis qu'elle a infligé un blâme au troisième.
i. Le 1______ 2024, elle a publié sur son site internet un communiqué intitulé "Information concernant le service du feu de la commune de B______", rédigé en ces termes : "Trois rapports ont mis en lumière un certain nombre de dysfonctionnements et faiblesses organisationnelles, administratives et financières au sein de la Compagnie J______ des sapeurs-pompiers volontaires. Donnant suite à ces constats, l'Exécutif communal a examiné avec le plus grand soin les éléments ressortant du droit de réponse des cinq personnes concernées.
Après prise en considération de l'ensemble des faits, le Conseil administratif a décidé d'exclure deux membres de l'Etat-major, d'en blâmer deux autres, et de prononcer un avertissement à l'encontre du dernier. […] Annexes : rapports mentionnés".
Les rapports susvisés ont été publiés, dans une version anonymisée, en ce sens que les prénoms et noms des intéressés ont été caviardés, tandis que les fonctions de ceux-ci sont demeurées indiquées.
j. A une date indéterminée, A______ a fait suivre, par messages, à des correspondants (commandants des compagnies de sapeurs-pompiers de la région N______ et membres de l'état-major de la compagnie) un lien internet permettant l'accès aux rapports susmentionnés.
k. Le 26 décembre 2024, A______, C______ et D______ ont saisi le Tribunal d'une requête de mesures provisionnelles, par laquelle ils ont conclu à ce qu'il soit ordonné à la COMMUNE DE B______ de supprimer de son site internet les trois rapports susmentionnés, ainsi que du communiqué du 1______ 2024 la référence "annexes : rapports mentionnés" en y faisant en revanche figurer la mention que les décisions étaient sujettes à recours, sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP, avec suite de frais et dépens.
Ils se sont prévalus d'une atteinte à leur personnalité.
Ils ont pris les mêmes conclusions à titre superprovisionnel.
Par ordonnance du 26 décembre 2024, le Tribunal a fait droit à celles-ci, sous réserve de la dernière de ces conclusions.
La COMMUNE DE B______ a conclu, à la forme, à l'irrecevabilité de la requête, et au fond au rejet de celle-ci, sous suite de frais et dépens.
Elle a notamment observé qu'elle s'était conformée à la décision rendue le 26 décembre 2024 par le Tribunal.
Les parties se sont encore déterminées, persistant dans leurs conclusions respectives. A______ a notamment produit le recours qu'il avait formé le3 février 2025 à la Chambre administrative contre la décision du 19 décembre 2024 de la COMMUNE DE B______ prononçant son exclusion (dans lequel il conteste les griefs fondés sur les rapports susmentionnés).
A l'audience du Tribunal du 17 février 2025, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions. Sur quoi, le Tribunal a imparti un délai à la COMMUNE DE B______ pour de brèves déterminations sur allégués complémentaires et annoncé qu'à réception de celles-ci, il garderait la cause à juger.
1. 1.1 Les décisions de première instance rendues sur mesures provisionnelles dans une procédure en protection de la personnalité, soit dans une affaire de nature non pécuniaire (ATF 127 III 481 consid. 1a; arrêt du Tribunal fédéral 5A_268/2022 du 18 mai 2022 consid. 1), sont susceptibles de faire l'objet d'un appel écrit et motivé auprès de la Cour de justice dans un délai de 10 jours à compter de leur notification (art. 308, 311 al. 1 et 314 al. 1 CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ).
En l'espèce, l'appel a été interjeté auprès de l'autorité compétente, dans la forme prescrite par la loi et dans le délai utile de 10 jours. Il est ainsi recevable à cet égard.
1.2 Le Tribunal n'entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action, dont celle que le demandeur ou le requérant ait un intérêt digne de protection (art. 59 al. 1 et 2 let. a CPC).
Selon la jurisprudence, le droit à la protection judiciaire étatique présuppose en principe que l'intéressé soit lésé formellement et matériellement. Le justiciable est formellement lésé lorsque, en tant que partie, il n'a pas obtenu ce à quoi il avait conclu. Il est matériellement lésé lorsque la décision attaquée l'atteint dans sa situation juridique, lui est désavantageuse dans ses effets juridiques et que, partant, il a intérêt à sa modification (arrêt du Tribunal fédéral 4A_470/2023 du 18 novembre 2021 consid. 4.2).
1.3 En l'occurrence, il n'est pas contesté que l'intimée a retiré les documents visés par les conclusions de l'appelant, à la suite de la décision rendue par le premier juge à titre superprovisionnel, et que ceux-ci ne sont ainsi pas accessibles sur le site internet de la précitée.
Dans ces conditions, l'appel a perdu son objet; l'atteinte à sa personnalité soutenue par l'appelant ne serait, en tout état et à supposer qu'elle ait été réalisée, plus actuelle. Il n'y aurait aucun sens à donner droit aux conclusions de l'appelant, qui tendent à ce que soient supprimés, respectivement modifiés, les documents visés, puisque pareille suppression (englobant la modification requise) a été effectuée; l'appelant ne se trouve donc pas lésé dans sa situation juridique du fait de la décision attaquée, quel que soit le bien-fondé de sa thèse. Les conjectures de l'appelant, selon lesquelles l'intimée s'empresserait de remettre en ligne les documents visés et préviendrait la presse, une fois le présent arrêt rendu, ne se fondent sur aucun élément actuel et concret.
Il s'ensuit que l'appel n'est pas recevable.
2. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de son appel (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 800 fr. (art. 31, 37 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
Il versera en outre à l'intimée 1'000 fr. à titre de dépens d'appel (art. 84, 85, 88, 90 RTFMC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :
Déclare irrecevable l'appel formé le 23 mars 2025 par A______ contre l'ordonnance OTPI/214/2025 rendue le 25 mars 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/30386/2024 - SP.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires d'appel à 800 fr. compensés avec l'avance opérée, acquise à l'ETAT DE GENEVE.
Les met à la charge de A______.
Condamne A______ à verser à la COMMUNE DE B______ 1'000 fr. à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
La présidente : Pauline ERARD |
| La greffière : Marie-Pierre GROSJEAN |
Indication des voies de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.