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Décisions | Sommaires

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C/21333/2024

ACJC/701/2025 du 27.05.2025 sur JTPI/333/2025 ( SML ) , RENVOYE

Normes : LP.82
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21333/2024 ACJC/701/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 27 MAI 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 10 janvier 2025, représentée par Me Laurent ISENEGGER, avocat, Meyer Legal, rue Général Dufour 22, 1204 Genève,

et

B______ SARL, sise c/o C______ SA, ______ [GE], intimée, représentée par Me Olivier  BRUNISHOLZ, avocat, B&B Avocats, cours des Bastions 5, 1205 Genève.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/333/2025 du 10 janvier 2025, reçu par A______ SA le 17 janvier 2025, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée par cette dernière au commandement de payer, poursuite n° 1______ (ch. 1 du dispositif), l'a condamnée à verser 400 fr. à B______ SARL au titre des frais judiciaires (ch. 2 et 3) et 1'200 fr. au titre des dépens (ch. 4).

B. a. Le 27 janvier 2025, A______ SA a formé recours contre ce jugement, concluant principalement à ce que la Cour de justice l'annule et déboute sa partie adverse de toutes ses conclusions, avec suite de frais et dépens.

b. Le 10 février 202, B______ SARL a conclu à la confirmation du jugement querellé, avec suite de frais et dépens.

c. Les parties ont déposé des déterminations spontanées dans les délais légaux, persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées le 23 avril 2025 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. B______ SARL a comme but social diverses activités de conseil fiscal et comptable. Son associé gérant est D______.

A______ SA a comme but social des activités dans le domaine de l'analyse financière, notamment les technologies de l'information. Son administrateur président est E______.

b. Le 2 octobre 2013, D______, en tant que prêteur d'une part, et A______ SA, en tant qu'emprunteur d'autre part, ont signé un contrat intitulé "Convertible Loan Agreement" prévoyant que le prêteur s'engageait à prêter 30'000 fr. à l'emprunteur (art. 3). Ce prêt constituait un investissement visant à permettre à A______ SA de développer ses activités (art. 2).

Le prêt venait à échéance le 31 mars 2021 (art. 5) et un intérêt annuel de 2%, majoré de "l'inflation officielle", était dû (art. 6).

Le prêteur avait le droit de convertir tout ou partie du prêt en actions de l'emprunteur (art. 7).

c. Le 22 septembre 2021, D______ a requis de A______ SA le remboursement du montant du prêt, majoré des intérêts, qui n'avaient pas été payés, en 33'400 fr. au total. Il priait cette dernière de lui verser ce montant sur son compte bancaire.

d. Le 2 décembre 2022, D______ a réitéré sa requête, soulignant qu'un montant supplémentaire de 4'610 fr. était dû au titre des intérêts.

e. Le 7 août 2023, B______ SARL, par l'intermédiaire de son avocat, a mis en demeure A______ SA de lui verser le montant de 43'010 fr. au 21 août 2023.

f. Le 28 novembre 2023, B______ SARL a fait notifier à A______ SA un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur 33'400 fr. avec intérêt à 2% dès le 21 novembre 2023 au titre de remboursement du prêt consenti par contrat du 2 octobre 2013 (poste n° 1) et 6'869 fr. 27 au titre des intérêts échus au 21 novembre 2023 (poste n° 2).

Opposition a été formée à ce commandement de payer.

g. Le 16 septembre 2024, B______ SARL a requis du Tribunal le prononcé de la mainlevée provisoire de cette opposition, faisant valoir que le contrat du 2 octobre 2013 constituait un titre de mainlevée provisoire.

h. Par écriture du 27 novembre 2024, A______ SA a fait savoir au Tribunal qu'elle s'opposait à cette requête au motif que le prêt avait été concédé par D______ et non par B______ SARL, de sorte que le contrat du 2 octobre 2013 ne valait pas titre de mainlevée en faveur de cette dernière.

i. Lors de l'audience du Tribunal du 29 novembre 2024, B______ SARL a requis un délai pour se déterminer sur cette écriture.

Le Tribunal lui a imparti un délai au 15 décembre 2024 pour ce faire.

j. Le 13 décembre 2024, B______ SARL a déposé une écriture, persistant dans ses conclusions. Elle n'a pas contesté que D______ était bien mentionné comme prêteur à teneur du contrat litigieux, mais a fait valoir que les sommes prêtées correspondaient "à une créance d'honoraires détenue par" elle-même. Elle a déposé des pièces nouvelles.

k. Cette écriture et les pièces produites ont été adressées par le Tribunal à A______ SA le 19 décembre 2024 par courrier recommandé
n° 2______. Cet envoi, qui se trouve au dossier soumis à la Cour, est revenu en retour par voie postale au Tribunal le 24 décembre 2024, avec la mention "le destinataire est introuvable à l'adresse indiquée".

Figure également au dossier un document de suivi des envois de la poste, indiquant que l'envoi portant le numéro susmentionné a été distribué le
24 décembre 2024 à 9h10 à une personne nommée "F______".

l. La cause a été gardée à juger par le Tribunal à une date qui ne résulte pas du dossier.

EN DROIT

1.             1.1 En matière de mainlevée d'opposition, seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. b ch. 3 CPC).

Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, pour les décisions prises en procédure sommaire (art. 251 let. a CPC).

1.2 Interjeté dans le délai et selon la forme prévus par la loi, le recours est recevable.

1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par le recourant (Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., Berne, 2010, n° 2307).

Le recours est instruit en procédure sommaire (art. 251 let. a CPC), la preuve des faits allégués devant être apportée par titres (art. 254 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 let. a a contrario et art. 58 al. 1 CPC).

2. Le Tribunal, qui n'a pas rédigé d'état de fait, a considéré que les pièces produites valaient reconnaissance de dette et que la recourante n'avait fait valoir aucun moyen libératoire susceptible de faire échec au prononcé de la mainlevée. Il n'a pas examiné l'argument soulevé par la recourante selon lequel l'intimée n'est pas créancière du prêt litigieux puisque le contrat ne la désigne pas en tant que prêteur, mais mentionne D______ en cette qualité.

Celle-ci fait valoir que le Tribunal a violé son droit d'être entendue car elle n'a jamais reçu les déterminations déposées le 13 décembre 2024 par sa partie adverse. Elle n'avait eu connaissance de l'existence et du contenu de celles-ci qu'en venant consulter le dossier, après la notification du jugement querellé. De plus, le Tribunal n'avait pas traité l'argument qu'elle avait soulevé, ce qui constituait une violation supplémentaire de son droit d'être entendue.

2.1.1 Aux termes de l'art. 82 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire (al. 1). Le juge la prononce si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération (al. 2).

Constitue une reconnaissance de dette au sens de cette disposition, en particulier, l'acte sous seing-privé, signé par le poursuivi ou son représentant, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable et exigible (ATF 148 III 145 consid. 4.1.1; 145 III 20 consid. 4.1.1.1; ATF 139 III 297 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_688/2022 du 23 novembre 2022 consid. 4.1.1). Il peut s'agir soit d'une reconnaissance de dette formelle (art. 17 CO), soit d'un ensemble de pièces dans la mesure où il en ressort les éléments nécessaires (ATF 139 III 297 précité).

Pour que la reconnaissance de dette constitue un titre de mainlevée provisoire, les trois identités suivantes doivent être réunies : identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans ce titre, identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et identité entre la prétention déduite en poursuite et le titre présenté. Ces identités sont examinées d'office par le juge de la mainlevée. Seul le créancier destinataire de la reconnaissance de dette est légitimé à requérir la mainlevée (Veuillet/ Abbet, La mainlevée de l'opposition, 2022, n. 72 et 74 ad art. 82 LP).

La procédure de mainlevée n'a un caractère sommaire au sens propre qu'en ce qui concerne les moyens libératoires du débiteur. Par conséquent, s'agissant de l'existence du titre de mainlevée, l'application de la procédure sommaire n'implique pas en soi un abaissement du degré de la preuve à la simple vraisemblance. Le degré de preuve requis est donc, à cet égard, celui de la preuve stricte (arrêt du Tribunal fédéral 5A_740/2018 du 1er avril 2019 consid. 6.1.3).  

2.1.2 Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable, le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) comprend également le droit, pour une partie à un procès, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre. Il appartient en effet aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1; 139 I 189 consid. 3.2; 138 I 484 consid. 2.1; 137 I 195 consid. 2.3.1).

2.1.3 Le droit d'être entendu, en tant que droit personnel de participer à la procédure, exige par ailleurs que l’autorité écoute effectivement, puis examine soigneusement et sérieusement, et prenne en compte dans sa décision, les arguments de la personne dont la décision touche la position juridique. Il implique l'obligation, pour l'autorité, de motiver sa décisionafin que son destinataire puisse la comprendre et l'attaquer utilement s'il y a lieu. Le juge n'a en revanche pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties; il suffit qu'il mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2, JdT 2016 II 347; 129 I 232 consid. 3.2, JdT 2004 I 588, SJ 2003 I 513; arrêt du Tribunal fédéral 4A_523/2010 du 22 novembre 2010 consid. 5.3).

Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2015 du 20 octobre 2015 consid. 3.1).

2.1.4 Dans la mesure où l'instance précédente a violé des garanties formelles de procédure, la cassation de sa décision est la règle. En outre, les justiciables ont en principe le droit au respect du double degré de juridiction (ATF 137 I 195
consid. 2.7, SJ 2011 I 345).

Toutefois, une violation pas particulièrement grave du droit d’être entendu peut exceptionnellement être guérie si l’intéressé peut s’exprimer devant une instance de recours ayant libre pouvoir d’examen en fait comme en droit (ATF 137 I 195 consid. 2.2, 2.3.2 et 2.6, SJ 2011 I 345).

2.2 En l'espèce, l'examen du dossier révèle que la recourante n'a effectivement pas reçu l'envoi du Tribunal contenant les détermination et pièces déposées par l'intimée le 13 décembre 2024, puisque cet envoi a été renvoyé à son expéditeur le 24 décembre 2024 et figure toujours au dossier.

Le document de suivi des envois de la poste versé à la procédure, sur lequel apparaît la signature d'un certain "F______", est ainsi de toute évidence erroné.

Le droit d'être entendu de la recourante a ainsi été violé puisque celle-ci n'a pas eu la possibilité de se déterminer sur les déterminations et pièces déposées par sa partie adverse.

Le Tribunal a commis une seconde violation du droit d'être entendue de la recourante car il n'a pas examiné son argument selon lequel l'intimée n'est pas créancière du prêt litigieux puisque le contrat ne la désigne pas en tant que prêteur, mais mentionne D______ en cette qualité. Or cet argument est pertinent.

Ces violations ne peuvent pas être guéries dans le cadre du présent recours car la Cour de céans ne dispose pas d'un libre pouvoir d'appréciation en fait et en droit. A cela s'ajoute que les parties ont en principe le droit au respect du double degré de juridiction.

La décision litigieuse sera par conséquent annulée et le dossier retourné au Tribunal pour qu'il donne à la recourante l'occasion de s'exprimer sur l'écriture et les pièces déposées par l'intimée le 13 décembre 2024 et statue à nouveau en se prononçant sur tous les arguments invoqués par les parties.

3. L'intimée, qui succombe, sera condamnée aux frais du recours (art. 106 al. 1 CPC).

Les frais judiciaires seront arrêtés à 800 fr. (art. 48 et 61 al. 1 OELP), l'intimée étant condamnée à payer ce montant à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

L'avance de 800 fr. versée par la recourante lui sera restituée (art. 111 al. 1 CPC dans sa version modifiée au 1er janvier 2025, applicable en vertu de l'art. 405 al.1 CPC).

Les dépens dus à la recourante seront fixés à 1'500 fr., TVA et débours compris (art. 25 et 26 al. 1 LaCC; art. 85, 89 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 27 janvier 2025 par A______ SA contre le jugement JTPI/333/2025 rendu le 10 janvier 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/21333/2024.

Au fond :

Annule le jugement précité.

Renvoie la cause au Tribunal pour nouvelle décision au sens des considérants.

Sur les frais :

Condamne B______ SARL à verser à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, 800 fr. au titre des frais judiciaires de recours.

Invite les Services financiers précités à restituer à A______ SA l'avance de 800 fr. versée par celle-ci.

Condamne B______ SARL à verser à A______ SA 1'500 fr. au titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.