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Décisions | Sommaires

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C/15819/2022

ACJC/781/2024 du 13.06.2024 sur JTPI/15049/2023 ( SCC ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15819/2022 ACJC/781/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 13 JUIN 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______, Venezuela, appelante d'un jugement rendu par la 17ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 19 décembre 2023, représentée par Me Jean MARGUERAT, Me Hubert GILLIERON et
Me James REARDON, avocats, MLL Froriep SA, rue du Rhône 65, case postale 3199, 1211 Genève 3,

et

B______ SARL, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Daniel TUNIK, avocat, Lenz & Staehelin, route de Chêne 30, case postale 615, 1211 Genève 6.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/15049/2023 du 19 décembre 2023, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a rejeté la requête de preuve à futur [formée par A______ SA] (ch. 1 du dispositif), a arrêté les frais judiciaires à 800 fr., compensés avec l'avance de frais fournie, mis à la charge de la précitée (ch. 2), condamnée à verser à B______ SARL 10'000 fr. à titre de dépens (ch. 3) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

En substance, le Tribunal a retenu que dans la mesure où A______ SA entendait en tout état déposer une nouvelle requête de conciliation, sa demande de production de pièces par B______ SARL ne visait pas à lui permettre de clarifier les chances de succès d'une action. Par ailleurs, il ne pouvait être considéré que A______ SA disposait d'un intérêt digne de protection à obtenir la preuve à futur requise, dite procédure n'ayant pas vocation à se substituer à une procédure ordinaire. La précitée disposait des éléments nécessaires à quantifier le dommage allégué, une requête de conciliation ayant été introduite en octobre 2021. Pour le surplus, l'intéressée n'avait pas rendu vraisemblable l'existence d'un risque de disparition des documents et des données en mains de B______ SARL.

B. a. Par acte déposé le 2 décembre 2023 à la Cour de justice, A______ SA a formé appel de ce jugement, sollicitant son annulation. Elle a conclu à ce que la Cour fasse droit à sa requête de preuve à futur, sous suite de frais et dépens, et la dispense de fournir des sûretés. Elle a nouvellement conclu à ce que la Cour lui réserve le droit de modifier ses conclusions en fonction des pièces produites et des conclusions prises par son adverse partie.

Elle a produit de nouvelles pièces et formé de nouveaux allégués. Elle s'est pour le surplus référée "aux faits et aux pièces produites dans le cadre de la procédure de première instance".

A______ SA s'est plainte d'une constatation inexacte des faits et de l'application erronée de l'art. 158 CPC, en lien avec son intérêt digne de protection à obtenir les pièces requises, en vue d'évaluer les chances de succès d'une action au fond en dommages et intérêts. Elle a également reproché au Tribunal d'avoir mis les frais et dépens de la procédure à sa charge.

b. Dans sa réponse du 22 janvier 2024, B______ SARL a conclu à la confirmation du jugement entrepris, sous suite de frais et dépens. Dans le corps de son écriture, elle a conclu à l'irrecevabilité des faits et moyens de preuve nouveaux de A______ SA, ainsi que de sa conclusion nouvelle.

Elle a contesté l'intérêt digne de protection de A______ SA à obtenir les pièces sollicitées, a fait valoir que la précitée n'avait pas rendu vraisemblable l'existence d'une prétention matérielle concrète et a soutenu que la requête de preuve à futur constituait une requête exploratoire prohibée.

c. Par réplique spontanée du 2 février 2024, A______ SA a persisté dans ses conclusions et a conclu à la recevabilité des faits et moyens de preuve nouveaux. Elle a soutenu que sa requête ne constituait pas une fishing expedition et qu'elle avait rendu vraisemblable une prétention matérielle. Elle a également allégué sa volonté d'obtenir les documents et informations nécessaires comme base à des discussions avec B______ SARL.

d. Par duplique spontanée du 16 février 2024, B______ SARL a également persisté dans ses conclusions.

e. Les parties se sont encore déterminées les 26 février et 7 mars 2024.

f. Elles ont été avisées par plis du greffe du 28 mars 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______ SA est une société anonyme de droit vénézuélien, active notamment dans la distribution de produits industriels.

Elle fait partie du groupe A______ (comprenant des entités au Venezuela, aux îles Aruba, à Bonaire et Curaçao, ainsi qu'aux Etats-Unis).

b. B______ SARL est une société à responsabilité limitée de droit suisse, dont le siège est à Genève. Elle est notamment active dans le domaine de la vente de machines de chantier et autres équipements.

Elle est une filiale du groupe américain B______.

En 2007, B______ SARL a fusionné avec B______/C______ SARL, dont elle a repris les droits et obligations.

c. Le 12 mai 2004, B______/C______ SARL et A______ SA ont conclu un contrat de distribution intitulé "Distribution Agreement for Engines, Parts and Service", ainsi qu'un second contrat intitulé "Sales and Service Agreement".

Les parties sont convenues d'une élection de for à Genève et de l'application du droit suisse (art. 30 des contrats).

Selon l'art. 21 de ces accords, chaque partie pouvait mettre un terme à la relation contractuelle moyennant un préavis de 90 jours.

d. Ces contrats ont été remplacés en avril 2015 par de nouveaux contrats, conclus entre B______/C______ C.V., pour le compte de B______ SARL, et A______ SA, également intitulés "Distribution Agreement for Engines, Parts and Service" et "Sales and Service Agreement".

Le but de ces contrats était de promouvoir et de développer la vente de certains produits de B______ SARL, principalement, mais non exclusivement, au Venezuela.

Selon le contrat de distribution, au Venezuela, A______ SA était principalement responsable ("primarily responsible") de développer et de promouvoir la vente des produits auprès des clients, ainsi que de fournir les services y relatifs.

Les contrats ne spécifiaient pas que A______ SA était un distributeur exclusif.

Selon le contrat de distribution, A______ SA devait déployer ses meilleurs efforts pour atteindre le niveau de ventes le plus élevé possible dans le territoire concédé.

Selon l'article 14 du contrat de distribution, si le distributeur vendait un produit à un tiers qui n'était pas un autre distributeur et que le premier usage de ce produit avait lieu dans un territoire qui n'était pas le territoire assigné au distributeur, celui-ci devait verser un certain montant (défini dans une annexe au contrat) à B______ SARL. A l'inverse, B______ SARL devait reverser au distributeur les montants qu'il recevrait d'autres distributeurs ayant vendu des produits dans le territoire du distributeur.

e. Par courrier du 18 mars 2019, B______/C______ C.V. a déclaré résilier les contrats de distribution conclus avec A______ SA pour le 30 juin 2019.

f. Le 21 octobre 2021, A______ SA a déposé une requête en conciliation par devant le Tribunal de première instance de Genève. Elle a conclu principalement à ce que le Tribunal condamne B______ SARL à lui verser une somme de 152'762'911.- USD avec intérêts à 5% dès le 21 octobre 2011. Les conclusions ne comportent pas de demande de production de pièces par B______ SARL.

Cette requête, de 80 pages, comporte 197 allégués de faits. Au sens de A______ SA, les contrats conclus devaient être interprétés en ce sens qu'ils lui assuraient une exclusivité sur le territoire vénézuélien. Concernant le préjudice allégué, A______ SA, se fondant sur une prétendue discrimination de B______ SARL et une surfacturation des équipements vendus, a fait valoir un dommage de 90'000'000.- USD. Elle s'est référée, concernant ses allégués y relatifs, notamment à "Documents et autres moyens de preuve qui seront produits, notamment dans le cadre des procédures de discovery aux Etats-Unis, de même qu'à des factures, notes de crédits et commandes faites par d'autres entreprises.

A______ SA a également, à titre de dommage allégué consécutif à la non-exécution des contrats par B______ SARL, requis le paiement de
41'319'000.- USD, à titre d'indemnité de clientèle, 16'184'000.- USD, ainsi qu'à titre d'indemnité pour les investissements réalisés, 5'259'911.- USD.

Elle s'est prévalue d'une violation de l'art. 97 CO.

g. La cause n'ayant pas été conciliée, le Tribunal a délivré le 31 mars 2022 une autorisation de procéder à A______ SA, laquelle n'a pas introduit sa demande au fond.

h. Parallèlement, A______ SA a introduit neuf procédures de "discovery" devant diverses juridictions américaines, dirigées contre plusieurs entités et individus basés aux Etats-Unis et destinées à obtenir de la documentation devant servir à appuyer ses prétentions à l'encontre de B______ SARL.

i. Les 4 février (pièce non versée à la procédure) et 25 juillet 2022, A______ SA a requis de B______ SARL de lui fournir nombreux documents et informations, que la précitée ne lui a pas remis.

j. Le 16 août 2022, A______ SA a saisi le Tribunal d'une requête de preuve à futur, dirigée contre B______ SARL.

Elle a conclu principalement, avec suite de frais et dépens, à ce que le Tribunal:

-                 ordonne à B______ SARL de remettre à A______ SA les documents et données concernant les ventes de machines et pièces B______ SARL effectuées, du 21 octobre 2011 au jour du dépôt de la requête, par l'intermédiaire de tiers autres que A______ SA (et ses affiliées), à destination du Venezuela, à savoir à destination d'acheteurs finaux basés au Venezuela ou concernant des machines dont le premier usage substantiel est intervenu au Venezuela, en particulier les données contenues dans sa base de données (SIMSI), portant sur le type de machine et de pièce ainsi que le numéro de série correspondant, la date de vente au tiers concerné, le nom et l'identifiant du tiers concerné, le prix de vente au tiers concerné, les rabais effectués au tiers concerné, la date de vente à l'acheteur final et le nom ou la raison sociale de l'acheteur final;

-                 ordonne à B______ SARL de remettre à A______ SA les documents et les données relatifs aux politiques de rabais appliquées par B______ SARL ou toute entité affiliée aux tiers autres que A______ SA et ses affiliées ayant effectué des ventes de machines et pièces B______ SARL du 21 octobre 2011 au jour du dépôt de la requête à destination du Venezuela, à savoir à destination d'acheteurs finaux basés au Venezuela ou concernant des machines dont le premier usage substantiel est intervenu au Venezuela;

-                 ordonne à B______ SARL de remettre à A______ SA les documents et données concernant le paiement (ou le non-paiement) de montants dus par les tiers ayant effectué des ventes de machines et pièces B______ SARL du 21 octobre 2011 au jour du dépôt de la requête à destination du Venezuela, à savoir à destination d'acheteurs finaux basés au Venezuela ou concernant des machines dont le premier usage substantiel est intervenu au Venezuela.

-                 ordonne à B______ SARL de remettre à A______ SA les documents et données concernant le paiement (ou le non-paiement) de montants dus à A______ SA au regard des ventes de machines et pièces B______ SARL du 21 octobre 2011 au jour du dépôt de la requête effectuées par des tiers à destination du Venezuela, à savoir à destination d'acheteurs finaux basés au Venezuela ou concernant des machines dont le premier usage substantiel est intervenu au Venezuela.

A______ SA a conclu subsidiairement à ce que le Tribunal ordonne à B______ SARL de lui remettre les documents et données concernant les ventes de machines et pièces B______ SARL effectuées, du 21 octobre 2011 au jour du dépôt de la requête, par l'intermédiaire de tiers autres que A______ SA (et ses affiliées), à destination du Venezuela, à savoir à destination d'acheteurs finaux basés au Venezuela ou concernant des machines dont le premier usage substantiel est intervenu au Venezuela, indiquées sur la liste de 3201 machines et pièces B______ SARL annexée à la requête, en particulier les données contenues dans sa base de données (SIMSI), portant sur le type de machine et de pièce ainsi que le numéro de série correspondant, la date de vente au tiers concerné, le nom et l'identifiant du tiers concerné, le prix de vente au tiers concerné, les rabais effectués au tiers concerné, la date de vente à l'acheteur final et le nom ou la raison sociale de l'acheteur final.

Elle a également conclu à être dispensée de fournir des sûretés.

Selon A______ SA, les parties auraient convenu qu'elle serait le distributeur exclusif de B______ SARL au Venezuela. Elle s'est référée à des attestations établies par le conseil de B______ INC. entre septembre 2011 et avril 2018, à teneur desquelles il était confirmé que A______ SA avait conclu des contrats de distribution et de commercialisation avec B______/C______ C.V. des pièces de marque B______ sur le territoire du Venezuela, A______ SA étant le seul concessionnaire dans ce pays.

B______ SARL a contesté toute exclusivité de A______ SA et a cependant admis que la précitée avait été la seule entité avec laquelle elle avait conclu un accord de commercialisation, de distribution et de services au Venezuela.

A______ SA a allégué que B______ SARL l'avait discriminée, en lui vendant ses produits à des prix nettement supérieurs à ceux qu'elle facturait à d'autres distributeurs, actifs sur d'autres marchés que le Venezuela. Par ailleurs, B______ SARL aurait vendu de nombreux produits à des distributeurs hors du Venezuela, lesquels avaient revendu ces produits au Venezuela, sans que A______ SA ne perçoive les "service fees" auxquels elle avait droit.

Pour fonder ses prétentions en dommages-intérêts, A______ SA s'est prévalue de plusieurs violations contractuelles par B______ SARL. Elle s'est référée, dans la partie en droit de son écriture, à 5 allégués figurant dans sa requête de conciliation (n. 113, 114,116, 118 et 119), qui ne ressortent pas de la partie en fait de sa requête de preuve à futur.

A______ SA a fait valoir avoir besoin des documents requis afin d'évaluer son dommage et les chances de succès d'une action au fond en dommages et intérêts pour les violations contractuelles qu'elle reproche à B______ SARL. Elle avait obtenu un certain nombre de données sur un certain nombre de ventes de produits B______ SARL au Venezuela qu'elle n'avait elle-même pas distribués. Il s'agissait pour elle d'obtenir les données pertinentes concernant les produits et les données complètes concernant tout autre produit B______ SARL vendu sur le territoire du Venezuela par tout autre distributeur.

Elle a précisé qu'elle restait déterminée à déposer sa demande au fond une fois les preuves requises obtenues. Elle a par ailleurs invoqué un risque de disparition de preuves, au motif qu'en droit suisse, les sociétés n'avaient l'obligation de conserver leurs documents que durant une période de dix ans, de sorte qu'il n'était "pas exclu" que B______ SARL détruise certains documents.

k. Dans sa réponse du 14 novembre 2022, B______ SARL s'est opposée à la requête, concluant au déboutement de A______ SA, avec suite de frais et dépens.

B______ SARL a contesté les prétentions de A______ SA. Elle a en particulier soutenu que la précitée n'avait bénéficié d'aucune exclusivité sur le territoire du Venezuela. Au contraire, l'existence même du mécanisme de l'article 14 du contrat démontrait que les parties avaient envisagé la vente de produits par B______ SARL à d'autres distributeurs, y compris à destination du Venezuela.

Elle a fait valoir que les conditions pour l'obtention d'une preuve à futur n'étaient pas réunies et que A______ SA instrumentalisait les tribunaux suisses afin de créer un fondement aux procédures qu'elle avait intentées aux Etats-Unis. A______ SA était à même d'agir au fond, sans avoir à conduire préalablement la présente procédure. Elle a par ailleurs relevé que la requête de A______ SA constituait une fishing expedition, vu notamment l'ampleur et le caractère indéterminé des pièces requises.

l. Par réplique spontanée du 25 novembre 2022, A______ SA a persisté dans ses explications et ses conclusions.

m. Par duplique spontanée du 8 décembre 2022, B______ SARL a persisté dans ses conclusions.

n. Le 22 décembre 2022, A______ SA a encore adressé au Tribunal des déterminations spontanées.

o. Le 12 octobre 2023, A______ SA a communiqué au Tribunal une décision rendue le 10 octobre 2023 par la United States Court of Appeals for the Seventh Circuit, dans l'une des procédures opposant A______ SA à B______ INC., société mère de B______ SARL, aux Etats-Unis.

La United States Court of Appeals for the Seventh Circuit a confirmé la décision du juge de la Cour de District de D______ [Etats-Unis], rejetant la requête de "Discovery". Elle a notamment rappelé, dans la partie "backround" de sa décision, que le premier juge avait, à la fin de son analyse, pris en compte le caractère intrusif et les charges imposées par la demande de production de documents.

Il ne résulte pas de la procédure que cette pièce aurait été transmise à B______ SARL.

p. Dans sa décision, le Tribunal a mentionné avoir en définitive gardé la cause à juger le 4 février 2023, après les échanges de répliques spontanées. Il n'en a pas informé les parties.

EN DROIT

1. 1.1 Dans une affaire de nature pécuniaire, les décisions sur mesures provisionnelles sont susceptibles d'appel si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions devant le Tribunal de première instance atteint 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Quand bien même la requête de preuve à futur constitue une procédure indépendante, elle s'inscrit néanmoins dans la perspective d'un procès ultérieur, voire est intentée parallèlement à l'existence d'un procès au fond déjà pendant. Pour déterminer la valeur litigieuse de la procédure de preuve à futur, il convient donc de se référer à l'enjeu que doit revêtir ou que revêt le procès au fond (arrêt du Tribunal fédéral 5A_832/2012 consid. 1.1; ACJC/242/2013 du 22 février 2013 consid. 1.1 et ACJC/268/2017 du 10 mars 2017 consid.1.1).

En l'occurrence, le litige porte sur l'administration d'une preuve à futur et l'appelante indique disposer de prétentions au fond s'élevant à plusieurs dizaines de millions de francs.

Il s'ensuit que la voie de l'appel est ouverte contre le jugement entrepris.

Interjeté dans les formes et dans le délai prévus par la loi (art. 130, 131, 248 let. d, et 314 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

Il en va de même de la réponse (art. 312 CPC), ainsi que, conformément au droit inconditionnel de réplique, les déterminations spontanées déposées par les parties (ATF 146 III 97 consid. 3.4.1; 142 III 48 consid. 4.1.1), sous réserve de ce qui suit (consid. 3).

1.2.1 La Cour revoit le fond du litige avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

1.2.2 En l'espèce, les éléments de fait que l'appelante considère comme établis de façon manifestement inexacte par le Tribunal ont été intégrés dans l'état de fait dressé ci-avant, sur la base des actes et pièces de la procédure.

1.3 Dans le cadre de mesures provisionnelles (art. 158 al. 2 CPC; ATF 133 III 638 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_421/2018 du 8 novembre 2018 consid. 4), instruites selon la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), sa cognition est toutefois circonscrite à la vraisemblance des faits allégués ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 138 III 636 consid. 4.3.2, 138 III 232 consid. 4.1.1; 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5).

2. L'admissibilité des nova en appel est régie par l'art. 317 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_631/2018 consid. 3.2.2).

2.1 L'art. 317 al. 1 CPC prévoit que les faits et moyens de preuve nouveaux sont admissibles en appel pour autant qu'ils soient invoqués ou produits sans retard (let. a) et qu'ils n'aient pas pu l'être en première instance, bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Ces conditions sont cumulatives (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1 et la référence). En ce qui concerne les pseudo nova (unechte Noven), il appartient au plaideur qui entend les invoquer devant l'instance d'appel de démontrer qu'il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d'exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n'a pas pu être produit en première instance (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1; 143 III 42 consid. 4.1).

2.2 En l'espèce, le Tribunal, qui n'en a pas informé les parties, a mentionné dans sa décision avoir gardé la cause à juger le 4 février 2023. L'appelante a communiqué au Tribunal le 12 octobre 2023 une décision rendue le 10 octobre 2023 par la United States Court of Appeals for the Seventh Circuit. Il ne résulte pas de la procédure que cette pièce aurait été transmise à l'intimée.

Par conséquent, cette pièce déposée par l'appelante en même temps que son acte d'appel est recevable, ainsi que les allégués de fait s'y rapportant, sans préjudice de sa pertinence pour l'issue du litige.

2.3 Quant à la conclusion nouvelle de l'appelante, visant à ce qu'elle soit autorisée à modifier ses conclusions en fonction des pièces produites, elle est sans portée. Il ne s'agit en effet pas d'une réquisition de production de pièces en cours de procédure, mais d'une requête de preuve à futur hors procès. La présente décision mettra un terme à ladite procédure de preuve à futur.

3. L'appelante a complété son acte d'appel dans sa réplique s'agissant de la fishing expedition et de l'existence d'une prétention matérielle. Elle a par ailleurs pour la première fois allégué sa volonté de négocier avec l'intimée.

3.1 Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les parties doivent formuler leurs griefs de façon complète dans le délai d'appel ou de réponse à l'appel; un éventuel second échange d'écritures ou l'exercice d'un droit de réplique ne peut servir à compléter une critique insuffisante ou à formuler de nouveaux griefs (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4 in fine et les arrêts cités; arrêts du Tribunal fédéral 4A_463/2023 du 24 avril 2024 consid. 4.1; 5A_160/2023 du 5 juillet 2023 consid. 3.3; 5A_673/2021 du 21 décembre 2021 consid. 3.2 et les autres références). Après l'écoulement du délai d'appel, l'appelant est forclos à formuler des conclusions ou des griefs qu'il aurait pu articuler dans l'appel. S'il le fait, les griefs en question doivent être ignorés (ATF 135 I 19 consid. 2.2; 132 I 42 consid. 3.3.4, JdT 2008 I 110: arrêt du Tribunal fédéral 4A_487/2014 du 28 octobre 2014 consid. 1.2.4).

3.2 En l'espèce, devant le premier juge, l'intimée s'est opposée à la requête, se prévalant, notamment, de ce que la requête était exploratoire et de l'absence de prétention matérielle de l'appelante. Certes, le premier juge n'a pas examiné ces points, dès lors qu'il est parvenu à la conclusion que l'appelante ne disposait pas d'un intérêt digne de protection à requérir les pièces par la procédure de preuve à futur. Cela étant, l'existence d'une prétention matérielle est une condition pour obtenir une preuve à futur, de sorte que l'appelante devait en tout état discuter ce point, contesté par l'intimée. Elle devait par ailleurs s'attendre à ce que la précitée se prévale, dans la présente procédure d'appel, de ce que sa requête constituait une fishing expedition, question que la Cour peut en tout état examiner d'office, vu son plein pouvoir d'examen en droit. Enfin, l'allégation nouvelle de l'appelante selon laquelle elle entendrait négocier avec l'intimée est en tout état irrecevable, dès lors qu'elle n'a pas été invoquée en première instance et ne repose sur aucun élément nouveau. Elle n'est au demeurant pas pertinente pour l'issue du litige.

3.3 Par conséquent, les griefs de l'appelante, contenus dans sa réplique, ne seront pas examinés.

4.  L'appelante fait grief au premier juge d'avoir violé l'art. 158 al. 1 let. b CPC en retenant qu'elle n'avait pas rendu vraisemblable l'existence d'un intérêt digne de protection à requérir la preuve à futur.

4.1.1 Intitulé "preuve à futur", l'art. 158 CPC autorise un plaideur à requérir l'administration de preuves hors procès destinées à un procès civil qui sera éventuellement entrepris plus tard, à condition que les preuves concernées soient menacées de dépérissement ou que le plaideur rende vraisemblable un intérêt digne de protection à ce qu'elles soient administrées sans délai (art. 158 al. 1 let. b CPC).

Les preuves sont administrées avant la litispendance, de sorte que l'objet du litige au fond n'est pas encore déterminé avec précision. Par conséquent, il incombe en premier lieu au requérant de fournir au juge les indications nécessaires au sujet de l'état de fait et de préciser la mesure dans laquelle la preuve requise doit être administrée (arrêt du Tribunal fédéral 5A_832/2012 du 25 janvier 2013 consid. 7.1.2).

4.1.2 L'art. 158 al. 1 let. b CPC prévoit deux cas de preuve à futur. Dans le premier cas, elle a pour but d'assurer la conservation de la preuve, lorsque le moyen de preuve risque de disparaître ou que son administration ultérieure se heurterait à de grandes difficultés. Une partie peut donc requérir une expertise ou une autre preuve sur des faits qu'elle entend invoquer dans un procès éventuel, en vue de prévenir la perte de ce moyen de preuve (ATF 142 III 40 consid. 3.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4D_57/2020 du 24 février 2021 consid. 3.1). Dans le second cas, la preuve à futur hors procès est destinée à permettre au requérant de clarifier les chances de succès d'un éventuel procès au fond. Le requérant doit établir qu'il a un intérêt digne de protection à l'administration de la preuve. Il ne lui suffit pas d'alléguer avoir besoin d'éclaircir des circonstances de fait; il doit rendre vraisemblable l'existence d'une prétention matérielle concrète contre sa partie adverse, laquelle nécessite l'administration de la preuve à futur (ATF 142 III 40 consid. 3.1.1; 140 III 16 consid. 2.2.2; 138 III 76 consid. 2.4.2).  

Tous les moyens de preuve prévus par les art. 168 ss CPC peuvent être administrés en preuve à futur hors procès, et ce conformément aux règles qui leur sont applicables (arrêt du Tribunal fédéral 4D_57/2020 du 24 février 2021 consid. 3.1).

L'administration de la preuve, qui intervient normalement au cours des débats principaux (art. 231 CPC), est soit avancée à un stade antérieur du procès, soit effectuée hors procès, avant même l'ouverture de l'action (cf. art. 158 al. 1 in initio CPC, qui contient les termes" en tout temps "; arrêt du Tribunal fédéral 4A_143/2014 du 23 juin 2014 consid. 3.1; Schweizer, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 3 à 5 ad art. 158 CPC; Jeannin, Partie générale : La preuve en procédure civile suisse / Titre II : Les questions probatoires / Chapitre 6 - Chapitre 7, 2022, n. 347).

La preuve à futur est destinée à permettre au requérant de clarifier les chances de succès d'un procès futur, de façon à lui éviter de devoir introduire un procès dénué de chances (ATF 142 III 40 consid. 3.1.1; 140 III 16 consid. 2.5, JdT 2016 II 299; arrêts du Tribunal fédéral 4D_57/2020 précité, ibid; 4A_143/2014 du 23 juin 2014 consid. 3.1; Chabloz/Copt, in : Petit commentaire CPC, n. 9 ad art. 158 CPC). Le requérant doit établir qu'il a un intérêt digne de protection à l'administration de la preuve. Cela signifie que le requérant doit avoir un intérêt à utiliser la preuve dont l’administration est requise pour faire valoir ultérieurement une prétention au fond (ATF 143 III 113 consid. 4.4.1; 140 III 16, JdT 2016 II 299 consid. 2.5; Chabloz/Copt, op. cit., n. 10 ad art. 158 CPC). Il ne lui suffit pas d'alléguer avoir besoin d'éclaircir des circonstances de fait; il doit rendre vraisemblable l'existence d'une prétention matérielle concrète contre sa partie adverse, laquelle nécessite l'administration de la preuve à futur. Cette procédure n'a pas pour objet d'obtenir qu'il soit statué matériellement sur les droits ou obligations des parties, mais seulement de faire constater ou apprécier un certain état de fait; le tribunal ne statue pas sur le fond, ni même ne procède à un examen des chances de succès du requérant (ATF 140 III 16 consid. 2.2.2; 138 III 76 consid. 2.4.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_143/2014 du 23 juin 2014 consid. 3.1). En d’autres termes, dans le cadre de la preuve à futur, il ne s’agit que d’établir un état de fait à un moment donné et pas d’élucider à titre préalable des questions juridiques, de responsabilité par exemple ; la détermination des fautes et responsabilités des uns et des autres est exclue du champ d’application de l’article 158 CPC (Schweizer, op. cit., n. 6a ad art. 158 CPC). La procédure de preuve à futur ne peut pas porter sur l’appréciation des preuves (arrêt du Tribunal fédéral 4A_419/2016 du 22 mars 2017 consid. 1.6 ; Chabloz/Copt, op. cit., n. 12 ad art. 158).

De simples allégations sur le besoin d'évaluer ou de clarifier les chances de succès d'une procédure ou d'une preuve à administrer ne sont pas suffisantes (ATF 143 III 113 cons. 4.4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_832/2012 du 25 janvier 2013 cons. 7.1.1; 4A_132/2020 du 8 septembre 2020 consid. 3.1).

La démonstration de l'existence d'un intérêt digne de protection n'est pas soumise à des exigences trop sévères. Dans une ancienne jurisprudence, le Tribunal fédéral avait considéré que cet intérêt devait en principe être nié uniquement lorsqu'il faisait manifestement défaut, ce qui pouvait notamment être le cas lorsque le moyen de preuve n'était clairement pas approprié (arrêt du Tribunal fédéral 5A_832/2012 précité, ibid). Ensuite, il a retenu que l’intérêt devait être nié quand le moyen de preuve n’était pas adapté à établir les faits fondant la prétention au fond et n’était pas propre à jouer un rôle important dans l’administration des preuves (ATF 140 III 16 cons. 2.5, JdT 2016 II 299) et lorsqu’il existait déjà un moyen de preuve adéquat pour évaluer les chances de succès d’un procès (ATF 140 III 24, JdT 2016 II 308). Un intérêt digne de protection devrait cependant être admis lorsque la procédure de preuve à futur peut favoriser un accord extrajudiciaire (Chabloz/Copt, op. cit., n. 11 ad art. 158 CPC).

Une partie de la doctrine relève en revanche qu'un intérêt digne de protection fait défaut notamment lorsque le dépôt de l'action est d'ores et déjà possible sur la base de la situation matérielle (Brunner/Gasser/Schwander, Commentaire zurichois, Code de procédure civile, 2011, n. 12 ad art. 158 CPC; Guyan, Commentaire bâlois, Code de procédure civile, 2010, n. 5 ad art. 158 CPC) ou lorsque la preuve à futur n'est pas le but réel de la mesure requise, mais que celle-ci poursuit un but annexe ou constitue une manœuvre chicanière à l'encontre de la partie citée (Brönnimann, Commentaire bernois, Code de procédure civile, Tome II, 2012, n. 15 et 21 ad art. 158 CPC).

Le Tribunal fédéral n'a pas encore tranché la question de savoir si la requérant dispose ou non d'un intérêt digne de protection si le dépôt d'une action au fond est d'ores et déjà possible.

La Cour a retenu que dès lors que la requérante en preuve à futur avait déjà intenté un procès, la demande de preuve à futur ne visait pas à lui permettre de clarifier les chances de succès d'un procès futur (ACJC/147/2020 du 27 janvier 2020 consid. 2.2).

Par ailleurs, la preuve à futur n'a pas pour but de simplement chiffrer un dommage lorsque des conclusions d'une valeur indéterminée peuvent être déposées (Oberhammer, Kurzkommentar, 2010, n. 4 ad art. 158 CPC; ACJC/1655/2019 du 11 novembre 2019 consid. 4.1.2).

4.1.3 La voie de la procédure de preuve à futur ne peut pas être utilisée pour procéder à une recherche indéterminée de moyens de preuve (fishing expedition ; ATF 141 III 119 consid. 7.1.1 ; Chabloz/Copt, op. cit., n. 12 ad art. 158 CPC). Les documents dont la production est requise doivent être déterminés avec suffisamment de précision pour éviter une telle fishing expedition (Jéquier, Tiers et procédure civile suisse, Berne 2018 n. 258; Nussbaumer, Petit commentaire Code de procédure civile n. 24 ad art. 160 CPC).

4.2 Les dispositions sur les mesures provisionnelles étant applicables à la requête de preuve à futur (art. 158 al. 2 CPC), le juge ne doit de toute façon ordonner que les mesures nécessaires (art. 261 al. 1 CPC) et propres à atteindre le but poursuivi (art. 262 CPC). Par ailleurs, bien que l'art. 261 CPC ne fasse pas expressément référence au principe de la proportionnalité, celui-ci s'applique en matière de mesures provisionnelles tant à leur prononcé qu'à leur contenu (Huber, Kommentar zur schweizerischen Zivilprozessordnung, 2010, n. 23 ad art. 261 CPC). Le juge doit ainsi procéder à la mise en balance des intérêts contradictoires, c'est-à-dire à l'appréciation des désavantages respectifs pour chacune des parties selon que la mesure requise est ordonnée ou refusée. Il doit pondérer le droit présumé du requérant avec les conséquences irréparables entraînées par la mesure provisionnelle (ATF 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

4.3 Le contrat de représentation ou de distribution exclusive est le contrat par lequel une personne (le fournisseur) promet à une autre (le représentant ou distributeur exclusif) de lui livrer des biens déterminés à un certain prix et de lui en assurer l'exclusivité dans un rayon donné, contre l'engagement de payer le prix et d'en promouvoir la vente dans ce rayon (arrêts du Tribunal fédéral 4A_180/2022 du 5 juillet 2022 consid. 4.1; 4A_393/2021 du 4 mars 2022 consid. 6.2.1; 4A_241/2017 du 31 août 2018 consid. 3; 4A_61/2008 du 22 mai 2008 consid. 2 non publié in ATF 134 III 497; Tercier/Bieri/Carron, Les contrats spéciaux, 5e éd. 2016, n. 7239). 

Si le contrat de distribution exclusive peut avoir des contenus divers, impliquant un lien plus ou moins étroit entre les parties, il comprend néanmoins, dans tous les cas, un contrat de fourniture ainsi qu'une clause d'exclusivité (Tercier/Bieri/ Carron, Les contrats spéciaux, 5ème éd. 2016, n. 7242-7245 et les références citées; Mirfakhraei, Les indemnités de fin de contrat dans le contrat d'agence et le contrat de distribution exclusive, 2014, n. 197 et les références).

Ainsi, le concédant s'engage à livrer au représentant les biens que celui-ci lui commandera et lui paiera. Il s'agit dans cette mesure d'un authentique contrat de vente (éventuellement d'un contrat de fourniture de choses à produire) à livraisons successives, auquel on applique en principe les règles ordinaires (Tercier/Bieri/Carron, op. cit., n. 7243 et 7272).

Quant à la clause d'exclusivité, il s'agit de l'élément caractéristique d'un tel contrat. Le concédant s'engage à réserver au représentant l'exclusivité (totale ou partielle) de la distribution du produit dans un rayon déterminé, en contrepartie de quoi le représentant doit de son côté en promouvoir la vente. Le fournisseur ne peut donc, sauf convention contraire, vendre les mêmes produits dans le rayon réservé au distributeur. L'on déduit par ailleurs du contrat de distribution exclusive l'obligation pour le fournisseur de soutenir le distributeur, soit de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que le représentant puisse effectuer et développer ses ventes dans de bonnes conditions (Tercier/Bieri/ Carron, op. cit., n. 7243-7244 et 7273-7274).

Dans ses traits essentiels, le contrat de distribution exclusive comprend ainsi un double rapport d'échange : un premier entre l'obligation du fournisseur de s'abstenir de vendre dans le territoire réservé et l'obligation du distributeur de promouvoir les ventes, et un second entre la livraison du bien par le fournisseur et l'obligation d'en payer le prix à charge du distributeur (Tercier/Bieri/ Carron, op. cit., n. 7246 et les références citées).

4.4 Les parties doivent donc alléguer les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et produire les preuves qui s'y rapportent (art. 55 al. 1 CPC). Le demandeur supporte le fardeau de l'allégation objectif et le fardeau de la preuve (art. 8 CC). La partie qui supporte les fardeaux de l'allégation objectif et de la preuve d'un fait supporte l'échec de l'allégation, respectivement de la preuve de ce fait (arrêts du Tribunal fédéral 5A_630/2021 du 26 novembre 2021 consid. 3.3.2.2 (en procédure sommaire); 4A_560/2020 du 27 septembre 2021 consid. 5.1.2 et les références; 4A_606/2020 du 1er septembre 2021 consid. 4.2.3).  

En vertu de l'art. 150 al. 1 CPC, seules doivent être prouvées les allégations qui sont expressément contestées. Une telle contestation doit être suffisamment précise pour atteindre son but, c'est-à-dire permettre à la partie adverse de comprendre quelles allégations de fait il lui incombe de prouver. Le degré de précision d'une allégation influe sur le degré de motivation que doit revêtir sa contestation. Plus les affirmations d'une partie sont détaillées, plus élevées sont les exigences quant à la précision de leur contestation. Une réfutation en bloc ne suffit pas (ATF 144 III 136 consid. 3.3.2; 141 III 433 consid. 2.6 et les références). Un simple renvoi en bloc à des pièces du dossier en guise d'exposé des faits est en principe insuffisant (arrêts du Tribunal fédéral 4A_360/2020 du 2 novembre 2020 consid. 4.2; 4A_284/2017 du 22 janvier 2018 consid. 4.2 et les arrêts cités).

Par ailleurs, l'allégation globale d'un ensemble de faits par simple référence aux pièces produites n'est pas suffisante; à plus forte raison, un ensemble de faits passé entièrement sous silence dans les mémoires, même s'il peut être reconstitué par l'étude des pièces, n'est pas valablement introduit dans le procès, et il est donc nouveau si une partie s'avise de s'en prévaloir en appel seulement. Un renvoi à des annexes à la demande pour compléter les allégations de faits n'est admissible que très exceptionnellement et suppose notamment que les faits soient allégués dans leurs traits ou contours essentiels dans le mémoire lui-même (ATF 144 III 519 consid. 5.2.1.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_429/2019 du 13 novembre 2019 consid. 4.2; 4A_280/2019 du 14 octobre 2019 consid. 4.1; 4A_309/2013 du 16 décembre 2013 consid. 3.2).

4.5 En l'espèce, le Tribunal a retenu que l'appelante n'avait pas rendu vraisemblable disposer d'un intérêt digne de protection à requérir la preuve à futur, motifs pris de ce qu'elle avait en tout état l'intention de déposer une nouvelle requête et que le dépôt de l'action était déjà possible sur la base de la situation matérielle, telle que ressortant de la requête de conciliation du 21 octobre 2021. Par ailleurs, il n'appartenait pas au Tribunal d'instruire, par la présente procédure, la quotité du dommage, celui-ci ayant déjà été chiffré, fût-ce provisoirement, dans la requête précitée.

Certes, l'appelante a confirmé avoir l'intention d'introduire une demande en paiement contre l'intimée. Ce seul fait ne permet toutefois pas de considérer que l'appelante ne disposerait pas d'un intérêt digne de protection à requérir la production de pièces. Comme le relève à raison l'appelante, une requête de preuve à futur peut être formée en tout temps, même en cours de procédure déjà pendante. Ainsi, et sur ce plan, le Tribunal a à tort nié l'existence d'un intérêt digne de protection.

Autre est la question de savoir si l'appelante dispose ou non des éléments matériels lui permettant d'introduire une action. Dans sa requête de conciliation du 21 octobre 2021, l'appelante a allégué avoir subi un préjudice de 90'000'000.- USD, fondé sur une alléguée discrimination par l'intimée et d'une surfacturation des équipements vendus. Comme offre de preuve, elle a fait état des moyens de preuve qui seraient obtenus dans le cadre des procédures de discovery initiées aux Etats-Unis, ainsi que de factures, notes de crédits et commandes faites par d'autres entreprises, qu'elle a jointes à sa requête. Elle n'a pas réservé une éventuelle amplification de ses conclusions sur ce point, une fois les renseignements obtenus par les discovery. Il convient dès lors de retenir que l'appelante a pu chiffrer le dommage qu'elle estime avoir subi, sur la base d'éléments matériels précis.

Par ailleurs, l'appelante n'a pas – à ce stade – rendu vraisemblable l'existence d'une prétention matérielle à l'encontre de l'intimée. L'appelante fonde en effet son dommage allégué sur la violation par l'intimée de la clause d'exclusivité de distribution prévue dans les contrats conclus. Or, à la lecture des contrats de distribution et de promotion des produits, ceux-ci ne contiennent aucune clause d'exclusivité. Les parties sont d'ailleurs convenues du paiement de services fees en cas de vente de produit à un tiers par l'intimée sur le territoire du Venezuela.

De plus, l'appelante – à laquelle incombe tant le fardeau de l'allégation objectif que le fardeau de la preuve - a failli à son devoir d'allégation s'agissant des violations contractuelles invoquées et partant du dommage consécutif à celles-ci. En effet, la partie en fait de sa requête ne comporte pas d'allégué spécifique en lien avec les violations alléguées. Dans la partie en droit de son écriture (p. 28 et 29), elle s'est référée à sa requête de conciliation du 21 octobre 2021 et a fait état de 5 allégués de celle-ci.

Dans les conclusions de sa requête de preuve à futur, l'appelante entend obtenir de l'intimée un nombre indéterminé et important de documents, certes décrits de manière précise, qui seraient susceptibles de lui fournir, sur les violations contractuelles alléguées, des renseignements lui permettant, le cas échéant, de fonder des prétentions en dommages-intérêts. L'appelante s'est d'ailleurs déclarée d'accord de "compenser" l'intimée pour les frais de recherches et de préparation des documents et données requis, ce qui corrobore le volume considérable des pièces sollicitées.

Enfin, l'appelante a, en première instance, uniquement soutenu que les informations requises devaient lui permettre d'évaluer son dommage (de même que les chances de succès d'une procédure au fond); en appel, elle entend, par la production des pièces, "prouver l'existence d'une violation contractuelle déterminée".

Il sera également souligné que la Cour d'appel américaine, dans sa décision du 10 octobre 2023 relative à la discovery, a retenu notamment que le premier juge avait pris en compte le caractère intrusif et les charges imposées par la demande de production de documents.

Ainsi, sa requête s'apparente à une demande exploratoire, prohibée.

L'appelante a requis la production de documents de 2011 au jour du dépôt de la requête de preuve à futur, soit août 2022. Dès lors que les contrats ont été résiliés en mars 2019, l'appelante n'est en tout état pas fondée à solliciter des informations relatives à des ventes effectuées après la fin des contrats.

4.6 Par conséquent, au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, l'appel se révèle infondé, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé.

5. L'appelante se plaint d'une mauvaise répartition des frais de première instance.

5.1 Les frais judiciaires sont fixés et répartis d'office (art. 105 al. 1 CPC).

Les frais sont mis à la charge de la partie succombante, soit le demandeur lorsque le tribunal n'entre pas en matière et en cas de désistement d'action (art. 106 al. 1 CPC).

Le tribunal peut s'écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation lorsque des circonstances particulières rendent la répartition en fonction du sort de la cause inéquitable (art. 107 al. 1 let. f CPC).

5.2 Dans une procédure autonome de preuve à futur, il n'est pas statué sur les prétentions de droit matériel; dès lors, il ne peut être question de partie gagnante ni succombante au sens du principe de répartition des frais selon le sort de la cause (art. 106 CPC). En outre, le juge doit examiner d'office si les conditions légales d'une preuve à futur au sens de l'art. 158 CPC sont réunies; en d'autres termes, l'intimé n'a pas la possibilité d'éviter la procédure de preuve à futur en "acquiesçant" à la requête au sens de l'art. 241 al. 3 CPC (ATF 140 III 30 consid. 3.5). Dès lors que la preuve à futur sert toujours l'intérêt du requérant, alors qu'elle contraint la partie adverse (potentielle et future) à une procédure avant même qu'un procès ne soit introduit contre elle, qui n'a en outre pas le loisir d'introduire un procès principal, les frais judiciaires doivent être mis à la charge du requérant en application de l'art. 107 al. 1 let. f CPC, même lorsque la requête de preuve à futur a été contestée et finalement accueillie - sous réserve d'une autre répartition, si le requérant obtient gain de cause dans un procès principal ultérieur (ATF 140 III 30 consid 3.6).

5.3 En l'espèce, c'est à raison que le Tribunal, en se référant à la jurisprudence rappelée ci-avant, a mis l'intégralité des frais judiciaires à la charge de l'appelante, partie requérante dans la procédure de preuve à futur.

5.4 Par conséquent, l'appel se révèle infondé sur ce point également, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé.

6.  Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 2'000 fr. (art. 31 et 40 RTFMC), compensés à due concurrence avec l'avance de frais fournie, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). Ils seront mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). L'appelante sera en conséquence condamnée à verser 1'200 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

L'appelante versera en outre à l'intimée des dépens d'appel, arrêtés à 2'500 fr. (art. 85, 88, 90 RTFMC).

 * * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 29 décembre 2023 par A______ SA contre le jugement JTPI/15049/2023 rendu le 19 décembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15819/2022–17 SCC.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'000 fr., compensés à due concurrence avec l'avance de frais fournie, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______ SA.

Condamne A______ SA à verser 1'200 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne A______ SA à verser 2'500 fr. à B______ SARL à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

 

La présidente :

Pauline ERARD

 

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

 


 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indéterminée.