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ACJC/443/2024 du 02.04.2024 sur JTPI/1746/2024 ( SML ) , JUGE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/19958/2023 ACJC/443/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 2 AVRIL 2024 |
Entre
A______ SA, sise c/o B______ SA, ______ (GE), recourante contre un jugement rendu par le Tribunal de première instance de ce canton le 1er février 2024, représentée par Me Stéphanie NUNEZ, avocate, REGO AVOCATS, esplanade de Pont-Rouge 4, case postale, 1212 Genève 26,
et
C______ SA, sise ______ (VD), intimée, représentée par Me Filip BANIC et Me Radivoje STAMENKOVIC, avocats, Banic Stamenkovic Avocats Sàrl,
rue Caroline 2, case postale 264, 1003 Lausanne (VD).
A. Par jugement JTPI/1746/2024 du 1er février 2024, expédié pour notification aux parties le 6 février 2024, le Tribunal de première instance a prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite
n° 1______ (ch. 1), mis les frais judiciaires arrêtés à 750 fr. à la charge de A______ SA (ch. 2 et 3), condamné à en rembourser C______ SA qui en avait fait l'avance (ch. 4), ainsi qu'à verser à celle-ci 3'500 fr. à titre de dépens (ch. 5), et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).
Le Tribunal a retenu que C______ SA avait fondé sa requête sur un contrat de transfert d'actions et reconnaissance de dette du 31 décembre 2019 ainsi que sur l'état des commandes au 18 septembre 2021, documents qui constituaient des titres de mainlevée provisoire, et que A______ SA n'avait pas établi détenir une créance compensante dérivant d'un vol de marchandise.
B. Par acte du 16 février 2024 à la Cour de justice, A______ SA a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait au rejet de la requête de mainlevée provisoire de l'opposition formée par C______ SA, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision, avec suite de frais judiciaires et dépens.
Elle a, à titre préalable, requis la suspension de l'effet exécutoire attaché à la décision précitée, ce à quoi la Cour a fait droit par arrêt du 1er mars 2024.
Elle a formé des allégués nouveaux, consistant partiellement dans l'allégation du contenu des pièces qu'elle avait produites en première instance, partiellement dans celle des titres qu'elle a nouvellement versés, soit un jugement JTPI/11895/2022 rendu entre les mêmes parties par le Tribunal le 10 octobre 2022 dans la cause C/2______/2022, déboutant C______ SA des fins de sa requête en mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite
n° 3______, ainsi que la requête formée par la précitée dans cette procédure, accompagnée des pièces alors produites.
C______ SA a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.
Les parties ont été avisées par plis du greffe du 20 mars 2024 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants :
a. C______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce vaudois. Elle a pour but social en substance toute activité dans le domaine de l'horlogerie et de la joaillerie.
A______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, qui a pour but en substance l'exercice de toutes activités dans le domaine de l'horlogerie.
Elle a pour administrateurs D______ et E______, chacun au bénéfice d'une signature collective à deux.
b. C______ SA allègue avoir, entre avril 2018 et janvier 2019, exécuté des commandes passées par A______ SA, et livré à celle-ci la marchandise commandée, dont une partie est demeurée impayée.
c. Le 31 décembre 2019, D______ et E______ d'une part, C______ SA d'autre part, ont signé un "contrat de transfert d'actions", "conclu entre E______ […] D______ […] et C______ SA". Aux termes du préambule de celui-ci, A______ SA avait contracté une dette de 264'057 fr. envers C______ SA, et les deux actionnaires de la première (soit D______ et E______, titulaires de 36'000 actions chacun) entendaient transférer 5'000 actions à la seconde; le contrat avait donc pour objet "d'une part de régler le transfert d'actions A______ SA à C______ SA et d'autre part de prévoir les modalités de versements échelonnés en vue du remboursement total de la dette". Le chapitre du contrat consacré aux modalités du remboursement de la dette stipulait qu'une ligne de crédit de
250'000 fr. était consentie par C______ SA (remboursable à raison de 100'000 fr. au 30 septembre 2020, 100'000 fr. au 30 septembre 2021 et 50'000 fr. au 30 septembre 2022), "la différence de dette de CHF 14'057.- d[evant] être payée au plus tard le 31 décembre 2020. Passé ce délai, cette somme devient exigible". Le contrat comporte encore une mention d'approbation par A______ SA du transfert des 5'000 actions, portant la signature des deux administrateurs précités. Il énonce également le nom de quatre actionnaires de A______ SA sous la mention "les autres actionnaires de A______ SA renoncent à exercer leur droit de préemption selon l'article 9 des statuts"; aucune signature ne figure sous ces noms.
C______ SA allègue que les actions n'ont pas été cédées et qu'aucun paiement n'est intervenu.
d. Le 18 septembre 2021, D______ a signé pour A______ SA un document rédigé en anglais, intitulé "Situation of Order, Payment and Total Open due Balance till 18.09.2021 between C______ SA and A______ SA", dont résulte, après mention de diverses factures ouvertes, notamment un montant total dû ("Total due") par la seconde envers la première de 284'041 fr.
e. Le 9 juin 2023, à la requête de C______ SA, l'Office cantonal des poursuites a fait notifier à A______ SA un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur 284'041 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 18 septembre 2021. La rubrique titre de créance était libellée ainsi : "Créance selon reconnaissance de dette du 18 septembre 2021 signée par A______ SA relative aux commandes de montres auprès de la société C______ SA pour la période 2018 et 2019".
La poursuivie a formé opposition.
f. Le 22 septembre 2023, C______ SA a saisi le Tribunal de première instance d'une requête de mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer précité, dirigée contre A______ SA, sous suite de frais et dépens.
A______ SA a, à la demande du Tribunal, déposé une réponse écrite, accompagnée de pièces. Cet acte ne comporte pas de conclusions expresses. Il en résulte que A______ SA allègue que C______ SA lui aurait volé de la marchandise, représentant une valeur de 311'691 fr. 87, aurait usé de chantage pour restitution de la marchandise, et propagé des informations diffamatoires sur la société et ses dirigeants.
Sur quoi, le Tribunal a rendu la décision attaquée.
1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. b et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique
(art. 251 let. a CPC).
Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée.
Interjeté en temps utile et selon les formes prescrites, le recours est recevable.
1.2 Selon l'art. 326 al. 1 CPC, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables.
Les allégués nouveaux et les pièces nouvelles de la recourante sont donc irrecevables.
1.3 Le recours est recevable pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par la partie recourante (Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 2307).
1.4 La procédure sommaire étant applicable, la preuve des faits allégués doit être apportée par titres (art. 254 al. 1 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 let. a a contrario et art. 58 al. 1 CPC).
2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir retenu que l'intimée avait produit des documents constituant des titres à la mainlevée provisoire de l'opposition.
2.1 Selon l'art. 82 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire (al. 1); le juge la prononce si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération (al. 2).
Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP, en particulier, l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi - ou son représentant -, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 145 III 20 consid. 4.1.1; 139 III 297 consid. 2.3.1 et les références); elle peut résulter du rapprochement de plusieurs pièces, dans la mesure où les éléments nécessaires en résultent
(ATF 139 III 297 consid. 2.3.1; 136 III 627 consid. 2 et la référence), le poursuivant ne pouvant pas convaincre le juge qu'il bénéficie d'une reconnaissance de dette valant titre de mainlevée en offrant d'autres preuves que ce titre lui-même (ATF 145 III 160 consid. 5.1).
La procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces (Urkundenprozess), dont le but n'est pas de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l'existence d'un titre exécutoire : le créancier ne peut motiver sa requête qu'en produisant le titre et la production de cette pièce, considérée en vertu de son contenu, de son origine et des caractéristiques extérieures comme un tel titre, suffit pour que la mainlevée soit prononcée si le débiteur n'oppose pas et ne rend pas immédiatement vraisemblable des exceptions. Le juge de la mainlevée provisoire examine donc seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle - et non la validité de la créance - et lui attribue force exécutoire (ATF 132 III 140 consid. 4.1).
Sauf ratification ultérieure, un titre signé par un administrateur au nom d'une société en violation d'une règle de signature collective n'engage pas la société (Veuillet/Abbet, La mainlevée de l’opposition, 2ème éd., 2022, ad art. 82 LP,
n. 15).
2.2 En l'occurrence, le commandement de payer frappé d'opposition se réfère, s'agissant du titre de la créance, uniquement au document daté du 18 septembre 2021.
L'intimée a soutenu dans sa requête que la recourante y avait reconnu le
bien-fondé de sa créance.
Il apparaît que seule la signature de l'un des administrateurs de la recourante y figure, alors que ceux-ci ne disposent du pouvoir d'engager la société que collectivement, comme l'enseigne notoirement le Registre du commerce.
Le contrat du 31 décembre 2019 a été signé entre l'intimée et non la recourante mais deux des actionnaires de celle-ci (qui sont certes également ses deux administrateurs); en outre, il n'est pas venu à chef, comme l'admet l'intimée
elle-même. Ce contrat est donc dépourvu d'effet sous l'angle d'un éventuel rapprochement de pièces, de même que sous l'angle d'une supposée ratification, puisqu'il est antérieur au document du 18 septembre 2021 visé dans le commandement de payer.
Ainsi, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, l'intimée ne disposait pas d'un titre au sens de l'art. 82 LP.
Il s'ensuit que le recours est fondé, de sorte que le jugement attaqué sera annulé. La cause étant en état d'être jugée (art. 327 al. 3 let. b CPC), il sera statué à nouveau dans le sens que la requête de mainlevée provisoire formée par l'intimée sera rejetée.
3. L'intimée, qui succombe, supportera les frais de la procédure de première instance et de recours (art. 106 al. 1 CPC). Ceux-ci seront arrêtés à 2’075 fr. (y compris la décision sur effet suspensif) (art. 48, 61 OELP), compensés avec les avances opérées, acquises à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). L'intimée remboursera 1'325 fr. à la recourante.
Elle versera en outre à celle-ci, qui n'était pas représentée en première instance, des dépens de recours, qui seront fixés à 1'200 fr. (art. 84, 85, 88, 90 RTFMC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé le 16 février 2024 par A______ SA contre le jugement JTPI/1746/2024 rendu le 1er février 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19958/2023.
Au fond :
Annule ce jugement. Statuant à nouveau :
Rejette la requête de mainlevée provisoire de l'opposition au commandement de payer, poursuite n° 1______, formée par C______ SA.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires de première instance et de recours à 2’075 fr., compensés avec les avances opérées, acquises à l'Etat de Genève.
Les met à la charge de C______ SA.
Condamne C______ SA à rembourser 1'325 fr. à A______ SA.
Condamne C______ SA à verser à A______ SA 1'200 fr. à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
La présidente : Pauline ERARD |
| La greffière : Marie-Pierre GROSJEAN |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.