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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9518/2023

ACPR/911/2025 du 05.11.2025 sur OCL/1397/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;INSOUMISSION À UNE DÉCISION DE L'AUTORITÉ;MESURE PROVISIONNELLE
Normes : CPP.310; CP.292

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9518/2023 ACPR/911/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 5 novembre 2025

 

Entre

A______, représentée par Me Timo SULC, avocat, DUPRAZ SULC, rue Jean-Jaquet 10, 1201 Genève,

recourante,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 17 septembre 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 29 septembre 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 précédent, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public a classé la procédure.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à la poursuite de l'instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. A______ est actionnaire et, depuis le 6 août 2025, administratrice unique de B______ SA. En vertu d'une convention du 5 mars 2015, elle bénéficie d'un droit de préemption sur les actions de la société.

a.b. Le 10 juillet 2020, C______ SA a vendu ses actions de B______ SA à D______ et E______.

b.a. Le 16 octobre 2020, A______ a saisi le Tribunal de première instance (ci-après: TPI), au motif que D______ et E______ lui avaient refusé sa demande d'exercer son droit de préemption, concluant ainsi sur le fond à ce que les précitées soient condamnées à lui transférer, contre paiement, les actions ainsi acquises à C______ SA (C/1______/2020).

b.b. Statuant sur mesures superprovisionnelles, le TPI a, dans une ordonnance du même jour, retenu que le risque de voir D______ et E______ revendre leurs actions à un tiers acquéreur de bonne foi ne pouvait pas être exclu.

Reprenant les conclusions de A______, il leur a ainsi fait interdiction, "ainsi qu'à leurs représentants, de vendre, transférer ou remettre à quiconque, à quelque titre que ce soit, les 50 actions au porteur de B______ SA, soit le certificat no 3 du 24 mars 2010 pour les actions 51 à 60, le certificat no 4 du 25 mars 2010 pour les actions 61 à 80 et le certificat no 5 du 25 mars 2010 pour les actions 81 à 100".

Il a prononcé cette interdiction sous la menace de la peine de l'art. 292 CP, reproduisant le texte de cet article.

b.c. Le 18 janvier 2021, le TPI a, sur mesures provisionnelles, confirmé les termes de sa précédente ordonnance.

c. À l'occasion de leur réponse du 26 mars 2021 dans cette procédure civile, D______ et E______, sous la plume de leur conseil, Me F______, ont produit l'attestation suivante, datée du 24 précédent, par laquelle Me G______ déclare:

"détenir en mon Étude en exécution des contrats de cession signés du 10 juillet 2020, divers certificats d'actions originaux de B______ SA soit plus particulièrement :

-          pour le compte de E______, 25 actions au porteur de B______ SA, Genève (soit les certificats d'actions no 3 pour 5 actions au porteur n° 51 à 55 et no 4 pour 20 actions au porteur 61 à 80);

-          pour le compte de D______, 25 actions au porteur de B______ SA, Genève (soit les certificats d'actions no 5 pour 20 actions au porteur n° 81 à 100 et no 3 pour les actions n° 56 à 60)".

d. Déboutée de sa demande par le TPI, A______ a fait appel de ce jugement. La procédure est toujours pendante et les mesures provisionnelles ordonnées par le TPI le 16 octobre 2020 n'ont, à teneur du dossier, pas été modifiées ou révoquées, depuis le 18 janvier 2021.

e. Le 14 avril 2023, le TPI a prononcé, dans une autre procédure, deux séquestres sur certains desdits titres se trouvant sous la garde de Me G______.

Il ressort du procès-verbal de non-lieu de séquestre du même jour que l'avis de séquestre a été notifié le 17 avril 2023 auprès de l'Étude H______. Le 20 avril 2023, Me G______ a informé téléphoniquement l'Office des poursuites qu'il n'était plus en possession des certificats d'actions visés par les ordonnances de séquestre et a confirmé par écrit le même jour que "les séquestres n'avaient pas porté".

f. Le 3 mai 2023, A______ a porté plainte contre E______ et D______ pour infraction à l'art. 292 CP.

Elle y explique que les mesures (super-)provisionnelles ordonnées par le TPI avaient "pour but d'empêcher Mmes D______ et E______ de disposer ou de faire disparaître les certificats d'actions au porteur mentionnés dans l'ordonnance du 16 octobre 2020". Ces titres n'étaient pas nominatifs et un transfert de propriété à un tiers de bonne foi réduisait "à néant [s]es prétentions formées dans le cadre de la procédure C/1______/2020 sur la base de [s]on droit de préemption".

g. Par arrêt du 8 septembre 2023 (ACPR/696/2023), la Chambre de céans a annulé l'ordonnance de non-entrée en matière du 17 mai 2023, rendue par le Ministère public à la suite de la plainte susmentionnée.

Il apparaissait que les certificats d'actions n'étaient "plus en mains de la personne désignée par les mis en cause dans la procédure civile", soit Me G______, laissant envisager une infraction à l'art. 292 CP qui justifiait l'ouverture d'une instruction.

h. Après plusieurs tentatives infructueuses, le Ministère public a, le 9 janvier 2025, entendu E______, laquelle a déclaré qu'elle et sa sœur avaient récupéré les certificats d'actions et que ceux-ci se trouvaient dorénavant dans leur appartement, à I______ [Émirats arabes unis].

i. Me G______ n'a pas donné suite à l'invitation du Ministère public de se déterminer sur la cause.

j. Selon l'extrait du Registre du commerce, les actions au porteur de B______ SA ont été converties en actions nominatives le 1er mai 2021. À teneur des statuts de la société, la cession des actions est soumise à l'approbation du conseil d'administration.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public relève que la finalité de l'ordonnance du TPI du 16 octobre 2020 était de prévenir le risque que les certificats d'actions ne soient cédés à un tiers de bonne foi, ce qui aurait pu avoir pour conséquence d'empêcher – pour autant qu'il soit fondé – l'exercice du droit de préemption dont se prévalait A______. À teneur des éléments au dossier, les certificats en cause s'étaient trouvés en mains de Me G______, un représentant de D______ et E______, puis de celles-ci, soit des personnes désignées par le dispositif de l'ordonnance susmentionnée. Celui-ci ne faisait en outre pas interdiction aux mises en cause (et leur représentant) de se remettre ou de transférer entre eux les certificats d'actions. Ainsi, le but visé par les mesures du TPI demeurait pleinement ménagé. Par ailleurs, la nature contraventionnelle et la qualité des informations à obtenir rendaient disproportionné l'envoi d'une commission rogatoire aux Émirats arabes unis. Alternativement, soit les certificats d'actions se trouvaient à I______, et l'injonction du TPI était respectée, soit ils n'y étaient pas mais dans ce cas, une perquisition de l'appartement de D______ et E______ s'avérerait vaine.

D. a. Dans son recours, A______ soutient, en se fondant sur les définitions des verbes "vendre", "transférer" et "remettre", que D______ et E______ devaient, à teneur de l'ordonnance du 16 octobre 2020, conserver les certificats d'actions à l'endroit où ceux-ci se trouvaient au moment du prononcé des mesures superprovisionnelles. En outre, le terme "quiconque" employé dans ladite ordonnance signifiait que l'injonction du TPI était également applicable à une vente, un transfert ou une remise entre D______ et E______, ainsi que leur représentant. Ainsi, en instruisant Me G______ de sortir ces certificats de son coffre pour les leur remettre, avant de les déplacer à I______, D______ et E______ avaient violé l'interdiction du TPI, sous menace de l'art. 292 CP. D'autant que l'avocat précité ne représentait pas les mises en cause. Il ne pouvait être exclu que les certificats d'actions furent confiés à l'intéressé après le début de la procédure


C/1______/2020, dans le seul but de les soustraire à la justice. L'audition de Me G______ était donc nécessaire. Le Ministère public avait établi les faits de manière erronée puisque, l'emplacement des certificats litigieux étant inconnu entre le 16 octobre 2020 et le 24 mars 2021, il ne pouvait être exclu que ceux-ci furent détenus (ou déplacés) par des tiers, et rien ne permettait non plus d'établir qu'ils se trouvaient effectivement à I______. D______ et E______ devaient ainsi se voir ordonner de remettre les certificats originaux au Ministère public.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP; ACPR/696/2023 du 8 septembre 2023 consid. 1.3).

2.             La recourante s'oppose au classement de la procédure.

2.1. Conformément à l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

2.2. L'art. 292 CP punit de l'amende quiconque ne se conforme pas à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents.

Cette disposition tend à assurer, par la menace pénale, le respect des ordres valablement donnés par l'autorité compétente. Cette infraction suppose que le comportement ordonné par l'autorité soit décrit avec suffisamment de précision pour que le destinataire sache clairement ce qu'il doit faire ou ce dont il doit s'abstenir, et partant quel comportement ou omission est susceptible d'entraîner une sanction pénale. Cette exigence de précision est une conséquence du principe "nullum crimen sine lege" de l'art. 1 CP (ATF 127 IV 119 consid. 2a). Le comportement punissable consiste, pour le destinataire de la décision, à ne pas respecter l'injonction comminatoire, à savoir à ne pas se conformer à la décision de l'autorité (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2015, n. 23 ad art. 292).

2.3. En l'espèce, les démarches civiles de la recourante – indépendamment de leur légitimité – ont pour finalité de lui permettre d'exercer son droit de préemption sur les actions acquises par les mises en cause. À cette fin, elles visent à prévenir que lesdites actions ne soient pas soustraites à ses prétentions, plus particulièrement qu'elles ne soient pas revendues à un (ou des) tiers de bonne foi.

Dans ce contexte, il est patent que les mesures (super-)provisionnelles prononcées par le TPI, sous menace de l'art. 292 CP, interdisent – avant tout et surtout – aux mises en cause de disposer des actions litigieuses, acte qui entraverait les prétentions de la recourante.

À teneur des éléments du dossier, il apparaît que les certificats d'actions ont d'abord été placés en l'Étude de Me G______, en exécution du contrat du 10 juillet 2020 par lequel les mises en cause ont acquis les titres en question. Il ressort du précédent arrêt de la Chambre de céans que cette situation n'impliquait pas encore un comportement délictuel des mises en cause; la cause a été renvoyée au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction car les titres ne se trouvaient justement plus en mains du précité. Selon l'audition ultérieure de E______, elle et sa sœur ont ensuite récupéré les titres pour les amener chez elles, à Dubaï.

La recourante discute les termes employés par le dispositif de l'ordonnance du 16 octobre 2020 et soulève que le risque que les certificats litigieux aient pu se trouver, à certains moments, entre des mains tierces ou à des emplacements différents. Cela étant, elle n'allègue pas, ni – a fortiori – ne démontre que les mises en cause auraient cherché à s'en défaire d'une quelconque manière; encore moins par le biais d'une vente.

Cela apparaît d'autant moins vraisemblable que, depuis le 1er mai 2021, les actions de la société sont nominatives et que leur cession est, selon les statuts, soumise à l'approbation du conseil d'administration, soit nommément la recourante.

Faute de précision dans la requête de mesures (super-)provisionnelles de la recourante et, partant, dans l'ordonnance du TPI, il ne peut pas être retenu que le verbe "transférer" devait interdire un déplacement des certificats d'actions litigieux à l'étranger, en particulier à Dubaï, toujours en mains des mises en cause.

Ainsi, suivre les développements de la recourante serait excéder l'interdiction prononcée par le TPI dans son ordonnance du 16 octobre 2020. En l'état, rien ne permet de considérer que les mises en cause auraient enfreint l'injonction à leur encontre, même en récupérant les certificats litigieux auprès de Me G______ pour ensuite les déplacer à I______.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures, ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, D______ et E______, soit pour elles leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Catherine GAVIN, juge et Monsieur Raphaël MARTIN, juge suppléant; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/9518/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

Total

CHF

1'500.00