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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/25146/2024

ACPR/759/2025 du 23.09.2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);BANQUE;TIERS;CONSULTATION DU DOSSIER;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.197; CPP.263; CPP.101; CPP.105.al1.letf

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/25146/2024 ACPR/759/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 23 septembre 2025

 

Entre

A______ AG, domiciliée ______ [BS], agissant en personne,

recourante,

contre l'ordonnance de séquestre rendue le 17 juin 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 18 juillet 2025, A______ AG (anciennement B______ AG) recourt contre l'ordonnance du 17 juin 2025, par laquelle le Ministère public a ordonné auprès de la [banque] C______ le séquestre notamment des avoirs en compte, placements et safes compris, de toute relation dont D______ était ou aurait été titulaire, ayant droit ou fondé de procuration, en particulier les relations 1______ ouverte au nom de E______ SA et 2______ ouverte au nom de E______ SA, succursale de Genève.

La recourante conclut à la levée de la mesure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par ordonnance du 17 juin 2025, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre D______ pour gestion déloyale (art. 158 ch. 1 al. 1 CP), abus de confiance (art. 138 ch. 1 al. 2 CP), et infractions dans la faillite (art. 163 à 167 CP), voire escroquerie (art. 146 CP).

Il lui est reproché d'avoir, depuis une date que l'instruction visera à déterminer mais à tout le moins depuis 2018 et jusqu'à la faillite de la société E______ SA prononcée le 14 novembre 2024, en sa qualité de président du conseil d'administration de cette société dont il était également l'actionnaire majoritaire, accordé ou fait accorder par E______ SA, des prêts en faveur de sociétés tierces qui lui étaient affiliées, soit à tout le moins un prêt de CHF 19'540'580.16 le 29 janvier 2024 à F______ AG, alors que la première se trouvait en manque de liquidités, ce qui a conduit ou contribué à sa mise en faillite.

Il lui est également reproché d'avoir, durant cette même période, amené – possiblement par une tromperie astucieuse et dans un dessein d'enrichissement illégitime – de nombreux investisseurs à souscrire des emprunts obligataires ainsi que des actions de E______ SA, pour un rendement annuel compris entre 2,35% et 4,25%, alors qu'il connaissait la situation financière obérée de la société et/ou qu'il savait que les fonds ainsi versés ne seraient pas utilisés de façon conforme à ce qui était indiqué aux investisseurs concernés.

b. Par ordonnance du 17 juin 2025, le Ministère public a ordonné auprès de C______, sise à G______ [AG], le séquestre (art. 263 CPP) notamment des avoirs en compte, placements et safes compris, de toute relation dont D______ était ou aurait été titulaire, ayant droit ou fondé de procuration, en particulier les relations 1______ ouverte au nom de E______ SA et 2______ ouverte au nom de E______ SA, succursale de Genève (PP C1-1).

Les titulaires des relations pouvaient être informés des mesures ordonnées.

Il s'agit de la décision dont est recours.

c. Par lettre du 9 juillet 2025 adressée au Ministère public, A______ AG a sollicité la levée immédiate du séquestre sur son compte 3______. Il n'existait aucun lien économique entre elle et D______, celui-ci ayant vendu les parts de la société en décembre 2023. Le blocage l'empêchait de disposer des fonds, qui étaient des revenus locatifs. Il était disproportionné. Elle sollicitait en outre la transmission de l'ordonnance de séquestre ainsi que de pouvoir consulter le dossier.

Elle a produit à cet égard :

- un contrat de cession d'actions non signé, daté du 29 août 2022, par lequel D______ achetait 50% du capital-actions (soit 500 actions) de B______ AG à H______ GmbH;

- un courrier du 14 décembre 2023 de D______ à H______ GmbH à teneur duquel il était contraint de renoncer à son engagement auprès de B______ AG en raison d'une maladie grave qui l'avait frappé. Comme convenu par téléphone, il lui cédait donc 100% des parts de B______ AG;

- un extrait du registre du commerce de Bâle-Ville indiquant que D______ n'était plus membre du conseil d'administration ni signataire, avec effet au 17 octobre 2024, de B______ AG, et la publication à la FOSC relative à cette modification.

d. Par pli du 11 juillet 2025 adressé au Ministère public, A______ AG a réitéré ses demandes, en produisant les mêmes documents à l'appui.

e. Par courrier du 16 juillet 2025 adressé à A______ AG, le Ministère public lui a transmis copie de son ordonnance de séquestre du 17 juin 2025.

Il considérait que les éléments produits à l'appui de la demande de levée du séquestre n'étaient pas de nature à modifier sa décision. Ainsi, aucune convention de cession d'actions attestant de la réalité de la vente par D______ de 100% du capital-actions au mois de décembre 2023 n'avait été fournie, ni certificat d'actions nominatives endossé, ni preuve de paiement effectif (justificatif de transfert bancaire) d'un prix correspondant à la valeur de marché (rapport d'évaluation), ni copie du registre des actionnaires et ayant droits économiques mis à jour. Le séquestre ordonné était ainsi maintenu. Il lui était cependant loisible de solliciter des autorisations sous forme de "n'empêche" pour le règlement des factures usuelles. Enfin, le dossier n'était pas consultable (art. 101 CPP).

D. a. À l'appui de son recours, A______ AG allègue avoir eu connaissance du blocage, par la banque, le 9 juillet 2025.

Elle réitère ses demandes, mêmes pièces à l'appui, à savoir : communication de l'ordonnance de séquestre, accès au dossier (art. 101 CPP) et levée du blocage "auprès de C______ et de toutes les autres banques concernées", pour les mêmes motifs que ceux précédemment soulevés. Il n'existait à sa connaissance aucun soupçon fondé à l'encontre de ses organes ou actionnaires actuels. Le blocage était disproportionné.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1. 1.1. Le recours est déposé selon la forme prescrite (art. 385 al. 1 CPP), concerne une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du tiers saisi (art. 105 al. 1 let. f CPP) qui, titulaire de la relation bancaire visée, a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 105 al. 2 et 382 al. 1 CPP).

1.2.1. À teneur des art. 393 al. 1 let. a et 396 al. 1 CPP, les recours contre les décisions du Ministère public doivent être adressés à l'autorité de recours, soit à la Chambre de céans, dans un délai de 10 jours. Selon l'art. 384 CPP, le délai de recours commence à courir dès la notification de la décision (let. b) et, pour les actes de procédure non notifiés par écrit, dès que les personnes concernées en ont eu connaissance (let. c). Si la loi prévoit une notification écrite ultérieure des décisions, le début du délai se calcule selon l'art. 384 let. b CPP (arrêts du Tribunal fédéral 1B_537/2019 du 25 novembre 2020, consid. 4.2; 1B_210/2014 du 17 décembre 2014 consid. 5.2 et 5.4 et les références citées).

Le fardeau de la preuve de la notification et de la date de celle-ci incombe en principe à l'autorité (ATF 142 IV 125 consid. 4.3), et celle-ci supporte les conséquences de l'échec de la preuve lorsque la notification est contestée (ATF 129 I 8 consid. 2.2; 124 V 400 consid. 2a).

1.2.2. En l'espèce, l'ordonnance de séquestre du 17 juin 2025 a été notifiée par le Ministère public à la seule banque concernée, à laquelle il n'a pas été fait interdiction de communiquer la mesure aux titulaires des comptes visés.

La recourante allègue en avoir eu connaissance par la banque le 9 juillet 2025. Partant, son recours, expédié le 18 juillet 2025, l'a été dans le délai prescrit (art. 396 al. 1 CPP) et est donc recevable.

2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3. L'objet du recours est circonscrit à l'ordonnance de séquestre du 17 juin 2025 signifiée à C______, de sorte que la recourante ne saurait, par ce biais, contester d'éventuels autres séquestres auprès d'autres banques.

4. La recourante ayant reçu copie de l'ordonnance de séquestre du 17 juin 2025, sa conclusion tendant à sa transmission n'a plus d'objet.

5. La recourante persiste à demander l'accès au dossier, malgré le refus du Ministère public.

5.1. Concrétisant le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) ainsi que les garanties relatives à un procès équitable et aux droits de la défense (art. 6 par. 3 CEDH et 32 al. 2 Cst.), les art. 101 al. 1 et 107 al. 1 let. a CPP permettent aux parties de consulter le dossier de la procédure pénale. En tant que personne touchée par un acte de procédure au sens de l'art. 105 al. 1 let. f CPP, la recourante peut se voir reconnaître la qualité de partie dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts (art. 105 al. 2 CPP). À ce titre, elle ne saurait prétendre à un droit à la consultation de l'intégralité du dossier de la procédure pénale, mais uniquement aux éléments du dossier pertinents pour l'exercice de ses droits de défense (arrêt du Tribunal fédéral 1B_593/2012 du 14 décembre 2012 consid. 2.2; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2011, n.°29 ad art. 105).

5.2. Même si la qualité de partie lui est reconnue en application de l'art. 105 al. 2 CPP, la recourante n'a pas pour autant le droit de consulter le dossier à ce stade de la procédure. L'art. 101 al. 1 CPP prévoit en effet que les parties peuvent consulter le dossier "au plus tard après la première audition du prévenu et l'administration des preuves essentielles". Or, en l'occurrence, l'instruction n'en étant qu'à ses débuts, aucun prévenu n'a encore été entendu à ce stade et il n’apparaît pas que les preuves essentielles aient été administrées.

6. La recourante estime que les conditions du séquestre ne sont pas réalisées, faute de lien économique entre elle et D______, qui n'était plus organe ni ayant droit économique de la société.

6.1. Conformément à l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), doit respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et doit apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d) ; si la mesure porte atteinte aux droits fondamentaux de personnes qui n’ont pas le statut de prévenu, une retenue particulière doit être observée (art. 197 al. 2 CPP). Au sens de l’art. 263 al. 1 CPP, le séquestre de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers figure au nombre des mesures prévues par la loi et peut être ordonné notamment lorsqu'il est probable qu'elles seront utilisées comme moyens de preuves (let. a), qu'elles devront être restituées au lésé (let. c) ou qu'elles devront être confisquées (let. d).

6.2. Au début de l'enquête, un soupçon crédible ou un début de preuve de l'existence de l'infraction reprochée suffit à permettre le séquestre, ce qui laisse une grande place à l'appréciation du juge. On exige toutefois que ce soupçon se renforce au cours de l'instruction pour justifier le maintien de la mesure. De même, il faut pouvoir établir un lien de connexité entre l'objet séquestré et l'infraction poursuivie; en début de procédure, la seule probabilité de ce lien suffit, la mesure devant pouvoir être ordonnée rapidement, ce qui exclut la résolution de questions juridiques complexes. Il importe toutefois là aussi que les présomptions se renforcent au cours de l'enquête (arrêt du Tribunal fédéral 1B_416/2012 du 30 octobre 2012 consid. 2.1 et les arrêts cités; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand du Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 22, 25et 26 ad art. 263).

6.3. En l'espèce, il existe manifestement à ce stade précoce de l'instruction des soupçons d'infractions pénales suffisants à l'encontre de D______ notamment, lequel conserverait encore des liens financiers avec la recourante. Les pièces produites par cette dernière ne sont en effet pas propres à démentir tout lien économique existant entre elle et l'intéressé, quand bien même ce dernier n'est plus membre du conseil d'administration depuis le 17 octobre 2025, selon l'extrait du registre du commerce produit. Sous l'angle du changement d'actionnariat en effet, il n'est aucunement établi que D______ aurait effectivement vendu la totalité de ses actions de la recourante à H______ GmbH en décembre 2023, la simple lettre de D______ produite ne reflétant tout au plus qu'une simple intention. Le prix de vente des actions n'est pas non plus connu. Enfin, aucune copie du registre des actionnaires et ayant droits économiques à jour n'a été remise.

Partant, les conditions posées par les art. 197 et 263 CPP sont remplies.

Le séquestre apparaît également conforme au principe de la proportionnalité, la recourante ayant été autorisée par le Ministère public à lui soumettre des demandes de "n'empêche" pour le paiement de ses factures usuelles, de sorte que la poursuite de ses activités commerciales demeure préservée.

7. Le recours sera ainsi rejeté.

8. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ AG aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/25146/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'000.00

Total

CHF

1'085.00