Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/666/2025 du 21.08.2025 sur OCL/1018/2025 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/27317/2024 ACPR/666/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 21 août 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance de classement rendue le 3 juillet 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 11 juillet 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 3 juillet 2025, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a principalement ordonné le classement de sa plainte du 15 juin 2024 à l'encontre de C______ (ch. 1 du dispositif) et lui a donné acte de ce qu'il renonçait à toute indemnité fondée sur l'art. 429 CPP (ch. 4 du dispositif).
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée, au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il ordonne l'établissement d'un rapporté médical circonstancié, à la condamnation de C______ pour lésions corporelles graves, subsidiairement lésions corporelles simples qualifiées, plus subsidiairement voies de fait, et à l'allocation d'indemnités en CHF 10'000.- à titre de réparation de son dommage corporel, CHF 925.20 pour ses frais médicaux, CHF 5'000.- pour la réparation de son tort moral, CHF 3'354.50 à titre d'indemnité fondée sur l'art. 429 al. 1 let. a CPP et CHF 3'939.89 à titre d'indemnité fondée sur l'art. 433 CPP.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. C______ est propriétaire du restaurant D______ à E______ [GE].
b. Le 8 juin 2024, A______ s'y est rendu avec son épouse pour le déjeuner. Alors qu'ils terminaient leur repas, un conflit est survenu entre A______ et C______, le premier reprochant à l'établissement d'afficher des prix supérieurs sur la carte à ceux se trouvant sur le site internet.
c. S'est ensuivie une altercation entre les précités, à la suite de laquelle A______ s'est retrouvé au sol, sa chute lui ayant notamment causé une fracture du poignet gauche, une dermabrasion et des douleurs à l'épaule gauche, celle-ci s'étant déboîtée, et une plaie de 3 cm sur la main gauche.
d. Le 15 juin 2024, A______ a déposé plainte pénale contre C______ pour ces faits.
Il se rendait dans ce restaurant environ deux fois par mois et était un "habitué des lieux". À la fin du repas, après avoir payé l'addition, il avait signalé à C______ que le prix des cuisses de grenouilles sur la carte était supérieur à celui affiché sur leur site internet. L'intéressé n'avait pas apprécié la remarque et avait "pété les plombs", lui indiquant qu'il n'en avait "rien à foutre d'internet et que c'était sa carte qui faisait foi", qu'il était le patron et, en conséquence, le seul à décider des prix. Lui-même s'était alors levé et avait pris la direction de la sortie, son épouse le précédant. C______ les avait suivis, en leur disant "foutez-moi le camp, je ne veux plus vous voir ici". Arrivé sur le pas de la porte, lui-même s'était retourné face à ce dernier et avait dit à C______ d'aller "se faire soigner". Ce dernier était alors arrivé "franc fou" vers lui et l'avait poussé de ses deux mains avec haine pour le faire sortir de l'établissement, provoquant sa chute sur plusieurs mètres. Sa tête avait également violemment heurté le sol, sans qu'il ne perdît pour autant connaissance.
e. Entendu par la police le 21 juin 2024, C______ a contesté avoir poussé A______.
Ce dernier et son épouse étaient des clients très exigeants, qui venaient régulièrement et avaient leurs habitudes auxquelles ils ne voulaient pas déroger. Le jour des faits, ils avaient consommé de l'alcool. Au moment de l'addition, A______ l'avait remercié d'avoir offert les cafés et lui avait fait remarquer que les prix de la carte divergeaient de ceux du site internet. Il lui avait répondu de manière polie que la carte faisait foi, mais A______ avait insisté, indiquant qu'il s'agissait d'un comportement malhonnête. Lui-même s'était ensuite éloigné, la discussion "ne mena[n]t à rien". A______ l'avait suivi en lui disant "je n'ai pas à recevoir de leçon d'un petit con comme ça". Il lui avait alors fait remarquer, d'un ton plus sec et tendu, que ce n'était pas la première fois qu'il payait ce prix pour le même plat et lui avait demandé, à deux reprises, de quitter les lieux. A______ s'était alors approché à quelques centimètres de son visage, lui indiquant qu'il ne remettrait pas les pieds dans cet établissement. Puis, tout en se dirigeant vers la sortie, A______ avait dit "je n'ai jamais vu un trou du cul pareil". Lui-même se trouvant auprès d'autre clients, il s'était retourné et avait avancé vers l'intéressé, lui criant de quitter les lieux, ce à quoi A______ avait répondu par de nouvelles provocations. Il avait voulu le saisir par la veste, mais, dans la mesure où ce dernier avait voulu l'éviter, son geste (à lui) l'avait poussé et A______ avait perdu l'équilibre, s'était encoublé dans le pas de porte et avait chuté. Il n'avait pas été violent et avait gardé son sang-froid.
À la fin de son audition, il a déposé plainte contre A______ pour injure.
f. Entendu par la police le 3 juillet 2024, A______ a confirmé ses précédentes déclarations. Il a contesté avoir quitté la table lors de la discussion, affirmant y être resté sans bouger.
g. Entendus par le Ministère public le 4 février 2025:
g.a. C______ a confirmé ses déclarations à la police. Il avait voulu saisir la veste de A______, qui était très alcoolisé, pour le faire sortir, après avoir à plusieurs reprises essayé de calmer la situation. Au moment où il avait tenté de l'attraper, ce dernier avait eu un mouvement de recul et s'était pris les pieds dans la marche qui se trouvait sur le pas de la porte, tombant sur le côté, environ deux mètres plus loin, après avoir essayé de se rattraper. L'épouse de A______ se dirigeait alors vers le parking et n'avait pas assisté à la scène.
g.b. A______ a contesté avoir injurié C______ et a confirmé ses précédentes déclarations pour le surplus. Il a précisé qu'il avait également été insulté et que son épouse n'avait pas assisté à la chute, puisqu'elle marchait en direction du parking. Il avait bu de l'alcool, mais n'était pas "aviné". Il avait été traumatisé par ces évènements.
h. F______, entendue en qualité de témoin, a indiqué s'être trouvée dans le restaurant au moment des faits litigieux et avoir assisté à une altercation portant sur le prix du repas. C______ avait répondu de manière très polie et calme, faisant preuve "d'une grande patience" alors que A______ avait eu un ton un peu agressif et avait été insistant, posant plusieurs fois la même question. Elle avait eu le sentiment qu'il cherchait la confrontation et que le repas avait été arrosé, l'élocution de ce dernier n'étant pas claire, voire "pâteuse". Le ton était monté et C______ avait demandé à A______ de quitter l'établissement à plusieurs reprises (entre sept et huit fois). Ce dernier s'était levé et avait demandé s'il était le propriétaire, poursuivant dans la provocation et dans la recherche de confrontation. Il avait alors reculé pour sortir et avait chuté. Elle n'avait pas vu si C______ l'avait touché et n'avait pas entendu d'insultes de part et d'autre.
i. Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 16 juin 2025, le Ministère public a informé les parties qu'il entendait rendre une ordonnance de classement et leur a imparti un délai au 1er juillet suivant pour faire valoir leurs éventuelles réquisitions de preuves, ou solliciter cas échéant une indemnité, tant en leurs qualités de prévenus que de plaignants.
j. Par courrier du 1er juillet 2025, reçu le 4 suivant, A______ a requis l'établissement d'un rapport médical circonstancié d'un chirurgien orthopédiste afin de clarifier le diagnostic exact, la nature de la lésion, l'absence de causes antérieures et le lien de causalité avec les faits dénoncés et a conclu à l'allocation d'indemnités à titre de réparation du dommage corporel (CHF 10'000.-), pour les frais médicaux (CHF 925.20), pour tort moral (CHF 5'000.-) et fondées sur les art. 429 (CHF 3'354.50) et 433 (CHF 3'939.89) CPP. Il a également souligné qu'au vu des blessures subies, notamment la rupture complète de la coiffe des rotateurs et la nécessité d'une pose de prothèse à l'épaule, celles-ci devaient être qualifiées de lésions corporelles graves.
Il a notamment produit, à l'appui de son courrier, divers témoignages publiés sur internet de clients qui avaient été mécontents du service et du comportement du "patron" lors de leurs passages au restaurant.
C. Dans l'ordonnance querellée, – prononcée antérieurement à la réception du courrier du 1er juillet 2025 de A______ – le Ministère public constate que, s'agissant des faits reprochés à C______, les déclarations des parties se contredisaient. S'il était établi que A______ était tombé à l'entrée du restaurant et avait été blessé lors de sa chute, aucun élément du dossier ne permettait de considérer que C______ l'aurait poussé ou serait à l'origine de ses blessures, ce dernier ayant contesté l'avoir touché. Il avait en effet indiqué que A______ était tombé seul, en reculant, après avoir été invité à sortir du restaurant. La témoin avait déclaré ne pas avoir vu la chute, ajoutant que, alors que C______ avait demandé gentiment et, à réitérées reprises, à A______ de sortir de son restaurant, ce dernier avait reculé, tout en vociférant. Aucune autre personne n'était présente à ce moment précis des faits. Ainsi, les éléments au dossier ne permettaient pas d'attester une quelconque responsabilité de C______ dans la chute de A______, qui avait de plus consommé de l'alcool. Il n'était ainsi pas exclu qu'en reculant, il eût trébuché seul sur la marche qui se trouvait à l'entrée.
Enfin, il donnait acte à A______ de ce qu'il renonçait à toute indemnité fondée sur l'art. 429 CP.
D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public une violation de son droit d'être entendu, ce dernier ayant rendu l'ordonnance litigieuse avant d'avoir reçu son courrier du 1er juillet 2025, envoyé dans le délai imparti, lequel contenait ses déterminations, ses réquisitions de preuves ainsi que ses prétentions en indemnisation, dont il n'avait dès lors pas pu tenir compte.
Le Ministère public avait également établi les faits de manière manifestement inexacte et arbitraire, retenant que C______ ne l'avait pas touché, alors que ce dernier avait admis avoir "fini par le pousser".
Enfin, le Ministère public avait fait preuve d'arbitraire et violé son droit à un procès équitable (art. 6 et 9 CEDH) en retenant à tort qu'il n'était pas possible d'affirmer que C______ l'avait poussé, alors que ce dernier l'avait lui-même admis lors de son audition par la police. Or, aucun élément ne permettait d'avantager la version de C______, qui n'avait eu de cesse de "mentir allègrement" au cours de l'instruction et de changer de version. Les témoignages recueillis sur internet permettaient en outre d'attester du comportement "colérique et vindicatif" de C______, confirmaient sa dangerosité et renforçaient la portée de ses accusations.
b. Dans ses observations, le Ministère public conclut à l'annulation du chiffre 4 du dispositif de l'ordonnance litigieuse et à l'allocation à A______ d'une indemnité de CHF 2'500.- (TVA incluse) pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP), au refus d'une indemnité fondée sur l'art. 433 CPP et au rejet du recours pour le surplus.
Le recourant ayant eu la possibilité de s'exprimer dans le cadre de son recours devant une autorité jouissant d'un plein pouvoir d'examen, la violation du droit d'être entendu avait pu être réparée.
S'agissant de la réquisition de preuve, le recourant n'exposait pas en quoi l'établissement du rapport médical sollicité permettrait d'établir la responsabilité de C______ dans sa chute, de sorte qu'elle n'était pas pertinente.
Enfin, le classement était justifié et le recourant procédait à une interprétation inexacte des déclarations du prévenu – corroborées par celles du témoin – qui n'avait pas reconnu l'avoir poussé. Il n'exposait également pas en quoi les siennes seraient plus crédibles.
c. Dans sa réplique, A______ persiste dans ses conclusions. La position du Ministère public reposait sur une violation grave du droit d'être entendu et consistait en un refus arbitraire et anticipé d'administrer des preuves pertinentes – un rapport circonstancié du chirurgien l'ayant opéré étant de nature à dissiper toute ambigüité sur l'origine des lésions – et une violation du principe in dubio pro duriore. Le prévenu avait de plus admis l'avoir poussé et ainsi reconnu l'élément matériel de l'infraction, avant de changer de version des faits. Il convenait dès lors de renvoyer la cause au Ministère public afin qu'il complétât l'instruction ou que la Chambre de céans ordonnât la condamnation du prévenu.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du justiciable qui, en ses qualités de prévenu et de plaignant, est partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a et b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant reproche au Ministère public d'avoir violé son droit d'être entendu en rendant son ordonnance avant d'avoir reçu ses déterminations du 1er juillet 2025.
2.1. À teneur de l'art. 318 CPP, lorsqu’il estime que l’instruction est complète, le ministère public rend une ordonnance pénale ou informe par écrit les parties dont le domicile est connu de la clôture prochaine de l’instruction et leur indique s’il entend rendre une ordonnance de mise en accusation ou une ordonnance de classement. En même temps, il fixe aux parties un délai pour présenter leurs réquisitions de preuves (al. 1). Le ministère public ne peut écarter une réquisition de preuves que si celle-ci exige l’administration de preuves sur des faits non pertinents, notoires, connus de l’autorité pénale ou déjà suffisamment prouvés en droit. Il rend sa décision par écrit et la motive brièvement. Les réquisitions de preuves écartées peuvent être réitérées dans le cadre des débats (al. 2).
Avant de donner suite à la procédure, le Ministère public doit vérifier s’il a traité toutes les demandes des parties, tendant à l’administration de preuves. Si tel est le cas, il rend une ordonnance de classement ou met le prévenu en accusation (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 22 ad art. 318).
Les formalités de l'art. 318 CPP sont essentielles et doivent obligatoirement précéder toute ordonnance de classement et tout renvoi en tribunal. Si le ministère public n’a pas respecté ces formes pour la clôture, la décision qu’il rend ensuite (classement, renvoi) est annulable, étant précisé qu’une réparation devant l’instance de recours est envisageable (arrêt du Tribunal fédéral 1B_22/2012 du 11 mai 2012 consid. 3). L’absence de décision sur les réquisitions de preuve peut permettre l’ouverture du recours au sens de l'art. 393 CPP pour déni de justice (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE op. cit., n. 22 ad art. 318).
2.2. Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 146 IV 218 consid. 3.1.1).
La violation du droit d'être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Toutefois, une telle réparation doit rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte qui n'est pas particulièrement grave aux droits procéduraux de la partie lésée. Cela étant, une réparation de la violation du droit d'être entendu peut également se justifier, même en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_482/2024 du 21 mai 2024 consid. 2.2.1).
2.3. En l'espèce, le Ministère public ayant statué sans laisser au recourant la possibilité de faire valoir devant lui ses réquisitions de preuve et son droit aux indemnités fondées sur les art. 429 et 433 CPP, le droit d'être entendu du recourant a, sur ce point, été violé. Cela étant, dans ses observations, le Ministère public s'est prononcé sur les indemnités réclamées ainsi que sur la réquisition de preuve formulée, et le recourant a pu ensuite répliquer, de sorte que dite violation a été réparée dans le cadre du présent recours. Un renvoi au Ministère public pour qu'il statue à nouveau s'avèrerait contraire à l'économie de procédure et ne saurait ainsi justifier une annulation de l'ordonnance querellée pour ce motif. Un tel constat s'impose d'autant plus qu'une telle réparation n'induit aucun préjudice pour le recourant, la Chambre de céans jouissant d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1).
3. Le recourant se plaint d'une constatation manifestement inexacte et arbitraire des faits.
Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.
Partant, ce grief sera rejeté.
4. Le recourant reproche au Ministère public d'avoir classé sa plainte, les faits dénoncés étant susceptibles selon lui d'être constitutifs de lésions corporelles graves, voire de lésions corporelles simples qualifiées ou de voies de fait.
4.1. En application de l'art. 319 al. 1 let. a CPP, le ministère public classe la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi.
Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2). Il signifie qu'en principe, un classement ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1).
Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu et lorsqu'il n'est pas possible d'estimer que certaines dépositions sont plus crédibles que d'autres, le principe "in dubio pro duriore" impose en règle générale que le prévenu soit mis en accusation. Face à des versions contradictoires, il peut être exceptionnellement renoncé à une mise en accusation lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre version comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1056/2018 du 29 janvier 2019 consid. 2.2.2 ; 6B_806/2015 du 1 er février 2016 consid. 2.3; 6B_1151/2014 du 16 décembre 2015 consid. 3.1).
4.2. En l'espèce, il n'est pas contesté que le recourant a subi des lésions corporelles à la suite de sa chute le 8 juin 2024, notamment une fracture du poignet gauche, une dermabrasion et des douleurs à l'épaule gauche, celle-ci s'étant déboîtée, et une plaie de 3 cm sur la main gauche. La question de savoir si elles doivent être qualifiées de graves (art. 122 CP) ou simples (art. 123 CP) peut cependant rester ouverte, au vu de ce qui suit.
Le dossier ne permet en effet pas d'établir que ces blessures seraient la conséquence du comportement de C______, les parties ayant fourni des versions contradictoires s'agissant du déroulement des faits. Le recourant a allégué que le précité l'avait poussé avec ses deux mains, alors que celui-ci nie tout acte de violence à son égard, affirmant avoir tenté de lui attraper la veste, à la suite de quoi le recourant aurait eu un mouvement de recul et aurait chuté, s'encoublant dans la marche du perron.
Contrairement à ce que soutient le recourant, C______ n'a pas changé de version au cours de la procédure. Il a en effet admis, dès sa première audition, avoir voulu attraper la veste du recourant, sans y parvenir, et que c'était en essayant de l'éviter que ce dernier était tombé en arrière. L'instruction a au demeurant permis d'établir que, l'instant précédant la chute, le recourant se trouvait dos à la porte et avait reculé. Ainsi, il ne peut être exclu qu'il ait trébuché seul sur le pas de porte, notamment sous l'effet d'une quantité non négligeable d'alcool, étant précisé qu'il a admis avoir bu.
L'audition de la témoin a également permis de corroborer la version du prévenu. Le recourant avait adopté une attitude agressive, cherchant la confrontation, et avait consommé de l'alcool. C______ était quant à lui resté calme et patient face aux provocations du recourant. Bien qu'elle n'eût pas assisté directement à la chute, la témoin avait vu ce dernier reculer en direction du pas de porte.
Ainsi, les accusations ne reposent que sur les déclarations du recourant. Faute d'éléments corroborant sa version, et face aux dénégations constantes de C______ qui nie l'avoir poussé, les chances pour qu'un acquittement soit prononcé en cas de mise en accusation sont manifestement supérieures à celles d'une condamnation. Le classement de la procédure n'est dès lors pas critiquable.
Aucune mesure d'instruction ne paraît être à même de modifier ces constatations. En effet, les lésions subies par le recourant n'étant pas contestées et déjà attestées par certificat médical, l'expertise sollicitée par l'intéressé ne serait pas de nature à apporter d'élément nouveau sur une éventuelle culpabilité du prévenu. En particulier, le recourant n'expose pas en quoi un rapport du chirurgien qui l'avait opéré permettrait d'établir la responsabilité pénale du prévenu.
Ainsi, faute de prévention pénale suffisante, le Ministère public était fondé à ne pas donner suite aux réquisitions de preuve du recourant et à classer la procédure sur la base de l'art. 319 al. 1 let. a CPP.
L'ordonnance querellée sera donc confirmée sur ce point.
5. Dans cette mesure, l'autorité intimée pouvait également refuser d'allouer au recourant les indemnités qu'il réclame pour son dommage corporel, ses frais médicaux, son tort moral et ses frais d'avocat en sa qualité de partie plaignante (art. 433 CPP).
6. S'agissant des prétentions du recourant en lien avec l'exercice raisonnable de ses droits de procédure en sa qualité de prévenu dans le cadre de la procédure préliminaire (art. 429 al. 1 let. a CPP), le Ministère public – qui a statué avant de prendre connaissance du courriel du recourant du 1er juillet 2025 –, a considéré, à tort, que celui-ci y avait renoncé. Dans ses observations, le Ministère public propose d'octroyer au recourant CHF 2'500.- (TVA comprise) à titre d'indemnité fondée sur l'art. 429 al. 1 let. a CPP. Dans la mesure où, dans sa réplique, le recourant n'a pas critiqué la quotité de ce montant et où celui-ci paraît ex aequo et bono largement approprié eu égard à l'affaire et à l'activité déployée par son avocat en lien avec la plainte pénale dirigée à son encontre, il sera confirmé et une indemnité de CHF 2'500.- (TVA comprise) sera ainsi octroyée à Me B______ (art. 429 al. 3 CPP).
7. Le recourant succombe sur le fond (art. 428 al. 1 CPP), mais voit son grief tiré d'une violation du droit d'être entendu admis (arrêt du Tribunal fédéral 7B_512/2023 du 30 septembre 2024 consid. 3.1).
Il sera, en conséquence, condamné aux deux-tiers des frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit au paiement de CHF 1'000.-.
Le solde de ces frais (CHF 500.-) sera laissé à la charge de l'État.
8. Le recourant peut, corrélativement (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2), prétendre à l'octroi de dépens en lien avec l'activité pour laquelle il a obtenu gain de cause (soit à raison d'un tiers).
Il chiffre à CHF 3'150.- ses prétentions, correspondant à 7 heures d’activité accomplies par un chef d’étude, facturées au tarif horaire de CHF 450.-, sans fournir de note d'honoraires ni les justifier.
Le temps consacré à la procédure de recours apparaît cependant excessif. Il sera donc ramené à 4 heures (3 heures pour la rédaction du recours et 30 minutes pour la réplique, recherches en droit incluses, ainsi que 30 minutes pour s’entretenir avec le client).
Ces prestations doivent être rémunérées selon le tarif horaire usuel applicable à Genève, soit CHF 450.- pour un chef d'étude (APCR/5/2023 du 4 janvier 2023, consid. 3.2).
À cette aune, l’indemnisation sera arrêtée à CHF 648.60 (1/3 [mesure dans laquelle le recourant a obtenu gain de cause] x 4 heures x CHF 450.-, le total étant majoré de la TVA à 8.1%).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet partiellement le recours.
Annule le chiffre 4 de l'ordonnance de classement du 3 juillet 2025.
Alloue à Me B______, à charge de l'État, une indemnité de CHF 2'500.-, TVA à 8.1% incluse, à titre de dépens pour la procédure préliminaire (art. 429 al. 1 let. a et al. 3 CPP).
Rejette le recours pour le surplus.
Condamne A______ aux deux-tiers des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-, soit au paiement de CHF 1'000.-.
Laisse le solde des frais de la procédure de recours (CHF 500.-) à la charge de l'État.
Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 648.60 TTC pour la procédure de recours (art. 433 CPP).
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Le communique, pour information, à C______, soit pour lui son conseil.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/27317/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 1'415.00 |
Total | CHF | 1'500.00 |