Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/583/2025 du 31.07.2025 sur OMP/15800/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/8796/2025 ACPR/583/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 31 juillet 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Charles ARCHINARD, avocat, BAZARBACHI LAHLOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 29 juin 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 9 juillet 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 29 juin 2025, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. À teneur du rapport d'arrestation du 28 juin 2025, A______, ressortissant nigérian, né le ______ 1991, a été observé ce jour-là en train de faire le pied de grue à la rue de la Coulouvrenière no. ______, à Genève, lieu notoirement connu pour le trafic de stupéfiants. À la vue des forces de l'ordre, il a pris la fuite, ne s'arrêtant pas malgré les injonctions "Stop police". Les agents de police sont finalement parvenus à l'interpeller, démuni de documents d'identité et en situation irrégulière, à la rue du Stand.
b. Entendu par la police le jour même, A______ a fait usage de son droit de se taire.
c. Lors de son audition par le Ministère public, le lendemain, il a expliqué avoir quitté la Suisse le 12 avril 2025, jour de sa précédente libération, avant d'y revenir le 28 juin 2025 afin d'assister à une fête. Il n'avait ni autorisation de séjour, ni document d'identité. Il a contesté avoir pris la fuite, indiquant avoir vu des gens courir autour de lui et s'être abaissé pour ramasser son téléphone qui était tombé.
d. Par ordonnance pénale du 29 juin 2025, rendue dans la procédure P/14780/2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI) et d'empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP), l'a condamné à une peine pécuniaire de 40 jours-amende à CHF 30.- l'unité, et révoqué le sursis qu'il lui avait précédemment accordé le 14 janvier 2022.
A______ y a formé opposition.
e. Par ordonnance du 14 juillet 2025, le Ministère public a maintenu son ordonnance pénale et transmis la procédure au Tribunal de police, tout en concluant à la jonction des procédures P/8796/2025 et P/14780/2025.
f. Par ordonnance du 17 juillet 2025, le Tribunal de police a joint les procédures P/14780/2025 et P/8796/2025, sous ce dernier numéro de procédure.
g. S'agissant de sa situation personnelle, A______ a expliqué être marié et avoir deux enfants, qui vivaient en France avec leur mère. Il gagnait un peu d'argent avec des "petits boulots", lesquels lui procuraient un revenu mensuel compris entre EUR 700.- et EUR 800.-. Il vivait avec une femme au bénéfice d'un logement payé par l'État français.
À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, il a été condamné:
- le 14 janvier 2022, à une peine privative de liberté de 45 jours, avec sursis durant trois ans, pour entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI) et délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c LStup);
- le 18 février 2024, à une peine pécuniaire de 40 jours-amende à CHF 30.- l'unité, pour entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI) et empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP).
C. Le Ministère public motive l'ordonnance querellée par le fait que A______ avait déjà été soupçonné par la police d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN (cf. liste des infractions mentionnées dans la Directive A.5, art. 4), soit un délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c LStup).
D. a. Dans son recours, A______ soutient qu'il n'existait aucun indice concret permettant d'affirmer qu'il aurait commis d'autres infractions que celles pour lesquelles il avait déjà été poursuivi, ses antécédents ne permettant pas de fonder de tels soupçons, dès lors qu'ils consistaient principalement en des infractions à la LEI, à l'exclusion d'une seule condamnation en 2022 pour un délit contre la loi sur les stupéfiants. Il semblait peu vraisemblable que le Ministère public eût procédé à une analyse concrète du cas d'espèce, plus particulièrement en allant consulter la procédure de 2022. Or, il était essentiel de connaitre son implication dans cette "vente de stupéfiants de 2022", le type de drogue, ainsi que la quantité sur laquelle cette infraction avait porté, pour appréhender le risque concret d'une implication de sa part dans d'autres infractions. Le devoir de motivation n'était pas respecté, la seule indication de l'art. 19 al. 1 let. c LStup n'étant clairement pas suffisante. En procédant de manière systématique, sans réelle motivation et en se basant uniquement sur une condamnation vieille de trois ans pour justifier l'ordonnance querellée, le Ministère public avait rendu une décision arbitraire et disproportionnée, contournant par ailleurs les délais et l'esprit de la loi sur les profils d'ADN.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
2.3. L'établissement d'un profil d'ADN, lorsqu'il ne sert pas à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, est conforme au principe de la proportionnalité uniquement s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 précité consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.4. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors qu'il avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables. En effet, il a déjà été condamné, le 14 janvier 2022, pour entrée illégale et délit contre la loi sur les stupéfiants, soit notamment en lien avec des agissements qui dépassent le stade de la simple consommation personnelle. Il a par ailleurs été condamné à deux autres reprises pour entrée illégale et empêchement d'accomplir un acte officiel, le 18 février 2024, puis le 29 juin 2025, dans le cadre de la présente procédure, après avoir été observé en train de faire le pied de grue dans un lieu notoirement connu pour le trafic de stupéfiants et avoir pris la fuite à la vue des forces de l'ordre. Quand bien même le recourant a fait opposition à cette dernière condamnation, il n'en demeure pas moins qu'il a admis être dépourvu d'une autorisation de séjour et d'un document d'identité, d'une part, et qu'il a été observé par des agents assermentés en train de prendre la fuite, d'autre part.
Ces antécédents, auxquels s'ajoute la situation personnelle précaire du recourant, laissent craindre un ancrage dans la délinquance liée aux stupéfiants et permettent de penser qu'il pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, qui pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leurs commissions.
Enfin, les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent une certaine gravité eu égard à la santé publique. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.
En définitive, l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis et la mesure contestée n'apparaissant ni inutile ni disproportionnée.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixée en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Valérie LAUBER, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur
Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Valérie LAUBER |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/8796/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |