Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/581/2025 du 31.07.2025 sur OMP/11090/2025 ( MP ) , ADMIS
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/10246/2025 ACPR/581/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 31 juillet 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocate,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil ADN rendue le 8 mai 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 19 mai 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 précédent, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 8 mai 2025, A______, de nationalité gambienne et né le ______ 1993, a été interpellé par la police, après avoir pris la fuite malgré les injonctions "stop police".
Après vérifications, il s'est avéré que l'intéressé faisait l'objet d'une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève depuis le 28 octobre 2024, pour une durée de douze mois.
b. A______ a refusé de répondre aux questions de la police, puis a contesté les faits par-devant le Ministère public.
c. Par ordonnance pénale du 8 mai 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 CP), de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et de non-respect d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI).
Le prévenu y a formé opposition.
d. L'extrait de son casier judiciaire suisse (au 8 mai 2025) ne fait état d'aucune condamnation entrée en force, mais d'une procédure (P/1______/2024), en sus de la présente, dans le cadre de laquelle il est poursuivi pour les mêmes infractions que celles listées ci-avant, ainsi que pour infraction à l'art. 19 LStup.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a coché la case selon laquelle il convenait d'établir le profil ADN du prévenu en raison d'"infraction(s) passée(s) (art. 255 al. 1bis CPP)". Le champ destiné à être complété par l'autorité, comporte encore la mention préétablie: "énumérer les antécédents et motiver".
D. a. Dans son recours, A______ explique avoir déjà fait l'objet, le 3 janvier 2025, d'un établissement de son profil d'ADN dans le cadre de la procédure P/1______/2024 et conteste ainsi tout intérêt à la réitération de cette mesure sous le prétexte, en référence à d'autres arrêts de la Chambre de céans rendus en la matière, d'un intérêt à conserver son profil ADN jusqu'au 8 mai 2045 plutôt qu'au 3 janvier 2045.
b. Par ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours et se réfère, pour le surplus, à de précédents arrêts rendus en la matière par la Chambre de céans (ACPR/453/2025 du 12 juin 2025; ACPR/452/2025 du 12 juin 2025; ACPR/440/2025 du 10 juin 2025; ACPR/438/2025 du 10 juin 2025).
c. A______ n'a pas répliqué.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN dans le cadre de la présente procédure.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst., art. 197 al. 1 CPP; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.3. En l'espèce, selon le Ministère public, l'établissement du profil d'ADN du recourant devrait être ordonné pour élucider des infractions passées. Cette autorité n'a toutefois pas pris le soin de compléter le champ prévu, dans l'ordonnance querellée, pour la motivation des antécédents et des soupçons pesant contre le prévenu; ce possible oubli n'a pas été réparé dans le cadre des observations sur le recours.
On peut, certes, supputer que l'autorité intimée se soit fondée sur les soupçons d'infraction à la LStup qui pèsent sur le recourant dans le cadre de la procédure P/1______/2024, dès lors qu'il s'agit de la seule, parmi toutes les infractions reprochées à l'intéressé, comprise dans la liste de celles susceptibles de justifier la mesure ordonnée (cf. Directive A.5 sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils ADN, ch. 4.3).
Toutefois, il n'appartient pas à l'autorité de recours de trouver a posteriori, une motivation pour des décisions prises par l'instance précédente (cf. ACPR/1000/2023 du 22 décembre 2023 consid. 4.4).
Ensuite, l'état du dossier en main de la Chambre de céans ne permet pas de connaître la nature de ces soupçons à l'encontre du recourant, ni l'état (ou l'issue) de cette autre procédure. Ce manque d'information distingue déjà la présente cause des arrêts mentionnés par le Ministère public dans ses observations et n'est, de surcroît, que renforcé par l'absence de toute motivation de ce dernier.
Partant, la Chambre de céans n'est pas à même de statuer sur le bien-fondé de l'ordonnance querellée et il ne lui appartient pas de trouver, a posteriori, une justification pour des décisions prises par l'instance précédente.
3. Compte tenu de ce qui précède, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il rende une nouvelle décision motivée.
4. Vu l'issue du litige, les frais de la cause seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 1 CPP).
5. Le recourant, prévenu qui obtient gain de cause, conclut à l'octroi de dépens, sans toutefois les chiffrer, ni les justifier.
Tenue de statuer d'office (art. 429 al. 2 cum art. 436 al. 1 CPP), la Chambre de céans fixera, ex aequo et bono, l'indemnité due à CHF 300.- TTC, compte tenu de l'issue de la cause, dépourvue de complexité juridique, et du recours de quatre pages (page de garde et conclusions comprises). Ladite indemnité sera allouée à son conseil, conformément à l'art. 429 al. 3 CPP.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours.
Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 300.- TTC pour l'activité déployée dans le cadre de la procédure de recours (art. 429 CPP).
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Catherine GAVIN, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).