Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/540/2025 du 14.07.2025 sur OMP/14939/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/14051/2025 ACPR/540/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 14 juillet 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI LAHLOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 19 juin 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 30 juin 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 19 précédent, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de cette ordonnance, subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier de la procédure et de l'arrêt rendu le 8 mai 2025 par la Chambre de céans (ACPR/351/2025):
a. À teneur du rapport d'arrestation du 18 juin 2025, A______, ressortissant érythréen défavorablement connu des services de police, par ailleurs sans profession et sans domicile fixe, a été interpellé à la rue de Berne (Genève), alors qu'il était dépourvu de toute pièce d'identité et faisait l'objet d'une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève, valable pour une durée de deux ans à compter du 26 avril 2025, date de sa notification. Lors de sa palpation de sécurité, les policiers ont découvert deux boulettes de poudre blanche.
b. Entendu le jour même par la police, A______ a refusé de s'exprimer.
c. Lors de son audition par le Ministère public, le lendemain, A______ a expliqué être arrivé en Suisse en 2011. Sans domicile fixe, il vivait à B______ [VD] chez des "frères" africains et venait de temps en temps à Genève. Il n'avait pas de travail mais avait gagné CHF 5'000.- au Tribolo. Il avait revendu son ticket gagnant pour
CHF 4'000.-, dans la mesure où il n'avait pas de papiers et ne pouvait ainsi pas toucher son gain. Il n'avait pas de lien particulier avec la Suisse. Quelques membres de sa famille y avaient vécu mais il avait perdu le contact avec eux. D'après ce qu'il avait entendu, ils se trouvaient désormais à C______ [France].
d. Par ordonnance pénale du 23 juin 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et de non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI), et l'a condamné à une peine privative de liberté de 60 jours, avec sursis durant trois ans.
e. À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ a été condamné à cinq reprises depuis 2013, soit:
- le 4 janvier 2013, à une peine pécuniaire de 90 jours-amende, pour séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI);
- le 30 avril 2013, à une peine privative de liberté de 60 jours et à une amende de CHF 200.-, pour séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et contravention à la loi sur les stupéfiants (art. 19a LStup);
- le 21 septembre 2013, à une peine privative de liberté de 60 jours, pour séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et délit contre la loi sur les stupéfiants
(art. 19 al. 1 LStup);
- le 12 octobre 2013, à une peine privative de liberté de 90 jours, pour séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI);
- le 3 mars 2014, à une peine privative de liberté de 60 jours, pour entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI).
Il a également été condamné, dans le cadre de la procédure P/2______/2025, le 2 avril 2025, par ordonnance pénale du Ministère public, à une peine privative de liberté de 90 jours, avec sursis durant trois ans, pour infraction à l'art. 19 al. 1 let. c et d LStup – pour avoir, la veille, vendu de la cocaïne à un toxicomane et détenu des stupéfiants destinés à être vendus – et séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI), étant précisé que cette condamnation n'est pas entrée en force à ce jour, l'intéressé y ayant fait opposition. Après avoir été observé par des policiers assermentés en train de procéder à un échange "de la main à la main", il avait été interpellé ce jour-là en possession de divers produits stupéfiants, avant d'être mis en cause par un consommateur, lequel l'avait formellement identifié sur planche photographique.
Il fait en outre l'objet, depuis le 26 avril 2025, de la procédure P/1______/2025, laquelle a été ouverte à son encontre pour des faits susceptibles d'être constitutifs de séjour illégal et d'infraction à l'art. 19 LStup.
C. Le Ministère public motive l'ordonnance querellée par le fait que A______ avait déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN (cf. liste des infractions mentionnées dans la Directive A.5, art. 4). Il avait en particulier été condamné le 21 septembre 2013 pour une infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants. Une infraction similaire lui était par ailleurs reprochée dans le cadre des procédures P/2______/2025 et P/1______/2025 actuellement en cours.
D. a. Dans son recours, A______ invoque une violation manifeste de plusieurs droits fondamentaux – liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.), protection contre l'usage abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst.), respect de la sphère privée
(art. 13 Cst., art. 8 CEDH), droit à une décision motivée (art. 6 par. 1 CEDH) –, ainsi que du principe de proportionnalité (art. 36 Cst.). La volonté du Procureur général de ficher de manière massive les étrangers – qui se traduisait par une multiplication des ordonnances d'établissement de profil d'ADN – devait être stoppée. Il était surprenant qu'une telle mesure fût justifiée par la seule invocation d'une Directive du Procureur général, laquelle était traitée comme une norme législative, quand bien même elle n'avait pas "force de loi", en violation de la séparation des pouvoirs. Cette pratique allait à l'encontre de l'art. 255 CPP, lequel n'autorisait pas le "prélèvement d'échantillons d'ADN et leur analyse de manière systématique". Le recours systématique à des mesures de contrainte intrusives, pourtant prohibé par le Tribunal fédéral, sans examen individualisé au cas par cas, constituait une dérive préoccupante, ce d'autant plus lorsqu'une telle pratique visait de manière récurrente des personnes étrangères, ce qui soulevait de sérieux doutes quant au respect de l'interdiction des discriminations. Invoquant un précédent arrêt de la Chambre de céans (ACPR/642/2024), il estimait que les réquisits pour le prononcé d'une telle mesure n'étaient pas réunis, l'établissement de son profil d'ADN n'apparaissant nullement justifié "en raison du fait qu'il a[vait] été récemment établi, soit en l'occurrence le 2 avril 2025. Il y avait dès lors lieu d'annuler l'ordonnance querellée, de procéder à l'effacement de son profil d'ADN, ainsi qu'à la destruction des échantillons prélevés.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
2.3. L'établissement d'un profil d'ADN, lorsqu'il ne sert pas à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, est conforme au principe de la proportionnalité uniquement s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 précité consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.4. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors qu'il avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables.
En effet, il a déjà été condamné, le 21 septembre 2013, pour séjour illégal et délit contre la loi sur les stupéfiants, soit notamment en lien avec des agissements qui dépassent le stade de la simple consommation personnelle, laquelle a fait l'objet d'une contravention en sus. Il a par ailleurs été condamné à quatre autres reprises, entre 2013 et 2014, pour des infractions à la législation sur les étrangers, puis récemment, par ordonnance pénale du 2 avril 2025, dans le cadre de la procédure P/2______/2025, pour avoir vendu de la cocaïne à un toxicomane et détenu des stupéfiants destinés à être vendus. Quand bien même le recourant a fait opposition à cette ordonnance pénale, il n'en demeure pas moins qu'il détenait divers produits stupéfiants lors de son interpellation; a été observé par des policiers assermentés en train de procéder à un échange "de la main à la main" et mis formellement en cause par un consommateur. Enfin, dans le cadre de la présente procédure, le recourant a une nouvelle fois été interpellé, le 18 juin 2025, dans le quartier des Pâquis, soit un lieu notoirement connu pour le trafic de stupéfiants selon la police, en possession de deux boulettes de poudre blanche.
Ces nombreux antécédents, auxquels s'ajoute la situation personnelle précaire du recourant, laissent craindre un ancrage dans la délinquance liée aux stupéfiants et permettent de penser qu'il pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, qui pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leurs commissions.
Enfin, les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent une certaine gravité eu égard à la santé publique. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.
L’argument tiré de l'arrêt ACPR/642/2024 n’y change rien. Dans ladite procédure, le prévenu – domicilié en France et mécanicien de profession – avait une situation stable financièrement, qui ne permettait pas de suspecter un ancrage dans la délinquance. Il n'avait par ailleurs été condamné précédemment qu'à des peines pécuniaires, dont deux avec sursis, pour infractions à la LStup, la dernière prononcée en 2017, remontant à près de sept ans. Le recourant séjourne pour sa part illégalement en Suisse, notamment à Genève, en violation d'une interdiction de pénétrer dans ce canton, est sans ressources propres et a été condamné à deux reprises pour des délits contre la loi sur les stupéfiants, la dernière fois par ordonnance pénale du 2 avril 2025, actuellement frappée d'opposition. À cela s'ajoute qu'il a été condamné à de nombreuses reprises à des peines privatives de liberté fermes. Le contexte étant différent, le raisonnement n’est pas transposable.
Partant, la mesure querellée n'apparaît pas inutile ni disproportionnée.
Le recourant ne saurait non plus tirer argument du fait que son profil d'ADN a d'ores et déjà été établi. Dès lors que les profils d'ADN sont soumis à effacement après un certain délai (cf. art. 16 de la Loi sur les profils d'ADN; RS 363), il existe un intérêt, quand bien même l'établissement de son profil d'ADN a déjà été ordonné et son effacement n'interviendrait pas avant de nombreuses années, à le soumettre derechef à cette mesure, pour autant bien évidemment que les conditions soient à nouveau réalisées, ce qui est le cas en l'espèce. Cet intérêt public prime celui – privé – du recourant à ce que son profil d'ADN ne soit pas établi une nouvelle fois. Ainsi, quand bien même le Ministère public a, dans de telles circonstances, ordonné une nouvelle fois l'établissement du profil d'ADN du recourant, un tel acte n'apparait nullement disproportionné.
En définitive, l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
5. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207, consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/14051/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |