Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/439/2025 du 10.06.2025 sur OMP/5598/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/5401/2025 ACPR/439/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 10 juin 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocate,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 5 mars 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 17 mars 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 5 mars 2025, notifiée le même jour, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance susmentionnée.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a.a. Par ordonnance pénale du Ministère public, du 27 novembre 2024, dans la procédure P/27239/2024, A______ a été déclaré coupable d'infractions à
l'art. 115 al. 1 let. a et b LEI et d'infraction à l'art. 19 al. 1 let. c LStup. Il a été condamné à une peine privative de liberté de 60 jours, avec sursis durant 3 ans.
Il lui est reproché d'avoir pénétré illégalement en Suisse, le 26 novembre 2024, et d'avoir vendu à Genève, entre le 18 et le 25 novembre 2024, deux galettes de
1.6 grammes de crack, ainsi qu'une galette de 0.8 gramme de crack,
le 26 novembre 2024.
a.b. Entendu par la police le 26 novembre 2024, il a admis avoir vendu une galette de crack le même jour, mais contesté en avoir vendu à d'autres reprises.
a.c. A______ a formé opposition à l'ordonnance susmentionnée.
b.a. Par ordonnance pénale du Ministère public, du 3 décembre 2024, dans la procédure P/27739/2024, A______ a été déclaré coupable d'infraction à l'art. 119 al. 1 LEI et d'empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP). Il a été condamné à une peine privative de liberté de 40 jours ainsi qu'à une peine pécuniaire, avec sursis durant 3 ans.
Il lui est reproché de s'être, la veille, rendu dans le quartier des Pâquis, à Genève, nonobstant l'interdiction de pénétrer qui lui avait été notifiée le 27 novembre 2024, et d'avoir pris la fuite alors que la police lui intimait l'ordre "stop police".
b.b. A______ a formé opposition à cette deuxième ordonnance pénale.
c. Le 15 janvier 2025, A______ a été arrêté, dans le cadre de la procédure pénale P/1246/2025. Il est prévenu d'infraction à l'art. 119 al. 1 LEI, pour s'être à nouveau trouvé dans le quartier des Pâquis en violation de l'interdiction de pénétrer notifiée le 27 novembre 2024.
Il a été relaxé à l'issue de l'audience du lendemain devant le Ministère public.
d.a. Le 4 mars 2025, A______ a à nouveau été arrêté, dans le cadre de la procédure pénale P/5401/2025. Au passage du poste de douane à Moillesulaz, dans le tram en provenance de France, il s'était légitimé avec une carte de résident espagnole établie au nom d'un tiers. Suspecté d'avoir ingéré des stupéfiants, il avait été emmené aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après, HUG) pour un examen radiologique, lequel avait révélé un corps étranger d'une dizaine de centimètres de diamètre, dans son système digestif.
A______ est prévenu de faux dans les certificats étrangers (art. 252 cum 255 CP) et d'infractions aux art. 115 al. 1 let. a et 119 LEI et art. 19 al. 1 let. d et al. 2 LStup. Il lui est reproché d'avoir tenté de pénétrer sur le territoire suisse sans être muni des autorisations nécessaires et au moyen du document d'identité d'un tiers, d'avoir tenté de pénétrer le territoire du canton de Genève en dépit de l'interdiction notifiée le 27 novembre 2024, et d'avoir été porteur d'une quantité indéterminée de stupéfiants sous la forme d'une "boule" ingérée.
d.b. Au moment de la rédaction du rapport d'arrestation, le 4 mars 2025, A______ n'avait pas encore expulsé la "boule" ingérée.
e. Le 5 mars 2025, A______ a été mis au bénéfice d'une défense d'office.
f. Placé en détention provisoire par ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte du 6 mars 2025, A______ a été libéré le 28 mars suivant, après que les examens pratiqués aux HUG n'avaient pas révélé l'ingestion de stupéfiants.
g. Les quatre procédures susmentionnées, ouvertes contre A______, ont été jointes sous le numéro de procédure P/5401/2025.
h. Par ordonnances des 9 décembre (P/27739/2024) et 10 décembre 2024 (P/27239/2024), le Ministère public a ordonné l'établissement d'un profil d'ADN de A______, au motif qu'il avait déjà été soupçonné par la police d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN (art. 255 al. 1bis CPP), puisqu'il avait été arrêté le 26 novembre 2024 et condamné le lendemain par ordonnance pénale.
Ces décisions n'ont pas été contestées.
i. S'agissant de sa situation personnelle, A______, ressortissant sénégalais né en 2003, est célibataire, sans profession et sans domicile connu. Lors de son audition à la police, le 4 mars 2025, il a déclaré vivre en Espagne, où il ferait la vaisselle dans des hôtels, pour un salaire d'environ EUR 1'300.-.
À teneur des éléments au dossier, il n'a pas d'antécédents judiciaires en Suisse.
C. Dans la décision querellée, le Ministère public a ordonné l'établissement du profil d'ADN de A______ au motif que l'infraction portait sur un crime ou un délit susceptible d'être élucidé au moyen de l'ADN (art. 255 al. 1 CPP).
D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient que l'établissement de son profil d'ADN n'était pas utile pour élucider l'infraction, puisqu'il lui était reproché d'avoir avalé des boulettes de cocaïne et qu'il avait été emmené au quartier carcéral de l'hôpital en vue d'expulser les éventuels stupéfiants se trouvant dans son estomac. Il craignait une volonté du Procureur général de ficher de manière massive les étrangers. Or, son casier judiciaire était vierge. L'instruction de la procédure dirigée contre lui ne justifiait en aucun cas l'établissement d'un profil d'ADN. En effet, il ne discernait pas comment l'infraction reprochée serait mieux résolue par le profil d'ADN à établir. Il ne se justifiait donc pas d'ordonner "arbitrairement" l'établissement de son profil d'ADN.
b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. L'établissement du profil d'ADN de A______ n'avait pas été ordonné pour déterminer la composition du corps étranger découvert dans son système digestif, mais parce que le précité était soupçonné de participer à un trafic de stupéfiants. La présence d'un corps étranger dans son système digestif constituait un soupçon suffisant qu'il se livrait à un tel trafic. Partant, l'ADN du prévenu s'avérait utile pour élucider les faits qui lui étaient reprochés. Pour ce motif déjà, le recours était infondé.
Au demeurant, l'établissement d'un profil d'ADN n'était pas uniquement limité à l'élucidation du crime ou du délit pour lequel A______ était poursuivi. Cette mesure s'avérait également utile pour élucider des informations passées ou futures. Or, il existait des indices selon lesquels le prévenu se livrait à un trafic de stupéfiants, même s'il avait formé opposition aux ordonnances pénales précédentes. Les conditions de la gravité de l'infraction et de la proportionnalité étaient donc réalisées.
c. Dans sa réplique, A______ fait part de sa surprise face au changement de version du Ministère public. Désormais, parce que son innocence avait été démontrée par un simple examen de ses selles et non au moyen de son ADN, l'établissement de son profil d'ADN était nécessaire pour un autre motif que celui mentionné dans l'ordonnance querellée, ce qui relevait de l'arbitraire.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant reproche au Ministère public d'avoir ordonné l'établissement de son profil d'ADN alors que les conditions légales ne seraient selon lui pas réunies.
2.1. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un profil d'ADN peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
2.2. L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.3. À teneur des art. 4.1. à 4.3 de la Directive A.5 du Procureur général sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils d'ADN, lorsque la police a procédé au prélèvement d'un échantillon d'ADN, le procureur chargé de la procédure pénale ordonne l'établissement d'un profil d'ADN (art. 4.1.), en cas d'infraction(s) sur laquelle (lesquelles) porte la procédure (art. 255 al. 1 CPP), lorsque (i) ladite procédure porte sur un des crimes ou délits listés, (ii) la police a prélevé des traces biologiques susceptibles d'être comparées avec un profil d'ADN et/ou (iii) l'établissement d'un profil d'ADN se justifie pour les besoins de l'enquête que la police a exposés dans son rapport (art. 4.2).
2.4. En l'espèce, au moment de l'établissement de l'ordonnance querellée, le recourant était soupçonné de s'adonner à un trafic de stupéfiants sous la forme aggravée de l'art. 19 al. 2 LStup. Les radiographies de son appareil digestif avaient révélé la présence d'une "boule" susceptible de contenir des stupéfiants, importés de France en Suisse. Le recourant ayant déjà été, quatre mois plus tôt, soupçonné de vendre de la cocaïne, ce qu'il a admis avoir fait le 26 novembre 2024, cette suspicion était renforcée.
Or, dans un tel contexte, en particulier lorsqu'un prévenu transporte, de manière ingérée, une importante quantité de drogue, il existe un soupçon suffisant que la mise en place de ce trafic a nécessité l'implication de plusieurs personnes.
Dans ce cadre, l'instruction nécessite des actes d'enquête pour lesquels l'établissement d'un profil d'ADN du prévenu s'avère utile pour la recherche de la vérité.
Il s'ensuit que l'établissement du profil d'ADN du recourant, dans le cadre de l'instruction en cours, remplit les conditions de l'art. 255 al. 1 CPP.
Point n'est donc besoin d'examiner, en l'espèce, si le Ministère public pouvait, dans le cadre de la procédure de recours, compléter la motivation de l'ordonnance querellée, en invoquant le motif tiré de l'art. 255 al. 1bis CPP.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
5. Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade (cf. art. 135 al. 2 CPP) le défenseur d'office, la procédure n'étant pas terminée.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/5401/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 500.00 |
Total | CHF | 585.00 |