Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/437/2025 du 10.06.2025 sur OMP/7481/2025 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/5180/2023 ACPR/437/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 10 juin 2025 |
Entre
A______, avocat, p.a. ______ [NE], agissant en personne,
recourant,
contre l'ordonnance d'indemnisation rendue le 25 mars 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 3 avril 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 25 mars précédent, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public a arrêté à CHF 8'034.65 l'indemnité due au titre de l'assistance judiciaire pour son activité à la défense de B______ (chiffre 1 du dispositif) et dit que cette somme correspondait à CHF 11'947.70 + 1h admise au tarif associé, déduction faite de CHF 4'150.- (chiffre 2 du dispositif).
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à ce que l'indemnité pour son activité de défenseur d'office soit fixée à CHF 11'947.70 TTC, subsidiairement à CHF 11'639.- TTC.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 30 juin 2023, le Ministère public a nommé Me A______, avocat, comme défenseur d'office de B______, soupçonné d'escroquerie (art. 146 CP) et placé en détention provisoire le jour même, avant d'être libéré le 24 août suivant.
b. Par décision de reprise du for, du 12 septembre 2023, le Ministère public jurassien a repris la procédure pénale.
c. Par plis des 22 septembre et 11 octobre 2023, A______ a transmis au Ministère public, respectivement au Greffe de l'assistance juridique, sa note de frais pour l'activité déployée dans cette affaire, se chiffrant, après rectification, à CHF 11'639.-, TVA à 7.7% (CHF 832.15) incluse.
d. Par courrier du 19 novembre 2024, A______ a relancé le Ministère public, se plaignant de n'avoir toujours pas été taxé.
e. Le Ministère public lui a répondu, par pli du 29 janvier 2025, que les propos tenus par les parents de B______ dans une lettre adressée à leur fils à la prison le 8 août 2023 laissaient penser que ses honoraires avaient déjà été couverts, en tout ou partie, au titre d'une défense privée au moment de l'envoi de sa note d'honoraires du 11 octobre 2023. Des explications lui étaient ainsi demandées.
Il a joint une copie de ladite lettre comportant le passage litigieux suivant :
"Par SMS nous lui [A______] avons demandé des nouvelles, il nous réclame 2 500 Fr Suisse + 1 autre décompte sinon il nous dira rien. Est-ce normal ? […] Nous lui avons déjà viré la somme prévue depuis 3 semaines, mais pas de réponse".
f. Par courrier du 6 février 2025, A______ a expliqué au Ministère public que les honoraires réglés par les parents de son mandant portaient sur des activités non couvertes par l'assistance judiciaire. Il était question de démarches pour soutenir la famille de B______ "en vue des visites envisagées par cette dernière en prison, sur les possibilités et l'opportunité du versement d'une caution au titre de mesure de substitution, …".
Il a joint à cet égard:
- une copie de sa note de frais envoyée au Greffe de l'assistance juridique sur laquelle B______ avait écrit à la main, le 31 janvier 2025, qu'il confirmait que les activités détaillées dans cette note ne lui avaient pas été directement facturées et qu'il n'avait rien payé à ce titre;
- une déclaration "sur l'honneur" de C______, mère de B______, du 1er février 2025, affirmant que le montant de CHF 2'500.- mentionné dans sa lettre du 8 août 2023 couvrait les activités que l'avocat assurait envers la famille, soit "notamment les contacts et informations, démarches en vue d'appuyer la demande de visite, notre demande d'analyse de possibilités de caution pour faire sortir notre fils" et que ce dernier avait, depuis le début, expliqué que ces démarches n'étaient pas prises en charge par l'assistance judiciaire;
- sa facture du 26 juillet 2023 à l'attention du père de B______, avec comme objet "Activité non couverte par l'assistance judiciaire", portant sur un total de CHF 2'500.-;
- la quittance bancaire du versement, par C______, d'un montant de CHF 2'479.18 (EUR 2'605.-) en faveur de son Étude, le 10 août 2023;
- sa facture du 10 août 2023 adressée au père de B______, remplaçant celle du 26 juillet 2023, d'un montant de CHF 1'670.82, correspondant à CHF 4'150.-, auxquels étaient soustraits CHF 2'479.18 relatifs au "versement du 10.08.2023", et avec comme objet: "Activité non couverte par l'assistance judiciaire (contacts téléphoniques avec la famille et par messagerie, entrevue du 19 juillet 2023, gestion de la consignation du versement de CHF 19'995.- en vue du rachat de la créance du plaignant, étude et analyse des possibilités de caution au titre de mesure de substitution, correspondances avec la famille, démarches en vue d'appuyer la demande de visite de la famille …";
- la quittance bancaire du versement, par C______, d'un montant de CHF 1'677.61 (EUR 1'770.-) en faveur de son Étude, le 16 août 2023.
g. Le 13 mars 2025, le Ministère public a sollicité de A______ le détail du temps consacré aux activités mentionnées dans la "note d'honoraires du 10 août 2023".
h. Le 17 suivant, A______ a répondu que les informations sollicitées ressortaient "dans leur principe" de son envoi du 6 février 2025 et de ses annexes. Il n'était pas question de transmettre le détail de son activité pour la famille de B______.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public, tout en approuvant la note de frais de A______, constate que ce dernier a facturé CHF 4'150.- aux parents de B______ pour des prestations "classiques et fort simples attendues de l'avocat d'un prévenu", comme l'examen des possibilités de mesures de substitution ou les démarches en vue de visites à la prison. Ce montant était "sans commune mesure avec le temps nécessaire à ce type d'activités", soit une heure "en comptant large". Ce type de facturation permettait d'être rémunéré "à deux sources" pour la même procédure et pour les mêmes faits. Il s'ensuivait que la somme de CHF 4'150.- devait être déduite de l'indemnité octroyée de "CHF 11'947.70 plus 1h admise au tarif associé", arrêtant ainsi celle-ci à CHF 8'034.65.
D. a. Dans son recours, A______ souligne, sans s'en plaindre formellement, le délai entre la transmission de sa note de frais (11 octobre 2023) et son indemnisation. Pour le surplus, le Ministère public avait approuvé le détail de son activité et ne pouvait ainsi déduire la somme de CHF 4'150.-. Les démarches payées par la famille de B______ avaient été exclues de la facturation relative à son mandat de défenseur d'office car, selon les principes applicables, elles n'auraient précisément pas été prises en charge par l'assistance judiciaire. Il était donc erroné de considérer que, par ce biais, il avait cherché à être rémunéré par "deux sources". Il était, en outre, habituel que des activités outrepassant le mandat de l'assistance judiciaire doivent néanmoins être réalisées. Le Ministère public faisait fi de cette réalité, tout comme des pièces produites, lesquelles démontraient que les activités en cause ne se recoupaient pas avec celles soumises à l'assistance judiciaire. Enfin, la somme facturée à la famille de B______ n'était pas excessive et se justifiait en fait. Le montant de CHF 11'947.70 fixé par le Ministère public lui-même devait lui être alloué. Subsidiairement, il réclamait la somme de CHF 11'639.- ressortissant de son décompte de frais.
b. Le Ministère public maintient les termes de son ordonnance. L'activité facturée aux parents de B______ était clairement couverte par la défense d'office du prévenu et, partant, injustifiée.
c. A______ réplique.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), contre une décision sujette à recours (art. 393 al. 1 let a CPP; cf. ACPR/679/2024 du 20 septembre 2024) et émane du défenseur d'office, qui a qualité pour agir (art. 135 al. 3 CPP) et un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant conteste la réduction de CHF 4'150.- opérée sur l'indemnité allouée.
2.1. Le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès (art. 135 al. 1 CPP).
2.2. À Genève, ce tarif est prévu à l'art. 16 al. 1 RAJ; il s'élève à CHF 200.-/heure pour un chef d'étude (let. c); la TVA est versée en sus.
Seules les activités nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, l'importance et les difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).
2.3.1. L’avocat doit veiller au respect du principe de proportionnalité et faire preuve d’efficacité. Cela étant, une marge d’appréciation suffisante doit lui être accordée. S’il se justifie de ne pas indemniser des démarches superflues, excessives ou téméraires, l’autorité ne doit émettre ce reproche qu’avec retenue et n’intervenir qu’en présence d’une disproportion entre la valeur des services rendus et la rémunération. Il faut en effet tenir compte de ce que le défenseur d’office se doit d’examiner toute opération qui pourrait être utile à son client, même s’il n’y procède pas par la suite. De même, le défenseur doit également faire preuve d’une certaine disponibilité vis-à-vis de son client; s’il n’a certes pas à être indemnisé pour un éventuel volet "social" ou de "soutien moral" de son intervention sans lien direct avec la procédure pénale, il fait néanmoins partie de son mandat d’entretenir une relation de confiance avec son assisté (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 16 ad art. 135).
2.3.2. Selon la jurisprudence de la Chambre de céans, les entretiens avec la famille du prévenu ne sont en principe pas indemnisés car ne relevant pas de la défense d'office, le rôle du défenseur d'office ne s'étendant pas à des démarches qui relèvent plutôt de l'assistance sociale ou du soutien aux proches (ACPR/481/2024 du 27 juin 2024 consid. 4.2; ACPR/823/2022 du 22 novembre 2022 consid. 2.5).
2.4. Le défenseur d'office est lié par un rapport de droit public avec le canton qui l'a désigné. C'est sur ce fondement que repose sont doit à l'indemnisation (ATF 141 IV 344 consid. 4.2). Dans ce cadre, il n'a pas de prétentions contre son client (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 1 ad art. 135) et ne peut lui facturer ni provisions, ni honoraires (art. 15 al. 1 RAJ). Il n'est pas non plus autorisé à demander à son client une rétribution supplémentaire par rapport à ce qu'il perçoit de l'État (arrêt du Tribunal fédéral 2C_640/2020 du 1er décembre 2020 consid. 5.2 [qui traite de l'assistance judiciaire en matière civile]).
2.5. En l'espèce, le recourant a déployé une activité en qualité de défenseur d'office entre juin et septembre 2023, dont l'indemnisation fait l'objet de l'ordonnance querellée. Il admet avoir parallèlement déployé, pour la famille de son client, des activités non couvertes, selon lui, par l'assistance judiciaire, pour lesquelles il a facturé à ce titre un montant de CHF 4'150.-.
Le Ministère public retient que cette somme, payée par la famille du prévenu, couvrait des actes "classiques et fort simples" inhérents au mandat d'office du recourant, nécessitant à peine une heure d'activité. Pour cette raison, il a ajouté "1h au tarif associé" à l'indemnité de CHF 11'947.70 accordée au recourant, pour ensuite soustraire la somme facturée à la famille, soit CHF 4'150.- et fixer ainsi l'indemnisation du recourant à CHF 8'034.64.
La nature – et la durée – exacte des prestations du recourant envers la famille reste incertaine. Néanmoins, tant la déclaration du 1er février 2025 de la mère du prévenu que la facture du 10 août 2023 produite permettent d'établir qu'elles se rapportaient à tout le moins en partie à la situation carcérale du prévenu (démarches pour que sa famille lui rende visite en détention ou possibilités de mesures de substitution à celle-ci).
Le recourant soutient ne pas les avoir incluses dans son décompte de frais y relatif – ce qui ressort effectivement de celui-ci –, estimant qu'elles n'étaient pas couvertes par l'assistance juridique. Que les activités accomplies par l'avocat pour le compte de la famille du prévenu eussent dû être facturées au titre de la défense d'office, en totalité ou partiellement, n'est toutefois pas déterminant, dès lors que rien ne permet d'affirmer qu'elles auraient été doublement facturées, une fois à la famille, et une fois au titre de la défense d'office.
Partant, le raisonnement du Ministère public consistant à ajouter – abstraitement – au décompte de frais du recourant une heure d'activité, au tarif de CHF 200.-, au titre desdites activités, pour ensuite déduire ces mêmes activités à hauteur de CHF 4'150.- du montant de l'indemnité allouée, ne saurait être validé.
L'activité déployée en faveur de la famille ayant été facturée à celle-ci et non à l'assistance judiciaire, il n'y a pas lieu d'en tenir compte dans l'indemnisation du recourant au titre de défenseur d'office – comme le fait le Ministère public (à hauteur d'une heure en l'occurrence) –, ni de déduire CHF 4'150.- du montant octroyé à ce titre.
Que l'avocat n'eût pas dû procéder de la sorte relève, le cas échéant, des règles déontologiques de la profession.
3. Le recours doit, au vu des éléments qui précèdent, être admis partiellement et l'indemnisation octroyée par le Ministère public arrêtée à CHF 11'639.-, TVA 7.7% comprise, lequel montant ressort de la note d'honoraires rectifiée du 11 octobre 2023 et des conclusions subsidiaires du recourant, étant précisé également qu'il a été approuvé dans son principe par le Ministère public.
4. L'admission du recours, même partielle, ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).
5. Le défenseur d'office a droit à des dépens lorsqu'il conteste avec succès une décision d'indemnisation (ATF 125 II 518 consid. 5; arrêt du Tribunal fédéral 6B_114/2022 du 24 novembre 2022 consid. 4.1).
Bien que le recourant ne sollicite aucune indemnité, un montant de CHF 378.35, TVA 8.1% incluse, pour la rédaction du recours (de quinze pages, pages de garde et conclusions comprises et d'une réplique de deux pages), dans une cause dénuée de complexité, lui sera accordé d'office et mis à la charge de l'État.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet partiellement le recours et annule l'ordonnance d'indemnisation du Ministère public du 25 mars 2025.
Arrête l'indemnité due à Me A______ à CHF 11'639.-, TVA 7.7% comprise.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Alloue à Me A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 378.35, TVA 8.1% comprise, pour la procédure de recours.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).