Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/407/2025 du 27.05.2025 sur OMP/11349/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/10501/2025 ACPR/407/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 27 mai 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Géraldine VONMOOS, avocate, GV LAW, quai Gustave-Ador 2, case postale 3021, 1211 Genève 3,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 10 mai 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 16 mai 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 précédant, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de cette ordonnance.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 9 mai 2025, A______, ressortissant gambien, né le ______ 1993, a été interpellé, dans le cadre d'une opération visant à lutter contre le trafic de stupéfiants, dans un immeuble sis à la rue 1______, à Genève.
b. À teneur du rapport d'arrestation du même jour, les policiers l'avaient précédemment observé pénétrer dans ledit immeuble, se rendre "au contact de la porte palière entrouverte" de l'unique appartement du sixième étage, puis se faufiler dans l'ascenseur; ils avaient ensuite entendu un bruit de claquement de porte.
Si la palpation de sécurité de A______ – qui faisait par ailleurs l'objet d'une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève, valable pour une durée de 18 mois à compter du 24 octobre 2024, date de sa notification – n'a rien révélé, les policiers ont toutefois retrouvé, sous le paillasson de l'appartement précité, la somme de CHF 35.- (un billet de CHF 20.-, un billet de CHF 10.- et CHF 5.- en pièces), le locataire dudit logement ayant indiqué qu'elle ne lui appartenait pas. Les agents ont ensuite pris langue avec le locataire de l'appartement dont la porte avait claqué [B______], lequel leur a alors indiqué avoir acheté une boulette de cocaïne à un Africain, en échange de CHF 35.- (un billet de CHF 20.-, un billet de CHF 10.- et CHF 5.- en pièces).
c. Lors de son audition par la police, le 9 mai 2025, B______ a mis en cause A______. En sus de la transaction survenue le jour même, ce dernier lui avait vendu, à une autre occasion, une demi-boulette de cocaïne.
d. Entendu par la police le même jour, puis par le Ministère public le lendemain, A______ a contesté avoir vendu de la cocaïne à B______. L'argent retrouvé sous le paillasson ne lui appartenait pas. Bien qu'il respectât normalement l'interdiction cantonale dont il faisait l'objet, il avait souhaité venir ce jour-là afin de participer à une fête, concédant qu'il s'agissait d'une erreur.
e. Par ordonnance pénale du 10 mai 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'infraction aux art. 19 al. 1 let. c LStup et 119 al. 1 LEI, et l'a condamné à une peine privative de liberté de 120 jours. A______ y a formé opposition.
f. Par ordonnance du 15 mai 2025, le Ministère public a maintenu cette ordonnance pénale et transmis la cause au Tribunal de police.
g.a. Préalablement, le 4 février 2025, dans le cadre d'une autre procédure (P/2______/2025), le Ministère public avait ordonné l'établissement du profil d'ADN de A______, au motif que celui-ci avait déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, dès lors qu'il avait déjà été condamné en 2023 pour du trafic de stupéfiants (art. 255 al. 1bis CPP).
g.b. Par acte déposé le 28 mars 2025, A______ avait recouru contre l'ordonnance précitée. À l'appui de son recours, il avait fait valoir une multiplication des ordonnances d'établissement de profil d'ADN, laissant craindre une volonté de "ficher de manière massive les étrangers". Il avait contesté "avec véhémence" être impliqué dans un trafic aggravé de stupéfiants, précisant n'avoir jamais été condamné, par le passé, pour une telle infraction à l'art. 19 al. 2 LStup. Il ne voyait pas quelle récidive concrète ou commission passée serait mieux résolue par l'établissement du profil d'ADN. Cette mesure, arbitraire et disproportionnée, ne se justifiait ainsi pas. Tel acte était également inutile et coûteux.
g.c. Par arrêt du 2 mai 2025 (ACPR/322/2025), la Chambre de céans avait rejeté le recours, considérant, d'une part, qu'il existait des indices sérieux et concrets que l'intéressé eût commis d'autres infractions à la législation fédérale sur les stupéfiants, lesquelles revêtaient une certaine gravité, au vu de ses antécédents passés – notamment sa condamnation à une reprise pour des infractions à la LStup – et de son contexte personnel et, d'autre part, qu'une telle mesure n'était nullement disproportionnée et ne dénotait aucune volonté de "ficher de manière massive les étrangers". Que le coût d'une telle mesure pût éventuellement être mis à sa charge n'était pas pertinent, dans la mesure où une telle question n'était susceptible de se poser qu'à l'issue de la procédure et à la condition que l'intéressé fût condamné.
h. À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ a été condamné, le 1er février 2023, par le Tribunal de police, pour délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c LStup) et non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI).
Il fait encore l'objet d'une autre procédure en cours au Tribunal de police (P/3______/2024), à laquelle la procédure P/2______/2025 sus-évoquée a entre-temps été jointe, notamment pour infraction à l'art. 19 al. 1 let. c LStup, entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI), séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI).
C. Le Ministère public motive l'ordonnance querellée par le fait que A______ avait déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN (art. 255 al. 1bis CPP), soit une infraction à l'art. 19 al. 1 LStup, référence étant faite à sa condamnation du 1er février 2023, par le Tribunal de police.
D. a. Dans son recours, A______ déplore la pratique du Ministère public consistant à ordonner à chaque reprise l'établissement de profils d'ADN, sur le fondement d'une Directive du Procureur général, indépendamment du nombre de telles ordonnances ayant déjà été prononcées par le passé. De manière surprenante, la Chambre de céans, qui avait déjà rejeté plusieurs recours dans des causes similaires, en violation des art. 255 à 259 CPP, "semblait malheureusement valider les décisions du Ministère public". Outre le fait que la mesure querellée portait atteinte à son droit d'être protégé contre l'emploi abusif des données le concernant (art. 8 CEDH et 13 al. 2 Cst), l'établissement de son profil d'ADN avait déjà été ordonné le 4 février 2025 dans le cadre de la procédure P/2______/2025. Quand bien même les profils d'ADN seraient soumis à effacement après un certain délai, il ne se justifiait guère d'ordonner derechef à son égard une telle mesure – "arbitraire" et "inutile" –, laquelle devrait être mise à sa charge et celle du contribuable genevois. Son profil d'ADN pourrait de toute façon être conservé pendant 20 ans – soit jusqu'au 4 février 2045 – et on peinait à percevoir l'intérêt de le conserver trois mois supplémentaires à l'échéance de ce délai, ce d'autant qu'un profil d'ADN ne changeait pas "au cours de la vie d'un être humain". Dans la mesure où il n'avait pas de moyens financiers suffisants pour assurer sa défense et ne disposait pas de la capacité juridique pour rédiger seul son recours, une indemnité devait lui être octroyée, conformément à l'état de frais produit à l'appui de ses écritures.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
2.1. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
2.2. L'établissement d'un profil d'ADN, lorsqu'il ne sert pas à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, est conforme au principe de la proportionnalité uniquement s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.3. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors qu'il avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables.
Il a en effet déjà été condamné à une reprise, le 1er février 2023, pour un délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants. Il a par ailleurs été renvoyé par devant le Tribunal de police, dans le cadre de la procédure P/3______/2024, notamment pour infraction à l'art. 19 al. 1 let. c LStup et diverses infractions à la législation fédérale sur les étrangers. Il est en outre fortement soupçonné, dans la présente procédure, d'avoir vendu de la cocaïne, à deux reprises, à B______, faits pour lesquels ce dernier l'a expressément mis en cause.
Ces éléments, auxquels s'ajoute le contexte personnel du recourant, laissent craindre un ancrage dans la délinquance liée aux stupéfiants et permettent de penser qu'il pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, qui pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leurs commissions.
Enfin, les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent une certaine gravité eu égard à la santé publique. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.
À titre superfétatoire, le recourant ne saurait tirer argument du fait que son profil d'ADN a d'ores et déjà été établi, à ses frais. Dès lors que les profils d'ADN sont soumis à effacement après un certain délai (cf. art. 16 de la Loi sur les profils d'ADN; RS 363), il existe un intérêt, quand bien même l'établissement de son profil d'ADN aurait déjà été ordonné à une reprise et son effacement n'interviendrait pas avant de nombreuses années, à le soumettre derechef à cette mesure, pour autant bien évidemment que les conditions soient à nouveau réalisées, ce qui est le cas en l'espèce. Cet intérêt public prime celui invoqué par le recourant à ce que son profil d'ADN ne soit pas conservé quelques mois supplémentaires à l'échéance du premier délai de conservation. Le fait pour le Ministère public d'avoir, dans de telles circonstances, ordonné une seconde fois l'établissement du profil d'ADN du recourant n'apparait ainsi nullement disproportionné.
En définitive, l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
5. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/10501/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |