Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/403/2025 du 23.05.2025 sur OMP/9632/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/9097/2025 ACPR/403/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 23 mai 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI LALHOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 17 avril 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 28 avril 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 avril 2025, notifiée le même jour, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse (état au 17 avril 2025), A______, ressortissant sénégalais né le ______ 1974, a fait l'objet de cinq condamnations pénales :
· le 19 mars 2015, par le Ministère public, pour infraction à l'art. 115 al. 1 let a et let. b LEtr (auj. LEI), exercice illicite de la prostitution (art. 199 CP), délit (art. 19 al. 1 LStup) et contravention (art. 19a ch. 1 LStup) à la LStup ;
· le 20 janvier 2017, par le Ministère public, pour infraction à l'art. 115 al. 1 let. b LEtr, exercice illicite de la prostitution (art. 199 CP), délit (art. 19 al. 1 LStup) et contravention (art. 19a ch. 1 LStup) à la LStup ;
· le 13 février 2018, par le Ministère public, pour infraction à l'art. 115 al. 1 let. a LEtr ;
· le 12 décembre 2019, par le Ministère public, pour infraction à l'art. 115 al. 1 let. a LEI ;
· le 16 février 2023, par le Tribunal de police, pour conduite d'un véhicule automobile en incapacité de conduire (art. 91 al. 1 let. b LCR).
Toujours selon cet extrait, le prénommé fait, outre la présente procédure, l'objet de quatre autres procédures pénales en cours, à savoir la P/1______/2023 pour recel (art. 160 CP), la P/2______/2024 pour infractions à l'art. 115 LEI et à l'art. 19 LStup, la P/3______/2024 pour infractions aux art. 115 et 119 LEI, et la P/4______/2024 pour infraction à l'art. 115 al. 1 let. b LEI.
b. Le 16 avril 2025, A______ a été interpellé à la rue 5______, dans le quartier des Pâquis, à Genève, après qu'il eût été aperçu par la police, plus particulièrement par un opérateur de la centrale de vidéo-protection, remettre une boulette de cocaïne à un individu, identifié par la suite comme étant B______, dans le cadre de ce qui semblait être une transaction.
c. Auditionné le même jour par la police, A______ a déclaré s'être trouvé dans le quartier des Pâquis pour boire un verre avec un ami et consommer de la cocaïne. Il ne vendait pas de produits stupéfiants, se contentant de consommer de la cocaïne à raison de 3 à 4 grammes par semaine. Il était domicilié à C______ (France), où il travaillait comme mécanicien dans un garage.
d. Le même jour également, la police a ordonné le prélèvement d'un échantillon d'ADN sur A______, au motif que l'intéressé avait déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN.
e. Le 17 avril 2025, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre A______ pour infractions aux art. 19 al. 1 let. c et 19a LStup, ainsi qu'à l'art. 115 al. 1 let. a LEI et rendu l'ordonnance querellée.
f. Lors de son audition du même jour devant le Ministère public, A______ a reconnu avoir remis, à titre gratuit, de la cocaïne à B______. Il ne vendait pas de cocaïne. Il était venu en Suisse afin de regarder un match de football dans un établissement public.
g. Par ordonnance pénale rendue le 17 avril 2025, le Ministère public a condamné A______ pour infraction aux art. 19 al. 1 et 19a LStup, ainsi qu'à l'art. 115 al. 1 let. a LEI, retenant que l'intéressé avait remis, le 16 avril 2025 vers 18h00, une boulette de cocaïne de 1,1 gramme à B______ pour la consommation personnelle de ce dernier.
h. Par courrier du 28 avril 2025, A______ a, sous la plume de son conseil, formé opposition à l'ordonnance précitée et requis une défense d'office.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que A______ a déjà été soupçonné par la police d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, dès lors qu'il avait notamment été condamné pour trafic de stupéfiants.
D. a. Dans son recours, A______ soutient que la mesure serait arbitraire et disproportionnée, compte tenu de l'absence de gravité particulière des infractions pour lesquelles il avait été condamné par le passé. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure P/3______/2024, la Chambre de céans avait considéré que l'établissement de son profil d'ADN ne se justifiait pas (ACPR/642/2024 du 29 août 2024). Or, son casier judiciaire n'avait pas changé depuis lors. L'ordonnance querellée procédait d'une volonté, par le Ministère public, de ficher de manière massive les étrangers, malgré l'inutilité et le coût de la mesure dans le cas d'espèce.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
3.1. L'établissement d'un profil d'ADN est de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données privées (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH).
Cette mesure doit, en conséquence, se fonder sur une base légale, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (ATF 147 I 372 consid. 2.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_631/2022 du 14 février 2023 consid. 2).
3.2. Selon l'art. 255 al. 1bis CPP, le prélèvement et l'établissement d'un profil d'ADN peuvent être ordonnés sur le prévenu si des indices concrets laissent présumer qu'il pourrait avoir commis d'autres crimes ou délits que celui ou ceux pour lesquels l'instruction est en cours. Une telle mesure peut être ordonnée par le ministère public durant l'instruction (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.2).
3.3. L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions. Celles-ci doivent revêtir une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2). L'on prendra en considération, dans la pesée des intérêts à réaliser, les éventuels antécédents de l'intéressé (ATF 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
3.4. L'art. 255 CPP ne permet pas le prélèvement routinier d'échantillons d'ADN et leur analyse, ce que concrétise l'art. 197 al. 1 CPP. Selon cette disposition, des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d). Les antécédents doivent également être pris en compte. Cependant, l'absence d'antécédents n'exclut pas en soi l'établissement d'un profil d'ADN (ATF 147 I 372 précité consid. 2.1; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêt du Tribunal fédéral 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
3.5. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors que le recourant a déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables.
Depuis 2015, il a en effet été condamné à deux reprises pour des infractions à la LStup, dont deux fois en lien avec des agissements qui dépassent le stade de la simple consommation personnelle, en sus d'une procédure en cours pour des agissements similaires (P/2______/2024). Dans la présente procédure, il a, en outre, été interpellé après avoir été aperçu remettre de la cocaïne à un tiers, ce qu'il a pr la suite confirmé tout en alléguant avoir agi "à titre gratuit".
Ces condamnations à la LStup vont de pair avec des reproches répétés de séjours illégaux et ruptures de ban. Ces nombreux antécédents laissent craindre un ancrage dans la délinquance liée aux stupéfiants. De telles circonstances permettent de penser que l'intéressé pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, qui pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leurs commissions, étant précisé que le recourant a, dans la présente procédure, été interpellé dans un lieu connu pour le trafic de stupéfiants à Genève.
De plus, les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent une certaine gravité. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui justifie l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.
La conclusion de l'arrêt ACPR/642/224 de la Chambre de céans cité par le recourant – annulant une décision du Ministère public ordonnant l'établissement de son profil d'ADN – ne saurait être transposée ici. D'une part, la procédure objet de ce précédent arrêt était seulement circonscrite à la LEI. D'autre part, la présente procédure – pour infraction à l'art. 19 al. 1 LStup – s'ajoute à la P/2______/2024 visant le recourant du chef de la même disposition. Il s'ensuit que la situation du recourant s'est notablement modifiée depuis le prononcé de l'arrêt en question.
En outre, le recourant ne saurait tirer argument de ce que l'établissement de son profil d'ADN avait été considéré comme injustifié par le passé. L'arrêt qu'il cite a, comme déjà dit, été rendu par la Chambre de céans dans une procédure distincte, portant sur les art. 115 et 119 LEI, et non sur l'infraction à l'art. 19 al. 1 LStup, comme en l'espèce. Or, contrairement à ce que semble penser le recourant, l'infraction à l'art. 19 al. 1 LStup – qui vise à protéger la santé publique – revêt une gravité certaine.
Enfin, compte tenu du caractère proportionné de la mesure, le fait que son coût soit éventuellement mis à la charge du recourant – ce qui n'est pas évident à ce stade, dès lors que cette question ne se posera éventuellement qu'à l'issue de la procédure et à la condition que l'intéressé soit condamné – n'est pas pertinent.
Partant, la mesure, qui repose sur une base légale et dictée par un intérêt public, est justifiée.
4. Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, fixés à CHF 600.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Mesdames Daniela CHIABUDINI, présidente; Corinne CHAPPUIS BUGNON et
Catherine GAVIN, juges; Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/9097/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
|
|
COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 515.00 |
Total | CHF | 600.00 |