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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/20345/2021

ACPR/360/2025 du 13.05.2025 sur ONMMP/3308/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;ESCROQUERIE
Normes : CPP.310; CP.146

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/20345/2021 ACPR/360/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 13 mai 2025

 

Entre

A______ SA, représentée par Me Dominique LEVY, avocat, LEVY CONSEIL, rue de Beaumont 3, case postale 24, 1211 Genève 12,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 23 juillet 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte reçu au greffe universel le 31 juillet 2024, la société A______ SA recourt contre l'ordonnance du 23 juillet 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 18 octobre 2021.

La recourante conclut à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ SA est une société anonyme inscrite au registre du commerce de Genève depuis le ______ 1999, ayant pour but notamment la location de tous appareils liés au transport aérien.

b. Le vendredi 27 août 2021, B______ a contacté A______ SA afin de louer un avion privé pour huit personnes de Genève à C______ [Espagne], le samedi 28 août 2021. Il a remis la liste des passagers, avec la copie de leurs pièces d'identité, voire leurs numéros de carte. Lui-même s'est légitimé au moyen d'une carte d'identité belge [valable au 13 janvier 2025].

c. Le même jour, le contrat de location ("flight quotation") pour un vol à destination de C______ [départ le lendemain, à 13h30] au prix de EUR 26'000.- a été signé par le dénommé "B______". Le paiement dudit prix devait être reçu par A______ SA avant le départ du vol.

d. Le samedi 28 août 2021, B______ G______ a transmis, par courriel provenant de l'adresse G______@gmail.com, à A______ SA une confirmation de transfert H______ [services bancaires sur application mobile] de la somme de EUR 26'000.-. Selon ce document, l'auteur dudit transfert était "B______" et le numéro de référence du paiement était "I______/1______ 210713_H______/2______".

e. Le dimanche 29 août 2021, le contrat de location ("cotation de vol") pour le vol retour de C______ [Espagne] à Genève [départ le lendemain, à 7h30], au prix de EUR 25'400.- a été signé par le dénommé "B______". Ledit prix devait être payé à A______ SA avant le départ du vol.

f. Le même jour, B______ a envoyé, par courriel provenant de l'adresse G______@gmail.com, à A______ SA une confirmation de transfert H______ de la somme de EUR 25'400.-. Selon ce document, le dénommé "B______" était
l'auteur du versement et le numéro de référence du virement était le "I______/1______ 210713_H______/2______".

g. A______ SA a avancé les sommes de EUR 26'000.-, respectivement EUR 25'400.- pour payer les coûts d'affrètements des avions privés, mais n'a jamais reçu le paiement desdits montants.

h. Le 18 octobre 2021, A______ SA a déposé plainte pénale pour ces faits contre B______.

i. À teneur du rapport de renseignements établi le 4 août 2023 par la Brigade financière, l'enquête préliminaire n'avait pas permis de déterminer qui avait usurpé la carte d'identité présentée à A______ SA lors de la réservation et appartenant au ressortissant belge D______, annulée pour cause de perte le 2 juin 2015 et non valable. La police soupçonnait les dénommés E______ et F______, interpellés le 17 juin 2022 dans une procédure connexe (P/3______/2022), d'être liés à la présente procédure. La Brigade financière – qui, malgré sa demande expresse, n'avait pas été informée de la libération des prénommés – a sollicité du Ministère public la délivrance d'avis de recherche et d'arrestation afin de les localiser et les entendre.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public a considéré que les éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie n'étaient pas réalisés, faute d'astuce. A______ SA – en tant que société professionnelle en la matière et au vu du prix de ses prestations – aurait dû faire preuve de plus de vigilance. Elle n'avait procédé à aucune vérification préalable lui permettant de constater que les paiements ne lui étaient pas parvenus, en particulier celui pour le vol aller. Le nom de "B______ ", sur les virements bancaires, ne correspondait pas à celui de B______ figurant sur les contrats. Par ailleurs, le numéro de référence des virements – 210713 – aurait dû, à lui seul, attirer son attention dès lors qu'il se référait à un paiement effectué le 13 juillet 2021, soit une date antérieure à laquelle les virements devaient être exécutés.

D. a. Dans son acte de recours, A______ SA considère que les conditions pour rendre une ordonnance de non-entrée en matière ne sont pas remplies. Le comportement de B______ était astucieux dès lors qu'il lui avait transmis une preuve de paiement, respectivement une copie de pièce d'identité qui ne comportaient aucun élément permettant de douter de leur authenticité. Elle n'avait au demeurant aucune connaissance bancaire permettant de déchiffrer les codes de paiement de la banque en ligne H______. B______ avait apposé une signature sur le contrat qui apparaissait être similaire à celle de sa pièce d'identité. Le précité avait agi durant le week-end, l'empêchant ainsi de vérifier si les montants étaient effectivement parvenus sur son compte bancaire. Les attestations de paiement constituaient également des faux dans les titres puisque les sommes n'avaient en réalité jamais été versées, ce qui portait ainsi préjudice à ses intérêts. Elle invoque en outre le principe de l'égalité de traitement. Un article de presse – qu'elle produit – avait traité une affaire "quasi-identique" qui avait donné lieu à une condamnation pénale à Genève. Il y était évoqué une société de courtage de jets s'était méfiée lorsque cinq jeunes hommes avaient insisté pour accélérer le processus de réservation d'un vol puis avaient présenté une pièce d'identité – laquelle s'était avérée volée – d'une femme et un document bancaire qui semblait faux.

b. Dans ses observations, le Ministère public se réfère à sa décision querellée et conclut, sous suite de frais, au rejet du recours.

c. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte pénale.

2.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police, que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

2.2. Selon l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

L'escroquerie consiste à tromper la dupe. Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas; il faut qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 143 IV 302 consid. 1.3;
142 IV 153 consid. 2.2.2; 135 IV 76 consid. 5.2). Tel est notamment le cas si l'auteur conclut un contrat en ayant d'emblée l'intention de ne pas fournir sa prestation alors que son intention n'était pas décelable (ATF 118 IV 359 consid. 2). L'astuce n'est toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle (ATF 135 IV 76 consid. 5.2).

2.3. En l'espèce, le nom du mis en cause figurant sur la signature des contrats diverge de celui de la carte d'identité présentée lors de la conclusion du contrat ["B______" au lieu de "B______" [orthographié différemment]], ce qu'aurait pu constater la recourante. Ceci étant, cette différence [de deux lettres] n'est pas flagrante et pouvait passer inaperçue. Il n'apparaît non plus pas d'emblée que les chiffres "210713", intégrés dans le numéro de référence, concernaient un paiement effectué le 13 juillet 2021 – plutôt que le 28 août 2021 – , étant souligné que la commande du vol a été effectuée le vendredi, pour un départ le lendemain, alors que les banques sont fermées durant le week-end, ce qui empêchait la recourante de vérifier le numéro de référence lors de la réception de l'attestation de paiement et de s'assurer que le montant du premier vol avait été versé sur son compte bancaire. À cela s'ajoute que le mis en cause a utilisé, pour effectuer les réservations, une carte d'identité, usurpée, non valable.

Le raisonnement qui précède vaut mutatis mutandis pour le vol de retour commandé le dimanche, pour un départ le lendemain matin à 7h30.

Au surplus, aucune recherche n'a été entreprise pour entendre les dénommés E______ et F______, lesquels semblaient, selon la police, être impliqués dans la présente procédure.

Partant, au vu de ce qui précède, le prononcé d'une ordonnance de non-entrée en matière paraît à tout le moins prématuré.

Il appartiendra donc au Ministère public de compléter l'enquête, voire d'ouvrir une instruction, notamment en procédant à la recherche des personnes susmentionnées et à leur audition.


 

3.             Fondé, le recours doit être admis; l'ordonnance querellée sera ainsi annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

5.             La recourante, partie plaignante qui obtient gain de cause, n'a pas sollicité d'indemnité, de sorte qu'il ne lui en sera pas allouée (art. 433 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule la décision attaquée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer les sûretés (CHF 1'200.-) à la recourante.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).