Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/146/2025 du 24.02.2025 sur ONMMP/5542/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/27448/2024 ACPR/146/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 24 février 2025 |
Entre
A______, représentée par Me Magali BUSER, avocate, ETTER & BUSER, boulevard Saint-Georges 72, 1205 Genève,
recourante,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 11 décembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 20 décembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 11 précédent, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 8 mai 2024 contre B______.
La recourante conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 5'491.50, à l'annulation de cette ordonnance, principalement, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public d'ouvrir une instruction à l'encontre de B______ des chefs de violation du devoir d'assistance et d'éducation (art. 219 CP), lésions corporelles simples (art. 123 CP) et voies de fait (art. 126 CP), subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public pour complément d'instruction, à charge pour cette autorité de procéder à divers actes d'enquête, qu'elle énumère.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a.a. Le 8 mai 2024, A______ a déposé plainte pénale pour des faits de violence dont son fils, C______, né le ______ 2018, avait été victime à l'école privée D______ à Genève (ci-après: l'école).
À cette occasion, elle a déclaré qu'un jour du mois de mai 2023, son fils s'était plaint de douleurs au ventre, lui expliquant que sa maîtresse, B______, lui avait donné un coup de poing à cet endroit, avant de le placer sur une chaise en guise de punition. Selon l'enfant, ce n'était pas la première fois qu'elle agissait ainsi, l'enseignante lui ayant déjà donné d'autres coups de poing dans le ventre par le passé, notamment une fois lorsqu'il avait dépassé une ligne lors d'un coloriage. Elle avait questionné B______ à cet égard, laquelle lui avait répondu n'avoir jamais levé la main sur son enfant ou peut-être involontairement, en faisant un geste brusque que ce dernier avait mal interprété. Suite à cet épisode, elle avait remarqué que C______ ne voulait plus retourner à l'école, sans toutefois qu'elle ne sût pour quelle raison. En septembre 2023, elle avait aperçu l'enseignante crier sur son fils après que ce dernier eut arraché la branche d'un buisson. Celle-ci l'avait ensuite attrapé par les deux poignets et secoué, le faisant ainsi chuter. Elle-même avait quitté les lieux avec son fils. Durant toute la période de scolarisation de son enfant, elle avait constaté plusieurs épisodes de négligence, C______ ayant parfois présenté des griffures sur le visage et reçu, à une occasion, un pot de fleurs sur la tête.
a.b. À l'appui de sa plainte, A______ a produit divers échanges qu'elle avait eus avec l'école, respectivement avec le Service d'autorisation et de surveillance de l'enseignement privé (ci-après: SASEP), notamment:
- un courriel – d'une date indéterminée – dans lequel elle indique à l'école, photos à l'appui, que son fils avait été griffé au visage et sur le cou par un certain "E______";
- un courriel du 16 février 2023 par lequel, après s'être référée à un précédent épisode de griffure dont son fils avait été victime, elle informait l'école que celui-ci avait une nouvelle fois été griffé par un certain "E______", lequel lui aurait également cogné la tête contre le mur, lui causant ainsi des maux de tête;
- un courriel du 16 novembre 2023 dans lequel elle dénonçait au SASEP les divers épisodes mentionnés dans sa plainte;
- une lettre du SASEP du 23 novembre 2023 l'informant que son courriel serait traité sous la forme d'une dénonciation administrative et que les éventuelles dispositions prises à l'encontre de l'école ne lui seraient pas communiquées.
b. Par lettre du 3 juillet 2024, le SASEP a fait part à l'école de ses conclusions en lien avec les différents épisodes dénoncés par A______. Après avoir résumé les versions des parties impliquées, il y relevait son impossibilité d'apprécier objectivement les faits en raison de la divergence des récits lui ayant été exposés. Bien qu'il ne lui parût pas que la direction de l'école eût contrevenu aux dispositions légales et réglementaires relatives à l'enseignement privé, le SASEP invitait celle-ci à revoir ses processus de communication interne et externe et à gérer la relation avec les parents de façon "professionnelle".
c. Entendue par la police, le 12 août 2024, B______ a contesté tout acte de maltraitance à l'endroit de C______. Un jour de septembre 2023, ce dernier, qui n'arrêtait pas de sautiller, lui avait jeté des fleurs au visage, sans que sa mère, qui était présente, n'intervînt. Elle lui avait alors tenu les bras afin qu'il cessât de sauter et l'écoutât. L'enfant sautillait tellement fort qu'ils avaient fini par perdre tous deux l'équilibre et chuter. A______, qui avait pensé, à tort, qu'il s'agissait d'un acte de maltraitance, avait entrepris, un mois plus tard, des démarches auprès du SASEP. Elle-même n'avait jamais porté la main sur aucun de ses élèves et n'avait pas non plus puni C______ après qu'il eut fait tomber un verre d'eau. De manière générale, dans son école, on évitait catégoriquement de toucher les élèves et ne les punissait pas non plus, même s'il arrivait, en cas d'agitation, que ceux-ci dussent s'assoir sur une "chaise de réflexion". C______ avait un "manque de limite" dans son comportement, raison pour laquelle l'école avait dû rompre le contrat avec sa famille.
C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que les déclarations des parties sont contradictoires et qu'aucun élément de preuve objectif, tel qu'un témoin, ne permet de privilégier l'une ou l'autre des versions. Les éléments à la procédure, notamment en lien avec l'enquête administrative effectuée par le Département de l'instruction publique, étaient de nature à confirmer qu'aucun comportement inadéquat ne pouvait être reproché à B______.
D. a. Dans son recours, A______ soutient que le Ministère public avait violé le principe in dubio pro duriore, en ne se basant que sur une enquête lacunaire de la police et en omettant d'accomplir certains actes d'instruction pourtant essentiels à la manifestation de la vérité.
Il convenait ainsi que cette autorité entendît l'enfant C______, dans le cadre d'une audition EVIG, afin qu'il renseignât l'autorité sur les différents épisodes de violence, y compris les autres coups de poing n'ayant pas fait l'objet de l'enquête. B______ devait être entendue à nouveau pour lui poser des questions complémentaires et les confronter. Dans la mesure où elle avait fait état, lors de son audition, d'autres faits de violence impliquant un autre enfant (F______), que le policier n'avait pas repris dans son rapport, une enquête approfondie devait avoir lieu au sein de l'école, plus particulièrement en entendant les parents de l'enfant concerné (G______ et H______).
b. Dans ses observations, le Ministère public persiste dans les termes de sa décision. Si les photographies et documents médicaux produits attestaient de blessures et traces sur le corps de C______, ils ne permettaient en revanche pas d'en connaître l'origine. Il n'était pas utile d'entendre B______, ni de la confronter à la recourante, dans la mesure où il était peu vraisemblable qu'elle avoue désormais des choses qu'elle n'avait pas concédées par le passé. L'audition de l'enfant, deux ans après les faits, paraissait disproportionnée, ce d'autant que son discours pourrait avoir été "pollué", notamment par ses parents. Quant aux actes d'enquête concernant les faits prétendument commis au préjudice d'autres enfants, ils n'étaient pas pertinents pour l'élucidation des faits visés par la présente procédure.
c.A______ réplique et persiste. Son audition s'avérait utile dès lors qu'elle avait été témoin oculaire des faits survenus en septembre 2023. L'audition de C______ était également pertinente, étant à cet égard précisé que, bien que ce dernier se fût confié à elle, elle ne lui avait pas posé de questions, ni ne l'avait influencé, de sorte que son discours n'avait pas été "pollué". Elle avait bel et bien mentionné l'existence d'autres victimes à la police et n'était pas responsable du fait que cette autorité avait ensuite "oublié" d'en faire rapport. Une enquête plus poussée sur ces autres agissements s'avérait pertinente, dès lors que, si B______ devait avoir commis des actes similaires envers d'autres enfants, ses dénégations apparaitraient de moins en moins crédibles.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La recourante fait grief au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.
2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.
Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le ministère public doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310).
Un refus d'entrer en matière n'est possible que lorsque la situation est claire, en fait et en droit. En cas de doutes, ou lorsque l'acte dénoncé a eu des incidences graves (par exemple en présence de lésions corporelles graves), une instruction doit en principe être ouverte, quand bien même elle devrait ultérieurement s'achever par un classement (arrêt du Tribunal fédéral 1B_454/2011 du 6 décembre 2011 consid. 3.2).
2.2. À teneur de l'art. 123 ch. 1 CP, quiconque, intentionnellement, fait subir à une personne une autre atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé est puni sur plainte d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
L'auteur est poursuivi d'office s'il s'en prend à une personne hors d'état de se défendre ou à une personne, notamment à un enfant, dont il a la garde ou sur laquelle il a le devoir de veiller (ch. 2 al. 1 et 3).
2.3. Selon l'art. 126 CP, quiconque se livre sur une personne à des voies de fait qui ne causent ni lésion corporelle ni atteinte à la santé est, sur plainte, puni d’une amende (ch. 1), la poursuite ayant lieu d'office si l'auteur agit à réitérées reprises contre une personne, notamment un enfant, dont il a la garde ou sur laquelle il a le devoir de veiller (ch. 2 let. a).
2.4. Aux termes de l'art. 219 CP, celui qui viole son devoir d'assister ou d'élever une personne mineure dont il met ainsi en danger le développement physique ou psychique, ou qui manque à ce devoir, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (al. 1). L'auteur est puni d'une peine pécuniaire s'il agit par négligence (al. 2).
2.5. En l'espèce, aucun élément au dossier, que ce soit des certificats médicaux ou témoignages, ne permet de corroborer les soupçons de de la recourante à teneur desquels B______ se serait rendue coupable d'actes de maltraitance à l'endroit de son enfant C______.
La mise en cause a en effet fermement contesté ces accusations, expliquant n'avoir jamais porté la main sur aucun de ses élèves, admettant tout au plus, concernant les faits survenus en septembre 2023, avoir tenu C______ par les bras afin qu'il se calmât et l'écoutât, épisode lors duquel ils avaient tous deux perdu l'équilibre et chuté au sol.
S'agissant plus particulièrement de cet évènement, aucun acte d'instruction n'apparait susceptible d'apporter des éléments inédits et probants. Notamment, rien n'indique qu'une confrontation des parties permettrait de départager les versions, tout laissant au contraire à penser que chacun camperait sur sa position. Ainsi, l'ouverture d'une instruction ne se justifie pas, ni pour cet acte, ni pour les douleurs au ventre de l'enfant dont la recourante attribuerait l'origine à la mise en cause.
Quant à d'éventuels actes de maltraitance susceptibles d'avoir été commis à l'encontre d'autres enfants – si tant est que la recourante ait la qualité pour recourir sur ce point – ni le procès-verbal d'audition de la recourante, ni le rapport établi subséquemment par la police, ne contiennent d'éléments permettant de fonder de quelconques soupçons à cet égard. Il apparait sur ce point douteux que les policiers aient omis de rapporter de tels épisodes, si la recourante leur en avait réellement fait mention ainsi qu'elle le soutient.
Le dossier ne comporte aucun autre élément susceptible de fonder un soupçon. L'enquête administrative diligentée par le SASEP n'a révélé aucun comportement inadéquat susceptible d'être reproché à B______, ce service relevant au surplus dans sa lettre du 3 juillet 2024 que la direction de l'école ne lui semblait pas avoir contrevenu aux dispositions légales et règlementaires relatives à l'enseignement privé.
À la lumière de ces éléments, c'est à bon droit que le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur les faits visés par la plainte de la recourante. Par ailleurs, au vu de l'absence de soupçons de la commission d'une quelconque infraction, la mise en œuvre d'autres actes d'instruction, tels que l'audition de l'enfant C______ (selon le protocole EVIG) ou celle des parents de F______ apparait totalement disproportionnée, de sorte qu'il y a été renoncé à juste titre.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et, partant, le recours rejeté.
4. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
5. Pour le même motif, elle ne saurait se voir allouer d'indemnité au sens de l'art. 433 al. 1 CP, applicable en instance de recours selon l'art. 436 al. 1 CPP.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/27448/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |