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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13580/2024

ACPR/931/2024 du 11.12.2024 sur ONMMP/4515/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;CALOMNIE;CONTRAINTE(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.310; CP.174

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13580/2024 ACPR/931/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 11 décembre 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Jean-François DUCREST, avocat, DUCREST HEGGLI AVOCATS LLC, rue Kitty-Ponse 4, case postale 3247, 1211 Genève 3,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 14 octobre 2024 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 25 octobre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 octobre 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur sa plainte pour calomnie contre B______.

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour ouverture d'une instruction et condamnation, ou renvoi en jugement du précité.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 1er mai 2024, A______ a déposé plainte pénale pour calomnie (art. 174 CP) et toute autre infraction qui pourrait être réalisée contre B______.

En substance, le 16 juin 2021, B______ avait déposé plainte pénale contre lui pour calomnie, dénonciation calomnieuse et contrainte. Le Ministère public n'était pas entré en matière sur les deux dernières infractions, mais avait rendu une ordonnance pénale le condamnant pour calomnie. Il avait formé opposition, à la suite de laquelle le Ministère public avait fait part de son intention de rendre une ordonnance de classement.

Dans le cadre de cette procédure, il avait pris connaissance du dossier pénal par l'intermédiaire de ses conseils le 9 avril 2024, notamment du procès-verbal d'audition de B______ du 4 avril 2022, audience lors de laquelle ce dernier avait indiqué "Je vous informe que dans l'affaire pénale française en cours qui est liée à la société C______, Monsieur A______ est actuellement mis en cause par les autorités françaises pour de faux témoignages faits sous serment".

Cette déclaration était fausse, puisqu'il n'avait jamais été mis en cause par les autorités françaises, en particulier pour faux témoignage, et portait ainsi gravement atteinte à son honneur. B______ n'avait de plus fourni aucune pièce appuyant ses propos et connaissait leur fausseté.

b. Entendu par la police le 5 juillet 2024, B______ a indiqué que des "affaires pénales" étaient en cours et qu'il ne souhaitait pas les commenter tant que les autorités n'auraient pas rendu de décision définitive.

En 2018, il avait déposé une plainte pénale en France à l'encontre de A______ et relancé le Parquet de D_____ [France] en 2022, en vain, afin de connaître l'avancée de la procédure. Il n'avait notamment pas reçu de décision de classement sans suite ou toute autre décision qui pourrait laisser penser que sa plainte ne serait pas instruite. C'était ainsi à juste titre qu'il en avait conclu que les autorités françaises poursuivaient son instruction.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public a considéré que les éléments constitutifs de la calomnie ou de la diffamation n'étaient pas réunis. En effet, lors de son audition, B______ avait expliqué avoir déposé une plainte pénale contre A______ en 2018, laquelle n'avait pas fait l'objet d'une décision à ce stade. Ainsi, il n'était pas établi, à teneur du dossier, que les faits rapportés par B______ fussent véritablement erronés.

Dans tous les cas, les propos tenus par ce dernier l'avaient été dans le contexte d'une audition par la police "en qualité de prévenu". Or, une atteinte à l'honneur ne devait être admise que restrictivement, particulièrement lorsque les propos s'adressaient aux membres d'une autorité judiciaire, tenus par le secret de fonction et étant à même de faire la part des choses.

D. a. Dans son recours, A______ a reproché au Ministère public de ne pas être entré en matière, alors que les éléments constitutifs de la calomnie étaient réalisés.

En effet, les propos tenus par B______ lors de son audition du 4 avril 2022 attentaient à son honneur et ce dernier ne pouvait ignorer leur fausseté, puisqu'il avait indiqué, le 5 juillet 2024, ne pas savoir si les autorités pénales françaises avaient donné suite à sa prétendue plainte pénale de 2018. Il était cependant connu pour déposer des plaintes pénales contre toute personne formulant des reproches à son encontre.

Le Ministère public aurait dû instruire la cause, notamment en demandant à B______ de produire sa plainte de 2018 et en lui posant des questions complémentaires. En effet, des doutes sérieux subsistaient quant à l'existence même de cette plainte pénale.

Le Ministère public avait enfin faussement retenu que les déclarations de B______ avaient été effectuées en sa qualité de prévenu, alors que ce dernier était en réalité plaignant, et ne se trouvait ainsi pas en position de faiblesse, mais avait au contraire été rendu attentif au fait qu'il devait répondre conformément à la vérité.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Toutefois, il y a lieu de constater que les conclusions du recourant visant à la condamnation de B______ pour calomnie sont irrecevables car elles s'adressent manifestement à une autorité de jugement et excèdent dès lors la compétence matérielle de la Chambre de céans.

1.3. Le recours est donc recevable uniquement en tant qu'il porte sur l'annulation de la décision querellée et le renvoi éventuel du dossier au Ministère public pour instruction.

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.

3.1.       Selon l'art. 310 al. 1 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a) ou qu'il existe des empêchements de procéder (let. b).

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité ; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1 ; ATF 137 IV 219 consid. 7).

3.2.       Se rend coupable de calomnie (art. 174 ch. 1 CP) quiconque, connaissant la fausseté de ses allégations et en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, quiconque propage de telles accusations ou de tels soupçons, alors qu'il en connaît l'inanité, est, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

Les allégations attentatoires à l'honneur doivent être fausses, ce que l'auteur doit savoir, et il n'y a dès lors pas de place pour les preuves libératoires. Sur le plan subjectif, la calomnie implique que l'auteur ait agi avec l'intention de tenir des propos attentatoires à l'honneur d'autrui et de les communiquer à des tiers, le dol éventuel étant à cet égard suffisant, et qu'il ait en outre su que ses allégations étaient fausses, ce qui implique une connaissance stricte, de sorte que, sur ce point, le dol éventuel ne suffit pas (ATF 136 IV 170 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1).

L'honneur protégé par cette disposition est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'homme (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.2).

Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3).

Le fait de s'adresser à un magistrat ou à un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions n'exclut pas le caractère délictueux de l'acte. Toutefois, il ne saurait y avoir diffamation ou calomnie punissable lorsque celui qui a tenu les propos incriminés était en droit d'agir pour la défense d'intérêts légitimes d'ordre public ou privé (ATF
69 IV 114). Ainsi, il est admis que le devoir procédural d'alléguer les faits constitue un devoir de s'exprimer au sens de l'art. 14 CP; une partie, ou son avocat, peut dès lors invoquer cette disposition, à la condition de s'être exprimée de bonne foi, de s'être limitée aux déclarations nécessaires et pertinentes et d'avoir présenté comme telles de simples suppositions (ATF 135 IV 177 consid. 4 p. 177; 131 IV 154 consid. 1.3.1 p. 157; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3ème éd., Berne 2010, n. 105-114 ad art. 173).

3.3.       En l'espèce, il ressort de la procédure, notamment de l'audition du mis en cause, que ce dernier a déposé une plainte pénale contre le plaignant en 2018 et que celle-ci n'a pas abouti, à ce jour, à une décision finale du Parquet de Paris, malgré une relance en 2022.

Aucun élément ne permet de remettre en cause cette version, dans la mesure où le plaignant lui-même a indiqué que le mis en cause avait pour habitude de déposer des plaintes pénales à l'encontre de toute personne formulant des reproches à son encontre. Il ressort de plus des différentes procédures initiées en France et en Suisse par l'une ou l'autre des parties que ces dernières sont en litige depuis de nombreuses années et qu'il ne peut être exclu qu'une plainte pénale ait été déposée par le mis en cause, comme il le soutient. Dès lors, l'audition du mis en cause ainsi que les éléments au dossier n'ont pas permis d'établir qu'il avait une connaissance stricte de la fausseté de ses allégations ou que celles-ci étaient véritablement erronées. Au contraire, il a donné une version contradictoire à celle du recourant et l'existence d'une procédure pénale en France pour faux témoignage n'étant pas de nature à influencer une condamnation pour des infractions contre l'honneur en Suisse, il n'avait pas de raison objective de mentir à ce sujet. Il convient de souligner que le mis en cause n'a pas soutenu que le recourant aurait été condamné pour faux témoignage, mais qu'il avait lui-même déposé une plainte pénale dans ce sens auprès des autorités françaises.

De plus, bien que le Ministère public ait, par erreur, indiqué que le mis en cause avait été entendu en qualité de prévenu lors de son audition le 4 avril 2022, son argument demeure valide, s'agissant en réalité d'un plaignant. En effet, selon la jurisprudence précitée, toute partie peut invoquer l'art. 14 CP, à la condition de s'être exprimée de bonne foi, de s'être limitée aux déclarations nécessaires et pertinentes et d'avoir présenté comme telles de simples suppositions. Aucun élément, mis à part les déclarations du recourant, ne permet de retenir que le mis en cause aurait agi en connaissant la fausseté de ses allégations et n'aurait pas été de bonne foi.

Les éléments constitutifs de l'art. 174 CP ne sont dès lors pas réalisés et aucune mesure d'enquête n'est susceptible de modifier ce constat.

Faute de prévention pénale suffisante, l'ordonnance querellée sera confirmée et le recours rejeté.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON et Madame Valérie LAUBER, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13580/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

Total

CHF

1'200.00