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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/26284/2024

ACPR/893/2024 du 03.12.2024 sur OTMC/3510/2024 ( TMC ) , ADMIS

Descripteurs : RISQUE DE FUITE;RISQUE DE RÉCIDIVE
Normes : CPP.221.al1; CPP.221.al1bis

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/26284/2024 ACPR/893/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 3 décembre 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

recourant

 

contre l'ordonnance de mise en détention provisoire rendue le 17 novembre 2024 par le Tribunal des mesures de contrainte

 

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3

intimés

 


EN FAIT :

A.           Par acte déposé le 21 novembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 précédent, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné son placement en détention provisoire jusqu’au 14 janvier 2025.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et à sa libération immédiate, le cas échéant sous interdiction de contacter son comparse et obligation de s’en détourner en cas de rencontre fortuite.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.             A______, ressortissant portugais né en 2001, domicilié à Genève et titulaire d’un permis d’établissement, a été surpris le 14 novembre 2024 à Genève, alors qu’il tentait – en compagnie d’un comparse relâché et condamné par ordonnance pénale sur ces entrefaites – de conclure des abonnements de téléphone et d’acquérir des téléphones portables sous de fausses identités. L’on ignore si le commerçant visé, qui a averti la police et permis l’appréhension, a déposé plainte pénale.

b.             Prévenu de tentative d’escroquerie, faux dans les titres et faux dans les certificats, A______ admet les faits.

c.              À la fin du mois de janvier 2024, puis encore les 9 et 10 février 2024, A______ a déjà agi selon un modus operandi similaire, à Genève et à D______ [VD]. Son casier judiciaire comporte deux inscriptions, l’une en 2022, pour utilisation frauduleuse répétée d’un ordinateur et tentative de la même infraction, et l’autre, en janvier 2024, pour les faits commis ce mois-là. Les actes reprochés les 9 et 10 février 2024 ne sont apparemment pas encore jugés ; la Chambre de céans a retenu que leur moindre gravité permettait la mise en liberté du prévenu (ACPR/147/2024).

d.             A______ affirme qu’il travaille sur appel pour une entreprise locale, sans autre précision. Dans son recours, il prétend, sans le documenter, être scolarisé à « E______ » [comprendre le E______ [enseignement secondaire II], à Genève], où il effectuerait un « apprentissage » (sic), tout en étant aidé pour « trouver un apprentissage » (re-sic). Il n’a pas été interrogé plus avant sur l’évolution de sa situation personnelle et patrimoniale, par exemple telle qu’il l’avait alléguée à l’appui de sa demande de libération du mois de février 2024 (cf. arrêt précité). Saisis et inventoriés, deux téléphones portables, auxquels il a refusé de donner accès, sont en cours d’examen à la police.

C.           Dans l'ordonnance attaquée, le TMC estime que les charges, suffisantes, sont graves. Il se réfère, sans plus de précisions, à de « nombreuses » procédures en cours tant dans le canton de Genève qu’ailleurs en Suisse, pour lesquelles une fixation de for aurait été lancée. Le risque de collusion était important, tant à l’égard du comparse que du fournisseur de faux papiers d’identité et d’un nommé « F______ » [qui aurait fourni au prévenu des fiches de salaire que celui-ci a falsifiées ou contrefaites]. Le risque de réitération était tangible, au vu du casier judiciaire de l’intéressé et « des » procédures en cours pour « des faits de même nature, voire identiques ». Aucune mesure de substitution n’entrait en considération.

D.           a. Dans son recours, A______ fait essentiellement valoir que l’intensité des charges retenues contre lui ne justifiait pas une privation de liberté, à l’instar de ce que l’autorité de céans avait statué lors de sa précédente arrestation. Le Ministère public n’avait pas jugé utile de le confronter immédiatement à son comparse, libéré après le prononcé d’une ordonnance pénale ; celui-ci et « F______ » avaient dès lors toute latitude de se contacter. Le Ministère public ne précisait pas ce qui pourrait conduire à l’identification du faussaire, fournisseur des faux documents. Les faits reprochés n’avaient pas lésé gravement le patrimoine d’autrui. Une interdiction de contacter le comparse et « F______ » offriraient un palliatif adéquat à la détention provisoire. L’incarcération faisait planer sur lui une menace d’exclusion de son apprentissage.

b.             Le TMC déclare maintenir les termes de son ordonnance.

c.              Le Ministère public, renvoyant à celle-ci, propose de rejeter le recours. Une confrontation avec le comparse se déroulerait le 12 décembre 2024. La police avait été chargée d’extraire les données des téléphones portables dont le prévenu était porteur à son arrestation, ainsi que de tenter d’identifier d’autres complices.

d.             En réplique, A______ déclare persister dans son recours.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant admet les faits et ne s'exprime pas sur les charges retenues, sauf à contester que leur gravité puisse suffire à son placement en détention.

Tout bien considéré, ces préventions, soit une tentative (deux, si l’on admet la coactivité entre les deux participants) ne sont pas d’une grande gravité. C’est d’autant plus vrai qu’aucun contrat d’abonnement n’a été conclu et qu’aucun appareil téléphonique n’a été remis aux prévenus, puisque la supercherie y relative a été découverte sur-le-champ.

3.             Le recourant affirme que le risque de collusion ne peut pas être valablement invoqué.

3.1.       Conformément à l'art. 221 al. 1 let. b CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2 ; 132 I 21 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_464/2023 du 11 septembre 2023 consid. 4.1).

3.2.       En l'espèce, le risque de collusion ne peut pas être retenu envers le comparse, puisque non seulement sa version des faits a été recueillie par la police, mais aussi, voire surtout, parce que le Ministère public a élargi celui-ci tout en prononçant dans la foulée une ordonnance pénale contre lui – estimant, en d’autres termes, que les explications des deux protagonistes n’imposaient pas leur confrontation –.

Par ailleurs, faute d’explication concrète du Ministère public sur ses espoirs d’identifier le faussaire – et susceptibles de se réaliser à brève échéance, par exemple avant le terme fixé dans la décision attaquée –, on ne discerne pas de perspective concrète de démanteler, par exemple, une bande d’escrocs actifs sur internet, locaux ou internationaux, et au sein de laquelle le recourant jouerait un rôle de longue date.

Le premier juge fait mention de « nombreuses » procédures sur l’ensemble du pays. Or, non seulement le dossier est dépourvu de la moindre corroboration à ce sujet – on observera, tout au contraire, que l’extrait du casier judiciaire ne révèle aucune autre procédure en cours contre le recourant que les deux du début de l’année courante – ; mais encore, le Ministère public n’en tire aucun argument et ne fournit aucune explication à cet égard, dans ses observations. On ne pourrait même pas soutenir qu’il conviendrait d’attendre le dépouillement des données contenues sur les téléphones portables saisis et inventoriés, car le résultat de celui-ci, en cours, ne peut pas être contrecarré par la libération du recourant.

Sous l'angle d’une mesure de substitution au sens de l'art. 237 al. 1 let. g CPP, on ne verrait pas comment prohiber efficacement tout contact du recourant avec « F______ » ou avec des complices inconnus (cf. ACPR/851/2021 du 8 décembre 2021 consid. 3.2.). D'ailleurs, il a déjà été jugé que l'interdiction d'entrer en contact au sens de la disposition précitée ne pouvait en principe porter que sur des personnes déterminées, car il est primordial que les mesures de substitution ordonnées soient suffisamment précises dans leur contenu (arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2019 du 12 novembre 2019 consid. 3.4.2).

4.             Le recourant estime qu’on ne peut pas lui opposer valablement un risque de récidive.

4.1.       Trois conditions doivent être réalisées pour admettre le risque (simple) de récidive, au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP. Premièrement, le prévenu doit déjà avoir commis des infractions du même genre, et il doit s'agir de crimes ou de délits graves ; deuxièmement, la sécurité d'autrui doit être sérieusement – et, désormais, de manière imminente – compromise ; troisièmement, une réitération doit, sur la base d'un pronostic, être sérieusement à craindre (ATF 146 IV 136 consid. 2.2 ; 143 IV 9 consid. 2.5).

La mise en danger sérieuse de la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves peut en principe concerner tout type de biens juridiquement protégés, même si les délits contre l'intégrité corporelle et sexuelle sont visés en premier lieu
(ATF 146 IV 326 consid. 3.1).

En ce qui concerne les infractions contre le patrimoine, si celles-ci peuvent perturber la vie en société en portant atteinte à la propriété, le cas échéant de manière violente, elles ne mettent cependant pas systématiquement en danger l'intégrité physique ou psychique des victimes. Pour de telles infractions, la détention n'est ainsi justifiée en raison du risque de récidive que lorsqu’il s’agit d'infractions particulièrement graves (ATF 146 IV 136 consid. 2.2). L'admission de l'atteinte grave à la sécurité implique dans ce cas que les lésés soient atteints de manière similaire à une infraction réalisée avec des actes de violence (ATF 146 IV 136 consid. 2.2). Il y a notamment une mise en danger grave de la sécurité lorsque des éléments concrets indiquent que le prévenu pourrait user de violence lors d'infractions futures contre le patrimoine. Il en va ainsi en particulier si le prévenu a, lors de précédentes infractions contre le patrimoine, emmené une arme ou s'il en a fait usage (ATF 146 IV 136 consid. 2.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_141/2023 du 3 avril 2023 consid. 2.1).

En matière d’escroquerie, les circonstances concrètes doivent révéler des victimes particulièrement durement atteintes dans leur patrimoine et/ou un prévenu menant un train de vie luxueux, sans avoir, cas échéant, été dissuadé de réitérer en dépit de nombreuses condamnations ; à défaut, la sécurité d’autrui n’est pas ou pas suffisamment menacée ; ainsi en va-t-il d’escrocs en série qui n’ont jamais gravement lésé le patrimoine d’autrui (ATF 146 IV 136 consid. 2.5 et 2.6).

L'art. 221 al. 1bis CPP prévoit un risque de récidive qualifié par rapport à l'art. 221 al. 1 let. c CPP, qui a été introduit dans le but de compenser la renonciation à l'exigence d'infractions préalables à celle(s) qui fonde(nt) la mise en détention provisoire ; cela étant, ce motif exceptionnel de détention ne peut être envisageable qu'aux conditions strictes, cumulatives, énumérées aux let. a et b de l'art. 221 al. 1bis CPP.

La notion de crime grave au sens de l'art. 221 al. 1bis let. b CPP se rapporte aux biens juridiques protégés cités à l'art 221 al. 1bis let. a CPP, à savoir l'intégrité physique, psychique et sexuelle d'autrui ; si la notion de crime est définie à l'art. 10 al. 2 CP et qu'il s'agit donc des infractions passibles d'une peine privative de liberté de plus de trois ans, il n'existe pas de critère clair permettant de délimiter un crime grave, au sens de l'art. 221 al. 1bis let. b CPP, d'un crime moins grave (arrêt du Tribunal 7B_583/2024 du 25 juin 2024 consid. 3.2.2, destiné à la publication).

Afin de distinguer les crimes graves des crimes moins graves, le Tribunal fédéral entend qu’il soit tenu compte, en premier lieu, de la peine menace, mais rappelle, dans ce contexte, que toute infraction passible d'une peine maximale d'au moins cinq ans de privation de liberté – comme l’est, en l’espèce, l’escroquerie (art. 146 al. 1 CP) – ne peut pas constituer un crime grave, car ce critère de délimitation s'appliquerait sinon à toutes les infractions constitutives de crimes prévues par le CP (arrêt du Tribunal fédéral 7B_830/2024 du 4 septembre 2024 consid. 2.2.2. et l’arrêt cité). Dans cette décision, le Tribunal fédéral a expressément jugé qu’une personne prévenue, notamment, de deux brigandages – infractions contre le patrimoine, selon le Titre 2 du CP – ne pouvait pas, en dépit d’un comportement qualifié d’« inquiétant » pour s’être munie de pistolets factices, voire d’une machette, être considérée sans autre comme une menace pour la sécurité d’autrui, en tant que le dossier ne révélait en l’état chez l’une de ses victimes que de l’anxiété et que son casier judiciaire ne montrait pas d’antécédent spécifique.

4.2.       Force est ainsi d’admettre que, appliqués au cas d’espèce, ces principes doivent conduire à écarter un risque de récidive, que celui-ci soit simple ou qualifié.

On ne discerne dans les actes dont le recourant est prévenu, aussi rapprochés seraient-ils de ceux, analogues, pour lesquels il n’a pas encore été jugé (janvier-février 2024), pas d’escalade dans la gravité objective ni dans le modus operandi. L’instrument de commission fut une pièce d’identité contrefaite ou falsifiée. L’employée que le recourant a tenté de duper par ce moyen s’est avisée sur-le-champ d’une possible tromperie. Nulle violence n’a été constatée. Il ne semble pas davantage que l’entourage immédiat, ou la clientèle, du commerce choisi ait été perturbé. Rien ne laisse deviner que d’autres passages à l’acte pourraient aller dans le sens de brigandages, par exemple ; et encore faudrait-il que ceux-ci ne restent pas sans conséquence sur l’intégrité physique ou psychique des victimes.

Cela étant, dans la mesure où la prise de conscience du recourant semble limitée et qu’il cherche à éviter la détention en s’abritant, comme lors de sa précédente arrestation, derrière son apprentissage – au sujet duquel il reste avare de détails –, on ne peut pas émettre de pronostic favorable sur l’évolution de sa propension à vouloir se procurer sans bourse délier, pour lui ou des tiers, des appareils électroniques dernier cri. Mais, le pronostic n’est que l’un des trois critères cumulatifs exigés par le Tribunal fédéral.

Le risque de récidive doit par conséquent être écarté.

5.             Faute de risques de collusion et de réitération, le recours sera admis, et le recourant libéré.

6.             Le recourant, qui a gain de cause, ne supportera pas de frais.

7.             La procédure n'étant pas terminée, il n'y a pas lieu d'indemniser, à ce stade, son défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours, annule la décision attaquée et ordonne la mise en liberté immédiate de A______, s’il n'est retenu pour une autre cause.

Laisse les frais de l'instance à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour – préalablement par courriel – au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

En communique par courriel le dispositif pour information à la prison de B______.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière

Séverine CONSTANS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).