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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11332/2022

ACPR/877/2024 du 26.11.2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : VICTIME;ENFANT;CONFRONTATION
Normes : CEDH.6; CPP.147; CPP.154; CPP.116

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11332/2022 ACPR/877/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 26 novembre 2024

 

Entre

 

A______, représenté par Me Nicola MEIER, avocat, Hayat & Meier, place du Bourg-de-Four 24, case postale 3504, 1211 Genève 3,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 9 octobre 2024 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 21 octobre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 9 octobre 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'admettre sa participation à l'audition déléguée à la police de B______ devant se dérouler selon le protocole du NICHD.

Le recourant conclut, sous suite de dépens, à l'annulation de cette décision et à ce qu'une confrontation entre lui et B______ soit ordonnée, si besoin en salle LAVI durant cette audience, subsidiairement que l'audition de la précitée soit scindée en deux parties, la seconde devant se tenir en confrontation si besoin en salle LAVI.

b. Par ordonnance du 24 octobre 2024 (OCPR/58/2024), la Direction de la procédure a rejeté la demande d'effet suspensif sollicitée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ est soupçonné, dans la présente procédure, d'avoir notamment, à réitérées reprises et pendant plusieurs années, entre une date indéterminée et décembre 2021, sous prétexte de faire des massages à sa fille B______, née le ______ 2008, contraint celle-ci, parfois lorsqu'elle dormait, à subir des actes d'ordre sexuel, notamment en lui caressant les seins, les cuisses et l'entrejambe en contournant, effleurant ou frôlant son sexe, parfois en baissant sa culotte, caressé ses fesses et également insisté pour dormir collé à elle en passant sa jambe par-dessus les deux siennes.

b. B______, partie plaignante, a été entendue par la police selon le protocole NICHD, le 9 mai 2022.

c. Sa mère, C______, qui avait contacté le jour-même la police en raison des révélations faites par sa fille au sujet de A______, dont elle était divorcée, a également été auditionnée par la police le 9 mai 2022. Elle a notamment indiqué que B______ était suivie par une psychiatre depuis 2020 après qu'elle eut tenté de mettre fin à ses jours.

d. Nanti de la retranscription de l'audition de sa fille, A______ a contesté ses déclarations et produit une copie des échanges WhatsApp entre son actuelle compagne, D______, et B______ ainsi que ceux entre cette dernière et lui-même.

e. Par pli du 18 juillet 2023, le Ministère public a informé les parties qu'il souhaitait faire entendre B______ une seconde et dernière fois, par la police, étant précisé que seuls les avocats des parties, respectivement le curateur de B______, pourraient y assister, dans une pièce séparée.

f. Le curateur de B______ ne s'y est pas opposé.

g. A______ et son conseil ont pour leur part indiqué qu'ils souhaitaient tous deux assister à l'audition.

h. Dans l'intervalle, B______ a déposé une nouvelle plainte pénale contre son père, sa compagne et leur amie, E______, pour voies de fait, voire lésions corporelles simples, tentative de contrainte, dommages à la propriété et injure à l'occasion d'une altercation entre les protagonistes durant la soirée du 1er au 2 août 2023 (P/21931/2023).

i. Par lettre du 4 avril 2024, le Ministère public a informé le curateur de B______, qui l'avait relancé au sujet de la seconde audition de sa protégée, qu'il entendait toujours y procéder mais qu'afin d'éviter de multiples auditions de la mineure, il envisageait de joindre la présente procédure à la P/21931/2023.

j. Le même jour, le Ministère public a classé la procédure P/21931/2023 à l'égard de D______ et E______.

k. Le 24 avril 2024, il a joint ladite procédure à la présente cause.

l. Par pli du 11 juin 2024, le Ministère public, se référant à son précédent courrier de l'été 2023, a informé les parties qu'il souhaitait faire entendre B______ à nouveau, sur l'ensemble des faits reprochés à A______. Dite audition serait menée par l'inspectrice de police ayant procédé à sa première audition et spécialement formée aux auditions EVIG. Seuls les avocats des parties, respectivement le curateur de B______, pourraient y assister, dans une pièce séparée. Un délai leur était imparti pour lui faire parvenir leurs questions, qui pourraient être reformulées au besoin; en cas de présence des parties, les éventuelles questions complémentaires seraient posées après la pause, à la fin de la première partie de l'audition, toujours par le biais de l'inspectrice.

m. Le curateur de B______ a indiqué vouloir assister à cette audition. Il n'avait pas de questions en l'état.

n. Par lettre du 31 juillet 2024, A______ a déclaré vouloir assister à cette seconde audition dans une pièce séparée, avec son conseil, afin de pouvoir réagir aux déclarations de sa fille. Cette dernière était aujourd'hui âgée de 16 ans. En outre, certains faits dénoncés par B______ avaient été classés. Il n'était pas opposé à ce que les questions soient posées par l'entremise de l'inspectrice. Le fait que les questions complémentaires pouvaient être posées après la pause justifiait d'autant plus sa présence dans une pièce séparée. Une troisième audition, nécessaire en cas de refus, lui apparaissait davantage contraire aux droits de la plaignante.

o. Dans sa réponse du 27 août 2024, le Ministère public a refusé la présence du prévenu dans une pièce attenante. La suspension prévue visait à ajouter des questions qui rebondissaient sur la première partie de l'audition de l'enfant et non pas à présenter des questions des parties. Par contre, durant la suspension, l'avocat pourrait contacter téléphoniquement son client pour lui résumer le contenu de l'audition avant de proposer des questions complémentaires.

p. Par pli du 10 septembre 2024, A______ a réitéré que B______ était âgée de 16 ans et possédait toutes ses capacités mentales. Le protocole NICHD était conçu pour auditionner des enfants de moins de 12 ans et ne s'appliquait pas ici. Il persistait dès lors dans sa requête.

q. Interpellé par le Ministère public, le curateur de B______ a, par lettre du 23 septembre 2024, indiqué que sa protégée n'entendait pas être auditionnée par le Ministère public. Elle ne souhaitait par ailleurs pas être confrontée à son père, conformément à l'art. 154 al. 4 CPP.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public maintient sa décision d'auditionner B______ selon le protocole NICHD et les modalités explicitées. Cette dernière était âgée de moins de 18 ans et il existait un risque d'atteinte psychique grave chez elle. Le prévenu serait représenté par son conseil lors de l'audition et celui-ci pourrait le consulter pendant la suspension d'audience, au besoin. Les droits de la défense étaient ainsi respectés.

Y était joint le mandat d'actes d'enquête du même jour adressé à la police.

D. a. À l'appui de son recours, A______ excipe d'une violation de l'art. 154 CPP. Les faits du 1er août 2023 ne présentaient aucun caractère sexuel. Rien ne justifiait ainsi qu'il ne puisse assister à l'audition de sa fille en ce qui les concernait. Sa participation était d'autant plus nécessaire qu'une ordonnance de classement avait été rendue à l'égard des deux femmes présentes ce soir-là. La décision querellée était également inopportune. B______ avait déjà bénéficié d'une écoute spécialisée et était âgée aujourd'hui de 16 ans. Cette nouvelle audition ne saurait avoir le même impact psychologique sur elle que sur un enfant plus jeune. Une audition en salle LAVI permettrait de sauvegarder les droits de toutes les parties. Dans la mesure où il contestait les faits, une confrontation était indispensable. Or, il serait "particulièrement inopportun de scinder l'audition de B______ en deux", ce qui reviendrait à ordonner trois auditions.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant se plaint d'une violation de son droit à la confrontation.

3.1.1. L'art. 6 par. 3 let. d CEDH garantit à tout accusé le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d'obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. Cette disposition exclut qu'un jugement pénal soit fondé sur les déclarations de témoins sans qu'une occasion appropriée et suffisante soit au moins une fois offerte au prévenu de mettre ces témoignages en doute et d'interroger les témoins, à quelque stade de la procédure que ce soit (ATF 140 IV 172 consid. 1.3 p. 176; 133 I 33 consid. 3.1 p. 41; 131 I 476 consid. 2.2 p. 480 s.; arrêt 6B_383/2019 du 8 novembre 2019 consid. 8.1.2 non publié aux ATF 145 IV 470). En tant qu'elle concrétise le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), cette exigence est également garantie par l'art. 32 al. 2 Cst. (ATF 144 II 427 consid. 3.1.2 p. 435; 131 I 476 consid. 2.2 p. 480).

De son côté, l'art. 147 CPP prévoit que les parties ont le droit d'assister à l'administration des preuves par le ministère public et les tribunaux et de poser des questions aux comparants. Les preuves administrées en violation de cette disposition ne sont pas exploitables à la charge de la partie qui n'était pas présente (art. 147 al. 4 CPP). Le droit de participer des parties comprend celui de poser des questions à la personne entendue (Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 p. 1167). De manière générale, en cas de non confrontation, il convient d'adopter une démarche en trois étapes, à savoir rechercher s'il existait un motif sérieux justifiant une non comparution, se demander si cette déposition constitue le fondement unique ou déterminant de la condamnation et enfin, examiner s'il existe des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense et assurer, de cette manière, l'équité de la procédure dans son ensemble (arrêt du Tribunal fédéral 6B_947/2015 du 29 juin 2017 consid. 5.5.1).

3.1.2. Dans certains cas, le droit à la confrontation du prévenu peut être restreint par les droits de la victime. C'est ainsi que l'art. 154 CPP prévoit des mesures spéciales visant à protéger les enfants âgés de moins de 18 ans au moment de l'audition ou de la confrontation. S'il est à prévoir que l'audition ou la confrontation pourrait entraîner une atteinte psychique grave de l'enfant, une confrontation de ce dernier avec le prévenu ne peut être ordonnée que si l'enfant le demande expressément ou que le droit du prévenu d'être entendu ne peut pas être garanti autrement (art. 154 al. 4 let. a CPP; cf. aussi art. 153 al. 2 CPP). Sont en premier lieu visées les infractions portant atteinte à l'intégrité sexuelle. La formule "s'il est à prévoir que (...) pourrait entraîner" ne pose pas des exigences très sévères. En cas de doute, il y a lieu d'appliquer les mesures de protection de l'enfant. Concrètement, cela signifie que l'art. 154 al. 4 CPP est applicable dès qu'une atteinte psychique grave ne peut pas être exclue. L'application de l'art. 154 CPP exclut celle de l'art. 147 CPP (arrêt 6B_276/2018 du 24 septembre 2018 consid. 2.2.1 ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 1 ad art. 154 et les références citées). Par ailleurs, des mesures de protection doivent être prises d'office et non à la demande de l'enfant ou de son représentant légal (cf. arrêts 6B_1451/2022 du 3 mars 2023 consid. 3.2.2; 6B_276/2018 du 24 septembre 2018 consid. 2.1.2; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], op. cit, n. 8a ad art. 154).

Dans le même sens, la Cour européenne des droits de l'homme a admis que, lors de procédures pénales se rapportant à des violences sexuelles, certaines mesures soient prises aux fins de protéger la victime, à la condition toutefois qu'elles puissent être conciliées avec un exercice adéquat et effectif des droits de la défense (arrêt CourEDH du 2 juillet 2002 en la cause S.N. contre Suède, ch. 47 et 52, in Recueil-CourEDH 2002 V 169 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_276/2018 du 24 septembre 2018 consid. 2.1.1).

3.2. En l'espèce, B______ est âgée de moins de 18 ans et porte contre son père, prévenu, des accusations non seulement d'abus sexuels mais aussi, notamment, de voies de fait, voire lésions corporelles simples, et de tentative de contrainte.

Elle revêt ainsi la qualité de victime, au sens de l'art. 116 al. 1 CPP, et par-là, bénéficie des droits de protection conférés par les art. 152 ss CPP, dont celui de ne pas être confrontée au prévenu.

Elle a tenté de se suicider en 2020, et lors de sa première audition EVIG, elle était suivie par une psychiatre.

Une confrontation avec le recourant risque ainsi d'entraîner une atteinte psychique grave chez elle.

Partant, c'est à bon droit que le Ministère public a estimé qu'il convenait d'appliquer les mesures spéciales prévues à l'art. 154 al. 4 CPP, étant rappelé qu'une simple probabilité qu'un tel traumatisme survienne suffit pour leur mise en place.

Les modalités fixées par le Ministère public pour la seconde audition de la plaignante apparaissent conformes à l'art. 154 al. 4 let. d et e CPP.

La possibilité pour le recourant de soumettre ses questions par écrit et de poser des questions complémentaires à l'enfant sont garanties, tout comme la présence de son avocat à l'audition dans une pièce attenante, avec lequel il pourra s'entretenir téléphoniquement durant une suspension, au besoin.

De la sorte, le Ministère public a respecté les droits de la défense prévus par l'art. 6 CEDH.

En tout état de cause, on peine à comprendre en quoi, sauf à prendre le risque d'exercer une certaine pression sur la plaignante – soit précisément ce que les dispositions protégeant les victimes tendent à éviter – la présence personnelle du recourant serait nécessaire pour recueillir les déclarations de la plaignante, y compris sur les faits survenus durant la soirée du 1er au 2 août 2023.

Au vu de ce qui précède, on ne voit pas non plus en quoi la décision attaquée serait inopportune.

Le Ministère public n'envisage par ailleurs aucunement de scinder l'audition en deux, de sorte que les développements du recourant à cet égard – au demeurant en contradiction avec ses conclusions – tombent à faux.

4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera dès lors confirmée et le recours, rejeté.

5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Le communique pour information au curateur de B______.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES TOP

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/11332/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00