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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10653/2023

ACPR/561/2024 du 31.07.2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DISJONCTION DE CAUSES
Normes : CPP.30

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10653/2023 ACPR/561/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 31 juillet 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

D______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me E______, avocat,

recourants,

 

contre l'ordonnance de disjonction rendue le 18 juin 2024 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           a. Par actes expédié, respectivement déposé, le 1er juillet 2024, A______ et D______ recourent contre l'ordonnance du 18 juin précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a disjoint la procédure P/1______/2024 de la P/10653/2023.

b. A______ conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée.

c. D______ conclut, sous suite de frais, principalement à l'annulation de l'ordonnance querellée; subsidiairement à la jonction de la P/10653/2023 à la P/2______/2023 pendante à son encontre devant le Tribunal correctionnel; plus subsidiairement, au renvoi de la procédure au Ministère public pour nouvelle décision.

d. Par ordonnances des 2 juillet 2024 (OCPR/35/2024 et OCPR/36/2024), la Direction de la procédure de la Chambre de céans a rejeté les effets suspensifs sollicités par les recourants.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Une instruction pénale a été ouverte le 17 mai 2023, sous la procédure P/10653/2023, contre A______ et D______ des chefs de tentative d'extorsion (art. 22 cum 156 ch. 1 et 3 CP), menaces (art. 180 CP) et contrainte (art. 181 CP).

b. Il leur est reproché d'avoir, à Genève, le 15 mai 2023, au domicile de la mère de F______, menacé celle-ci ainsi que, le lendemain dans la soirée, le précité dans son intégrité corporelle et sa vie afin de se faire remettre la somme de CHF 12'000.- et CHF 85'000.- en bijoux.

c. A______ et D______ ont contesté les faits reprochés. En substance, ils savaient que le prince G______ avait remis une montre de marque H______, appartenant à sa mère, à F______ pour qu'il la vende à un prix déterminé. Ce dernier ne s'était toutefois pas exécuté. Pour rendre service à G______, ils avaient donc cherché à régler le problème à l'amiable. Ils s'étaient d'abord rendus au domicile de F______, où ils avaient échangé avec sa mère, I______, puis avaient retrouvé l'intéressé en ville, accompagné de trois personnes, dont un ami nommé "J______". Après discussion, ils avaient raccompagné F______ chez lui pour récupérer de l'argent et rembourser G______.

d. Plusieurs audiences ont été tenues au Ministère public, lors desquelles les prévenus ont été entendus, confrontés entre eux ainsi qu'aux parties plaignantes et au témoin G______.

e. D______ est détenu pour les besoins d'une autre procédure pénale, P/2______/2023, dans laquelle il est prévenu de tentative de meurtre (art. 22 cum 111 CP) et de brigandage aggravé (140 ch. 1 et 4 CP) pour des faits survenus le 6 mai 2023, ainsi que d'infractions aux art. 33 LArm et 90 al. 2 LCR. Sa détention provisoire, ordonnée par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) le 19 mai 2023, a été régulièrement prolongée jusqu'au 16 février 2024, date à laquelle il a été placé en détention pour des motifs de sûreté. La procédure, impliquant plusieurs prévenus, est pendante devant le Tribunal correctionnel.

f. A______ est également prévenu dans la P/3______/2023 de brigandage aggravé (art. 140 CP) pour des faits survenus le 10 avril 2023, ainsi que d'infraction à l'art. 19 al. 1 LStup. Il a été placé en détention provisoire par le TMC le 19 mai 2023 dans la P/10653/2023, puis le 8 septembre 2023 dans la P/3______/2023. Libéré le 15 suivant avec des mesures de substitution, il est désormais détenu provisoirement dans le cadre d'une autre procédure en cours (P/4______/2023).

g. Dans la présente procédure, le Ministère public a, le 20 mars 2024, rendu un avis de prochaine clôture, par lequel il a informé les parties de son intention de rédiger un acte d'accusation et de disjoindre la procédure à l'égard de D______ pour le renvoyer en jugement. Les parties ont été invitées à présenter leurs éventuelles réquisitions de preuve dans un délai venant à échéance le 27 mars 2024.

h. Par ordonnance du 20 juin 2024, il a rejeté les réquisitions de preuves formulées par les prévenus.

i. Par acte d'accusation complémentaire du 21 juin 2024, il a renvoyé D______ en jugement devant le Tribunal correctionnel pour menaces (art. 180 CP), tentative d'extorsion (art. 22 cum 156 ch. 1 et 3 CP) et contravention à l'art. 19a LStup. Il a sollicité la jonction de cette procédure avec la P/2______/2023.

j. Par ordonnance de jonction du 28 juin 2024, le Tribunal correctionnel a décidé de procéder à la jonction requise.

k. L'audience de jugement est prévue le 19 août 2024.

l. Par arrêt séparé de ce jour, la Chambre de céans a rejeté le recours de D______ contre la décision de jonction (ACPR/562/2024).

C. Dans l'ordonnance querellée, fondée sur l'art. 30 CPP, le Ministère public expose que d'autres procédures étaient ouvertes à l'encontre des prévenus, tous deux détenus dans une autre cause. L'instruction des faits de la présente procédure était désormais terminée. D______ faisait l'objet d'un renvoi en jugement devant le Tribunal correctionnel dans le cadre de l'autre procédure dirigée contre lui et les débats étaient d'ores et déjà fixés. En revanche, les procédures ouvertes à l'encontre de A______ étaient encore en cours d'instruction et il n'excluait pas d'ordonner l'expertise psychiatrique de l'intéressé. Compte tenu de ces circonstances, une bonne administration de la justice imposait de disjoindre D______ de la présente procédure. Il était de son intérêt d'être jugé pour l'ensemble des faits qui lui était reproché. Il en était de même pour A______. Leurs droits n'étaient aucunement lésés par la disjonction en tant que chacun pourrait être entendu comme personne appelée à donner des renseignements dans le cadre de la procédure dirigée contre son comparse et avoir un accès au dossier.

D. a. À l'appui de son recours, D______ se plaint d'une violation des art. 29 et 30 CPP, considérant que la décision querellée ne présente aucun avantage et est inopportune. Les faits étant contestés et au vu de la configuration de "parole contre parole" entre les prévenus et les parties plaignantes, il devait revenir au juge du fond d'apprécier la crédibilité des parties lors d'une même audience, sous peine de risquer des jugements contradictoires. Tel serait en particulier le cas si l'un d'eux cherchait, en cas de jugements distincts, à rejeter la responsabilité d'un comportement reproché sur l'autre. Ce risque, auquel s'ajoutait la perte de leurs droits de partie en cas de séparation des procédures, était problématique. L'instruction était achevée et rien n'empêchait de les renvoyer ensemble en jugement. Enfin, la disjonction n'empêcherait aucunement la tenue de deux audiences de jugement, l'une dans la P/2______/2023 et la seconde dans la P/10653/2023, avec toutefois comme conséquence que deux juges seraient amenés à statuer sur le même complexe de faits et risqueraient de rendre des décisions contradictoires.

b. Dans son recours, A______ s'oppose à la disjonction. La procédure était en état d'être jugée pour lui et son co-prévenu. Le risque de jugements contradictoires était important ou plutôt "le risque que la partie ne se joue qu'au premier procès" dès lors que les infractions et les faits reprochés étaient contestés. Ce risque était accru par le fait que le Ministère public avait rejeté leurs réquisitions de preuves, partiellement communes, lesquelles seraient vraisemblablement renouvelées en audience de jugement. En outre, il risquait de perdre ses droits de partie en ne pouvant assister à l'audition des témoins dans la cause disjointe. Enfin, il était à craindre que les parties plaignantes exercent l'action civile et qu'en cas de condamnation éventuelle, les premiers juges "anticipent" sa solidarité avec la dette de son co-prévenu.

c. À réception, le recours a été gardé à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             En tant que les deux recours sont dirigés contre la même ordonnance et soulèvent des griefs similaires, il convient de les joindre et de les traiter par un seul et même arrêt.

2.             Ces actes sont recevables pour avoir été déposé selon la forme et les délai prescrits, faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP ; Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 4 in fine ad art. 30) et émaner des prévenus qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

3.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

4.             4.1. À teneur de l'art. 29 al. 1 CPP, les infractions sont poursuivies et jugées conjointement lorsqu'un prévenu a commis plusieurs infractions (let. a) ou lorsqu'il y a plusieurs coauteurs ou participation (let. b). Ce principe, dit de l'unité de la procédure, tend à éviter les jugements contradictoires et sert l'économie de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_428/2018 du 7 novembre 2018 consid. 3.2).

4.2. Selon l'art. 30 CPP, la disjonction peut être ordonnée si des raisons objectives le justifient. Elle doit rester l'exception. Elle sert, avant tout, à garantir la rapidité de la procédure et à éviter un retard inutile. Des causes pourront être disjointes, par exemple, lorsque plusieurs faits sont reprochés à un auteur et que seule une partie de ceux-ci sont en état d'être jugés, la prescription s'approchant; elles pourront également l'être en cas d'arrestation d'un coauteur quand les autres participants sont en voie d'être jugés, en présence de difficultés liées à un grand nombre de coauteurs dont certains seraient introuvables, ou encore lorsqu'une longue procédure d'extradition est mise en oeuvre (ATF 138 IV 214 consid. 3.2, et arrêt du Tribunal fédéral 1B_428/2018 précité).

4.3. La violation du principe de célérité justifie également l’application de l’art. 30 CPP; l'art. 5 al. 2 CPP impose d’ailleurs une diligence particulière lorsqu'un prévenu est placé en détention (arrêt du Tribunal fédéral 1B_684/2011 du 21 décembre 2011 consid. 3.2 in fine).

4.4. La disjonction de procédures peut se révéler problématique, tant sous l'angle du droit à un procès équitable (art. 29 al. 1 Cst féd. et 6 § 1 CEDH), quand des co-prévenus s'accusent mutuellement de certains faits, que, dans une telle situation, sous l'angle du droit de participer à l'administration des preuves (perte du droit d'assister aux auditions des co-prévenus dans les procédures parallèles ainsi qu'à l'administration d'autres preuves, l'art. 147 CPP étant inapplicable dans la cause disjointe; arrêt du Tribunal fédéral 1B_116/2020 du 20 mai 2020 consid. 1.2 et les références citées).

4.5. Le Tribunal fédéral a jugé, dans une affaire 1B_92/2020 où des coprévenus étaient accusés de cambriolages, que la disjonction des causes se justifiait pour les raisons suivantes : le premier prévenu avait avoué son implication dans les dix-neuf occurrences qui lui étaient imputées et il était détenu depuis plus longtemps que ses comparses, lesquels contestaient les faits, en particulier la commission de trente-trois autres vols; l’enquête relative au premier prévenu était terminée, contrairement à celle menée contre lesdits comparses; conformément à l’art. 5 al. 2 CPP, la disjonction se justifiait pour éviter au premier prévenu une détention provisoire excessive; il n’existait aucun risque de décision contradictoire, à défaut, pour les mis en cause, de s’incriminer mutuellement; en particulier, le premier prévenu n’imputait sa propre culpabilité à personne d’autre; il avait, de plus, été confronté aux autres parties et chacune d’elles avait eu accès aux dossiers concernés (consid. 4.3).

4.6. En l'espèce, le Ministère public a considéré que l’instruction de la présente cause était terminée. Il n'a toutefois établi un acte d'accusation que pour D______, lequel était déjà renvoyé en jugement dans le cadre d'une autre procédure pénale.

La disjonction ordonnée permet ainsi de juger D______, qui est actuellement détenu, dans le respect du principe de la célérité (art. 5 CPP), pour la totalité des faits qui lui sont reprochés.

La situation de A______ est différente. Il fait l'objet de deux autres procédures, lesquelles sont encore en cours d'instruction. En outre, le Ministère public a d'ores et déjà annoncé qu'il envisageait de le soumettre à une expertise psychiatrique, ce qui ne permettait pas, en l'état, son renvoi en jugement.

Quoi qu'en disent les recourants, leur droit à un procès équitable est préservé, même s’il leur est reproché d’avoir agi en coactivité. En effet, aucun ne reporte sur l'autre les agissements qui leurs sont personnellement imputés. L'affirmation selon laquelle ils pourraient le faire lors de jugements distincts est donc de pure conjecture. Il est certes constant que des déclarations à charge ne peuvent être utilisées que si le prévenu visé a eu au moins une fois la possibilité de mettre en doute celles-ci et de poser des questions au comparse le dénonçant, contre lequel la cause est/a été menée séparément (ATF 140 IV 172 consid. 1.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_668/2014 du 22 décembre 2017 consid. 7.4.1). Toutefois, même si les recourants n'ont pas la qualité de partie dans la procédure disjointe, leurs droits procéduraux demeurent intacts puisqu'ils pourront formuler leurs réquisitions de preuves et requérir chacun l'audition de l'autre lors du procès.

Enfin, la crainte qu'une disjonction conduirait nécessairement à des jugements contradictoires ne repose sur aucun fondement.

Dès lors, compte tenu du large pouvoir d'appréciation qui est le sien en la matière, le Ministère public n'a pas violé la loi en ordonnant la disjonction des procédures.

4.7. Pour le surplus, l'éventuel accès aux débats dans la cause disjointe et la participation à l'administration des preuves ne sont pas l'objet de la décision querellée. La Chambre de céans n'a donc pas à s'en saisir (ACPR/111/2022 du 15 février 2022).

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             Les recourants, qui succombent, supporteront conjointement et solidairement les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP).

7.             Il n'y a pas lieu d'indemniser, à ce stade, les défenseurs d'office (cf. art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours interjetés par A______ et D______.

Les rejette.

Condamne A______ et D______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'200.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leurs conseils, et au Ministère public.

Le communique pour information au Tribunal correctionnel.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/10653/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'105.00

Total

CHF

1'200.00