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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/23429/2021

ACPR/438/2024 du 12.06.2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : RETARD INJUSTIFIÉ;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);RESTITUTION(EN GÉNÉRAL)
Normes : Cst.29.al1; CPP.5; CPP.263.al1.leta; CPP.267.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23429/2021 ACPR/438/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 12 juin 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Christian CHILLA, avocat, MCE Avocats, rue du Grand-Chêne 1, case postale 1106, 1001 Lausanne,

recourant,

 

pour déni de justice et retard injustifié, d'une part, ainsi que contre l'ordonnance de refus de levée de séquestre rendue le 28 mars 2024 par le Ministère public, d'autre part,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a.a. Par acte expédié le 13 mars 2024, A______ recourt pour déni de justice, retard injustifié et violation du principe de la célérité, qu'il reproche au Ministère public.

Il conclut, sous suite de frais et dépens (conclusions, principale IV et subsidiaire III), à l'admission du recours (conclusion principale I), au constat desdits déni, retard et violation du principe de la célérité (conclusions, principale II et subsidiaire I), et à ce que la restitution du véhicule – de marque B______, châssis n° 1______, numéro de matricule 2______ – actuellement séquestré en mains de "C______", soit ordonnée avec effet immédiat en sa faveur (conclusion principale III); subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il procède, dans un délai de trente jours, dans le sens des considérants et en particulier pour qu'il statue sur sa requête tendant à la restitution en sa faveur du véhicule précité (conclusion subsidiaire II).

a.b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

b. Par acte expédié le 12 avril 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 mars 2024, notifiée le 2 avril 2024, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner la levée du séquestre du véhicule susmentionné.

Il conclut, sous suite de frais et dépens, à la réformation de cette décision en ce sens que la restitution du véhicule cité soit ordonnée avec effet immédiat en sa faveur; subsidiairement, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi du dossier à l'autorité intimée pour qu'elle procède dans le sens des considérants.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. D______ est prévenu d'abus de confiance (art. 138 CP), vol (art. 139 CP), escroquerie (art. 146 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP), notamment, pour s'être approprié sans droit, à une date indéterminée entre le 26 septembre et le 15 novembre 2021, le véhicule de marque B______ appartenant à A______, qu'il lui avait confié pour être vendu.

b. Le 15 novembre 2021, A______ a déposé plainte en raison de ces faits.

En effet, il avait, le 26 septembre 2021, donné mandat oral au prévenu, respectivement au garage E______ SA, de vendre sa voiture pour une somme de CHF 25'000.-. Ayant acheté un nouveau véhicule et en raison du fait que la voiture susvisée devait être vendue, il en avait récupéré les plaques d'immatriculation, le 10 octobre 2021, au garage E______ SA. À cette occasion, il n'y avait pas vu son automobile. Il n'avait plus eu de nouvelles de D______, ni de l'éventuelle vente de son véhicule, depuis le 21 octobre 2021.

c. Trois autres plaintes ont été déposées contre le garage E______ SA et contre toutes personnes concernées, dont D______, principalement, pour des agissements de même typicité. Ces plaintes font également l'objet de la présente procédure.

d.a. Le 1er décembre 2022, D______ a été arrêté, puis entendu, le lendemain, par le Ministère public, en qualité de prévenu.

d.b. Il a, en substance, expliqué avoir, à une date indéterminée, vendu l'automobile confiée par A______, au Garage F______. Il n'avait ensuite pas reversé le prix de vente au plaignant, selon les modalités prévues, l'utilisant pour ses propres besoins. Il avait également vendu à ce garage deux autres véhicules faisant l'objet de la présente enquête pénale. Par ailleurs, le propriétaire du Garage F______ ne lui payait pas toujours l'intégralité des montants qu'il lui devait à la suite de l'achat de véhicules.

d.c. Selon le document intitulé "contrat de vente" du 27 septembre 2021, annexé au procès-verbal d'audition susvisé, le garage E______ SA (le vendeur) a vendu au garage F______ (l'acheteur), le véhicule d'occasion de A______, au prix de CHF 25'000.- nets. La modalité de paiement convenue était le "cash". La signature des deux parties est apposée sur cet acte.

e. Le 18 février 2022, A______ a requis du Ministère public le séquestre, d'après les art. 263 et suivants CPP, de son véhicule.

f. Par ordonnance de séquestre du 7 mars 2022, le Procureur a ordonné le séquestre immédiat du véhicule, en mains du Garage F______. Cette mesure apparaissait, en l'état, comme la seule mesure susceptible de permettre la mise en sûreté "des objets et valeurs pouvant être restitués au lésé".

g.a. Plusieurs audiences d'instruction ont eu lieu les 6 avril, 23 juin et 21 septembre 2022. Il en ressort notamment ce qui suit:

g.b. G______, propriétaire et responsable administratif du garage E______ SA, frère du prévenu, a été mis en prévention pour abus de confiance (art. 138 CP), vol (art. 139 CP) et escroquerie (art. 146 CP), en lien avec les faits susmentionnés.

Il a contesté les faits reprochés.

g.c. C______, propriétaire du Garage F______, a déclaré avoir acheté la voiture au garage E______ SA, le 27 septembre 2021, pour un montant de CHF 25'000.-. Il avait, le jour-même, payé cette somme en liquide à D______, avec lequel il avait signé le contrat de vente. G______ était également présent lors de l'achat. Il avait l'habitude de collaborer avec le garage E______ SA, y vendant et/ou y achetant des véhicules. À chaque vente, il y avait un échange de "cash". Il avait avancé de l'argent à D______, à hauteur de CHF 25'000.- et CHF 15'000.-, afin qu'il achète des voitures, pour les lui revendre ensuite. Il était courant dans le milieu de l'automobile de se prêter de l'argent pour financer des acquisitions.

g.d. A______ a confirmé sa plainte, précisant qu'elle était dirigée contre le garage et D______.

Après avoir réalisé qu'il y avait un problème avec la vente de sa voiture, il avait demandé à C______, qu'il connaissait, ce qu'il en était. Celui-ci lui avait répondu qu'il avait acheté sa voiture à la fin du mois de septembre et qu'il l'avait payée. C______ ne savait pas où se trouvait D______ mais il était à sa recherche car il l'avait "aussi" arnaqué (cf. procès-verbal d'audience du 21 septembre 2022, p. 6).

g.e. D______ a soutenu, ultérieurement à l'audition de C______, que ce dernier avait menti en affirmant avoir payé le prix de la voiture en espèces. En effet, quand bien même le contrat de vente mentionnait un prix de vente à payer "cash", l'acheteur ne le lui avait jamais versé. Comme il lui devait de l'argent, il lui avait remis ce véhicule en compensation d'une dette de CHF 23'000.- et contre le versement en espèces de la différence de CHF 2'000.-. Il n'a pas su répondre à la question de savoir ce que lui avait dit C______ lorsqu'il lui avait vendu le véhicule d'un tiers sans encaisser le prix de vente. Selon lui, la modalité de paiement inscrite sur le contrat de vente – qu'il reconnaissait avoir signé –, soit le "cash", signifiait qu'il devait de l'argent à C______. Il savait déjà au moment où il avait proposé à A______ de lui acheter son véhicule qu'il ne percevrait rien de sa vente subséquente.

h. Le 27 septembre 2022, A______ a requis du Ministère public la restitution immédiate en sa faveur du véhicule, en application de l'art. 267 al. 2 CPP. Il ne faisait aucun doute que cette voiture avait été remise, respectivement vendue, illégalement à C______, de sorte qu'il en était le seul propriétaire légitime.

Aucune suite n'a été donnée à cette requête.

i. Par missive du 9 novembre 2022, A______ a réitéré sa demande, ajoutant que la valeur du véhicule diminuait au fil du temps.

j.a. Par avis de prochaine clôture du 2 décembre 2022, le Ministère public a annoncé les prochains, classement de la procédure en faveur de G______, d'une part, et renvoi en jugement de D______, d'autre part. Un délai a été imparti aux parties pour faire valoir leurs prétentions civiles.

j.b. Le 13 janvier 2023, A______ les a fait valoir et a sollicité, une nouvelle fois, la levée du séquestre et la restitution du véhicule.

k. Sans nouvelle du Ministère public, il a réitéré sa requête par lettres des 11 juillet et 3 octobre 2023.

Par note manuscrite – sur une copie de son courrier du 3 précité –, reçue le 9 suivant, le Ministère public lui a répondu que d'autres plaintes avaient été déposées. Une fois celles-ci revenues de la police, les causes seraient jointes, raison pour laquelle il ne pouvait renvoyer le dossier en jugement immédiatement. Aucun commentaire n'était formulé en lien avec sa demande de levée du séquestre.

l. Par pli du 2 novembre 2023, A______ a, de nouveau, sollicité la levée du séquestre en cause, rappelant qu'il revendiquait une décision à ce sujet depuis le 27 septembre 2022. Les conditions pour agir en déni de justice et retard injustifié paraissaient ainsi remplies.

m. Sans réponse ni décision de la part du Ministère public, A______ a saisi la Chambre de céans du recours pour déni de justice (cf. D infra).

C. Dans sa décision querellée, le Procureur refuse de lever le séquestre ordonné sur le véhicule; dans la mesure où la question de la propriété de cette voiture n'avait, en l'état, pas été tranchée et qu'elle devrait l'être avec le fond du dossier, le séquestre était maintenu.

D. a.a. À l'appui de son recours formé pour déni de justice et violation du principe de la célérité, A______ se plaint de l'inactivité du Ministère public. Le 27 septembre 2022, il avait sollicité la restitution du véhicule séquestré, le 7 mars précédent, en mains du Garage F______. Sa requête était restée sans réponse malgré ses nombreuses relances (courriers des 9 novembre 2022, 13 janvier, 11 juillet, 3 octobre et 2 novembre 2023). La dépréciation du véhicule, dont l'autorité intimée avait été informée, lui causait un préjudice irréparable. Par ailleurs, le fait que d'autres plaintes aient été déposées n'avait aucun impact sur la question litigieuse qui portait uniquement sur la restitution du véhicule en sa faveur. Enfin, l'art. 267 al. 2 CPP permettait la restitution des biens séquestrés aux lésés en cours de procédure. Le refus de statuer du Ministère public, respectivement son retard, était ainsi injustifié et contraire au principe de la célérité.

a.b. Dans ses observations, l'autorité intimée s'en rapporte à justice, sans autre développement. Elle y a joint une copie d'une ordonnance de refus de levée du séquestre litigieux, rendue par ses soins, le 28 mars 2024.

a.c. A______ réplique. Ensuite de l'ordonnance précitée, son recours était devenu partiellement sans objet. Il maintenait ses conclusions principales I, II, IV et subsidiaires I et III, dès lors qu'au moment du dépôt de son écriture, le Procureur n'avait pas rendu de décision.

E. a.a. Dans son recours dirigé contre l'ordonnance de refus de levée de séquestre, il se considère seul propriétaire légitime du véhicule séquestré. Il était établi que sa voiture avait été remise, respectivement vendue, illégalement à C______. De plus, rien ne permettait de retenir – contrairement à ce que soutenait le Ministère public – que le prénommé avait bien acheté la voiture en question. En effet, le prévenu, D______, avait contesté avoir reçu un paiement "cash" en lien avec cette vente, assurant avoir cédé cette automobile à C______ en compensation de l'une de ses dettes. De surcroît, celui-ci avait confirmé avoir participé à plusieurs opérations d'achat-vente avec le prévenu et avoir financé plusieurs achats de véhicules de sa part. Dans ce contexte, C______ ne pouvait pas ignorer que le prévenu n'était pas le propriétaire du véhicule de marque B______. L'intéressé aurait d'ailleurs dû se demander comment le prévenu avait valablement pu lui transférer un véhicule en compensation d'une ancienne dette sans l'accord de son propriétaire. L'absence totale d'acquisition de bonne foi de sa part était, du reste, confirmée par le fait que trois des véhicules objets de l'enquête pénale lui avaient été transférés. Le séquestre du véhicule devait donc être levé et sa restitution, en sa faveur, ordonnée selon l'art. 267 al. 2 CPP.

a.b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1. Vu la connexité évidente des recours, ils seront joints et traités en un seul arrêt.

I. Premier recours

2. 2.1. Le recours pour déni de justice et retard injustifié n'est soumis à aucun délai (art. 396 al. 2 CPP). Par ailleurs, le présent recours a été déposé selon la forme prescrite (art. 393 et 396 al. 1 CPP) et émane de la partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP).

2.2. Si l'acte est devenu sans objet concernant le grief du déni de justice, le Ministère public s'étant prononcé, avant que la Chambre de céans n'ait tranché, sur la demande de restitution du véhicule visée par le recours (conclusions, principale III et subsidiaire II), le recourant conserve cependant un intérêt (art. 382 CPP) à ce qu'il soit statué sur le grief de la violation du principe de la célérité (conclusions, principale II et subsidiaire I) (cf. ACPR/916/2023 du 20 novembre 2023). À cette aune, le recours est recevable.

3. 3.1. Les art. 29 al. 1 Cst féd. et 5 CPP garantissent à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable; ils consacrent le principe de célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou celui que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable. Le caractère approprié de ce délai s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement ainsi qu'à celui des autorités compétentes. Des périodes d'activité intense peuvent compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Ainsi, seul un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable, pourrait conduire à l'admission de la violation du principe de la célérité. En cas de retard de moindre gravité, des injonctions particulières peuvent être données, comme par exemple la fixation d'un délai maximum pour clore l'instruction (cf. ATF 128 I 149 consid. 2.2). L'on ne saurait reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure; lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut. Selon la jurisprudence, apparaît comme une carence choquante une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l'instruction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_172/2020 du 28 avril 2020 consid. 5.1 et les références citées).

3.2. En l'occurrence, le Ministère public n’a pas répondu aux missives du recourant portant sur la restitution, en sa faveur, du véhicule séquestré durant près de dix-huit mois, cela, malgré ses nombreuses relances.

Partant, la procédure a accusé un retard injustifié, ce qu'il y a lieu de constater sans davantage d'examen.

Le Procureur n'en disconvient d'ailleurs pas, puisqu'il s'en rapporte lui-même à justice dans ses observations.

Il en résulte que ce premier recours sera admis, dans la mesure où il n'est pas devenu sans objet.

II. Second recours

4. Cet acte est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai utiles (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance de refus de levée de séquestre, décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_34/2014 du 15 avril 2014 consid. 2), et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé.

5. Le recourant reproche à l'autorité précédente d'avoir maintenu le séquestre du véhicule.

5.1. Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), doit respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et doit apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers est au nombre des mesures prévues par la loi. Il peut être ordonné, notamment, lorsqu'il est probable qu'ils devront être restitués au lésé (art. 263 al. 1 let. c CPP).

5.2. La restitution au lésé vise, en première ligne, les objets provenant directement du patrimoine du lésé, qui doit être identifié, et tend au rétablissement de ses droits absolus (restitution de l'objet volé). La restitution doit porter sur des valeurs patrimoniales qui sont le produit d'une infraction dont le lésé a été lui-même victime. Il doit notamment exister entre l'infraction et l'obtention des valeurs patrimoniales un lien de causalité tel que la seconde apparaisse comme la conséquence directe et immédiate de la première (ATF 140 IV 57 consid. 4.1 et les nombreuses références citées). C'est, en particulier, le cas lorsque l'obtention des valeurs patrimoniales est l'un des éléments constitutifs de l'infraction ou constitue un avantage direct découlant de la commission de l'infraction (ATF 126 I 97 consid. 3c/cc). Lorsque ces conditions sont réunies, la restitution doit avoir lieu sans égard aux autres créanciers ou lésés (ATF 128 I 129 consid. 3.1.2).

5.3. Si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal lève la mesure et restitue les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit (art. 267 al. 1 CPP).

À teneur de l'art. 267 al. 2 CPP – qui constitue l'expression du séquestre en restitution du lésé prévu à l'art. 263 al. 1 let. c CPP –, la restitution anticipée à l'ayant droit de valeurs patrimoniales saisies est possible s'il n'est pas contesté qu'elles proviennent d'une infraction. Pour que l'objet ou la valeur patrimoniale puisse être restitué en vertu de cette disposition, il faut que l'ayant droit puisse être retrouvé et que l'objet ou la valeur patrimoniale séquestré ne soit pas revendiqué par plusieurs personnes (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1228). Cette disposition instaure une exception au principe selon lequel le sort des séquestres pénaux se règle avec la décision sur le fond de l'action publique (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd. Bâle 2014, n. 6 ad art. 267). En effet, s'il est incontesté que des valeurs patrimoniales ont été directement soustraites à une personne déterminée du fait de l'infraction, elles sont restituées à l'ayant droit avant la clôture de la procédure.

Si les droits sur l'objet sont contestés, la procédure de l'art. 267 al. 3 à 5 CPP entre en considération. L'application de l'art. 267 al. 3 et 4 CPP relève du juge du fond et non du Ministère public, ce dernier pouvant statuer, au titre d'"autorité pénale", au sens de l'art. 267 al. 5 CPP (Message précité, FF 2006 1229), qui prévoit que l'autorité pénale peut attribuer les objets ou les valeurs patrimoniales à une personne et fixer aux autres réclamants un délai pour intenter une action civile. Cette disposition trouve donc application lorsque les droits de propriété sur un objet ne sont pas limpides. Il s'agit ainsi de maintenir l'objet sous-main de justice aussi longtemps que le délai imparti n'est pas échu ou que la cause civile n'a pas été jugée, puis de le remettre à l'ayant droit (arrêts du Tribunal fédéral 1B_298/2014 du 21 novembre 2014 consid. 3.2 in SJ 2015 I p. 277; 1B_270/2012 du 7 août 2012 consid. 2.2).

5.4. La situation n’est pas suffisamment claire, au sens de la loi, lorsque, par exemple, un tiers a acquis le bien avant le prononcé du séquestre : dans un tel cas, l’affectation doit attendre le jugement final (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 15b ad art. 267).

5.5. En l'espèce, le recourant soutient avoir un droit préférable sur la B______, dès lors que la bonne foi de son possesseur actuel ferait défaut.

Or, un tel reproche ne trouve, en l'état, pas d'assise dans le dossier. Le parcours du véhicule semble être le suivant: le recourant l'a confié au prévenu afin que ce dernier le vende pour son compte. Celui-ci l'a ensuite vendu, sans en informer le recourant, au garage F______, respectivement à C______ (ci-après: l'acheteur). À cette fin, un contrat de vente – dûment signé – a été conclu, le 27 septembre 2021. La voiture a été livrée à l'acheteur le jour-même. Le prix convenu était de CHF 25'000.- à payer "cash". L'acheteur affirme s'être immédiatement acquitté de cette somme. Quant au prévenu, après avoir déclaré, lors de sa première audition devant le Procureur, avoir vendu ce véhicule sans en reverser le prix de vente au recourant, il a assuré ne rien avoir touché de cette vente, ayant remis l'objet du contrat à l'acheteur en compensation de l'une de ses dettes. Il n'a cependant pas été en mesure d'expliquer pourquoi la mention "cash" figurait dans le contrat sous "modalité de paiement".

En l'état, cette dernière version n'est corroborée par aucun élément objectif. En effet, le contrat de vente mentionne expressément un prix et sa modalité de paiement. Cet acte est, de surcroît, signé par les co-contractants, ce que ceux-ci ne contestent pas. Par ailleurs, le prix proposé ne saurait être considéré comme particulièrement bas, ce que le recourant n'invoque du reste pas. Ces conditions de vente ne semblent donc a priori pas de nature à éveiller des soupçons chez l'acheteur. Certes, tel que l'a soulevé le recourant, l'intéressé avait l'habitude de faire affaire avec le prévenu. Il est, en outre, troublant que trois des véhicules faisant l'objet de la présente procédure lui aient été transférés par le prévenu. Néanmoins, cela ne permet pas encore d'en tirer la conclusion qu'il couvrirait de la sorte un comportement illégal ni qu'il n'aurait pas fourni de contre-prestation équivalente, lors de l'acquisition de la voiture. Le recourant a d'ailleurs assuré que l'acheteur lui avait dit avoir payé la voiture et s'être fait "arnaquer" par le prévenu.

Des considérations qui précèdent, il découle que rien ne permet de retenir d'emblée que l'acheteur était de mauvaise foi au moment d'acquérir la B______, ni par la suite, jusqu'au moment où celle-ci a été séquestrée; à plus forte raison que le dernier possesseur, présumé de bonne foi (art. 3 al. 1 CC), jouit – prima facie et sans trancher la question sur le fond – d'une présomption de propriété instituée par l'art. 930 al. 1 CC.

La situation juridique relative au droit de propriété sur la voiture n'est, à ce stade tout au moins, guère claire, ce d'autant que l'acheteur n'a, en l'état de l'instruction, pas été confronté à la nouvelle version du prévenu. Aussi, les conditions de l'art. 267 al. 2 CPP ne sont-elles, en l'état du moins, pas réunies.

À ce stade, il n'appartient donc pas à la Chambre de céans de se pencher plus avant sur les questions liées à la propriété de ce véhicule. Dans l'intervalle, sa mise sous main de justice est justifiée et proportionnée.

6. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le second recours, qui s'avère mal fondé, pouvait ainsi être traité d'emblée sans échange d'écritures, ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

III. Frais et indemnités

7. Le sort des frais et dépens sera examiné séparément pour chacun des recours.

7.1.1. L'admission du premier recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

7.1.2. Le recourant, partie plaignante, assisté d'un avocat, n'a ni chiffré ni a fortiori justifié ses prétentions en indemnités (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP), de sorte que la Chambre de céans ne peut pas entrer en matière sur ce point (art. 433 al. 2, 2e phrase, CPP).

7.2. Pour le second recours, le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

Ces frais seront, à due concurrence, prélevés sur les sûretés versées dans la présente procédure de recours.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Joint les recours.

Admet le recours pour retard injustifié, dans la mesure où il n'est pas devenu sans objet.

Constate un retard injustifié au préjudice de A______, dans la conduite de la procédure P/23429/2021.

Laisse les frais de la procédure, en lien avec ce recours, à la charge de l'État.

Rejette le recours contre le refus de levée de séquestre.

Condamne A______ aux frais de la procédure du second recours, arrêtés en totalité à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/23429/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total

CHF

900.00