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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3666/2019

ACPR/327/2024 du 03.05.2024 sur OCL/50/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : HÉRITIER;CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;SOUPÇON;AVEU
Normes : CPP.121; CPP.319

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3666/2019 ACPR/327/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 3 mai 2024

 

Entre

A______, B______ et C______, représentés par Me Pascal de PREUX, avocat, Resolution Legal Partners, avenue de l'Avant-Poste 4, case postale 1255, 1001 Lausanne,

recourants,

 

contre l'ordonnance de classement partiel rendue le 22 janvier 2024 par le Ministère public,

et

D______, représenté par Me Simon NTAH, avocat, Baker McKenzie Switzerland SA, esplanade Pont-Rouge 2, 1212 Grand-Lancy,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 5 février 2024, A______, B______ et C______ recourent contre l'ordonnance du 22 janvier précédent, notifiée le 26 suivant, par laquelle le Ministère public a classé la procédure s'agissant des faits en lien avec leur plainte complémentaire du 30 septembre 2019.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à la poursuite de l'instruction.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 2'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. En substance, il est reproché à D______ d'avoir, à Genève, entre le 4 avril 2011 et le 5 février 2019, en sa qualité de gérant de fortune indépendant au sein de E______ SA, détourné à son profit ou celui de tiers, les fonds confiés par ses clients, dont il gérait les comptes ouverts en les livres des banques dépositaires, en procédant, à l'insu des intéressés, à des transferts indus ou des retraits d'espèces.

Pour ces faits, E______ SA et plusieurs clients de cette société, dont F______, ont déposé plainte.

b. D______ a, le 19 février 2019, adressé un courrier au Ministère public, par lequel il a admis avoir "procédé à des opérations non autorisées sur les comptes de clients dont [il] gérai[t] le portefeuille". Concrètement, il avait établi de fausses instructions afin de débiter les comptes en question, menti à ses clients quant à leur état de fortune et falsifié des relevés de comptes. Ces "manipulations" avait perduré de 2011 à 2019.

c.a. Dans sa plainte du 8 avril 2019 pour gestion déloyale, abus de confiance, escroquerie et faux dans les titres, F______ explique avoir, sur les conseils de D______, ouvert, le 15 avril 2013, une relation bancaire n° 1______/F______ au sein de l'établissement G______, sur laquelle il avait déposé la majeure partie de ses avoirs. D______ était chargé, via un mandat discrétionnaire, de gérer ces fonds, ainsi que ceux déposés chez H______ et I______.

Il avait été informé par E______ SA que D______ avait effectué des opérations à l'insu de ses clients. L'analyse des documents bancaires avait ainsi permis de découvrir plusieurs débits au détriment de la relation n° 1______/F______, exécutés à son insu et dont les bénéficiaires étaient notamment [la société] J______/2______, K______ LTD, L______ LTD et M______. Il était question d'un montant total de USD 5'430'000.-. Certains des ordres de transferts avaient été retrouvés mais la signature y figurant avait été falsifiée.

c.b. Le 12 avril 2019, B______, C______ et A______, respectivement épouse et enfants de F______, se sont constitués parties plaignantes au côté de ce dernier, étant tous les trois co-titulaires de la relation bancaire auprès de G______.

d. Au cours de l'instruction, le mécanisme de la "compensation" a été évoqué par plusieurs parties à la procédure, soit le fait, pour un "compensateur", de mettre à disposition de ressortissants turcs, disposant de comptes bancaires en Suisse, d'espèces en Turquie, en prélevant au passage une commission.

e. Lors de ses premières auditions à la police et par-devant le Ministère public, D______ a expliqué que pour dissimuler les pertes en capital subies par F______, il avait prélevé des sommes sur d'autres comptes appartenant au précité ou sur ceux de clients dont il gérait également les avoirs. Pour les instructions de paiement, il faisait un copier-coller des signatures. Il n'avait toutefois jamais imité celle de F______. La banque effectuait, à chaque fois, des "call back" et A______ confirmait le paiement en signant l'instruction. Comme il y avait beaucoup de transactions, l'intéressé ne savait pas exactement ce qu'il validait (audiences des 27 février, 6 et 28 mars 2019).

Interrogé au sujet de plusieurs transactions financières impliquant les comptes de F______ ou aux sociétés appartenant à ce dernier, D______ a admis le caractère indu de certaines mais, pour d'autres, affirmé qu'il ne s'agissait pas de fausses instructions de sa part mais d'ordres reçus de son client, souvent relatifs à des opérations de compensation (audiences des 4 et 11 avril 2019). F______ avait "suggéré les compensateurs" et N______ était, le plus souvent, intervenu en cette qualité. Il s'agissait d'une pratique courante en Turquie (audience du 28 mars 2019).

f. Entendu par le Ministère public le 2 mai 2019, F______ a déclaré n'avoir jamais fait appel à un compensateur et ignorer de quoi il s'agissait. Ni lui, ni son fils, ne connaissaient N______. En général, il demandait à D______ d'acheminer de l'argent et ce dernier organisait le transfert en Turquie. Il avait reçu plusieurs montants en Turquie, sous la forme d'espèces, qu'il pensait provenir de ses propres comptes. Au total, il avait ainsi dû percevoir environ USD 2 millions. Il a finalement admis avoir utilisé des compensateurs et connaissait ce système.

O______ était un ami depuis trente ans et qui avait investi, en 2016, dans une action détenue par l'une de ses sociétés.

g. Par courrier du 15 mai 2019, D______, sous la plume de son conseil, a souligné que F______ et A______ avaient régulièrement eu recours à des opérations de compensation depuis 2013.

h. Lors de l'audience du lendemain, D______ a déclaré que F______ avait régulièrement fait appel à des prêts fiduciaires et qu'il n'avait effectué aucun transfert indu en lien avec ces opérations. La société J______/3______ LTD était toujours la contrepartie utilisée par le compensateur lorsqu'un remboursement de prêt fiduciaire était effectué pour faire parvenir des espèces à F______ en Turquie. Le précité était également au courant de tous les virements – soit quatorze, pour un montant total de USD 2'620'000.- – en faveur de L______ LTD visé dans la plainte et avait reçu l'argent demandé en espèces, en Turquie. Ces transferts avaient également servi à rembourser des prêts fiduciaires. Derrière les deux sociétés précitées se trouvait N______.

A______ a contesté connaître le système de prêts fiduciaires et estimé possible qu'il eût reçu l'équivalent de USD 2 millions en espèces entre novembre 2014 et janvier 2015. En général, il ne prenait pas de notes lorsqu'il recevait de l'argent en Turquie dont l'origine était l'un de ses comptes en Suisse. Sur les quatre dernières années, il pensait avoir reçu de la sorte un montant total légèrement inférieur à USD 5 millions. Il n'avait aucun document pour lister ces sommes, il le savait simplement. Il ne pouvait pas exclure que cet argent provînt des virements effectués en faveur de J______/3______ LTD et L______ LTD. Leur situation devait ainsi être réévaluée et ils ne disposaient d'aucun document permettant "de réconcilier les sorties d'argent de [leurs] comptes en Suisse avec les remises de cash en Turquie". Son père avait l'habitude de signer tous les documents envoyés par D______, sans demander plus de détails. À chaque fois que le précité recevait la consigne de leur faire parvenir de l'argent en Turquie, les transferts, pour lesquels F______ avait dû signer des instructions, s'étaient déroulés sans problème.

i.a. Par courrier du 30 septembre 2019 au Ministère public, F______, B______, C______ et A______ ont déposé une plainte complémentaire, soulevant différents transferts, ne se recoupant pas avec ceux admis par D______, qui demeuraient "suspects", soit notamment:

-         au débit du compte ouvert auprès de [la banque] H______:

·            USD 500'000.-, transférés le 3 septembre 2009 en faveur de "P______";

·            USD 500'000.-, transférés le 10 décembre 2010 en faveur du bénéficiaire "Z______" ;

·            USD 350'066.-, transférés le 20 juillet 2012 en faveur de "U______ et O______" ; et

-         au débit du compte ouvert auprès de I______:

·            CHF 350'029.98, transférés le 30 novembre 2009 en faveur de "Q______ & R______" [parents de D______] ;

·            USD 300'031.36, transférés le 7 octobre 2010 en faveur de "MR S______";

·            USD 55'000.-, transférés le 25 juillet 2011 en faveur de "P______";

·            USD 500'090.-, transférés le 15 mars 2012 en faveur de "T______";

·            USD 350'090.-, transférés le 28 mars 2012 en faveur de "T______";

·            USD 750'000.-, transférés le 19 juillet 2012 en faveur de "U______ et O______";

·            USD 25'000.-, transférés le 7 février 2013 à un bénéficiaire inconnu ;

·            USD 275'000.-, transférés le 11 avril 2014 en faveur de "V______"; et

·            USD 70'000.-, transférés le 11 avril 2014 en faveur de "W______".

i.b. Parmi les pièces jointes figurent:

- un ordre de transfert de USD 500'000.- du 2 septembre 2009 en faveur de "P______", avec la note manuscrite: "achat appartement X______ [Turquie]. Mr A______ [prénom] Call back done";

- un avis de débit du 30 novembre 2009, pour un transfert de USD 350'000.- en faveur de Q______ et R______, avec comme message: "Repayment of Turkish Loan";

- deux ordres de transfert de USD 500'000.- et USD 350'000.-, des 15 et 27 mars 2012 en faveur de T______, avec une signature sous les initiales "[F______]";

- un ordre de transfert de USD 750'000.- du 19 juillet 2012 en faveur des époux O______/U______, avec une signature sous les initiales "[F______]";

- un ordre de transfert de USD 275'000.- du 9 avril 2014 en faveur de "V______", avec une signature sous les initiales "[F______]";

- un ordre de transfert de USD 70'000.- du même jour en faveur du compte "W______", avec une signature sous les initiales "[F______]".

j. Entendu par le Ministère public le 20 novembre 2019, D______ a expliqué avoir mis en contact F______ et Y______, autre plaignant à la procédure, représenté lors de l'audience et co-titulaire, avec sa femme, du compte "P______". Par la suite, il avait reçu des instructions du premier pour procéder aux transferts vers ledit compte et A______ avait fait état de l'achat d'un appartement pour justifier la transaction. Il n'avait pas suggéré de mentionner ce motif comme arrière-plan économique et pensait au contraire qu'il n'y avait jamais eu d'acquisition immobilière. Le transfert d'argent du 7 octobre 2010 en faveur de S______ avait également été ordonné par F______, de même que ceux en faveur de T______. En examinant la liste des transferts soulignés par la famille A______/B______/C______, il pensait que tous avaient été ordonnés en remboursement de prêts fiduciaires. Il y avait également un montant de USD 350'029.98 en faveur de son père, que F______ connaissait depuis 1997.

k. Par courrier du 28 janvier 2020, la famille A______/B______/C______ a contesté connaître les époux Y______, ainsi que le père de D______.

l. Entendu par le Ministère public le 27 janvier 2021, N______ a déclaré que F______, qu'il connaissait depuis vingt ans, l'appelait chaque lundi pour parler d'une équipe de football qu'ils soutenaient les deux et, parfois, pour lui demander de rapatrier depuis ou d'envoyer des fonds en Turquie. Comme le précité ne parlait aucune langue étrangère, toute la documentation passait par D______. Il n'était pas intervenu dans des opérations impliquant S______, T______, V______ ni W______. Il était exact que F______ et Y______ étaient des partenaires commerciaux.

m. Lors de l'audience du 24 novembre 2021, le Ministère public a énoncé à D______ les charges retenues contre lui en lien avec les fonds détournés des comptes de F______.

Il lui était ainsi reproché d'avoir, du 4 avril 2011 au 1er juin 2017, alors qu'il était chargé de gérer les relations dont était titulaire F______ en les livres de I______ et G______, ordonné, à son insu, le transfert indu de onze virements, en faveur de M______ et K______ LTD (dont il est l'ayant droit économique), pour un montant total de USD 1'586'268.-.

n. Par courrier au Ministère public du 13 janvier 2022, la famille A______/B______/C______ a constaté que les faits dénoncés dans sa plainte complémentaire du 30 septembre 2019 n'avaient pas été retenus contre D______. Elle sollicitait que ces charges soient intégrées dans l'acte d'accusation à venir.

o. Par suite de l'avis de prochaine clôture, F______, B______, C______ et A______ ont, par courrier du 30 septembre 2022, soulevé l'absence de suite donnée à leur plainte complémentaire. L'instruction devait se poursuivre sur ce volet.

p. Le 6 juillet 2023, le conseil de la famille A______/B______/C______ a fait part au Ministère public du décès de F______. En application du droit turc, la succession se partageait entre son épouse, B______, et leurs deux enfants, C______ et A______, lesquels héritaient des droits procéduraux du défunt.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que D______ a contesté avoir procédé aux transferts litigieux mentionnés dans la plainte complémentaire du 30 septembre 2019. Aucun élément au dossier ne permettait de retenir que lesdits transferts eussent été exécutés à l'insu de la famille A______/B______/C______. Certains avaient fait l'objet de "call back" de la banque, laquelle avait identifié son interlocuteur. Rien ne démontrait non plus que des instructions avaient été falsifiées par D______, ce dernier le contestant au demeurant. Par ailleurs, il ne pouvait être établi que les transferts litigieux, dont certains remontaient à près de quinze ans, avaient été effectués à l'insu de la famille A______/B______/C______, celle-ci ayant admis avoir eu recours à de nombreuses reprises à des opérations de compensation, sans être en mesure de se souvenir de toutes.

D. a. Dans leur recours, B______, C______ et A______ reprochent au Ministère public de n'avoir pas instruit leur plainte complémentaire du 30 septembre 2019. L'obtention de la documentation bancaire de I______, qui refusait de la leur transmettre, devait permettre de récolter plus d'informations concernant les opérations débitées du compte ouvert auprès de cet établissement et l'audition de Y______ pouvait également s'avérer utile pour les confronter aux déclarations de D______. Il existait, en outre, de "forts soupçons" à l'encontre du précité, lequel avait reconnu, de manière générale, avoir commis de nombreuses opérations bancaires en violation de ses obligations de gestionnaire. Les explications du prévenu au sujet des versements en faveur du compte "P______" étaient contredites par le fait qu'ils ne connaissaient pas la famille [de] Y______ et qu'aucun bien immobilier n'avait été acquis à l'époque des transactions. Feu F______ n'avait développé des "projets financiers" avec O______ qu'après 2012 et, pour les autres opérations, N______ avait affirmé qu'elles n'avaient pas fait l'objet d'une compensation. En outre, le Ministère public accordait trop d'importance aux déclarations de D______ et "surinterprét[ait]" les leurs pour "en tirer des supposées hésitations qui n'en [étaient] pas". Compte tenu des aveux du prévenu, le principe in dubio pro duriore commandait de tenir compte, dans l'accusation, des opérations complémentaires visées par l'ordonnance querellée. Plus généralement, le Ministère public avait été influencé au cours de la procédure par l'auto-dénonciation de D______, orientant ainsi l'instruction en faveur de la défense de celui-ci.

b. Dans ses observations, le Ministère public rappelle que les membres de la famille A______/B______/C______ ont déposé leur plainte complémentaire six mois après la première. En outre, il était apparu que, contrairement à leurs allégations, plusieurs transferts n'étaient pas imputables à D______ mais résultaient d'opérations de compensation, pour lesquelles F______ avait donné des instructions et reçu des contreparties en Turquie. Enfin, le prévenu avait admis la quasi-totalité des transferts désignés comme indus, tant spontanément que ceux initialement omis.

c. Dans ses observations, D______ conteste avoir effectué les transferts litigieux à l'insu de la famille A______/B______/C______. Au cours de l'instruction, il avait examiné chaque transaction intervenue sur les comptes des recourants afin de déterminer leur nature et admis lorsqu'il s'agissait de malversations de sa part. Ces aveux ne signifiaient pas que toutes les opérations qu'il avait exécutées étaient indues mais démontraient au contraire sa pleine et entière collaboration à l'établissement des faits. Les déclarations des recourants n'étaient pas crédibles, dès lors qu'elles étaient entachées de nombreuses contradictions.

d. Les recourants n'ont pas répliqué.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2.1. Seule une partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci (art. 382 al. 1 CPP).

La partie plaignante a qualité de partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

À teneur de l'art. 121 al. 1 CPP, si le lésé décède sans avoir renoncé à ses droits de procédure, ceux-ci passent à ses proches au sens de l'art. 110 al. 1 CP, dans l'ordre de succession. Les proches d'une personne sont son conjoint, son partenaire enregistré, ses parents en ligne directe, ses frères et sœurs germains, consanguins ou utérins ainsi que ses parents, frères et sœurs et enfants adoptifs (art. 110 al. 1 CP).

Ainsi, un proche au sens de l'art. 121 al. 1 CPP cum art. 110 al. 1 CP (par exemple, le conjoint) est légitimé à se constituer seul partie plaignante et à recourir conformément à l'art. 382 al. 1 CP, dans l'ordre de succession (ATF 142 IV 82 consid. 3.4).

1.2.2. En l'espèce, à la suite du décès de F______, partie plaignante, son épouse et leurs deux enfants, soit des proches, ont attesté de leur qualité d'héritiers auprès du Ministère public, ce qui n'a pas été contesté.

Ils ont donc la qualité pour recourir et, partant, leur recours est recevable.

2.             Les recourants contestent le classement de la procédure à l'égard des faits mentionnés dans leur plainte complémentaire du 30 septembre 2019.

2.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) et lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

La décision de classer la procédure doit être prise en application du principe "in dubio pro duriore". Celui-ci signifie qu'en règle générale, un classement ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public dispose, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

2.2. En l'espèce, les recourants soutiennent le caractère indu des transactions mises en exergue dans leur plainte complémentaire, sans discuter de la réalisation des conditions d'une éventuelle infraction.

Quoiqu'il en soit, le dossier n'offre aucune assise pour établir des soupçons suffisants à l'égard du prévenu.

Si l'intéressé a admis avoir précédé à des opérations frauduleuses sur les comptes de F______, il a nié avoir agi à l'insu et au détriment des recourants pour d'autres transactions énoncées dans leur plainte complémentaire. Ses aveux ne constituent, certes, pas un gage de véracité pour tous ses propos, mais sa démarche laisse présupposer qu'il n'a pas d'intérêt à mentir sur les transactions en question.

Les explications fournies par le prévenu au sujet de certains de ces transferts sont au demeurant corroborées – plus ou moins directement – par d'autres éléments, comme la relation d'affaires entre F______ et Y______, étant précisé que ce dernier ne l'a jamais réfutée. De surcroît, pour la plupart des virements litigieux, il existe des ordres de transfert correspondants, signés, étant rappelé que le prévenu a toujours contesté avoir imité la signature de son client et qu'aucun élément de preuve ne permet de retenir l'inverse. Au contraire, N______ a affirmé avoir plusieurs fois transféré de l'argent en Turquie, à la demande de F______, en passant par le prévenu pour formaliser les opérations.

Plus généralement, au cours de l'instruction, les déclarations des plaignants – soit en particulier feu F______ et A______ – se sont révélées confuses et contradictoires. Ils ont ainsi affirmé ignorer le système de la compensation avant d'admettre l'avoir utilisé dans de larges mesures. Ils ont également déclaré ne pas connaître N______, alors que l'intéressé a soutenu l'inverse.

Surtout, ils ont admis avoir reçu, selon leurs instructions, environ USD 5 millions en espèces, en Turquie, sans avoir conservé la moindre trace des opérations financières en arrière-plan, tout en laissant entendre que ces transactions pouvaient en réalité se confondre avec celles listées dans leur plainte initiale.

Dans ces circonstances, rien ne permet d'établir que les virements listés dans la plainte complémentaire, qu'il s'agisse ou non d'opérations de compensation, découleraient d'agissements frauduleux de la part du prévenu, Le Ministère public était dès lors fondé à accorder un poids prépondérant aux déclarations du prévenu.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

5.             L'intimé, prévenu, conclut à l'allocation d'une indemnité de CHF 6'486.- valant participation à ses frais d'avocat, pour la procédure de recours.

5.1. En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

Selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure, cette indemnisation visant les frais de la défense de choix. L'autorité pénale examine d'office celles-ci et peut enjoindre l'intéressé de les chiffrer et de les justifier (art. 429 al. 2 CPP). Dans tous les cas, l'indemnité n'est due qu'à concurrence des dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable des droits de procédure du prévenu. Le juge doit donc examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

La partie plaignante qui succombe devant l'autorité de recours n'a pas à supporter l'indemnité des frais de défense du prévenu lorsque la décision attaquée est une ordonnance de classement ou de non-entrée en matière (ATF 139 IV 45 consid. 1.2).

5.2. En l'espèce, le conseil du prévenu annonce une activité totale de 15h00, dont 2h50 consacrées à l'examen "de l'ordonnance et du recours, échange avec le client, brèves recherches juridiques sur le classement partiel" et 12h50 à la rédaction des observations. Ces durées paraissent excessives pour la lecture d'une ordonnance de sept pages et la rédaction d'un acte qui en comporte treize, pages de garde et de conclusions comprises.

L'indemnité, à la charge de l'État, sera ainsi ramenée à CHF 2'594.40, correspondant à une activité globale de 6h00, au tarif horaire de CHF 400.-, TVA (8.1%) comprise.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne B______, C______ et A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Alloue à D______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'594.40, TVA (8.1%) incluse.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants et à D______, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/3666/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'905.00

Total

CHF

2'000.00