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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18740/2019

ACPR/697/2022 du 07.10.2022 sur OMP/8758/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SUSPENSION DE LA PROCÉDURE
Normes : CPP.314.al1.letb

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18740/2019 ACPR/697/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 7 octobre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me Karim RAHO, avocat, CDLR Avocats, rue Saint-Ours 5, 1205 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de prolongation de suspension rendue le 23 mai 2022 par le Ministère public,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 7 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 mai 2022, notifiée par pli simple, par laquelle le Ministère public a ordonné la prolongation de la suspension de l'instruction de la P/18740/2019 dirigée contre B______ (ci-après, B______).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et à la reprise de l'instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Depuis 2017, les frères C______ et D______ font l'objet d'une procédure pénale, la P/1______/2017, pour abus de confiance (art. 138 CP), gestion déloyale (art. 158 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP). Il leur est, en substance, reproché d'avoir, durant une période indéterminée mais à tout le moins en 2016, détourné des fonds de sociétés qu'ils animaient – en particulier de E______ SA, actuellement en liquidation –, au préjudice de diverses entités, dont G______ SA (ci-après, G______), et couvert ces détournements au moyen de faux documents.

b. Dans le cadre de cette procédure, une lettre a été adressée au Ministère public par le conseil de G______, le 5 juin 2019, dont la teneur était notamment la suivante :

"La représentante de ma mandante, Madame B______, a reçu durant la nuit, plusieurs notifications par e-mails, dont vous trouverez copie en annexe.

Vous constaterez que les différents e-mails qu'elle avait adressés à A______, en décembre 2012, ont été effacés quelques heures après la fin de l'audience d'hier.

Il ne saurait à l'évidence s'agir d'une coïncidence, mais bien d'une réaction suite au contrôle du téléphone de l'un des prévenus de cette affaire.

A______ ou un tiers est en train de "faire le ménage" sur les différents appareils utilisés dans le cadre de l'exploitation de l'établissement « F______ », ainsi qu'au sein des adresses e-mails, en particulier celles se terminant par "@F______.com".

Toute la lumière doit être faite sur ces procédés.

Ils sont particulièrement graves, car ils visent vraisemblablement à détruire des éléments de preuves de la procédure pénale que vous instruisez."

c. Le lendemain, une instruction pénale a été ouverte contre A______ pour abus de confiance (art. 138 CP), gestion déloyale (art. 158 CP) et entrave à l'action pénale (art. 305 CP), sous le même numéro de référence (P/1______/2017).

d. Le 8 juin 2019, une audience s'est tenue par-devant le Ministère public, lors de laquelle A______ a été formellement prévenu d'avoir :

- de concert avec C______ et D______, entre 2012 et 2016, détourné des sommes d'argent en espèces au détriment de diverses sociétés, dont E______ SA et G______;

- durant la même période, porté atteinte aux intérêts desdites sociétés ou permis qu'elles soient lésées, alors qu'il était tenu de veiller à leurs intérêts pécuniaires et de veiller sur leur gestion;

- rédigé deux fausses factures envoyées pour vérification à C______ et D______ ainsi qu'à H______, dans le but d'obtenir de la banque I______, au débit du compte de la société J______ SA (montants provenant de E______ SA), le paiement de CHF 270'561.- et EUR 75'972.- sur les comptes personnels des frères C/D______;

- le 5 juin 2019, à la suite de l'audition de H______ par le Ministère public, la veille, supprimé des e-mails datant de 2012 de sa boîte de messagerie électronique "A______@F______.com" et/ou "fait le ménage" dans ses ordinateurs en vue de protéger autrui;

- le 6 juin 2019, à 1h00, effacé, en vue de protéger autrui, le contenu de son téléphone portable alors qu'il avait été appelé par le Ministère public pour se rendre à son bureau où se déroulait une perquisition.

e. Le 14 juin 2019, le Ministère public a tenu une audience de confrontation des parties.

e.a. A______ a notamment déclaré qu'il était possible qu'il eût vidé la corbeille de sa boîte de messagerie professionnelle, le 5 juin 2019 vers 1 heure du matin, mais ne pensait pas l'avoir fait.

e.b. B______ a déclaré avoir reçu ce jour-là des notifications sur son adresse de messagerie électronique, à teneur desquelles le prénommé avait supprimé des e-mails échangés en 2012. Elle avait trouvé cela "piquant", dans la mesure où le nom de l'intéressé avait été évoqué à plusieurs reprises lors de l'audience tenue la veille par le Ministère public.

f. Par courrier du 12 septembre 2019, A______ a déposé plainte contre B______ pour dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) et/ou induction de la justice en erreur (art. 304 CP) et/ou calomnie (art. 174 CP), lui reprochant de l'avoir faussement accusé auprès du Ministère public d'entrave à l'action pénale (art. 305 CP), ce qui avait conduit à l'ouverture d'une instruction pénale contre lui.

g. Le 16 septembre suivant, le Ministère public a ouvert une instruction, sous le numéro P/18740/2019, contre B______ pour infractions aux art. 303, 304 et 174 CP et, le même jour, a suspendu cette cause pour une durée de trois mois, soit jusqu'au 16 décembre 2019, dans l'attente de l'issue de la P/1______/2017.

A______ n'a pas formé recours contre cette décision.

h. Par ordonnance du 14 août 2020, le Procureur chargé des deux procédures en cause a prolongé au 14 janvier 2021 la suspension de l'instruction de la P/18740/2019, dans la mesure où la P/1______/2017, dont il paraissait indiqué d'attendre la fin, n'était pas arrivée à son terme.

i. Par acte d'accusation du 27 août 2021, le Ministère public a renvoyé A______ en jugement par-devant le Tribunal correctionnel (ci-après, TCo) pour faux dans les titres (art. 251 CP).

Par ailleurs, les frères C/D______ et H______ ont été renvoyés en jugement pour abus de confiance (art. 138 CP), gestion déloyale (art. 158 CP) et instigation à faux dans les titres (art. 24 et 251 CP), respectivement complicité d'abus de confiance (art. 25 cum 138 CP), complicité de gestion déloyale (art. 25 cum 158 CP) et faux dans les titres comptables (art. 251 CP).

j. Le 2 décembre 2021, le Ministère public a prolongé la suspension de l'instruction de la P/18740/2019 jusqu'au 2 juin 2022, si la procédure n'était pas reprise dans l'intervalle. Cette décision n'a pas fait l'objet d'un recours.

k. Par décision du 3 mai 2022, le TCo, saisi de l'acte d'accusation du 27 août 2021, a renvoyé la procédure P/1______/2017 au Ministère public pour complément d'instruction. En fonction des résultats des mesures d'enquête supplémentaires entreprises, ce dernier était invité à modifier son acte d'accusation, en particulier de compléter ou préciser, en tant que de besoin, les faits retenus, respectivement leur qualification juridique.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a prolongé la suspension de l'instruction de la P/18740/2019 jusqu'au 23 mai 2023, si celle-ci n'était pas reprise dans l'intervalle.

D. a. Dans son recours, A______ relève que le Ministère public avait saisi le TCo d'un acte d'accusation à teneur duquel il lui était uniquement reproché d'avoir établi deux fausses factures, comportement qui était constitutif de faux dans les titres (art. 251 CP). Ainsi, les autres agissements qui lui furent imputés, notamment la destruction d'e-mails (art. 305 CP), avaient fait l'objet d'un classement implicite, désormais définitif. Selon le principe "ne bis in idem", il ne pouvait donc plus être poursuivi pour ces faits. La prolongation de la suspension de l'instruction de sa plainte contre B______ ne se justifiait plus.

b. Dans ses observations, le Ministère public souligne que le recourant était prévenu, dans le cadre de la P/1______/2017, de faux dans les titres, pour avoir participé à des falsifications d'ordre comptable, notamment au détriment de la société G______, représentée par B______. Afin de déterminer si cette dernière avait formulé ses accusations en connaissant leur fausseté, il semblait opportun d'attendre que l'audience de jugement "précise et détermine" le contexte, les rôles et responsabilités des divers protagonistes – dont le recourant –, dans le cadre des détournements dénoncés par la société précitée et sa représentante. En vue de faciliter l'administration des preuves, il était dès lors légitime de maintenir la P/18740/2019, en l'état, suspendue.

c. A______ maintient sa position dans sa réplique.

d. Aucune écriture subséquente n'étant parvenue à la Chambre de céans, la cause a été gardée à juger.

 

 

 

 

 

 

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de respect des réquisits de l’art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant fait grief au Ministère public d'avoir suspendu l'instruction de sa plainte contre B______, jusqu'à droit jugé dans la procédure P/1______/2017.

2.1.1. À teneur de l'art. 314 al. 1 let. b CPP, le ministère public peut suspendre une instruction, notamment, lorsque l'issue de la procédure pénale dépend d'un autre procès dont il paraît indiqué d'attendre la fin. Le ministère public dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour décider d'une éventuelle suspension, il doit examiner si le résultat de l'autre procédure peut véritablement jouer un rôle pour l'issue de la procédure pénale suspendue et s'il simplifiera de manière significative l'administration des preuves dans cette même procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_406/2017 du 23 janvier 2018 consid. 2 et la référence citée). La suspension ne doit pas avoir pour effet de retarder de manière injustifiée la procédure en cours, mais des retards sont en général inévitables dans ce genre de situation (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 13 ad art. 314).

La suspension d'une procédure pénale dans l'attente d'une autre procédure pénale peut notamment se justifier à la suite d'une contre-plainte du prévenu pour des infractions contre l'honneur (art. 173ss CP) ou en dénonciation calomnieuse (art. 303 CP). Il n'est en effet pas imaginable d'instruire ces infractions alors même que la dénonciation initiale est toujours en cours d'enquête, voire même en jugement (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op.cit., n. 14a ad art. 314).

2.1.2. La suspension ne doit pas avoir pour effet de retarder de manière injustifiée la procédure en cours (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op.cit., n. 13 ad art. 314).

Le principe de la célérité qui découle de l'art. 29 al. 1 Cst. et, en matière pénale, de l'art. 5 CPP, pose en effet des limites à la suspension d'une procédure. Ce principe est notamment violé lorsque l'autorité ordonne la suspension d'une procédure sans motifs objectifs. Pareille mesure dépend d'une pesée des intérêts en présence et ne doit être admise qu'avec retenue, en particulier s'il convient d'attendre le prononcé d'une autre autorité compétente qui permettrait de trancher une question décisive (arrêts du Tribunal fédéral 1B_406/2017 du 23 janvier 2018 consid. 2 ; 1B_163/2014 du 18 juillet 2014 consid. 2.2 ; 1B_421/2012 du 19 juin 2013 consid. 2.3). Dans les cas limites ou douteux, le principe de célérité prime (ATF 130 V 90 consid. 5 p. 95 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_406/2017 du 23 janvier 2018 consid. 2 ; 1B_329/2017 du 11 septembre 2017 consid. 3).

2.2.  En l'espèce, à la lumière des principes sus-rappelés, la suspension querellée est conforme au droit.

On ne saurait en effet reprocher au Ministère public, qui dispose d'un large pouvoir d'appréciation en la matière, de vouloir attendre l'issue de la P/1______/2017 pour instruire la plainte du recourant, dans la mesure où les résultats de la première procédure auront assurément des incidences sur la seconde et permettront de mieux appréhender les faits reprochés par le recourant à B______. L'infraction à l'art. 303 CP se réfère, en effet, précisément au comportement dénoncé par cette dernière dans le cadre de la P/1______/2017. Une condamnation ou un acquittement du recourant est dès lors déterminant pour l'issue de la présente cause.

À cet égard, il apparaît certes que certaines préventions, dont celle, en particulier, d'entrave à l'action pénale (art. 305 CP), expressément envisagées par le Ministère public durant l'instruction, n'ont pas été reprises dans l'acte d'accusation du 27 août 2021. Cela étant, le TCo a, par décision du 3 mai 2022, renvoyé la cause au Ministère public pour complément d'instruction, avec la possibilité pour celui-ci de modifier son acte d'accusation, en fonction des résultats des actes d'enquête supplémentaires mis en œuvre. Dans ces circonstances, il n'est pas exclu, en l'état, que les faits retenus contre le recourant soient amenés à être modifiés, sans que le principe ne bis in idem ne soit violé, étant relevé que les autres infractions initialement reprochées à ce dernier n'ont pas fait l'objet d'une décision formelle de classement.

Il apparaît dès lors judicieux d'attendre l'issue de la P/1______/2017 avant de statuer sur la P/18740/2019. Dans l'intervalle, rien n'empêche le recourant d'expliquer, pour sa défense par-devant le TCo, dans la procédure dirigée contre lui, les faits et éléments de preuve qu'il souhaiterait voir instruire ici.

Enfin, on ne voit pas non plus qu'un problème de célérité se poserait, en l'état, le Ministère public ayant prononcé la suspension jusqu'à droit connu dans le cadre de la procédure P/1______/2017, dont l'instruction se trouve, comme il a été vu ci-dessus, à un stade avancé.

3.             Le recours s'avère ainsi infondé et sera rejeté.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/18740/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

900.00