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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2690/2024

JTAPI/680/2025 du 23.06.2025 ( ICCIFD ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : CONJOINT;DIVORCE;RESPONSABILITÉ SOLIDAIRE;PERCEPTION DE L'IMPÔT
Normes : LIFD.13
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2690/2024 ICCIFD

JTAPI/680/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 23 juin 2025

 

dans la cause

 

 

Madame A______, représentée par Me Isaline OTTOMANO, avocate, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne les taxations 2010 à 2013 de Madame A______, qui a été l’épouse de Monsieur B______ jusqu’au ______ 2020, date de leur divorce.

2.             Par bordereaux datés respectivement des 11 mars, 10 juin et 23 novembre 2015, ainsi que 18 janvier 2016, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a taxé les époux A______ pour les années fiscales 2010 à 2013.

3.             Par plis datés respectivement des 27 mars, 8 juillet et 21 décembre 2015, ainsi que 10 février 2016, les époux ont élevé réclamation à l’encontre de ces taxations.

4.             Le 8 juin 2017, le chef du département fédéral des finances a autorisé la division des affaires pénales et enquêtes de l’administration fédérale des contributions (ci-après : DAPE) à mener une enquête au sens des art. 190 et ss. de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) à l’encontre des époux A______.

5.             Par lettre du 10 juillet 2017, l’AFC-GE a fait part aux époux A______ de l’ouverture à leur encontre d’une procédure en rappel et en soustraction d’impôt pour les années 2007 à 2009, ainsi que d’une procédure pour tentative de soustraction d’impôt pour les années 2010 à 2015.

6.             Le 5 octobre 2020, l’AFC-GE a fait part à Mme A______ du fait qu’en raison de son divorce, elle serait taxée séparément à compter de l’année 2020.

7.             Le 17 novembre 2023, la DAPE a rendu un rapport concernant Mme A______ et un autre concernant son ex-époux. Chacun d’eux a reçu une copie du rapport le concernant. L’AFC-GE a également reçu un exemplaire de ces deux documents.

Le rapport de la DAPE concernant Mme A______

a.    En consultant la base de données liée à l'affaire des PANAMA PAPERS, la DAPE avait découvert que M. A______ était désigné en tant qu'administrateur d'un grand nombre de sociétés offshore. Des recherches complémentaires avaient mis à jour d'autres éléments le concernant, notamment un système de sous-location à lui-même impliquant un grand nombre d'appartements. L'examen du dossier fiscal des époux A______ avait mis en évidence que d'importants éléments imposables n'avaient, selon toute vraisemblance, pas été déclarés par ceux-ci.

b.    La DAPE a effectué des perquisitions domiciliaires et a séquestré des documents papier, ainsi que des données électroniques. Elle a auditionné M. A______ à 16 reprises et Mme A______, 3 fois. Elle a également entendu des personnes à titre de renseignements, ainsi que des témoins.

c.    Résultats d’enquête – résultats immobiliers

Mme A______ détenait, dans sa fortune privée, trois immeubles locatifs à ______ (GE), ainsi que deux biens immobiliers, sis respectivement en France et en Israël.

L'enquête a révélé que pour une partie des immeubles, deux comptabilités étaient établies par les régies. Mme A______ (en tant que propriétaire) et M. A______ (en tant que locataire) avaient conclu entre eux de nombreux contrats de bail pour des appartements dont les loyers convenus étaient très inférieurs à ceux payés par les locataires effectifs. La comptabilité principale comprenait cette partie des loyers de faveur pour les appartements loués au nom de M. A______ en lieu et place des loyers effectivement payés par les locataires. C’étaient les éléments sous-évalués de cette comptabilité qui avaient été reportés dans les déclarations fiscales. Une comptabilité secondaire enregistrait la différence entre les loyers convenus entre les ex-époux et les loyers effectifs, donc plus élevés, payés par les occupants des appartements. Les éléments de cette deuxième comptabilité n’avaient pas été reportés dans les déclarations fiscales de Mme A______. Les revenus non déclarés avaient été utilisés, en partie, afin de financer des travaux de rénovation des appartements. Elle n'avait jamais présenté à l'autorité fiscale les éléments relatifs à ce système, soit la partie des revenus locatifs non déclarés et les frais de rénovation qui étaient en principe déductibles. Les régies immobilières avaient versé les résultats nets effectifs issus des deux comptabilités en faveur du compte conjoint ouvert au nom des époux A______ auprès de l'C______.

Entendue à ce sujet, Mme A______ a expliqué que les déclarations fiscales étaient remplies par son mari, elle-même s’étant contentée de signer les déclarations remplies sur format papier. Elle n’avait en revanche pas signé celles établies électroniquement. Elle n’avait pas d'explication sur le fait que les déclarations fiscales ne reflétaient pas les éléments ressortant des comptabilités établies par les régies et n’avait pratiquement eu aucun contact avec ces dernières, son mari donnant les instructions à tous les niveaux. Elle a reconnu que la conclusion de baux entre elle-même et son mari permettait de placer un locataire intermédiaire suite à une résiliation de bail avec un contrat fixant un loyer plus élevé que le précédent. La finalité de ces contrats de bail était d'augmenter le loyer sans que le nouveau locataire ne fût au courant.

d.    La DAPE a conclu que Mme A______ ne pouvait se dédouaner de ses obligations au prétexte de n'avoir pas vérifié les déclarations fiscales dont l'exécution avait été confiée à son mari. Lorsqu'elle avait conclu des contrats de bail entre époux, elle ne pouvait ignorer que la réalité des faits était tronquée. L'importance du parc immobilier dont elle était propriétaire aurait dû l'amener à s'assurer que le mode opératoire mis en place ne permettait pas que des revenus échappent à l'imposition. S'agissant des contrats de bail de convenance, Mme A______ savait que les loyers qui étaient mentionnés étaient inférieurs à ceux qui étaient payés par les locataires, ce qui, chez elle, aurait dû éveiller des doutes. Elle avait connaissance du fait que les produits de sous-location servaient à payer des frais de rénovation qui n'étaient pas revendiqués auprès de l'autorité fiscale, car ceux-ci n'étaient pas forcément admissibles.

e.    Les résultats déclarés par Mme A______ ne reflétaient pas la réalité. Les frais de rénovation supplémentaires déterminés dans le cadre de l'enquête influençaient tant positivement que négativement ses revenus imposables.

f.     De 2009 à 2012, elle avait omis de déclarer un montant total de CHF 261'289.-.

g.    S’agissant de la quotité de la peine, la DAPE a retenu qu’en signant des contrats de bail entre époux alors que M. A______ n'était pas le locataire effectif, Mme A______ savait que la réalité des faits était tronquée. Bien qu'elle n'ait pas vérifié ni rempli les déclarations fiscales, il lui incombait de s'assurer que ses propres éléments imposables soient correctement reportés dans les déclarations d'impôt. En ayant connaissance de la manipulation relative aux loyers d'appartements qui lui appartenaient, elle devait s'assurer que les revenus déclarés correspondaient à ceux qui étaient effectivement encaissés. Les tentatives de soustraction qui avaient été commises par Mme A______ avaient été réalisées, à tout le moins, par dol éventuel.

h.    Compte tenu de la culpabilité de Mme A______, il convenait de fixer la quotité de la peine à 0.75 fois les droits soustraits, montant réduit à 2/3, soit 0.5 fois, en présence de tentatives de soustraction.

Procédure devant l’AFC-GE

8.             Le 18 décembre 2023, la contribuable a présenté à l’AFC-CH des observations sur son rapport, que cette dernière a transmises à l’AFC-GE, le 22 janvier suivant.

9.             Le 19 mars 2024, l’AFC-GE a fait part à la contribuable qu’elle envisageait de rectifier ses taxations 2010 à 2013 en sa défaveur dans le sens des éléments retenus dans le rapport de la DAPE. Un délai a été accordé à la prénommée pour faire valoir son droit d’être entendu.

10.         Le 22 mai 2024, l’AFC-GE a transmis à la recourante un tableau récapitulant les reprises sur les rendements et la fortune mobilière, ainsi que sur la valeur fiscale des immeubles.

11.         Le 14 juin 2024, la précitée a exposé qu’elle avait pu prendre connaissance des documents qui lui avaient été transmis. Cependant, elle n’était pas en mesure de les comprendre, puisqu’elle n’avait pas signé les déclarations fiscales y relatives.

12.         Par décision du 11 juillet 2024 communiquée à M. et Mme A______, l’AFC-GE a modifié les taxations 2010 à 2013 du contribuable en leur défaveur en se fondant sur les rapports de la DAPE. Elle a notifié aux précités des bordereaux de rappel d’impôt faisant état des reprises suivantes :

2010

2011

2012

2013

ICC

1'837'800

991'028

1'169'525

1'054'054

IFD

529'727

190'413

232'422

202'550

Pour les années 2010 et 2012, l’AFC-GE a notifié à la contribuable seule des bordereaux d’amende, pour les impôts cantonaux et communaux 2010 à 2013 et pour l'impôt fédéral direct 2010 et 2012, pour tentative de soustraction dont la quotité s’élevait à 0.75 fois les droits soustraits, montant réduit aux 2/3, s’agissant d’une tentative soit en définitive 0.5 fois les impôts éludés par elle.

13.         Par acte du 12 août 2024, la contribuable, sous la plume de son conseil, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant, principalement, à l’annulation de la décision du 11 juillet précédent, subsidiairement, à l’appel en cause de M. A______ et cela fait, à la réforme de ce prononcé en ce sens que les éléments diminuant sa propre dette bénéficient également à ce dernier, le tout sous suite de dépens.

Alors qu’elle avait divorcé le ______ 2020, la décision attaquée avait été adressée conjointement aux deux ex-époux et reprenait une multitude d’éléments imposables attribuables à son ex-mari dont certains lui étaient totalement inconnus. Elle n’était pas en mesure d’indiquer si le calcul de ses impôts incluait uniquement ses propres éléments imposables ou également ceux de son ex-mari. Pour cette raison, la décision entreprise devait être annulée.

En outre, elle n’avait jamais déposé de déclaration fiscale auprès de l’AFC-GE et celle-ci ne l’avait jamais interpellée à ce sujet. Ainsi, elle ne pouvait être liée par les taxations des années en cause. Par ailleurs, l’autorité intimée ne l’avait jamais entendue. Cette violation était à ce point grave qu’il se justifiait d’annuler la décision attaquée.

Enfin, si par impossible le tribunal admettait que la décision attaquée lui était opposable, elle ne devrait pas être traitée de manière plus défavorable que son ex-époux. Elle disposait ainsi d’un intérêt actuel à appeler en cause ce dernier pour bénéficier de toute réduction de la dette fiscale qu’il obtiendrait. Elle n’était pas en mesure de faire valoir les arguments permettant de réduire la dette induite par la décision, puisqu’elle estimait que celle-ci ne lui était pas opposable.

14.         Dans sa réponse du 22 novembre 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La recourante et M. A______ étaient mariés et faisaient ménage commun lors des périodes fiscales 2010 à 2013. La décision litigieuse avait toutefois été adressée séparément à chacun des conseils des ex-époux.

Contrairement à ce que la précitée soutenait, l’AFC-GE avait été contrainte de l’interpeller afin de lui demander de signer ses déclarations 2012 et 2013 et lui avait adressé plusieurs demandes de renseignements. Quoi qu’il en fût, il n’était pas déterminant de savoir lequel des deux époux avait exercé son droit ou s’était acquitté d’une obligation, car l’acte de l’un d’eux déployait des effets pour l’autre.

L’AFC-GE n’avait pas violé le droit d’être entendu de la recourante, car ce droit ne comprenait pas celui d’être entendu oralement. De surcroît, elle avait été auditionnée à trois reprises par la DAPE.

Il n’y avait pas lieu d’appeler en cause son ex-mari, puisqu’elle bénéficierait automatiquement d’une réduction d’impôt que ce dernier obtiendrait. En effet, au cours des années fiscales en cause, elle avait été taxée conjointement avec ce dernier.

C’était à tort que la recourante prétendait qu’elle n’était pas en mesure de faire valoir ses arguments lui permettant de réduire la dette fiscale induite par la décision. En effet, elle ne pouvait ignorer qu’en ce qui la concernait, les taxations rectificatives se rapportaient essentiellement aux produits des immeubles dont elle était propriétaire.

Le rapport d’enquête de la DAPE concernant M. A______ avait été communiqué à la contribuable. Ce document indiquait avec précision les éléments de revenu et de fortune que celui-ci n’avait pas déclarés. En outre, la prénommée avait reçu les tableaux des reprises effectuées sur la base du rapport de la DAPE. Dès lors, elle avait eu pleinement connaissance des redressements effectués tant auprès d’elle-même que de son ex-mari.

Enfin, elle ne formulait aucun grief à l’encontre des reprises relatives à ses propres immeubles.

15.         Par réplique du 17 janvier 2025, la contribuable a maintenu son recours.

Elle n’avait jamais été interpellée par l’AFC-GE, contrairement à ce que cette dernière soutenait dans sa réponse. Les pièces auxquelles se référait l’autorité intimée constituaient en réalité des rappels ou des demandes de renseignements adressées au deux époux. L’AFC-GE ne lui avait jamais imparti de délai pour qu’elle signe les déclarations fiscales. Dès lors, elle n’avait pas été valablement représentée par son mari. En outre, à compter de la séparation, elle aurait dû émettre de nouveaux bordereaux distincts pour chacun des époux, pour la part des impôts due par eux. Enfin, elle n’avait pas l’obligation de vérifier la déclaration fiscale signée par son ex-mari. Une soustraction d’impôt ne pouvait être commise par omission.

16.         Dans sa duplique du 11 février 2015, l’AFC-GE a campé sur ses positions, reprenant en les développant, les arguments exposés dans ses précédentes écritures.

17.         Par mémoire complémentaire rédigé le 24 mars 2025 sous la plume de son nouveau conseil, la contribuable a fait valoir que l’époux qui n’avait pas signé la déclaration fiscale était exempt de toute responsabilité, aussi longtemps que son attention n’avait pas été attirée sur les conséquences de son inaction.

Chacun des conjoints devait pouvoir se déterminer, sur la base de la taxation, sur le montant de l’impôt afférent à ses propres éléments de revenu et de fortune, ce que les bordereaux du 11 juillet 2024 ne permettaient pas. En outre, si la décision querellée venait à entrer en force, l’AFC-GE disposerait d’un titre exécutoire portant sur la totalité des impôts, alors même que la solidarité avait cessé.

Enfin, elle ignorait que des déclarations inexactes et incomplètes portant sur ses propres éléments imposables avaient été déposées par son époux.

18.         Par écriture spontanée du 16 juin 2025 adressée au tribunal, la recourante a exposé qu’elle avait appris du mandataire de son ex-époux que l’AFC-GE entendait effectuer une reprise à titre de loyer de faveur accordé à sa fille, Mme D______, locataire dans un appartement sis à la route de E______ n°1______. La DAPE et l’AFC-GE considéraient que le loyer convenu, de CHF 13'344.- était insuffisant, car un nouveau locataire pour un appartement analogue, en 2012, aurait payé CHF 36'000.-.

Sur la base du questionnaire de l’AFC-GE, la valeur locative d’un appartement mesurant 107.42 m2, disposant d’un aménagement supérieur à la moyenne, une vétusté postérieure à 1980, ainsi qu’une bonne situation générale, se montait à CHF 21'368.- en 2007, ce qui correspondait à CHF 23'852.- en 2013. La moitié de ces sommes, soit CHF 10'734.- et CHF 11'926.- étaient très largement inférieures au loyer annuel facturé à Mme D______.

Des lors, si de telles reprises avaient été effectuées dans les taxations en cause – ce qu’elle ignorait – ces redressement étaient contestés.

Pour le surplus, elle persistait dans les conclusions de son recours.

19.         Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             La recourante reproche à l’AFC-GE une violation du droit d’être entendu.

4.             Le droit d’être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit, pour l’intéressé, de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Le droit d’être entendu ne comprend pas le droit d’être entendu oralement (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1).

5.             En l’occurrence, la contribuable reproche à l’AFC-GE de ne pas l’avoir entendue au moment où son mari a déposé les déclarations fiscales initiales ou lorsque celui-ci a formé réclamation.

L’intéressée ne peut être suivie. En effet, ainsi qu’il sera exposé infra, s’agissant de la remise des déclarations fiscales des années en cause, ainsi que des réclamations, M. A______ a valablement représenté la recourante. En conséquence, l’autorité intimée n’avait pas à lui donner un droit d’être entendu avant d’émettre ses bordereaux, respectivement des décisions sur réclamation. Partant, son droit d’être entendu n’a pas été enfreint.

6.             La recourante sollicite l’appel en cause de M. A______.

7.             L'art. 71 al. 1 et 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) dispose que l'autorité peut ordonner, d'office ou sur requête, l'appel en cause de tiers dont la situation juridique est susceptible d'être affectée par l'issue de la procédure; la décision leur devient dans ce cas opposable (al. 1). L'appelé en cause peut exercer les droits qui sont conférés aux parties (al. 2).

8.             L'appel en cause n'est pas destiné à faire intervenir ou à étendre la procédure à des personnes qui bénéficient déjà de la qualité de partie et qui ne participent, pour une quelconque raison, pas à la procédure. Il vise plutôt à préjuger un rapport de droit entre l'appelé en cause et une partie principale dans une procédure entre les parties principales. Dans la mesure où il a pour fonction d'éviter le déroulement d'une autre procédure sur les mêmes questions litigieuses, l'appel en cause est dicté par un souci d'économie de procédure. Il se justifie également dans la mesure où il permet d'éviter des décisions ou des jugements contradictoires (Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2015, p. 197).

9.             En l’espèce, la recourante soutient qu'elle dispose d’un intérêt à appeler M. A______ en cause, afin de bénéficier de toute réduction de la dette fiscale que celui-ci obtiendrait.

Elle ne peut être suivie. Hormis la question de la violation du droit d’être entendu – traitée ci-dessus – le présent litige porte, en premier lieu, sur la question de savoir si les taxations des années en cause sont opposables à la prénommée et, en deuxième ligne, sur l’obligation ou non faite à l’AFC-GE de rendre des décisions de scission.

En revanche, la contribuable ne conteste pas les reprises résultant des bordereaux de taxation du 11 juillet 2024.

10.         La contribuable soutient que les bordereaux des années fiscales en cause ne lui sont pas opposables.

11.         Les époux qui vivent en ménage commun exercent les droits et s’acquittent des obligations qu’ils ont en vertu de la présente loi de manière conjointe (art. 113 al. 1 LIFD ; art. 16 al. 1 LPFisc). La déclaration d’impôt doit porter les deux signatures. Lorsque la déclaration n’est signée que par l’un des conjoints, un délai est accordé à l’époux qui n’a pas signé. Si le délai expire sans avoir été utilisé, la représentation contractuelle entre époux est supposée établie (art. 113 al. 2 LIFD ; art. 16 al. 2 LPFisc). Toute communication que l’autorité fiscale fait parvenir à des contribuables mariés qui vivent en ménage commun est adressée aux époux conjointement (art. 113 al. 4 LIFD ; art. 16 al. 4 LPFisc).

12.         Si un époux exerce seul un droit de procédure ou s’il accomplit seul une obligation de procédure, son acte de procédure doit logiquement aussi produire des effets pour l’autre conjoint, inactif ou défaillant. Ainsi, le recours est également considéré comme formé pour le conjoint (art. 113 al. 3 LIFD) ou la déclaration d’impôt est également faite pour le conjoint (art. 113 al. 2, 3ème phr. LIFD). Si un seul des époux agit, la loi présume donc que le conjoint qui n’agit pas ou qui est en défaut, est représenté par le conjoint qui agit (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1042/2014 du 5 février 2015 consid. 2.1 ; 2C_256/2010 du 6 septembre 2010 consid. 1.2 ; arrêts du Tribunal administratif du canton de Zurich SB.2019.00109 du 8 janvier 2020 consid. 2.2 ; SB.2012.00008 du 27 juin 2012 consid. 2.2 = StE 2013 B 99.3 Nr. 9). Une autre conséquence que la présomption de représentation ne semble pas possible compte tenu du fait que les époux doivent être taxés conjointement dans la même décision en ce qui concerne les revenus du mariage (Martin ZWEIFEL, Silvia HUNZIKER in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, 4ème édition, 2022, art. 113, n. 13, p. 1996).

La présomption de représentation des époux ayant fait l’objet d’une taxation commune subsiste même après la suppression ultérieure des conditions de la taxation commune. Cela vaut également après le divorce (arrêt du Tribunal administratif du canton de Zurich SB.2019.00109 du 8 janvier 2020 consid. 2.2).

L’art. 113 al. 2 LIFD prescrit que les époux signent ensemble la déclaration d’impôt (1ère phrase). Si un seul des conjoints signe, un délai est accordé au conjoint non signataire pour procéder à la signature (2ème phrase). Cette réglementation s’avère être une simple prescription d’ordre. En effet, son inobservation ne conduit pas à l’invalidation de la déclaration d’impôt signée par un seul époux. La déclaration d’impôt vaut bien plutôt aussi comme celle du conjoint défaillant, car la loi présume que celui-ci est représenté par le conjoint qui la signe (Martin ZWEIFEL, Silvia HUNZIKER in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, op. cit., art. 113, n. 16, p. 1997).

13.         En l’espèce, la recourante relève que son ex-mari a signé seul les déclarations fiscales des années en cause. Selon elle l’AFC-GE ne l’a jamais invitée à les signer ni avertie des conséquences de son inaction. En conséquence, M. A______ ne l’a pas valablement représenté.

La recourante ne peut être suivie. En effet, quoi qu’en dise cette dernière, l’obligation pour les deux conjoints de signer la déclaration fiscale ne constitue qu’une prescription d’ordre. Comme exposé ci-dessus, les art. 113 LIFD et 16 LPFisc instituent une présomption selon laquelle selon M. A______, en retournant les déclarations fiscales des années en cause signées, uniquement par lui-même, a valablement représenté la recourante. De la sorte, il n’est pas déterminant d’établir si l’AFC-GE a effectivement invité la prénommée à les signer. Enfin, le fait que les époux ont divorcé n’y change rien. Pour la même raison, le précité a valablement représenté la contribuable lorsqu’il a élevé réclamation à l’encontre des bordereaux initiaux, les 27 mars, 8 juillet et 21 décembre 2015, ainsi que 10 février 2016.

Le tribunal relèvera en outre que l'argumentation de la recourante contrevient aux principes de la bonne foi, puisqu'elle a admis devant la DAPE qu'elle avait signé la version papier des déclarations fiscales des années en cause. Quand bien même elle n'aurait accordé aucune attention au contenu desdites déclarations – ce qui paraît extrêmement peu vraisemblable au vu des circonstances de l'affaire – elle aurait à tout le moins admis de la sorte qu'elle s'en remettait entièrement à son mari pour la représenter.

Partant, le grief doit être rejeté.

14.         La recourante soutient qu’à compter de la séparation, l’AFC-GE aurait dû émettre de nouveaux bordereaux, distinguant la part d’impôt due par elle-même et par M. A______. À ce défaut, elle n’avait pas été en mesure de se déterminer sur le montant de l’impôt afférent à ses propres éléments de revenu et de fortune.

15.         Les époux qui vivent en ménage commun répondent solidairement du montant global de l’impôt (art. 13 al. 1, 1ère phr. LIFD ; art. 12 al. 1, 1ère phr. LIPP). Lorsque les époux ne vivent pas en ménage commun, l’obligation de répondre solidairement du montant global de l’impôt s’éteint pour tous les montants d’impôt encore dus (art. 13 al. 2 LIFD ; art. 12 al. 2 LIPP).

16.         Dès que les époux ne vivent plus en ménage commun, l'obligation de répondre solidairement du montant global de l'impôt s'éteint. La séparation effective ou judiciaire est alors déterminante. La responsabilité solidaire est non seulement exclue pour les créances fiscales futures mais aussi pour toutes celles déjà facturées. Après la séparation, chaque conjoint ne répond ainsi que jusqu’à concurrence du montant correspondant à sa part de l’impôt global pour les créances fiscales nées avant la séparation ou, plus précisément, pour les créances issues d’une période de taxation commune, puisque, dans le système postnumerando, la taxation séparée rétroagit au 1er janvier de l’année durant laquelle est intervenu la séparation ou le divorce (Christine JAQUES in Yves NOËL, Florence AUBRY GIRARDIN Commentaire romand de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct, 2ème édition, 2017, art. 13, p. 214 n. 18).

La part de chaque conjoint à l'impôt est fixée dans une décision particulière, une fois la taxation (commune) des époux entrée en force (arrêt du Tribunal fédéral 2C_770/2016 du 26 septembre 2016 consid. 1.22).

17.         La doctrine et la jurisprudence considèrent que la répartition doit avoir lieu non au stade de la taxation, mais seulement au cours de la procédure de perception (cf. les auteurs cités par Silvia HUNZIKER, Jsabelle MAYER-KNOBEL in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, op. cit., art. 13, n. 56, p. 161 ; arrêt du Tribunal cantonal vaudois FI.2017.0049 du 6 août 2018, consid. 4 a bb, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 2C_766/2018 du 8 novembre 2018 consid. 5.2.4 ; arrêt du Tribunal administratif du canton de Zurich SR.2010.00017 du 2 février 2011 consid. 2.4).

18.         En l’espèce, la recourante ne peut être suivie.

Les conjoints A______ ont divorcé en 2020. Depuis lors, ils ont cessé de répondre solidairement du montant global pour les créances des années futures mais aussi pour toutes celles déjà facturées et donc pour toutes les créances d’ICC et d’IFD 2010 à 2013, visées par la présente procédure. Cela étant, il résulte de la doctrine et de la jurisprudence rappelée ci-dessus que la part respective d’impôt due par chacun des ex-conjoints devra être déterminée uniquement au stade de la perception, en d’autres termes, lorsque les taxations incriminées seront entrées en force.

Cette solution s’applique tant à l’IFD qu’à l’ICC, dès lors que les art. 13 al. 2 LIFD et 12 al. 2 LIPP ont une teneur similaire.

19.         Enfin, dans son écriture du 16 juin 2025, la recourante expose qu’elle a appris du mandataire de M. A______ que l’AFC-GE pourrait avoir effectué des reprises se rapportant au loyer de l’appartement sis à la route de E______ n°1______ loué par Mme D______, considéré comme insuffisant. La contribuable conteste le caractère insuffisant dudit loyer, car il excède la moitié de la valeur locative déterminée selon le questionnaire de l’AFC-GE. Dès lors, si de tels redressements avaient été effectués, ce qu’elle ignorait, ils étaient contestés.

20.         L'objet du litige est principalement défini par l'objet de la contestation, les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible. La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Les conclusions nouvelles doivent être déclarées irrecevables (ATF 142 I 455 consid. 4.4.2).

Selon la jurisprudence, les conclusions conditionnelles sont irrecevables (arrêt du Tribunal fédéral 1C_52/2010 du 21 avril 2010 ; ATA/810/2024 du 9 juillet 2024 consid. 2.1.).

En matière fiscale, l'objet du litige correspond non pas à la taxation dans son ensemble, mais aux points de cette taxation que le contribuable a déjà contesté au stade de la réclamation et qu'il persiste ensuite à contester devant le tribunal de céans, pour autant qu'il le fasse à l'intérieur du délai de recours. Ainsi, un élément de taxation que le contribuable ne soulève qu'au stade de sa réplique constitue un élément exorbitant à l'objet du litige, tel que défini ci-avant (JTAPI/338/2024 du 15 avril 2024), de même que s'il ne l'a pas déjà contesté dans le cadre de sa réclamation (ATA/371/2025 du 1er avril 2025 consid. 8.1 et 8.2, contre lequel un recours est pendant devant le Tribunal fédéral)

21.         En l’espèce, conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus, la conclusion énoncée par la recourante le 16 juin 2025 n’est pas recevable, car elle apparaît comme un objet nouveau de sa contestation, qu'il n'a pas fait valoir au stade de la réclamation et n'a, de surcroît, présenté que dans une écriture spontanée au terme de l'instruction de la présente procédure, bien après le délai de recours.

22.         Ne reposant sur aucun motif valable, le recours doit être rejeté.

23.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais de CHF 1'500.- versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de l’avance de frais de CHF 600.- lui sera restitué.

24.         Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 12 août 2024 par Madame A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 11 juillet 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais de CHF 1'500.- ;

4.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 600.- ;

5.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Philippe FONTAINE et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière