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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1897/2025

JTAPI/599/2025 du 03.06.2025 ( LVD ) , REJETE

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1897/2025 LVD

JTAPI/599/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 3 juin 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______

 

contre

Madame B______, assistée de Me Sofia SUAREZ-BLASER, avocate

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 28 mai 2025, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de Monsieur A______ une mesure d'éloignement valable jusqu'au 10 juin 2025 à 10 h 00, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame B______, située avenue de ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

2.             Selon cette décision, M. A______ était présumé avoir, en 2016, menacé son épouse, Mme B______ en lui disant que si elle allait voir la police, il allait "la défoncer" et la jeter au barrage du C______ (Genève) ; l'avoir menacée psychologiquement entre 2016 et ce jour ; avoir contrôlé les sorties de son épouse en interrogeant à son retour, entre 2016 et ce jour ; avoir confisqué le passeport de son épouse et celui de leur fille en 2022 ; avoir lancé des chaussures au visage de son épouse, lors d'une dispute la même année ; avoir empoigné son épouse par le tee-shirt en lui demandant de sortir de leur logement, entre 2022 et ce jour ; avoir menacé son épouse de lui faire mal à chaque fois que quelque chose l'avait contrarié, entre 2016 et ce jour ; avoir saisi fermement la main de sa fille, la jeune D______ et l'avoir repoussée en arrière dans le but qu'elle n'aille pas avec sa mère comme elle le souhaitait, entre 2022 et ce jour.

3.             M. A______ a fait opposition à cette décision par acte reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 30 mai 2025.

4.             Le dossier transmis au tribunal par le commissaire de police contient les éléments suivants.

5.             Selon rapport de renseignements établi par la police le 28 mai 2025, Mme B______ s'est rendue au poste de police le même jour afin de se plaindre de violence dont elle était victime de la part de son mari.

Entendue sur le moment même, ses déclarations ont fait l'objet d'un procès-verbal dont il ressort en substance qu'elle avait rencontré M. A______ en 2012 et qu'elle avait commencé à habiter chez lui six mois plus tard. Alors que tout s'était bien passé entre eux jusque-là, le comportement de son mari avait commencé à changer alors qu'elle était enceinte de six mois [de leur fille D______, née le ______ 2015]. Elle avait alors appris de la part du père de M. A______ que ce dernier était atteint d'une maladie psychique et suivait un traitement. Suite à cela, elle avait contacté l'infirmière de son mari qui lui avait expliqué qu'il s'agissait de schizophrénie. La soignante avait précisé qu'elle devait veiller à ce que son mari prenne bien son médicament quotidiennement et lui avait conseillé de ne pas faire d'autres enfants, car la suite s'annonçait déjà très difficile avec celui dont elle était enceinte. À partir de là, tous les matins, elle avait préparé le médicament de son mari afin de contrôler qu'il le prenne bien. Lorsqu'elle lui disait de ne pas oublier, il s'énervait et devenait agressif. Cela dit, il prenait tout le temps son médicament. Par ailleurs, son mari avait toujours eu de la peine à se remettre du décès de sa mère [en 2004]. Deux ans après la naissance de leur fille, l'humeur de M. A______ avait commencé à changer et il s'était montré régulièrement agressif à son égard. Il l'avait menacée, si elle allait à la police, de la « défoncer » et de la jeter au barrage du C______ (Genève). Avec le temps, la situation avait empiré et les crises de son mari n'avaient cessé d'augmenter. Il avait commencé à la menacer psychologiquement au cas où elle le quitterait. Il n'arrêtait pas de contrôler ses sorties et, si elle se rendait au parc avec leur fille en bas de l'immeuble, il regardait constamment par la fenêtre et lui faisait subir un interrogatoire à son retour. Environ trois ans auparavant, elle lui avait dit qu'elle ne supportait plus cette vie et qu'elle ne voulait pas non plus l'infliger à leur fille, lui faisant part de sa volonté de divorcer. Suite à cela, il avait confisqué son passeport et celui de leur fille car il avait peur qu'elle retourne en Bolivie, ce qui n'était pas le cas. Il répétait constamment qu'elle-même et leur fille étaient sa seule famille.

Sur question de la police de savoir s'il avait déjà levé la main sur elle, elle a répondu qu'il lui avait lancé une fois des chaussures sur le visage lors d'une dispute environ trois ans auparavant. Leur fille avait vu toute la scène. Environ un mois auparavant, il lui avait empoigné le T-shirt, avait ouvert la porte d'entrée et lui avait ordonné de sortir. Elle était sortie et était allée voir une voisine. Comme elle voulait y aller avec sa fille, son mari avait fermement pris la main de cette dernière et l'avait repoussée en arrière pour qu'elle ne vienne pas. Elle avait alors conseillé à sa fille de rester pour éviter d'aggraver la situation.

Elle ne voulait pas montrer à sa fille qu'elle allait mal, mais celle-ci grandissait commencer à comprendre la situation. Elle avait jusqu'ici essayé d'arranger la situation, car elle voulait que sa fille soit bien également avec son père. Elle n'avait jamais appelé la police lorsque son mari s'énervait, car elle avait honte.

À une reprise, alors qu'elle préparait à manger, son mari était rentré et avait commencé à crier, disant qu'il avait entendu une conversation en bas de l'immeuble. Il entendait des voix et déformait tout.

Environ une année auparavant, elle avait rencontré un homme par l'intermédiaire d'une amie, avec lequel elle avait créé une relation amicale. Il lui proposait des activités, qu'elle avait d'abord refusées, puis fini par accepter. Il avait également une fille et le contact passait très bien avec la sienne. Du coup, son mari était devenu jaloux de cet homme. Ce dernier connaissait sa situation conjugale, mais pas les détails. Sur question de la police, Mme B______ a précisé que son mari se comportait très bien avec leur fille et que cette dernière n'était pas en danger avec son père.

Depuis trois ans, les deux époux dormaient dans une chambre séparée et n'avaient plus aucune relation sexuelle. Ils arrivaient à discuter, mais lorsqu'il s'énervait, sur conseil du psychiatre, elle ne répondait pas pour ne pas envenimer la situation. Par moment, il était très gentil. Il avait une double personnalité et était assez imprévisible. Il était malade, mais elle n'en pouvait plus. Son mari était constamment en train d'écouter les conversations qu'elle avait avec sa fille et pensait qu'elle parlait de lui et en mal, ce qui n'était pas le cas. Elle ne voulait pas que leur fille ait un avis négatif sur son père et elle l'avait préservée des discussions houleuses qu'elle pouvait avoir avec lui.

Sur question de savoir si elle se sentait en danger lorsqu'elle se trouvait avec son mari, elle a répondu affirmativement, car il n'arrêtait pas de la menacer de lui faire du mal à chaque fois que quelque chose ne lui convenait pas. Elle ignorait de quoi il était capable. Sur question, elle a indiqué qu'il n'avait jamais essayé d'abuser d'elle sexuellement. Il bénéficiait d'une rente d'invalidité suite à sa maladie. Lorsqu'ils avaient emménagé ensemble, il travaillait un petit peu, tout en lui disant qu'il bénéficiait de l'assurance-invalidité, mais en lui expliquant que c'était lié à un problème de hanche.

Entendu le même jour sur convocation, M. A______ a fait des déclarations suivantes, également notées au procès-verbal.

Les premières années de leur vie conjugale s'étaient bien passées. Son époux était resté à la maison afin de s'occuper de leur fille, tandis qu'il travaillait. Ils étaient très soudés. En 2022, les choses s'étaient compliquées, les différences culturelles commençant à s'imposer (anniversaires, fêtes de famille, etc.). Il pensait également que ses sentiments avaient commencé à baisser. Le comportement de son épouse à son égard avait commencé à changer. Elle avait commencé à regarder les autres hommes et à sortir sans lui le soir. Il avait senti qu'une sorte de distance se creusait entre eux et qu'une certaine routine s'était installée. Il commençait à y avoir des petits commentaires de part et d'autre. Sachant que sa femme avait eu une enfance difficile dans son pays, il ne voulait pas l'accabler et se montrait compréhensif à son égard. Puis le ton avait commencé à monter, chacun voulant avoir le dernier mot. Environ deux ans auparavant, suite à ces tensions, ils avaient pris la décision de se séparer. Dès ce moment, ils avaient fait chambre à part et n'avaient plus eu de rapports intimes. Son épouse travaillait à cette époque et une collègue de travail s'était proposée de lui présenter une personne avec qui elle serait heureuse. Il avait constaté qu'elle recevait plus de messages que d'habitude et un jour, son épouse lui avait dit qu'elle avait un nouveau copain. Au début, il avait accepté cette nouvelle, mais il avait sa fierté et éprouvait de la rancune par moment. Sur question de la police, M. A______ a indiqué qu'il n'avait jamais levé la main sur sa femme. Il était inexact que lors d'une dispute, il lui aurait jeté une chaussure au visage. Il n'avait pas souvenir de cela. Il contestait également l'avoir empoignée par le T-shirt environ un mois auparavant, en ouvrant la porte d'entrée et en lui ordonnant de partir.

Sur question de savoir s'il était atteint d'une maladie quelconque, M. A______ a répondu qu'il prenait des anxiolytiques depuis 2009. Il était un peu « parano » suite au décès de sa mère en 2004. Il avait eu du mal à s'en remettre. Il consultait son psychiatre depuis le décès de sa mère et le voyait encore actuellement. Sur question de savoir s'il souffrait de schizophrénie, il a répondu négativement, ajoutant qu'il en avait souffert un peu lorsqu'il était adolescent, mais qu'avec les médicaments, cela s'était réglé depuis l'âge de 20 ans. Quatre ans auparavant, dès qu'il entendait certaines discussions dans la rue, il les ramenait systématiquement à lui, mais ce n'était désormais plus le cas. Il n'y faisait plus attention car il avait « constaté que les choses qui se discutaient lors de ces conversations arrivaient à d'autres personnes ».

Sur question de savoir s'il savait pourquoi son épouse s'était rendue au poste de police, il a répondu que c'était suite à une dispute qui était survenue l'après-midi de la veille. Son épouse lui avait dit qu'elle voulait l'appartement et il y était revenu ce jour même pour lui dire qu'il n'avait pas apprécié cette remarque. Le ton était monté. Revenant du parc et constatant que ses parents se disputaient, leur fille leur avait demandé d'arrêter. Il trouvait « gonflées » les demandes de sa femme de récupérer l'appartement et de recevoir de sa part une pension alimentaire. Sur question, il n'avait jamais menacé son épouse, notamment en lui disant qu'il allait la « défoncer » et la jeter dans le barrage du C______ (Genève) si elle le quittait. Elle ne comprenait pas toujours les expressions françaises et pouvait donc mal interpréter certains mots. Sur question de savoir s'il lui était déjà arrivé d'insulter son épouse lors de leurs disputes, il avait peut-être dit que c'était une profiteuse du fait qu'elle s'occupait de ses enfants en Bolivie. Il était vrai qu'il conservait le passeport de sa fille, mais pas celui de son épouse. Il était faux qu'il cherchait à contrôler les sorties de sa femme. Celle-ci lui demandait quand elle sortait si elle était bien habillée. C'était même elle qui lui racontait ce qu'elle faisait avec son copain, car il avait de l'argent. Il ne procédait pas à un interrogatoire lorsqu'elle rentrait à la maison. S'agissant du fait qu'il aurait saisi violemment la main de sa fille pour qu'elle reste avec lui dans leur appartement, M. A______ a expliqué que c'était pour l'empêcher de sortir avec une amie de sa femme, qu'il ne connaissait pas.

6.             A l'audience du 2 juin 2025 devant le tribunal, Mme B______ a expliqué que les premiers éléments qui avaient commencés à perturber l'entente conjugale avaient suivi une visite que son mari avait faite chez son père. Son mari était revenu avec un comportement étrange qui se traduisait par le fait qu'il parlait tout seul et qu'il avait commencé pendant une semaine à sortir le soir et à revenir au milieu de la nuit après être allé marcher. Il avait expliqué qu'il allait rencontrer sa mère décédée en 2004. Très peu de temps après, elle avait pris contact avec son beau-père pour lui faire part de ce comportement. Celui-ci était donc venu chez eux et cela avait mal tourné, son mari ayant fini par empoigner son père par son tee-shirt. Cela était arrivé alors que leur fille était âgée d'environ un an et demi. Jusque-là, elle n'avait jamais rien remarqué d'étrange chez son mari. Elle avait ensuite pu contacter l'infirmière qui s'occupait de son mari et dont elle ignorait l'existence jusque-là, puis son médecin psychiatre, qui lui avait indiqué quelle était sa maladie.

Il arrivait que son mari se montre par moment très gentil, mais c'était en principe liés à son besoin de demander pardon suite à des moments difficiles. Elle ne pouvait plus désormais supporter cette alternance entre ces moments-là et les moments où il l'insultait. Pour l'équilibre de leur fille, elle ne voulait plus non plus qu'elle vive cela.

Sur question du tribunal de savoir pourquoi je n'ai pas entamé concrètement de démarches en vue d'une séparation depuis trois ans, elle n'avait pas osé, parce que son mari exerçait une surveillance constante à son égard et voulait toujours savoir ce qu'elle avait fait et qui elle avait vu lorsqu'elle rentrait d'une sortie. Elle avait donc très peur d'aller voir une avocate ou un avocat et que cela n'entraîne une augmentation significative du risque qu'elle encourait. Elle avait peur qu'il la frappe ou peut-être même qu'il cherche à la tuer. Il la menaçait depuis longtemps et très régulièrement de la défoncer (en français) ou alors de se jeter dans le barrage du C______ (Genève). Dans ce sens, il fallait corriger le procès-verbal de son audition devant la police où l'on avait compris à tort qu'il la menaçait de l'y jeter elle-même.

M. A______ a expliqué à son tour qu'il avait beaucoup souffert du décès de sa mère en 2004, suite à quoi il avait arrêté de fréquenter beaucoup de monde autour de lui et était allé consulter au Centre de thérapie brève. Lorsqu'il avait rencontré on épouse, il avait joué carte sur table en lui parlant tout de suite de sa souffrance liée au décès de sa mère et de sa médication. Il ne voulait pas s'engager avec quelqu'un qui ne le comprendrait pas. Il savait de son côté qu'elle avait beaucoup souffert dans son enfance. Autour de la date d'anniversaire du décès de saa mère, des souvenirs remontaient et cela redevenait plus difficile pour lui dans cette période, car ils avaient eu une relation passionnelle. Dès lors, il sortait la nuit pour évacuer le trop plein et ne pas perturber son épouse. Selon sa psychiatre, son évolution était bonne depuis le décès de sa mère.

Sa rencontre avec son épouse avait été un cadeau du ciel et il ne comprenait pas pourquoi elle ne lui avait pas fait part des doutes qu'elle avait à son sujet. Il lui arrivait d'avoir des angoisses pour lesquelles il prenait des anxiolytiques et avait parfois des perceptions qui ne correspondaient pas forcément à la réalité.

Il n'avait jamais empoigné son père, avec lequel les liens s'étaient améliorés suite à sa rencontre avec son épouse. Il contestait exercer un contrôle sur cette dernière : lorsqu'elle avait commencé à sortir sans lui, il lui demandait simplement si elle avait bu, car cela ne lui convenait pas par rapport à leur fille.

Il n'avait jamais menacé de e suicider, mais il avait pu dire à mon épouse qu'il aurait du mal à supporter un divorce. Il n'avait jamais non plus menacé de la défoncer car il respectait toutes les femmes et encore plus la sienne.

Sur question du tribunal, M. A______ a expliqué que lors de sa rencontre avec son épouse, il avait parlé d'anxiété au sujet du décès de sa mère, ainsi que des anxiolytiques qu'il prenait pour cette raison. Après avoir vécu quelques temps dans une chambre d'étudiant puis, peu de temps après le décès de ma mère, durant quelques mois chez son père, il avait intégré un logement dans un immeuble au quai du C______ (Genève), où il disposait d'un service infirmier. Ils avaient vécu là avec son épouse jusqu'en 2018, avant de déménager à la ______.

Sur question du tribunal de savoir s'il avait évoqué d'autres difficultés personnelles au moment de rencontrer son épouse, M. A______ a répondu que non, même s'il avait peu à peu été amené, comme elle, à évoquer différentes épreuves vécues durant son enfance ou sa jeunesse. Sur relecture de ses déclarations à la police au sujet de la schizophrénie dont il avait indiqué avoir souffert lors de son adolescence, M. A______ a déclaré qu'en réalité, il ne s'agissait pas de schizophrénie mais d'une crise d'adolescence. Je n'ai donc pas parlé de schizophrénie à son épouse lorsqu'il l'avait rencontrée. Il avait davantage évoqué une dépression.

De manière générales, les déclarations faites par son épouse à son encontre étaient diffamatoires et graves.

Mme B______, sur question de son conseil de savoir si elle constatait un changement de comportement avant les épisodes de violences, a expliqué que son mari pouvait se montrer tout à fait normal ou agréable, puis soudain changer de comportement de manière complètement imprévisible, l'agripper, l'obliger à sortir de la maison, et elle se retrouvait alors sous un pont ou dans un parc. Ces changements de comportement intervenaient soit dans le cadre d'une dispute, soit résultaient de facteurs extérieurs comme le bruit provenant de l'école voisine et qu'il ne supportait pas. Il lui arrivait aussi de revenir déjà énervé à la maison parce que quelqu'un parlait trop fort au téléphone, ou encore sur un malentendu, par exemple si elle lui disait "tiens, prends ceci" (toma en espagnol) et qu'il s'énervait immédiatement en lui demandant pourquoi elle lui parlait de Thomas.

Sur question de son conseil de savoir ce qu'elle craindrait en cas de retour de son mari à leur domicile, c'était principalement la réitération des violences subies jusqu'ici, qui l'avaient d'ailleurs forcée à s'enfermer parfois dans la chambre de sa fille, et même dans ces cas, lorsqu'elle demandait à son mari de le laisser tranquille, il ne voulait pas comprendre. L'immeuble dans lequel ils avaient vécu jusqu'en 2018 était à l'adresse n° 1______ quai du C______ (Genève). C'était dans le bureau d'infirmiers qui s'y trouvait qu'elle avait pu rencontrer l'infirmière dont elle avait parlé tout à l'heure. Elle n'avait pas davantage de détails sur le statut de cet immeuble.

M. A______ a encore indiqué qu'actuellement, il vivait soit chez son père, soit chez sa demi-sœur, dont la fille lui avait laissé sa chambre. Il s'agissait cependant d'une situation provisoire.

Il a ensuite plaidé et conclu à l'annulation de la mesure d'éloignement.

Mme B______, par l'intermédiaire de son conseil, a conclu à la confirmation de cette mesure.

La représentante du commissaire de police en a fait de même.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, M. A______ relève qu'il n'existe pas, dans le dossier, de preuve formelle des violences dont l'accuse son épouse, ce qui est tout à fait exact. Cependant, cela ne signifie pas que ces violences n'ont pas existé. En l'absence de preuves (témoignages directs, documents médico-légaux, etc.), le tribunal peut forger sa conviction sur la base d'un faisceau d'indices qui, séparément les uns des autres, n'ont pas de signification déterminante, mais qui, considérés tous ensemble, convergent vers une représentation cohérente et convaincante d'une situation ou d'un fait.

6.             En l'occurrence, le dossier et l'audience du 2 juin 2025 révèlent deux aspects déterminants : d'une part, le déni (au moins relatif) dans lequel se trouve M. A______ par rapport au trouble psychique dont il est atteint et, d'autre part, la description très nuancée que Mme B______ a faite des violences qu'elle a subies de la part de son époux.

7.             S'agissant du premier aspect, M. A______ a lui-même admis à la police qu'il avait "un peu" souffert de schizophrénie durant son adolescence, maladie qui avait cependant disparu vers l'âge de 20 ans. Il est tout à fait invraisemblable qu'il ait en réalité voulu parler d'une simple crise d'adolescence, comme il l'a prétendu devant le tribunal, car les deux concepts ne peuvent aucunement se comparer ni se confondre. Il paraît donc évident que M. A______ a effectivement fait l'objet d'un diagnostic de schizophrénie et qu'il a tenté de se rétracter devant le tribunal, ce qui donne un signal plutôt inquiétant sur sa capacité à tenir compte de ce trouble (passé ou présent) dans l'évolution de sa situation conjugale. A cela s'ajoute son évocation, toujours devant la police, du fait que quatre ans auparavant, dès qu'il entendait certaines discussions dans la rue, il les ramenait systématiquement à lui, ce qui n'était désormais plus le cas. Si cette indication pourrait également évoquer un trouble paranoïaque (auquel M. A______ a lui-même fait allusion en parlant de la période qui avait suivi le décès de sa mère), elle doit être mise en relation avec une autre déclaration empreinte d'une étrangeté frappante, M. A______ ayant ajouté qu'il ne prêtait dorénavant plus attention à ces discussions car il avait « constaté que les choses qui se discutaient lors de ces conversations arrivaient à d'autres personnes ». De son côté, Mme B______ a non seulement évoqué spécifiquement l'affection dont était atteint son époux, mais s'est référée à cet égard aux discussions qu'elle avait eues avec une infirmière et avec la psychiatre de son mari. Elle a par ailleurs évoqué les sorties nocturnes que ce dernier pouvait effectuer durant plusieurs heures afin d'aller à la rencontre de sa mère – décédée depuis plusieurs années. La manière dont Mme B______ a décrit l'état de son mari durant ces périodes évoque bien davantage un état de décompensation psychique, plutôt que des rencontres au sens métaphorique et un simple besoin de se plonger dans des souvenir, selon la manière dont M. A______ a présenté ces sorties nocturnes. Enfin, Mme B______ a mentionné les incessants et brusques changements d'humeur de son mari, évocateurs non pas spécifiquement de schizophrénie, mais du moins de troubles psychiques.

8.             Le second aspect déterminant qui découle du dossier et de l'audience du 2 juin 2025 concerne, comme déjà dit, la description très nuancée que Mme B______ a faite des violences qu'elle a subies de la part de son époux. Au lieu des déclarations mensongères qui visent à nuire à un conjoint en le chargeant lourdement, Mme B______ a indiqué qu'elle n'avait pour ainsi pas subi de violences physiques, celles-ci étant survenues dans des circonstances extrêmement spécifiques (p. ex. lorsqu'elle avait reçu dans la figure une chaussure lancée par son mari). Elle n'avait jamais subi de violences sexuelles. Elle n'a pas non plus mentionné de violences verbales sous la forme d'insultes. En fin de compte, elle a surtout fait état des violences psychologiques exercées par son mari, soit sous la forme de menaces directes à son encontre (lorsqu'il lui disait qu'il la "défoncerait"), soit sous la forme d'une surveillance constante (p. ex. en l'épiant par la fenêtre lorsqu'elle était dehors avec leur fille ou en l'interrogeant lorsqu'elle revenait à la maison), soit encore sous la forme d'une humeur agressive qui se manifestait de manière intempestive et qui a fini par instaurer un climat d'insécurité si fort que Mme B______ n'est plus en mesure de le supporter (https://www.violencequefaire.ch/la-violence-psychologique/ ; consulté le 2 juin 2025). Dans ce cadre, également, Mme B______ a fait preuve de nuance, en corrigeant par exemple lors de l'audience du 2 juin 2025 des déclarations mal comprises par la police, selon lesquelles son mari l'aurait menacée de la jeter dans le barrage du C______ (Genève), alors qu'il l'avait en réalité menacée de s'y jeter lui-même. La menace de mort n'était donc pas dirigée contre elle, mais évoquait la possibilité d'un suicide.

9.             Ces différents éléments constituent aux yeux du tribunal un faisceau d'indices tendant à démontrer de manière suffisamment convaincante l'existence d'un climat de violence psychologique exercée par M. A______ à l'encontre de son épouse, dans un contexte de vraisemblable trouble psychique. Etant donné les dénégations du précité, voire son déni, et donc sa difficulté à prendre conscience de la gravité de la situation, un retour au domicile conjugal exposerait pour le moment Mme B______ à un risque important de réitération de ces violences. La mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police apparaît donc comme parfaitement adaptée à la situation.

10.         Par conséquent, l'opposition sera rejetée et la mesure d'éloignement confirmée dans son principe et sa durée.

11.         Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

12.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 30 mai 2025 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 28 mai 2025 pour une durée de 13 jours ;

2.             la rejette ;

3.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier