Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/564/2025 du 27.05.2025 ( LVD ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 27 mai 2025
| ||||
dans la cause
Madame A______
contre
Monsieur B______
COMMISSAIRE DE POLICE
1. Par jugement du 6 décembre 2024 (JTAPI/1198/2024), le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) a confirmé une mesure d'éloignement de 10 jours prononcés par le commissaire de police à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de contacter son épouse, Madame A______, ainsi que de pénétrer à son adresse privée.
2. Les considérants de ce jugement seront évoqués ci-après dans la partie en droit, en tant que de besoin.
3. Par décision du 23 mai 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Mme A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de M. B______, située ______[GE] et de le contacter ou de s'approcher de lui.
4. Selon cette décision, Mme A______ était présumée avoir porté des coups au visage et sur le buste de M. B______, dont l'un à l'aide d'une bouteille en métal et plusieurs avec une bouteille en plastique, en plus de l'injurier quasi quotidiennement. Depuis novembre 2024, lors de la dernière intervention de la police, deux à trois épisodes violents étaient présumés avoir eu lieu, lors desquels elle l'aurait frappé à plusieurs reprises.
5. Dans le cadre de son audition par la police le 23 mai 2025, Mme A______ a expliqué que le jour même, une dispute avait commencé après qu'elle ait dit à son mari qu'il ne lui donnait jamais d'argent pour pouvoir acheter des habits à ses filles. Il savait très bien qu'elle ne travaillait pas. Il lui avait dit qu'il n'était pas obligé de lui donner de l'argent. Ils s'étaient disputés et ils avaient commencé à crier. Elle l'avait « insulté d'homosexuel », ayant des motifs pour dire cela. Il lui avait donné une claque sur l'arrière de la tête. Le coup était très fort et elle avait eu mal. Elle avait pris une bouteille d'eau en plastique et la lui avait lancée. Il avait reçu la bouteille sur le bras. Elle avait ensuite jeté deux autres bouteilles. Il lui avait ensuite attrapé le bras droit avec sa main. Elle avait une marque « sur le bras ».
6. Entendu à son tour, M. B______ a fait état des blessures qu'il avait reçues durant la dispute. Son épouse l'avait griffé et l'avait frappé à la tête avec une gourde en métal. Elle l'avait également frappé sur les bras avec une gourde en plastique. Elle avait encore enroulé un câble électrique autour de sa main elle l'avait frappé au bras gauche et à l'épaule avec cela.
7. À nouveau entendue suite aux déclarations de son mari, toujours le 23 mai 2025, Mme A______ a reconnu avoir griffé son époux sur le torse et sur la joue, voulant se défendre. Elle lui avait aussi donné un coup de gourde sur la tête lorsqu'il s'était approché d'elle. Elle reconnaissait lui avoir lancé une gourde en plastique sur le bras. Elle avait aussi pris un câble électrique du chauffage et lui avait mis des coups avec afin qu'il arrête de l'agresser.
8. Mme A______ a fait immédiatement opposition à la mesure d'éloignement prononcée à son encontre.
9. A l'audience du 26 mai 2025 devant le tribunal, Mme A______ a indiqué avoir reçu le jour même la confirmation du fait qu’un logement provisoire lui serait attribué au sein de l’institution « C______ » et qu'elle pourrait vraisemblablement intégrer dans les prochains jours. C’était une solution provisoire, avec une durée maximale de 18 mois, en attendant l’attribution d’un logement par l’Hospice général. Jusqu’ici elle avait pu trouver à se loger au « Foyer D______ ». Son opposition immédiate avait été motivée par le fait qu’elle n’avait à ce moment-là aucune perspective pour se loger, étant rappelé qu’elle n’avait aucune famille à Genève et seulement deux amies, mais qui ne pouvaient pas l’héberger. Cela dit, elle était toujours dans une relative incertitude quant au moment où elle pourrait accéder au logement qu’on lui avait proposé « C______ » et elle aurait besoin de toute manière de pouvoir accéder à un moment ou à un autre au logement familial pour organiser matériellement son existence séparée, notamment avec ses filles. Elle avait pensé que dans la mesure où son mari avait été éloigné la première fois, il le serait à nouveau suite à leur récente dispute, d’autant qu’il avait pu trouver la possibilité de se loger dans les locaux dont il disposait professionnellement. Pour elle, il était clair aussi que la séparation était leur seule perspective.
M. B______ a indiqué n'avoir pas pu poursuivre aussi activement qu’il l’aurait voulu les démarches en vue d’une séparation de corps. Sur question du tribunal, il ne verrait à priori pas d’inconvénient à la perspective du retour de son époux au domicile conjugal le 2 juin 2025. Il pensait que les 10 jours d’éloignement dont elle avait fait l’objet l'amènerait à réfléchir elle aussi et quant à lui, il ne se sentait pas vraiment en danger à l’idée du retour de son épouse au domicile. Pour sa part, il n’envisageait pas la poursuite de la vie conjugale y compris moyennant une thérapie conjugale, étant rappelé qu’ils avaient déjà vécu séparément et avaient entamé quelques temps une démarche thérapeutique.
Mme A______ a plaidé et a conclu à l’annulation de la mesure d’éloignement prononcée à son encontre pour une durée de dix jours.
M. B______ s’en est rapporté à justice.
La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l’opposition formée par Mme A______ et à la confirmation de la mesure d’éloignement prononcée le 23 mai 2025 pour une durée de dix jours.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).
2. Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.
3. La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
4. La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).
Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).
Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).
Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.
Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de
a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;
b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.
La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).
Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).
Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.
5. En l'espèce, dans son jugement du 6 décembre 2024 (JTAPI/1198/2024, le tribunal a constaté que les époux convergeaient sur le fait que leur couple avait traversé une période marquée par de nombreuses disputes depuis le retour de Mme A______ au domicile conjugal en mars 2024, disputes qui les avaient régulièrement conduits à des gestes d'agression physique réciproque. Les éléments du dossier et ceux de l'audience tenue par le tribunal le 6 décembre 2024 ne mettaient pas en évidence le fait que, lors des disputes du couple, M. B______ s'en était pris physiquement à son épouse. Il semblait au contraire que la violence physique était plutôt initiée par Mme A______. Cela étant, il convenait de ne pas s'en tenir à cette première approche et de chercher à déterminer si la personne éloignée, à savoir, dans ce cas-là, M. B______, était la plus susceptible d'être l'instigatrice de nouvelles violences. En substance, les différents éléments résultant du dossier conduisaient le tribunal à évoquer la forte probabilité d'une violence économique exercée dans le couple par M. B______ à l'encontre de son épouse, voire une violence psychologique dont Mme A______ semblait elle-même n'avoir pas réellement pris conscience.
6. Dans le cas présent, même si la dispute survenue entre les deux époux le 23 mai 2025 s'inscrit dans la continuité de la dégradation, voire de la rupture de leur lien conjugal, ainsi que dans la continuité des formes de violence que semble avoir pu exercer M. B______ à l'encontre de son épouse, force est de constater, à teneur des déclarations des deux conjoints à la police lors de leur audition du 23 mai 2025, que Mme A______ a porté à cette occasion une responsabilité prépondérante dans l'exercice de la violence physique. La possibilité qu'elle puisse être épuisée par une situation qui dure depuis plus d'une année (si l'on s'en tient à la date de son retour au domicile conjugal en mars 2024) ne saurait conduire le tribunal à relativiser cette violence physique, ni à faire abstraction du fait que la précitée paraît de son côté avoir quelques difficultés dans la gestion de ses émotions. Dans cette mesure, la décision d'éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 23 mai 2025 pour une durée de 10 jours est conforme aux dispositions susmentionnées de la LVD, aussi bien sous l'angle de la légalité que de la proportionnalité.
7. Par conséquent, l'opposition rejetée et la mesure d'éloignement confirmée dans son principe et sa durée.
8. Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).
9. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable l'opposition formée le 23 mai 2025 par Madame A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 23 mai 2025 pour une durée de dix jours ;
2. la rejette ;
3. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
4. dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
Le président
Olivier BINDSCHEDLER TORNARE
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties. Une copie du jugement est transmise au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.
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