Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/289/2025 du 19.03.2025 ( ICC ) , REJETE
ATTAQUE
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 17 mars 2025
|
dans la cause
Madame A______, représentée par Me André ZOLTY, avocat, avec élection de domicile
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
1. Domiciliée en Israël, Madame A______ (ci-après : la contribuable ou la recourante) est assujettie de manière limitée à l'impôt à Genève, où elle est propriétaire d'un bien immobilier.
2. Dans les observations de sa déclaration fiscale 2022, elle a notamment indiqué : "étant propriétaire immobilier à B______, j'opte pour la déclaration simplifiée et ne déclare que mon bien immobilier et les dettes y relatives".
3. Les bordereaux émis le 10 janvier 2024 par l'Administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) portent sur un revenu net de CHF 304'841.- et une fortune nette de CHF 26'719'821.-. Le total des impôts dus s'élève à CHF 416'857.05 pour l'ICC, dont CHF 48'059.80 d'impôt immobilier complémentaire et CHF 35'052.- pour l'IFD.
4. Contre ces bordereaux, qu'il indique avoir été notifiés le 18 janvier 2024, le mandataire de la contribuable a formé une réclamation par un courrier recommandé du 15 février 2024. Il considère que le total des impôts réclamés de CHF 451'909.- sur un revenu de CHF 304'841.- est confiscatoire. Il estime qu'il n'est pas normal que l'impôt soit supérieur au revenu retiré de l'immeuble. Le choix d'une déclaration simplifiée ne doit pas pénaliser la contribuable. Même si elle avait rempli une déclaration complète, cela n'aurait rien changé en pratique, puisque, étant domiciliée à l'étranger, elle ne bénéficie pas du bouclier fiscal. Relevant pour le surplus, en détaillant les calculs, que les impôts étaient déjà confiscatoires en 2020 et 2021, elle invoque le principe de l'égalité de traitement et demande que le bouclier fiscal lui soit appliqué, considérant enfin que le fait qu'il soit réservé aux personnes domiciliées en Suisse est anticonstitutionnel et heurte le principe de l'égalité de traitement.
5. Par des décisions du 27 février 2024, l'AFC-GE a écarté cette réclamation et maintenu ses taxations. Rappelant que sa pratique découlant de son information N° 1/2008 du 15 janvier 2008 a été validée par le Tribunal fédéral, elle souligne que la contribuable a choisi d'être imposée au taux maximum, si bien que l'on ne peut pas considérer que l'impôt soit confiscatoire. Par ailleurs, le fait que le bouclier fiscal prévu par l'article 60 LIPP soit réservé aux personnes domiciliées en Suisse a été également validé par la jurisprudence.
6. Contre ces décisions qu'il indique avoir reçu le 5 mars 2024, le mandataire de la contribuable a formé un recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) par un courrier recommandé du 2 avril 2024. Rappelant les faits de la cause, il maintient que la taxation 2022 de la recourante est confiscatoire en se référant à l'ATA/751/2011 du 20 décembre 2011. Avoir choisi la déclaration simplifiée est un droit qui ne doit pas conduire à une taxation confiscatoire. Même si la taxation ordinaire avait été choisie, elle n'aurait pas été très différente.
Produisant un calcul d'impôt établi par le logiciel GeTax sur la base d'un revenu net de CHF 252'841.- et une fortune nette de CHF 26'386'228.-, il relève que le montant estimé total de CHF 387'226.80 est supérieur aux taxations émises, ce qui démontre que le choix de la procédure ordinaire ou simplifiée est sans impact. En particulier, le montant de la fortune imposable est tel que le taux maximum est de toute manière atteint.
Pour la recourante, limiter l'application de l'article 60 LIPP aux seules personnes domiciliées en Suisse constitue une inégalité de traitement contraire à la constitution fédérale. Se référant à la jurisprudence et à une décision de la Cour constitutionnelle allemande, elle estime que, pour éviter le caractère confiscatoire de la taxation, l'ICC 2022 ne devrait pas dépasser 50% du revenu de l'immeuble situé à Genève. Elle souligne à cet égard qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des autres revenus réalisés à l'étranger, ce qui ne regarde pas la Suisse. De toute manière, même s'il s'agissait de montants importants, ce qui n'est pas le cas, rien ne justifierait qu'une détention d'un immeuble à Genève coûte plus cher en impôt que son rendement effectif.
Indiquant enfin qu'elle renonce à contester son bordereau IFD 2022, la recourante conclut à l'annulation du bordereau ICC et à ce que son impôt n'excède pas 50% son revenu imposable en Suisse, impôt immobilier complémentaire compris.
7. Dans sa réponse du 31 mai 2024, l'AFC-GE conclut au rejet du recours. Après avoir rappelé le déroulement des faits, elle rappelle que, pour les personnes partiellement assujetties à l'impôt en Suisse, le taux doit toujours être calculé en fonction du revenu net global. Prendre en compte la totalité des revenus mondiaux dans le calcul de la charge maximale est conforme et a été validé par le Tribunal fédéral.
L'AFC-GE relève par ailleurs que la recourante a choisi d'être imposée selon la procédure simplifiée, ce qui a comme effet que seule une partie de ses revenus et de sa fortune lui sont connue, à savoir celle genevoise. Le caractère confiscatoire de l'impôt doit être apprécié selon l'ensemble de la situation économique de la contribuable, ce qu'il n'est pas possible de faire. En raison du choix effectué par la recourante, on ne peut pas connaître sa réelle capacité contributive.
8. Dans sa réplique du 20 juin 2024, la recourante estime que l'AFC-GE s'est bornée à des considérations générales. Elle conteste trouver des avantages dans le choix de la procédure simplifiée et soutient que celle-ci allège sa déclaration, mais ne lui permet d'en tirer aucun avantage, ayant démontré dans son recours qu'une taxation ordinaire aurait été tout aussi confiscatoire qu'une taxation simplifiée. Elle insiste sur le fait que, quelle que soit sa réelle capacité contributive et même si elle était aussi importante qu'un milliardaire, il est anormal qu'elle soit taxée à plus de CHF 450'000.- pour un revenu de l'ordre de CHF 300'000.-.
9. Dans sa duplique du 12 juillet 2024, l'AFC-GE indique que les allégués de la recourante doivent être relativisés, parce que le dépôt d'une déclaration fiscale 2022 ordinaire lui aurait permis de démontrer quels ont été ses revenus et sa fortune mondiaux, ce qui n'est pas le cas de la déclaration simplifiée qu'elle a choisie de déposer. Elle ne peut dès lors pas démontrer le caractère présumant confiscatoire de la taxation litigieuse. Citant l'ATA/662/2015 du 23 juin 2015 relatif à la période 2012 de la contribuable et l'ATA/126/2018 du 6 février 2018 relatif à la période 2013 de la recourante, l'AFC-GE estime que, en l'espèce, celle-ci n'a pas davantage démontré que sa taxation 2022 serait confiscatoire, bien qu'elle ait le fardeau de prouver ce fait. Elle souligne enfin qu'il n'est pas possible de déduire du seul revenu provenant de l'immeuble genevois que les impôts 2022 notifiés à la recourante seraient confiscatoires, ce qui doit toujours être évalué en fonction de la situation mondiale.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l'art. 49 LPFisc.
3. La recourante, domiciliée à l'étranger et assujettie de manière limitée à l'impôt à Genève, où elle est propriétaire d'un bien immobilier, revendique l'application du bouclier fiscal.
4. Celui-ci ressort à Genève de l'article 60 LIPP, qui prévoit une limite fixe de taxation en pourcents. Le texte de son premier alinéa est le suivant : « Pour les contribuables domiciliés en Suisse, les impôts sur la fortune et sur le revenu - centimes additionnels cantonaux et communaux compris - ne peuvent excéder au total 60 % du revenu net imposable. Toutefois, pour ce calcul, le rendement net de la fortune est fixé au moins à 1 % de la fortune nette ».
Lors des travaux devant la commission parlementaire, il avait été précisé que « ... la proposition consisterait à n'octroyer le bouclier qu'aux contribuables domiciliés en Suisse. Le Tribunal fédéral n'accepterait en effet pas que le bouclier fiscal soit limité aux contribuables domiciliés dans le canton. En revanche, l'octroi du bouclier fiscal pourrait être refusé aux contribuables domiciliés à l'étranger » (MGC 2008-2009/IX A p. 11556).
Dès lors, la volonté du législateur est bien de limiter le bénéfice de cette disposition aux contribuables domiciliés en Suisse.
5. Appelé à statuer sur la compatibilité de cette disposition avec le principe constitutionnel de l'égalité de traitement, le Tribunal fédéral a commencé par souligner que les contribuables domiciliés à l'étranger ne se trouvent pas dans une situation semblable à celle des contribuables domiciliés en Suisse disposant par hypothèse d'un même patrimoine qu'eux. Une différence de traitement est dès lors autorisée par le droit international (ATF 2C_1016/2019 du 05.10.2021 consid. 8.2). Dans ce même arrêt, le Tribunal fédéral a statué que :
"8.3. A cela s'ajoute que la situation d'un contribuable assujetti de manière limitée à l'impôt dans le canton de Genève n'est pas comparable à celle d'un contribuable qui y est assujetti de manière illimitée, en particulier s'agissant du droit au bénéfice du bouclier fiscal. En cas d'assujettissement limité, il n'appartient en principe pas au législateur de la collectivité bénéficiant de l'assujettissement limité, en l'espèce le législateur genevois, de décider si la charge fiscale globale, y compris celle qui résulte d'autres assujettissements à l'étranger, dépasse une limite donnée. En effet, il est impossible au dit législateur de tenir compte de la situation familiale et personnelle des contribuables domiciliés à l'étranger qui y sont assujettis de manière illimitée (ATF 136 II 241 consid. 13.3).
8.4. Enfin, lorsque le législateur genevois accorde le bénéfice du bouclier fiscal aussi au contribuable qui est assujetti de manière limitée dans le canton de Genève mais assujetti de manière illimitée dans un autre canton suisse, c'est en raison du principe de l'interdiction du traitement fiscal discriminatoire déduit de l'art. 127 al. 3 1e phr. Cst., qui ne saurait être confondu avec le droit à l'égalité de traitement. Du moment que la masse imposable d'un contribuable n'est pas du tout appréhendée dans sa totalité en cas d'assujettissement limité, on ne saurait parler de situation comparable, mais bien d'une situation d'emblée différente par rapport à un contribuable assujetti de manière illimitée. Sous l'angle de l'interdiction du traitement fiscal discriminatoire tiré de l'art. 127 Cst., on peut certes demander à un canton qu'il ne traite pas un contribuable différemment ou plus lourdement qu'un contribuable qui a son domicile fiscal exclusivement dans ce canton. Une interdiction de traitement fiscal discriminatoire comme celle tirée de l'art. 127 Cst. n'existe pas dans les relations internationales."
6. Compte tenu de ce qui précède, le tribunal doit constater que, d'une part, la recourante, qui est domiciliée à l'étranger, ne peut pas revendiquer l'application de l'art. 60 LIPP et, d'autre part, qu'elle ne peut pas se plaindre d'une inégalité de traitement du fait de ce refus.
7. La recourante allègue par ailleurs que la charge fiscale qu'elle subit est confiscatoire. Elle invoque ainsi la garantie de la propriété inscrite à l'article 26 Cst.
8. Dans son arrêt du 6 février 2018 relatif à la recourante (ATA/126/2018), la chambre administrative de la Cour de justice avait rappelé que l'analyse du caractère confiscatoire de l'impôt doit se faire sur une assez longue période et en tenant compte de l'ensemble des circonstances et en faisant abstraction des circonstances extraordinaires (consid. 4a - dans le même sens : ATF 9C_638/2022 du 24.04.2023 consid. 5.2.3). La Cour avait par ailleurs retenu que :
"En l'espèce, il n'est pas possible pour l'AFC-GE d'appréhender l'intégralité de la situation fiscale de la recourante de par son domicilié à l'étranger. Or, l'impôt confiscatoire doit être analysé à la lumière de l'ensemble des circonstances concrètes concernant un contribuable, de manière à déterminer la durée et la gravité de l'atteinte." (consid. 4d)
9. Ce considérant reste parfaitement valable aujourd'hui. En particulier, la recourante n'a même pas tenté de justifier la globalité de sa situation mondiale, se contentant d'affirmer que les éléments réalisés à l'étranger ne regardent pas la Suisse. Elle confirme ainsi son choix d'utiliser la déclaration simplifiée, ce qui est son droit. La conséquence de ce choix est qu'il rend impossible tout contrôle de sa situation permettant d'examiner son grief.
10. Les allégués généraux de la recourante, qui tente une comparaison avec des situations abstraites ne sont par ailleurs pas pertinents, puisque la jurisprudence du Tribunal fédéral rend nécessaire une analyse individuelle de la situation du contribuable concerné.
11. Mal fondé, le recours sera rejeté.
12. En application des art. 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante qui succombe est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 2 avril 2024 par Madame A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 27 février 2024 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 200.- ;
5. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
6. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant: Antoine BERTHOUD, président, Jean-Marie HAINAUT et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs
Au nom du Tribunal :
Le président
Antoine BERTHOUD
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| Le greffier |